Texte repris de Monde&Vie n°831 - 28 août 2010
C'était un homme d’une politesse exquise, que la fréquentation des idées avait poli, en lui laissant une humilité sans fard et une compétence à peu près universelle. Américain d’origine hongroise, Tomas Molnar était profondément francophile. Son premier livre – ce n’est pas pour rien – porte sur Georges Bernanos. Il avait besoin de communiquer ses idées et il le faisait avec le même naturel qu’il se mettait à table, en animant la conversation de cette immense culture qui n’était jamais importune, jamais encombrante, jamais pédante (oh non !) mais simplement rayonnante. Avec quel enthousiasme il se rendra régulièrement à Budapest, après la chute du Mur, alors qu’il a largement passé l’âge de la retraite, pour y retrouver un jeune public auquel il enseignera dans sa langue maternelle, la méfiance pour ce qu’il appelait « le mal moderne » mais aussi son immense confiance dans la pérennité des idées vraies. On peut dire que c’est le même sentiment qui l’animait pour écrire, en français, la chronique qu’il faisait parvenir à notre revue Monde et Vie, toutes les trois semaines, faite de choses vues et de jugements empiriques sur ce qu’il pouvait observer, gardant une insatiable curiosité dans le choix des sujets.
Disciple de Maistre et de Maurras
Dans son calme, on avait du mal à discerner sa vie aventureuse, son enfance hongroise en Transylvanie devenue roumaine par le traité de Trianon, sa jeunesse à Bruxelles où il parle couramment le français, son internement à Dachau comme leader de la jeunesse catholique belge et en 1950 sa fuite aux États unis… Foncièrement anticommuniste, il pointe ce qu’il appelle « le déclin des intellectuels », leur allégeance à l’idéologie. Et face à cette « furie nihiliste » qu’est la Révolution, devenue endémique dans le monde, il dresse la contre-révolution, à laquelle il consacre un ouvrage traduit en français sous ce titre, où il apparaît en disciple de Joseph de Maistre et de Charles Maurras. Ce qui frappe dans cette oeuvre, c’est le contraste entre un grand pessimisme sur les situations et un grand calme dans le maniement des idées. Je me souviendrai longtemps de sa finale sur « trois faux héros contre-révolutionnaires », Nixon, De Gaulle et Paul VI. Le moins que l’on puisse dire, c’est que Thomas Molnar ne cherchait pas à se rassurer à bon compte. Très tôt il condamna l’enthousiasme conciliaire. Il perçut en Jean Paul II un pape qui ne répondait pas à la gravité de la crise dans l’Eglise par des mesures appropriées. Raison pour laquelle il soutint constamment les traditionalistes catholiques.
Il faut ajouter à ces analyses politiques une oeuvre philosophique d’envergure sur laquelle on n’insiste pas assez. Après L’utopie, éternelle hérésie (1967, 1973 tr. fr.), dans laquelle il montre que l’origine de toutes les idéologies est religieuse, en terminant son livre sur une critique sévère de Teilhard de Chardin, Molnar publie aux Presses universitaires de France, Dieu et la connaissance du réel (1974), dans lequel il établit que les positions épistémologiques des grands penseurs du XIXe siècle sont conditionnées en profondeur par leur positionnement théologique. Très tôt, il voit dans « le dieu immanent » la grande tentation de la pensée allemande, à laquelle il consacre un livre en français aux éditions du Cèdre (1982).
Rappelé à Dieu le 20 juillet dernier, en Virginie, Thomas Molnar était en train de dicter ses mémoires. On espère que cet ultime témoignage de sa vivacité sera rapidement traduit en français.
Abbé G. de Tanoüarn
C'était un homme d’une politesse exquise, que la fréquentation des idées avait poli, en lui laissant une humilité sans fard et une compétence à peu près universelle. Américain d’origine hongroise, Tomas Molnar était profondément francophile. Son premier livre – ce n’est pas pour rien – porte sur Georges Bernanos. Il avait besoin de communiquer ses idées et il le faisait avec le même naturel qu’il se mettait à table, en animant la conversation de cette immense culture qui n’était jamais importune, jamais encombrante, jamais pédante (oh non !) mais simplement rayonnante. Avec quel enthousiasme il se rendra régulièrement à Budapest, après la chute du Mur, alors qu’il a largement passé l’âge de la retraite, pour y retrouver un jeune public auquel il enseignera dans sa langue maternelle, la méfiance pour ce qu’il appelait « le mal moderne » mais aussi son immense confiance dans la pérennité des idées vraies. On peut dire que c’est le même sentiment qui l’animait pour écrire, en français, la chronique qu’il faisait parvenir à notre revue Monde et Vie, toutes les trois semaines, faite de choses vues et de jugements empiriques sur ce qu’il pouvait observer, gardant une insatiable curiosité dans le choix des sujets.
Disciple de Maistre et de Maurras
Dans son calme, on avait du mal à discerner sa vie aventureuse, son enfance hongroise en Transylvanie devenue roumaine par le traité de Trianon, sa jeunesse à Bruxelles où il parle couramment le français, son internement à Dachau comme leader de la jeunesse catholique belge et en 1950 sa fuite aux États unis… Foncièrement anticommuniste, il pointe ce qu’il appelle « le déclin des intellectuels », leur allégeance à l’idéologie. Et face à cette « furie nihiliste » qu’est la Révolution, devenue endémique dans le monde, il dresse la contre-révolution, à laquelle il consacre un ouvrage traduit en français sous ce titre, où il apparaît en disciple de Joseph de Maistre et de Charles Maurras. Ce qui frappe dans cette oeuvre, c’est le contraste entre un grand pessimisme sur les situations et un grand calme dans le maniement des idées. Je me souviendrai longtemps de sa finale sur « trois faux héros contre-révolutionnaires », Nixon, De Gaulle et Paul VI. Le moins que l’on puisse dire, c’est que Thomas Molnar ne cherchait pas à se rassurer à bon compte. Très tôt il condamna l’enthousiasme conciliaire. Il perçut en Jean Paul II un pape qui ne répondait pas à la gravité de la crise dans l’Eglise par des mesures appropriées. Raison pour laquelle il soutint constamment les traditionalistes catholiques.
Il faut ajouter à ces analyses politiques une oeuvre philosophique d’envergure sur laquelle on n’insiste pas assez. Après L’utopie, éternelle hérésie (1967, 1973 tr. fr.), dans laquelle il montre que l’origine de toutes les idéologies est religieuse, en terminant son livre sur une critique sévère de Teilhard de Chardin, Molnar publie aux Presses universitaires de France, Dieu et la connaissance du réel (1974), dans lequel il établit que les positions épistémologiques des grands penseurs du XIXe siècle sont conditionnées en profondeur par leur positionnement théologique. Très tôt, il voit dans « le dieu immanent » la grande tentation de la pensée allemande, à laquelle il consacre un livre en français aux éditions du Cèdre (1982).
Rappelé à Dieu le 20 juillet dernier, en Virginie, Thomas Molnar était en train de dicter ses mémoires. On espère que cet ultime témoignage de sa vivacité sera rapidement traduit en français.
Abbé G. de Tanoüarn
Thomas Molnar devait souffrir beaucoup de tout cet effondrement autour de nous.
RépondreSupprimerÉtait l'ami de l'essayiste Canadien Jean Renaud de la revue Égards, qui lui, s'était inspiré de l'essayiste Américain, Russell Kirk.