Ce vendredi soir, deuxième cours sur saint Thomas d'Aquin. Cette fois, foin des généralités ! Nous entrons tout de suite dans le vif de l'article 1 de la question 2 : Dieu est-il évident ?
Les orthodoxes reprochent souvent à Thomas d'Aquin son "rationalisme" parce qu'il introduit la démonstration rationnelle jusqu'au coeur de la vie spirituelle en insistant sur le fait que l'on peut démontrer que Dieu est. En réalité, le Docteur angélique nous prend tous là où nous sommes : dans notre ignorance.
Il est vrai que nous possédons tous spontanément une certaine connaissance innée de Dieu, un désir qui ne sait pas trop ce qu'il désire (comme lorsque j'entends quelqu'un venir mais que je ne sais pas que c'est Pierre qui vient dit saint Thomas dans la réponse à la première objection). Fondamentalement, ne sachant pas CE QU'EST Dieu, nous ne pouvons pas savoir qu'il existe de manière évidente. Je m'appuie sur une question posée pour souligner que lorsque l'on pense, par exemple, que Dieu est un lieu - ce lieu qui est le TOUT - on ne réagit pas comme lorsque l'on sait, avec la révélation biblique - que Dieu est un sujet, une personne.
Mais il faut souligner que la notion d'évidence (ou chez saint Thomas qui emprunte le thème à Aristote de "proposition connue par soi") n'est pas une notion simple. Dans le Corpus de l'article, saint Thomas insiste sur la distinction entre "ce qui est connu par soi secundum se" et "ce qui est connu par soi quoad nos". Il y a une évidence subjective (sur laquelle Descartes insistera beaucoup) et une évidence objective. L'évidence subjective repose forcément sur un accès personnel à la connaissance. L'évidence objective procède du fait que le prédicat de la proposition connu par soi est contenu dans le sujet. Dieu est évident d'une évidence objective (secundum se) : on peut évidemment dire que Dieu est puisque Dieu est l'être. Mais nous qui ne connaissons pas Dieu (nous qui souvent ne savons dire que ce qui est sacré pour nous et non Dieu comme sacré ou suprême en soi), nous ne pouvons pas immédiatement établir cette identité objective entre Dieu et l'être. Cette évidence n'existe pas pour nous, même si elle existe en soi.
La meilleure preuve que cette évidence de Dieu n'existe pas pour nous, c'est que la position athée existe. Psaume 53 : "l'insensé a dit dans son coeur : il n'y a pas de Dieu". Si l'existence de Dieu était évidente pour nous, l'inexistence de Dieu ne se soutiendrait pas une seconde. C'est bien son inévidence pour nous qui permet de considérer que l'athéisme est une position tenable. Si vous voulez savoir d'où vient cette audace d'un homme du XIIIème siècle, elle provient du paragraphe consacré à l'argument d'autorité (la citation du Ps. 53). Paradoxe et souplesse de Thomas d'Aquin : il fait dériver l'existence (problématique) de l'athéisme d'un Magister dixit.
Quant à l'évidence de l'existence de Dieu, elle est plus apparente chez ceux qui connaissent Dieu, les "sapientes", ceux que l'on appelle les "sages". Peut-on scruter le mystère de l'univers sans revenir à Dieu ? "Ce qui est incompréhensible dit Einstein, c'est que le monde soit compréhensible". La connaissance est elle-même un mystère. Il y a chez tous ceux qui scrutent, chez tous les sages une certaine reconnaissance de Dieu, il ne faut pas s'en étonner. Mais comme le souligne Cajétan en faisant allusion à ce passage de la Somme théologique dans son Commentaire du chapitre 3 du Premier livre des Seconds Analytiques, la connaissance des sages, à propos de Dieu, si elle parvient à une forme d'évidence (qui faisait dire au dernier Gilson : l'athéisme est difficile) est toujours une connaissance vague, qui ne nous laisse pas savoir clairement qui est Dieu.
La Somme théologique, cet itinéraire spirituel comme disait Mgr Lefebvre, nous prend dans notre ignorance et non dans ces pseudo savoirs qui sont souvent autant de masques de Dieu, autant de signes de la migration du sacré.
Nous laissons pour la prochaine fois la très importante réponse à la deuxième objection. C'est une fenêtre ouverte sur un monde !
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