jeudi 31 mars 2011

Dix-neuvième billet de Carême, jeudi de la Troisième semaine

"Mais lui, imposant la main à chacun, les guérissait tous" Lc 4, 40

Ce récit de la guérison de la belle-mère de Simon est présent dans les trois synoptiques, Matthieu, Marc et Luc. Mais cette formule, on la trouve dans le seul Luc. Elle est significative pourtant. La guérison de la belle-mère est l'occasion que choisisssent une foule de malades pour se faire porter auprès de Jésus. Ce que Luc ajoute à cela, c'est qu'il suffisait de se présenter pour être guéri (Il les guérissait TOUS) mais que chacun se voyait imposer les mains dans un geste personnel du Christ à son égard.

Parvenu à ce point, il faut que je vous fasse une confidence : je suis un peu philosophe... Vous êtes au courant ? En tout cas, c'est en tant que tel que je voudrais chercher le sens de ce passage. Ne vous inquiétez pas : c'est extrêmement basique, comme souvent les philosopheries.

Je ne peux pas manquer de voir dans cette formule de l'évangéliste Luc, apparemment banale,la forme exacte de l'universel catholique et la raison profonde (humaine et divine tout à la fois) pour laquelle l'Eglise catholique, même en ces temps de mondialisation, est la seule internationale qui tienne.

- En quoi cela concerne notre Carême ? demanderez-vous

- Deux raisons : cela nous fait mieux connaître l'Eglise et la manière dont nous adhérons à son Mystère, c'est-à-dire au Christ. Et cela nous donnera, je pense, une nouvelle raison d'espérer dans l'Eglise. Autant dire que cela augmentera notre foi.

Mais je vais m'expliquer sur ce que j'appelle la forme de l'universel catholique.

"Imposant la main à chacun, le Christ les guérissait tous". Cela signifie d'abord que le Christ n'a aucune exclusive, qu'il n'est pas limité (par une quelconque prédestination supra-lapsaire ou par une élection divine ou une appartenance communautaire ou que sais-je ?) dans la grâce qu'il porte au monde. Il verse son sang pour sauver tous les hommes, parce qu'il veut sauver tous les hommes. C'est la liberté d'un certain nombre d'entre eux qui les fait se soustraire à cette générosité divine. Mais il est bien mort pour la multitude. Jusqu'à la fin du monde, "quiconque invoquera le Nom du Seigneur [c'est-à-dire le Christ Seigneur, le sachant ou non] sera sauvé".

Et vous qui lisez ces lignes, il en est de même pour vous. Il vous suffit d'approcher, sans avoir peur du Christ. Vous recevrez sa grâce, c'est-à-dire sa vie... éternelle.

En même temps, cette universalité du salut n'est pas quelque chose d'abstrait. Ce n'est pas un salut donné "en général", ce n'est pas une IDEE du salut qui se vérifierait universellement. Ce n'est pas un salut présumé universel. Pas un salut sur le papier. C'est un salut donné à chacun, reçu (ou refusé) par chacun : le Christ prend le temps d'imposer les mains à chacun des malades. il pourrait leur dire : "Rentrez chez vous, vous êtes guéris. Il aurait pu leur dire : "Sentez-vous bien tous, car le Royaume de Dieu est pour tous et, que vous le sachioez ou non, vous êtes déjà dedans et vous êtes déjà guéris".

Non ! Il prend le temps, selon un rite que le prêtre continue à observer le jour du baptême et sur le front de chaque malade, il pose sa main, et certainement il regarde le malade qui s'adresse à lui. Qui dira cet échange de regard ?

Eh bien ! C'est encore le cas aujourd'hui. Il n'y a pas qu'une seule manière d'être chrétien. Chacun d'entre nous à sa vocation, son appel, son chemin, sa manière de s'offrir au Seigneur. C'est pourquoi l'on dit, au-delà même du principe hiérarchique et des questions de périmètre visible ou invisible de l'Eglise, que l'on se trouve devant une société de personnes, chaque personne ayant un rapport ineffable à son Seigneur, une manière particulière de lui dire son amour.

Il est vrai que tous nous devons aimer Dieu "plus que tout". C'est le Deutéronome qui nous le demande, et ce commandement est repris dans l'Evangile. Mais en même temps nul ne doit s'ériger sans mandat exprès en juge de son prochain, car nous avons chacun un secret, un chemin, un trésor... personnel.

Et voilà pourquoi, n'en déplaise à certains prêtre à court d'inspiration, l'Eglise n'est pas totalitaire, tout en étant la plus exigeante. Raphaël avait dit à Tobie : "Il est bon de cacher le secret du roi" (Tb. 12, 7) - c'est-à-dire le mot d'amour, chaque fois différent, qui existe entre chaque personne et son Dieu.

Ni transparence, ni standardisation, ni massification spirituelle : le Royaume de Dieu commence ou plutot recommence, comme en un premier jour, en chacun d'entre nous. Comme l'écrivait saint Thomas à sa soeur : "Il suffit de le vouloir".

