Merci à un récent anonyme de son message chiadé sur la vie et sur l'immanence vitale. Faut-il hésiter à employer le mot de vie parce que le pape Pie X a condamné 'l'immanence vitale', comme étant le fondement du modernisme philosophique ? - Je ne le crois pas.
Ce qu'il faut, c'est identifier la condamnation de Pie X. Il me semble clair qu'elle porte non sur Maurice Blondel, ondoyant et divers, mais sur Lucien Laberthonnière, prêtre de l'Oratoire qui resta toute sa vie parfaitement édifiant, qui fut l'un des trois ou quatre philosphes français importants avant guerre (de l'avis de Bréhier qui ne recense pas Blondel et encore moins Maritain) et qui développa une philosophie de la vie parfaitement cohérente, magnifiquement formulée mais hélas à tendance profondément idéaliste : l'immanence chez lui l'a emporté sur la vie.
Pour Laberthonnière - de façon encore plus nette que Blondel dans sa première rédaction de L'Action - la vie, chaque vie porte Dieu. Idée profondément juste. Mais il en tire une conséquence qui est excessive : l'action porte en elle son propre dépassement. Elle atteint à l'Absolu, dans la conscience qu'elle prend d'elle-même. L'esprit se projette en Dieu. Pour donner une formule de Laberthonnière, qui fait comprendre sa condamnation disons que pour lui, "être philosophe vraiment, c'est tout considérer du point de vue moral". J'emprunterait ce jugement à sa biographe MM d'Hendecourt, peu suspecte d'antipathie à l'égard de Laberthonnière : elle pointe, chez lui "la conviction avouée d'une valeur absolue qui subordonne à elle les autres aspects de la réalité" [Essai sur la philosophie de Laberthonnière p. 28].
Autre chose est de dire : il faut aimer LA vie en tant qu'elle vient de Dieu et non pas seulement ma vie en tant qu'elle me fait du bien... Et autre chose de souligner qu'il y a dans la vie un Absolu qui ne dit pas toujours son nom, mais qui est toujours déjà là pour celui qui le cherche. Aimer LA vie, c'est affirmer le caractère radicalement bon de notre destinée : il n'y a pas de piège. Dieu ne nous tend pas de piège. les événements ne sont pas bizautés... Considérer qu'il y a DANS la vie un Absolu, c'est courir le risque de lâcher la proie pour l'ombre, d'oublier Dieu et de SE prendre soi-même pour centre. C'est le dangerr du personnalisme idéaliste de Laberthonnière.
Reste, chez lui, de merveilleuses intuitions, sur l'autorité comme service, sur la personne comme unité chrétienne de la mesure du monde, sur la Raison comme infiniment plus vaste que la ratio et naturellement contemplative ou méditative.
Reste l'éloge de la Vie, qui, bien compris, ne peut pas nous déplaire.
Que dire encore ? Vous laisser une formule d'Emile Poulat, orfèvre en la matière, dans un très bel entretien avec Jean Madiran publié par La Nef : "Le débat entre la foi et la raison est quelque chose qui m'est étranger car fides et ratio est intraduisible en langage moderne. Le véritable débat est entre ratio et raison. Il y a une historicité de la raison"... La raison de Laberthonnière n'est pas celle du Père Ambroise Gardeil ou du Père Garrigou-Lagrange. Ni celle de Voltaire, ni celle de Spinoza. On le remerciera d'avoir - mieux que ses collègues thomistes - rivé son clou au rationaliste Brunschvicg, qui représentait la loi et les Prophètes pour l'Université de l'époque. Il faisait de la Raison un absolu. Son dieu.
C'est le dogmatisme de Laberthonnière qui l'a perdu, en le menant à une forme de réductionnisme idéaliste. Mais l'élan premier, cette quête d'un au-delà de la raison par la raison, reste pleinement d'actualité. Il y a au Saulchoir un exemplaire du Dogmatisme moral relu et crayonné par Ambroise Gardeil : il faut bien reconnaître qu'il n'avait pas vu la nécessité de penser un dédoublement de la raison... pour la sauver. Rationaliste et thomiste ? Oui... C'est possible malheureusement.
En me relisant je constate que c'est horriblement opaque : non sophophiles, s'abstenir.