Pour ceux que la métaphysique intéresse, je préciserai simplement qu'il s'agit là de la figure de l'analogie de proportionnalité propre, telle que la développe un certain Cajétan dans son De nominum analogia. Cette figure métaphysique est la figure christique par excellence, la forme chrétienne - indestructible - de l'Universel, c'est-à-dire de la catholicité.

mercredi 30 mars 2011

"Le Buzz" - par Maurice Ulrich, de L'Humanité

En 2010, le diocèse de Nancy avait innové
("Donnez que diable!"), il remet ça en 2011.
Maurice Ulrich est journaliste à L'Humanité. Dans son billet du 29 mars, il nous donne son sentiment sur la nouvelle campagne pour le denier du culte dans le diocèse de Nancy. Un point de vue forcément non traditionaliste - et pas inintéressant:
[Le buzz] «L’actualité politique étant ce qu’elle est, un peu de spiritualité ne peut faire de mal. Du côté de l’Église, catholique s’entend, le diocèse de Nancy vient d’innover dans sa campagne du denier du culte. Une affichette représente une arme à feu avec cette légende, "Ne désarmez pas, donnez". Ce qui ressemble tout de même davantage à un braquage qu’à une pieuse invitation à honorer Dieu, Jésus et les saints et à payer les prêtres. Mais le diocèse est cool et, comme l’a dit son porte-parole, "que voulez-vous, maintenant, il faut faire le buzz". Au reste, cette quête de modernité, dont on se demande pourquoi elle ne se tourne pas aussi vers des sujets comme la contraception ou le célibat des prêtres, ne s’arrête pas là. L’université catholique de Paris vient de mettre en place une formation à la philosophie pour les cadres d’entreprise. Aristote, Kant et Platon vont faire le buzz. Mais que les tenants de la tradition se rassurent. Le Figaro d’hier en faisait un gros titre : "Un nouveau miracle vient d’être reconnu à Lourdes". Ouf…»

mardi 29 mars 2011

Dix-huitième billet de Carême Mercredi de la Troisième semaine

"Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui rend l'homme impur. Ce qui sort de la bouche, voilà ce qui rend l'homme impur" Matth. 15, 11

Sous forme d'énigme, nous tenons là comme le résumé de toute la morale du Christ. Rien de plus irritant que cette énigme ? - Rien de plus stimulant que cette formulation ouverte : « Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui rend l’homme impur. Ce qui sort de la bouche, voilà ce qui rend l’homme impur ». Le Christ ne s’abaisse pas à nous livrer une codification de la morale. Nous aimerions savoir précisément ce qu’il faut éviter ? Ce n’est pas dans l’Evangile qu’il faut nous rendre. L’Eglise, tout au long de son histoire, depuis le concile de Jérusalem, nous allons en parler, a codifié la morale du Christ. Le Christ ne nous offre pas un code. Il aurait pu le faire. Il ne le fait pas.

La Journée d’aujourd’hui correspondait, dans les premiers siècles de l’Eglise, à un geste fort des catéchumènes vers le baptême, qui avait lieu à Pâques, fête de la Résurrection. Mais avant le baptême proprement dit, ils étaient interrogés sur leurs intentions au cours d’un scrutin. Parce qu’ils faisaient un pas en avant vers le Christ, on leur disait à quoi concrètement ils s’engageaient – ce qui devait régler leur vie. Raison pour laquelle, dans ce très vieux Lectionnaire qu’est le Lectionnaire romain, on lit aujourd’hui, en guise d’épître, un passage du Livre de l’Exode au chapitre 20 : ce sont les commandements que Dieu donne à Moïse sur le Mont Sinaï. Pourquoi ce passage ? Le décalogue, c’est, depuis toujours, depuis le Christ lui-même, ce que les chrétiens retiennent de la Loi juive. Quant au choix de l’Evangile, il est significatif. Le Christ reproche aux Juifs de confondre la Loi de Dieu avec une casuistique toute humaine : « Vous avez annulé l’enseignement de Dieu au profit de votre Tradition à vous ». Vous ensevelissez la Loi de Dieu telle qu’elle a été donnée sur le Sinaï sous une multitude de préceptes humains, qui font perdre de vue l’essentiel : le progrès de chacun sur le chemin qui le mène à Dieu.

Il n’y a pas qu’à l’époque de Jésus que l’on peut tenir de tels propos. Toutes proportions gardées, lorsque Pascal écrit les Provinciales, il exprime son désaccord profond avec la casuistique toute humaine dans laquelle les jésuites ont enfermé la loi d’amour. Et lorsque en 1660, malade et usé, il se sépare d’Avec ces Messieurs de Port-Royal, c’est parce qu’il reproche à leur casuistique de s’occuper plus de la survie de Port-Royal que du salut des âmes : « Vous préférez Port-Royal à la vérité ».

Je prends volontairement l’exemple de Pascal, il y a trois siècle et demie, pour ne pas vous offrir d’applications récentes, qui seraient polémiques. Mais c’est à toutes les époques que l’homme, s’enfermant soit dans la Loi, soit dans l’idéologie, tente d’oublier l’essentiel : les conditions de sa divinisation.

Cet essentiel nous ramène à l’énigme à travers laquelle le Christ résume sa Morale. Il y a ce qui entre dans la bouche et ce qui en sort. Ce qui entre dans la bouche ? Le Christ fait allusion par là à toutes les observances alimentaires des juifs qui s'obligent eux-mêmes - encore aujourd'hui - à manger cacher, c’est-à-dire qui considèrent comme « impurs » tous les aliments qui le seraient par nature (le porc etc.) ou qui n’ont pas été dûment offerts dans un rite religieux qui est celui de la cacherout.

Ces observances alimentaires permettent d’enchâsser l’existence individuelle dans un réseau de préceptes qui requièrent l’obéissance de celui qui s’y soumet. Par ailleurs, elles introduisent une distinction fondamentale entre les observants et les autres. C'est une des pièces maîtresses du "système religieux" juif.

Je vais rentrer dans les détails, mais les gens pressés peuvent passer sur les trois prochains paragraphes.

Voyez quel mal aura saint Pierre, dans les Actes des apôtres à aller manger chez les païens ! reportez-vous par exemple au songe de Pierre dans la ville de Joppé. Il va baptiser le centurion Corneille, qui vient à lui à la suite d’un songe. Pour la première fois il fait entrer un païen dans l'Eglise. Il a faim. Il rêve que toutes sortes de mets lui sont apportés : "Tue et mange !" (Ac. 10) "- Certainement pas Seigneur car je n'ai jamais rien mangé de souillé ou d'impur" "- Ce que Dieu a déclaré pur, ne l'appelle plus souillé". Cette vision d’ailleurs ne suffira pas à convaincre tout à fait Pierre que "la Lettre (de la Loi) tue, mais que c'est l'Esprit qui vivifie".

Pour vous convaincre des difficultés personnelles qu’éprouve Pierre a supprimer toute observance alimentaire dans la vie des chrétiens, voyez les décisions du Premier Concile dit Concile de Jérusalem (Ac. 15). Elles s'éloignent de la cacherout juive certes, mais elles maintiennent des observances alimentaires comme la détestation du sang dans la viande. Elles n’ont pas encore pris acte de la Parole du Christ dans l’Evangile. C’est la première résistance ecclésiastique à l’Evangile. Voyez plutôt : "Il a plu au Saint Esprit et à nous que vous vous absteniez de viandes étouffées" disent les apôtres à l’instigation du premier d’entre eux. A les entendre, à l’époque, il est impossible de manger un steack et de se dire chrétiens ! Au lieu de se dire : « Ce n’est pas ce qui entre dans l’homme qui souillent l’homme », les apôtres restent fidèles à une casuistique alimentaire qui leur a été enseignée dès leur prime jeunesse.

Il faudra toute l'insistance et la liberté de Paul, le Pharisien converti, pour détruire cet attachement aux observances, qui en l'occurrence renvoient d'ailleurs non pas à Moïse (car il n’y a rien dans la Loi de moïse sur les viandes étouffées), mais à Noé, c'est-à-dire à un païen. Dans le cadre de l’interdiction de l’homicide (renvoyant à l’épisode de Caïn et Abel), dès le commencement du Livre, Noé reçoit cette recommandation : "Ne mangez pas d'élément vital, de la chair, c'est-à-dire de son sang" (Gen. 9, 4). Les apôtres, au concile de Jérusalem considèrent que les traditions humaines afférentes à la Loi de Moïse sont périmées. Sur ce point ils ont écouté leur Maître. Ils ont renoncé à imposer la cacherout à tous les nouveaux baptisés. Mais leur ligne de résistance este la loi alimentaire donnée à Noé. Noé est un païen. Etonnante insistance !

C'est dans saint Paul que vous pouvez lire : "Pourquoi donc la Loi ? Elle a été ajoutée en vue des transgressions" (Gal 3, 19). C'est dans saint Paul, mais c'est aussi tout l'enseignement du Christ : "Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui le rend impur".

Le chrétien a bien été libéré de la Loi, ou plutôt libéré des "traditions" qui détournent de l'essentiel, c'est-à-dire de la Loi de Dieu en tant qu'elle a un sens pour la vie de l'homme. Pourquoi la Loi ? Non pas pour nous prendre en défaut, nous autres pauvres humains, non pas pour nous prendre en traître, non pas « en vue de la transgression », comme dit saint Paul, mais « en vue de la perfection », qui est la grande loi de l’Evangile.