Ce qu'il faut, c'est identifier la condamnation de Pie X. Il me semble clair qu'elle porte non sur Maurice Blondel, ondoyant et divers, mais sur Lucien Laberthonnière, prêtre de l'Oratoire qui resta toute sa vie parfaitement édifiant, qui fut l'un des trois ou quatre philosphes français importants avant guerre (de l'avis de Bréhier qui ne recense pas Blondel et encore moins Maritain) et qui développa une philosophie de la vie parfaitement cohérente, magnifiquement formulée mais hélas à tendance profondément idéaliste : l'immanence chez lui l'a emporté sur la vie.
Pour Laberthonnière - de façon encore plus nette que Blondel dans sa première rédaction de L'Action - la vie, chaque vie porte Dieu. Idée profondément juste. Mais il en tire une conséquence qui est excessive : l'action porte en elle son propre dépassement. Elle atteint à l'Absolu, dans la conscience qu'elle prend d'elle-même. L'esprit se projette en Dieu. Pour donner une formule de Laberthonnière, qui fait comprendre sa condamnation disons que pour lui, "être philosophe vraiment, c'est tout considérer du point de vue moral". J'emprunterait ce jugement à sa biographe MM d'Hendecourt, peu suspecte d'antipathie à l'égard de Laberthonnière : elle pointe, chez lui "la conviction avouée d'une valeur absolue qui subordonne à elle les autres aspects de la réalité" [Essai sur la philosophie de Laberthonnière p. 28].
Autre chose est de dire : il faut aimer LA vie en tant qu'elle vient de Dieu et non pas seulement ma vie en tant qu'elle me fait du bien... Et autre chose de souligner qu'il y a dans la vie un Absolu qui ne dit pas toujours son nom, mais qui est toujours déjà là pour celui qui le cherche. Aimer LA vie, c'est affirmer le caractère radicalement bon de notre destinée : il n'y a pas de piège. Dieu ne nous tend pas de piège. les événements ne sont pas bizautés... Considérer qu'il y a DANS la vie un Absolu, c'est courir le risque de lâcher la proie pour l'ombre, d'oublier Dieu et de SE prendre soi-même pour centre. C'est le dangerr du personnalisme idéaliste de Laberthonnière.
Reste, chez lui, de merveilleuses intuitions, sur l'autorité comme service, sur la personne comme unité chrétienne de la mesure du monde, sur la Raison comme infiniment plus vaste que la ratio et naturellement contemplative ou méditative.
Reste l'éloge de la Vie, qui, bien compris, ne peut pas nous déplaire.
Que dire encore ? Vous laisser une formule d'Emile Poulat, orfèvre en la matière, dans un très bel entretien avec Jean Madiran publié par La Nef : "Le débat entre la foi et la raison est quelque chose qui m'est étranger car fides et ratio est intraduisible en langage moderne. Le véritable débat est entre ratio et raison. Il y a une historicité de la raison"... La raison de Laberthonnière n'est pas celle du Père Ambroise Gardeil ou du Père Garrigou-Lagrange. Ni celle de Voltaire, ni celle de Spinoza. On le remerciera d'avoir - mieux que ses collègues thomistes - rivé son clou au rationaliste Brunschvicg, qui représentait la loi et les Prophètes pour l'Université de l'époque. Il faisait de la Raison un absolu. Son dieu.
C'est le dogmatisme de Laberthonnière qui l'a perdu, en le menant à une forme de réductionnisme idéaliste. Mais l'élan premier, cette quête d'un au-delà de la raison par la raison, reste pleinement d'actualité. Il y a au Saulchoir un exemplaire du Dogmatisme moral relu et crayonné par Ambroise Gardeil : il faut bien reconnaître qu'il n'avait pas vu la nécessité de penser un dédoublement de la raison... pour la sauver. Rationaliste et thomiste ? Oui... C'est possible malheureusement.
En me relisant je constate que c'est horriblement opaque : non sophophiles, s'abstenir.
Merci pour cette réflexion. C'est vrai ce que vous dites.
RépondreSupprimerFaire un bon usage de la raison signifie de "bien raisonner la raison" en lui tenant la bride afin de ne point prendre le fossé du rationalisme qui en fait un veau d'or.
La raison n'est qu'un outil. Elle n'est pas une fin en soi.(Rationalisme). Elle doit nous aider que pour s'élever à une bonne intelligence de la foi. (Antichambre de la théologie).Le reste n'a aucun importance puisqu'elle n'est pas une fin en soi.