Les chrétiens n’ont pas d’interdits. La loi qu’ils s’imposent est celle de leur progrès intérieur, infiniment plus exigeante que celle d’observances humaines, trop humaines, mais infiniment plus souple aussi, parce que Dieu ne nous impose à chacun que ce que nous pouvons porter. Raison pour laquelle, il n’existe pas de code dans l’Evangile. Chacun avance à son rythme, l’essentiel étant de ne pas tromper Dieu, de ne pas lui mentir sur nos possibilités réelles.

C’est ainsi que l’on peut comprendre et l’indulgence et l’exigence chrétienne. Indulgence de Dieu, qui mesure selon chaque personne ce qu’Il va lui demander. C’est le personnalisme intégral qui a cours au Ciel. Exigence de la Vérité et de la Perfection, à travers lesquelles nous nous voyons devant Dieu, dans notre insuffisance à faire face à notre destinée divine, sans jamais nous satisfaire de ce que nous avons déjà accompli.

Pour concilier les deux, voyez l’épisode de la Veuve à la Synagogue. C’est le moment de la quête. Elle laisse deux piécettes de bronze. Les apôtres se poussent du coude et ils se moquent d’elle. « Vous voyez cette femme, leur dit le Christ, elle a donné plus que tous, car elle a donné tout ce qu’elle avait » (Luc 21, 1-4).

Dix-septième billet de carême : Mardi de la troisième semaine

"Là où deux ou trois se trouveront rassemblés en mon nom, je suis au milieu d'eux" Matth. 18, 19

Le Christ affirmant cela, se rend semblable à Dieu. Son nom est vraiment le nom divin. Les rabbins, paraît-il, disaient qe lorsque deux ou trois sont réunis pour faire oeuvre de justice ou de jugement, la Shekinah [l'ombre dans laquelle Dieu est] se trouve au milieu d'eux.

Quelle est cette présence ? Ce n'est pas seulement une sorte de certitude psychologique, qu'il conviendrait de se répéter sans cesse selon la méthode du fameux docteur Couhé. Jamais le Christ n'aurait pu, ainsi, nous laisser seuls pour opérer sa présence ! Ce que le Christ nous promet, si nous sommes plusieurs en son Nom, si donc nous partageons ce Nom sans jalousie et sans discorde, c'est je crois ce que saint Thomas d'Aquin appelle "instinctus divinus", un toucher divin, une façon de se laisser effleurer par Dieu, une manière aussi d'effleurer Dieu. Ce toucher divin correspondrait ici à l'un des sept dons du Saint Esprit, le don de piété.

Ce "toucher" en lui-même est aveugle, il ne confère aucune lumière particulière, mais simplement la certitude de l'immédiateté de Dieu. Ce toucher ne peut être seulement individuel, même si, en un autre passage, en saint Jean, le Christ promet : "Tout ce que vous demanderez en mon Nom, mon Père vous l'accordera". Ce verset de saint Jean concerne la prière de demande dans l'esprit du Christ ; dans le texte de saint Matthieu qui nous occupe aujourd'hui nous sommes devant la promesse d'une Présence gratuite, absolue. Nous touchons Dieu, mais nous touchons Dieu collectivement. Pris un à un, aucun de nous n'a la puissance de s'établir ainsi dans le divin.

La présence substantielle du Christ dans l'eucharistie est une présence médiate, puisque elle se donne à la foi (mysterium fidei) sous le signe, sous l'apparence du pain et du vin. Au contraire, cette présence promise par le Christ n'est médiatisée par rien d'autre que la prière de plusieurs. Elle est facile à ressentir.

Nous avons sans doute un peu tendance à jouer les individualistes et à oublier cette présence communautaire du Christ au milieu de nous. Quelle grâce pourtant dans une famille par exemple ! Quel facteur concret d'union et d'action ! La prière de toute la famille réunie permet à chacun de toucher à cette présence du Christ qui est transformante. Voilà une résolution concrète de carême : prier ensemble. Une condition cependant : que tous se réunissent spontanément et joyeusement!

lundi 28 mars 2011

Seizième billet de carême :lundi de la troisième semaine

"Nul n'est prophète en son pays" Luc 4, 24

L'expression est passée en proverbe. Dans le langage courant, elle signifie à peu près : "Nul n'est un grand homme pour son valet de chambre". Le pays qui a vu naître le héros, les gens qui ont côtoyés le grand homme l'ont vu de trop près pour comprendre sa véritable grandeur. Cette remarque est valable de façon très générale. En Marc 6, 3, on lit par exemple : "N'est-ce pas là le charpentier, le fils de Marie, le frère de Jacques, de Joset de Jude et de Simon ? Ses soeurs ne sont elles pas au milieu de nous ?". On sait que Jacques et Joset sont les fils d'une autre Marie, la femme de Cléophas (Mc 15, 40)... Cela montre bien que les personnes citées, membres de la famille de Jésus, sont ses cousins. Lui est "le fils de Marie". Les frères et les soeurs de Jésus forment une caste ou un parti nombreux aux origines de l'Eglise Ce sont des judaïsants. Il sont très soupçonneux vis-à-vis du Christ, mais en même temps ils cherchent à "profiter" de sa célébrité. Soulignons que parmi les apôtres, un certain nombre font partie de la famille de Jésus, ne serait-ce que parmi ceux que j'ai cité plus haut.

Le Christ a souvent pris ses distances vis à vis de sa famille ("ceux là sont mes frères et mes soeurs et ma mère, qui écoutent la parole de Dieu et la gardent"), et tout particulièrement de sa mère. Durant les Noces de Cana, il la rabroue : "Femme qu'y a-t-il entre toi et moi ?". C'est qu'il veut instaurer entre ses disciples un nouveau lien, qui n'est pas un lien communautaire mais un lien ontologique ou spirituel.

Lien ontologique ? Qu'est-ce que cela signifie ?

Celui qui devient chrétien par un désir plus ou moins obscur, on doit dire qu'il se lie à l'Infini divin par un lien nouveau. Dieu est le seul père de nos âmes, nous l'avons vu récemment. Nous sommes ses fils et ses filles et c'est un titre que nous ne pouvons pas perdre, ce que l'on appelle dans la théologie du sacrement un caractère une marque indélébile. il y a des enfants rebelles et des enfants soumis, il y a des enfants qui n'ont plus rien à voir avec leur Père et il peut en être ainsi du Père céleste. Mais ce titre, ce caractère ne se perd pas. Il nous a fait accéder à une dimension nouvelle de notre être, en nous introduisant dans la familiarité de Dieu.

Nous appelons Dieu : Notre Père et nous sommes tous frères et soeurs par ce lien transcendant et régénérant, comparable à une deuxième naissance, puisque nous possédons une nouvelle vie, une vie éternelle (Jean 3). Lorsque saint Pierre lance : "Aimez la fraternité" (I Pi 2, 17), c'est ce lien nouveau et transformant qu'il désigne. faut-il imaginer la communauté chrétienne comme une famille repliée sur elle-même ? Cela a pu être le cas dans les persécutions. Mais du point de vue de la théologie, il faut affirmer exactement le contraire. Loin de correspondre à une famille restreinte, notre appartenance au Corps du Christ, notre nouveau titre de fils ou de fille de Dieu nous rend solidaires de tous les hommes que Dieu appelle d'une manière cachée à participer eux aussi à sa divinité. Cette fraternité chrétienne est donc vraiment universelle, sinon en fait, du moins en espérance. C'est ainsi que le Père de Foucauld a voulu être "le frère universel".

Cela étant dit, cette fraternité nouvelle, parce qu'elle désigne un nouveau lien entre tous ceux que le Christ appelle, n'a pas besoin de détruire les anciennes solidarités entre les hommes. Par son baptême le chrétien devient citoyen du monde, mais cet universalisme spirituel ne lui interdit pas de cultiver les liens qu'il a avec sa petite patrie ou avec sa famille selon la chair. Au contraire. Tout cela relève du quatrième commandement de Dieu (Tes père et mère honoreras) qui n'a jamais été abrogé et qui demeure aussi urgent qu'au premier jour sur le Mont Sinaï.

Être chrétien, c'est toujours se situer dans une forme de dualité. De la même façon que nous avons deux vie, nous avons deux appartenances, qui ne sont pas concurrentes, parce qu'elles ne se situent pas sur le même plan.

Saint Paul a admirablement exprimé cette dualité chrétienne, qui n'a rien d'ambigu, mais qui représente une richesse qu'il faut gérer : "On nous croit tristes, nous qui sommes toujours joyeux ; on nous prend pour des indigents nous qui faisons tant de riches ; on imagine que nos n'avons rien, nous qui possédons tout" (II Cor 6). Ce texte de Paul est l'un des plus importants pour désigner la condition chrétienne et le jugement à deux niveaux qu'elle implique.

Le Christ est de Nazareth. D'une manière non encore élucidée on l'appelle le nazaréen. Son ministère s'est déroulé en grande partie autour du lac de Génésareth où il a toujours vécu. Mais en même temps sa parole a rempli l'univers. On le prend pour un provincial, lui qui est le premier citoyen du monde.

dimanche 27 mars 2011

Lettre du dimanche : troisième dimanche de carême

Troisième dimanche de Carême : Luc 11, 14-27

L’Evangile d’aujourd’hui est très curieux, l’un des plus difficile de toute l’année liturgique. L’un des plus sévère aussi. Il est fait de plusieurs petites paraboles qui se suivent ; ces paraboles qui ne paient pas de mine suscitent l’admiration d’une femme dans la foule, qui s’écrie à l’attention du Messie : «heureux le sein qui t’a porté et les mamelles qui t’ont allaité».

Pourquoi cette admiration d’une femme anonyme ?

Parce que Jésus dévoile, pour la première fois avec cette netteté, quelque chose du mystère du Mal, il n’hésite pas à montrer cette terrible puissance du mal non seulement dans le monde, mais dans chacune de nos vie.

En évoquant «l’homme fort armé», qui doit être plus fort que son agresseur, Jésus souligne que le bien est toujours un combat. Il n’y a pas de moment dans la vie où nous puissions baisser les armes. Cette précaution face à la vie, cette intelligence de la vie, cette hardiesse dans la défense de nos choix, voilà des attitudes intérieures qui ne doivent jamais nous quitter. «Quand un homme fort et bien armé garde son palais, ses biens sont en sûreté. Mais qu’un plus fort que lui survienne et le batte, il lui enlève l’armure en qui il mettait sa confiance et distribue ses dépouilles»

Il faut prendre la vie comme elle vient, nous dit-on d’une voix faussement sage, faussement apaisée. On connaît cette expression. Cette maxime mène à toutes les lâchetés et à toutes les compromissions. Un adolescent qui prend la vie comme elle vient, parce qu’il refuse de ressembler à l’homme fort en armes de la parabole… il est bon pour perdre des années, s’il parvient un jour à se remettre de cette imprudence.

Les philosophes habituellement ont défini le mal comme une absence de bien. Pour Platon par exemple, le bien est tellement évident que seul l’ignorance peut nous empêcher d’agir bien. La morale laïque des instituteurs au début du XXème siècle était aussi celle-là : il suffit d’enseigner la morale pour transmettre l’envie de faire le bien. Morale trop purement philosophique, que le Christ vient bouleverser.
Qu’enseigne-t-il ? D’abord que le bien n’est pas facile à faire, quoi qu’en aient pensé les philosophes grecs (cf. Aristote : « le bien c’est ce que toutes choses désirent », première ligne de l’Ethique à Nicomaque). Il y a une sorte d’analogie du struggle for life dans l’ordre spirituel : sortez armés !

A l’origine de tout Mal, on trouve ce mouvement de la liberté de l’esprit qui dit : NON à l’ordre établi par Dieu. D’où vient le mal ? Non pas de la conformité ou de la non conformité définie en fonction d’un catalogue de péchés qui serait « tout fait ». Le mal, c’est simplement le CHOIX que fait l’homme ou que fait l’ange de vivre pour lui-même. Au lieu de servir (Dieu), se servir (soi), être son propre Dieu. Chacun dans la vie a le choix de ce qu’il met au-dessus de tout : son ego ou bien le service de ce qui est plus grand que lui : sa famille, sa patrie, son Dieu. Amour de soi, amour de Dieu, telle est la ligne de fracture fondamentale entre le bien et le mal.

Tel est le choix à l’origine de la vie morale. Encore est-il souvent fragile. D’où la tentation, qui parfois nous obsède. D’où le rôle de l’esprit mauvais qui peut assiéger ou investir notre esprit, en suggérant un infini de liberté ou de licence, face à l’Infini divin.

Dans une deuxième parabole de ce même évangile, le Christ insiste sur le rôle du diable, de Satan, l’adversaire, celui pour lequel tout aurait pu être facile mais qui s’est révolté contre Dieu. Le diable n’est pas un «Dieu du Mal» ou un Principe du Mal face à Dieu qui serait seulement le principe du Bien. C’est un esprit, créé bon et qui se sert de sa liberté contre Dieu.

Imaginons, nous propose le Christ, quelqu’un qui a l’impression de s’être converti et de «faire le bien». Il a mis Satan dehors. Il est content de ses progrès. Et il se relâche. Cet homme-là, qui a connu l’élan du Bien, la joie du Bien et qui s’en détourne, s’il n’y prend pas garde, il peut, par sa faiblesse, donner abri non pas à un démon dit le Christ, mais à sept démons ! «Lorsque l’esprit impur est sorti d’un homme, il erre par les lieux arides pour trouver du repos. N’en trouvant pas, il se dit : Je vais retourner dans ma maison dont je suis sorti. A son arrivée, il la trouve balayée et ornée. Alors il s’en va prendre sept autres démons plus méchants que lui, ils reviennent et s’y installent et l’état final de cet homme est pire que le premier »… Se détourner du Bien, alors qu’on sait où il se trouve, c’est évidemment plus grave que d’ignorer ce qu’est le Bien et de passer à côté sans rien en connaître. On trouve cette formule terrible dans la IIème épître de Pierre : Mieux valait pour eux n’avoir jamais connu la voie de la Justice que de ‘avoir connue pour se détourner du saint Commandement, qui leur avait été transmis. Il leur est arrivé ce que dit le proverbe, bien vrai en cela : Le chien est retourné à son propre vomissement et « A peine lavée, la truie se roule dans le bourbier» (2 Petr. 2, 22-23).

«L’état final de cet homme est pire qu’avant»… Eternelle histoire de ceux qui se convertissent mal.

Premier schéma possible : la graine tombe sur le chemin, elle pousse mais elle n’a pas de racine et au temps de la tentation, celui qui s’était tourné vers Dieu, sans prendre les moyens de sa conversion, est littéralement «retourné» par l’Ennemi.

Deuxième schéma possible : Les «justes» entre guillemets sont parfois pires que les pécheurs, à cause de leur superficialité même, de leur manque de sérieux, cela revient souvent dans l’Evangile. Rien de pire au fond que ceux qui font «mal» le bien, qui sont trop légers dans leurs actes bons.

Troisième schéma possible : le proverbe latin le suggère «corruptio optimi pessima», la corruption du meilleur est la pire des choses. Il y a celui qui, se croyant bon, fait le mal en toute bonne conscience. Voyez ce prêtre qui corrompt un enfant pour «lui apprendre sa sexualité» et qui durant son procès se défend en jugeant comme bon ce qu’il a fait.

Et puis, il y a aussi celui qui, sachant où est le bien, commet délibérément le mal en étant seulement davantage coupable.

samedi 26 mars 2011

[conf'] Mardi 29 mars : Le Parvis des gentils

J'ai assisté toute la journée de vendredi 25 mars à la manifestation organisée par le Conseil Pontifical pour la Culture sous les auspices du pape Benoît XVI. J'étais à La Sorbonne, le matin ; j'étais à l'Institut de France l'après-midi. J'étais aux Bernardins à 19 H. J'ai écouté Paddy Kelly et Damien Poisblaud. Et j'étais devant le pape sur grand écran à 21 H.

Cette manifestation s'inaugure à Paris, Ville-Lumière, comme une sorte d'annonciation au monde, le jour de cette fête : ce n'est pas un hasard. Mais elle est prévue à Prague, à Tirana et à Stockholm. En attendant Londres New York ou Berlin. C'est un nouveau système de communication que l'Église entend mettre au point.

Le principe ? Contacter avant tout les élites. Avoir un contact direct et dialoguant avec l'élite culturelle, économique et pourquoi pas politique d'un pays donné.

On peut admirer l'ambition d'un tel projet, dont on devine qu'il appartient non seulement au brillant cardinal Ravasi, préfet de la Commission pontificale pour la Culture, mais au pape lui-même, qui entend ainsi être présent dans le monde entier.

A Paris, il y eut quelques problèmes d'organisation, un malentendu avec le cardinal Vingt-Trois et... un temps superbe pour la sur-boom sur le Parvis de Notre Dame. Enfin sur-boom...

Mais pour le reste, on peut penser que les grands objectifs de public relation ont été atteint. Il y avait du beau linge, quelques athées convaincus, parmi lesquels Axel Kahn, en verve, des chrétiens vraiment intelligents. J'espère ne vexer personne, j'en donnerai trois, mon panthéon personnel : Jean-Luc Marion (improvisateur de génie), Bernard Bourgeois (qui fit un coming out catho remarquablement hégélien) et Rémi Brague (toujours aigu). Il y eut la sortie homérique de Jean Clair sur l'art contemporain : il a réveillé tout le monde. Il y eut Mgr Dagens, qui nous a confié qu'il avait vu dans une église parisienne des jeunes prier devant une statue de saint Joseph et qu'il avait prié avec eux. Il y eut la Table ronde horriblement consensuelle aux Bernardins, avec en tête de gondole Emmanuelle Mignon, nous apprenant que tout avait changé (même le changement) depuis les Lumières. Il serait temps de s'en apercevoir. Mais comme dit le proverbe : Mieux vaut tard...

Le problème : encore et toujours, que faut-il dire aux hommes? Qu'est-ce que l'Eglise a à leur dire? Que propose-t-elle? Une sagesse? Ou le salut ? Une vision du monde ? Ou Jésus-Christ ? Seul Rémi Brague a abordé ces questions.

Je ferai une conférence sur ce sujet au Centre Saint Paul :

Mardi 29 mars 2011 à 20H00: Questions sur le Parvis des gentils et le dialogue avec les non-croyants - par l'abbé de Tanoüarn - PAF 5€, tarif réduit à 2€ (étudiants, chômeurs, membres du clergé) - la conférence est suivie d’un verre de l’amitié. - L'abbé de Tanoüarn publiera un dossier critique sur "le Parvis des Gentils" dans le prochain numéro de Monde&Vie.

[conf'] Connaître l'islam au Centre Saint Paul

Le Cercle de l'Aréopage, avec le très dynamique frère Thierry, n'est jamais en panne d'une idée. Pour le samedi 2 avril prochain, c'est une série de conférences données de 14 H à 18 H sur l'islam, les sujets qui fâchent.

Voici le programme. Il suffit de venir:

Islam et religion du Livre par Pascal Hilout
Jésus et Marie dans le Coran par l'abbé G. de Tanoüarn
Géopolitique des islams par David Mascré
Nouveaux penseurs de l'islam et modernité par PY Rougeyron
Islam-démocratie : une incompatibilité politique ? par Alain Wagner

Les conférences seront suivies d'un buffet.

samedi 2 avril 2011 - 14H002/18H00 - Centre Saint Paul - 12, rue Saint Joseph - 75002 Paris - Tél.: 06.98.56.02.06 -  cercle.areopage@gmail.com - PAF demandée.

Quinzième billet de Carême : samedi de la deuxième semaine

"Père, j'ai péché contre le Ciel et contre vous, je ne suis plus digne d'être appelé votre fils"(Lc 15,18 et 15, 21)

Le Fils prodigue ! Combien de fois n'avons nous pas lu cette parabole... Elle fait partie des trois paraboles de la Miséricorde que vous pouvez lire au chapitre 15 de saint Luc : la brebis perdue, la drachme perdue et celle-ci : le fils prodigue, le fils perdu et retrouvé. Le Christ propose ses paraboles pour expliquer son attitude et se justifier vis-à-vis des Pharisiens, qui murmurent : "Cet homme fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux".

Dans les trois cas, brebis perdue, drachme perdue, fils perdu par un Père aimant, on peut dire : peu importe que l'on se perde loin du Christ du moment que l'on ne s'entête pas, que l'on ne s'endurcisse pas, que l'on se laisse retrouver par lui. Certains à force de résister à la grâce de Dieu qui les sollicite sans bruit, finissent par se durcir. C'est au bout de cet endurcissement qu'il y a l'esclavage du péché, la révolte et finalement l'enfer. Je le redis ici : en enfer, il n'y a que des volontaires. Mais souvent on se laisse endurcir, sans se rendre compte que l'on a "un coeur de pierre" au lieu d'un coeur de chair".

La seule qualité du fils à papa dont le Christ nous conte l'histoire... ce n'est pas son amour du Bien, ni son respect pour son père ou pour les biens de sa famille, qu'il va dépenser "avec les prostituées", ni sa force de caractère (égale à zéro), ni son discernement dans le choix de ses amis, ni les compétences (il ne sait rien faire) etc. Non : la seule qualité de ce pauvre garçon, c'est qu'il n'a pas tardé à écouter la voix de sa conscience. Encore l'a-t-il fait dans un calcul... assez sordide : "les ouvriers de mon Père sont mieux logés, mieux nourris que moi qui suis son fils".

Ce fils prodigue, c'est "l'homme sans qualité"... Ainsi le Christ lui-même nous le décrit-il, n'hésitant pas à manger avec les cochons, parce qu'il a faim. Où est le respect que n'importe quel être humain se porte à lui-même ? De qualité, pour tout dire, il n'en a qu'une, c'est qu'il SAIT qu'il n'en a pas eu... "Je ne suis plus digne d'être appelé votre fils". Humilité. Vérité. On ne peut rien faire sans cette base. Mais elle est à la portée de tous. il suffit de cesser de se prendre pour le centre du monde.

Ce qui est grave, ce n'est pas le péché... En cela le christianisme n'est pas un moralisme. On a assez reproché au Christ d'avoir dit aux gens pieux de son époque : "Les publicains et les prostitués vous précèderont dans le Royaume des Cieux". Ce qui est grave, c'est le manque de vérité intérieure, l'incapacité où l'on se trouve de se voir tel que l'on est. Les Pharisiens, par exemple : ils respectent la loi à la virgule près. Excellent ! Mais ils le font pour eux-mêmes, ils ont déjà leur récompense. Au dedans, eux aussi ce sont des fils prodigues. Alors pourquoi n'obtiennent-ils pas le même accueil de la part du Père des Cieux. Pourquoi eux se trouvent-ils condamnés ? Ils ont certainement beaucoup plus de qualités que le fils prodigue. Mais ils ne veulent pas se regarder en face. Ils ne se connaissent pas eux-mêmes dans leur nudité. Ils se déplacent avec toutes sortes d'impedimenta qu'ils confondent avec ce qu'ils sont.

En écrivant cela, je pense au témoignage de thierry Bizot, dans son livre Catholique anonyme (on ne retrouve pas cette phrase dans le film Qui a envie d'être aimé que l'on a tiré de son témoignage) : "Moi aussi, je suis un bras cassé. Ce producteur télé, plutôt beau gosse, a tous les signes extérieurs de l'élite. Lorsqu'il se retrouve à une session du Chemin Néocatéchuménal, il regarde les autres, des paumés, des épaves : il se trouve très bien. Cela dure plusieurs séance au cours de la session. il se convertit lorsque enfin il reconnaît : en réalité, ma réussite mise part, moi aussi je suis un bras cassé. Pudeur ? Il ne précise pas pourquoi il a compris cela. Est-ce parce qu'il n'avait pas osé dire à sa femme que le Christ... l'intéressait, le motivait, le assionnait ? Peut-être. Chacun à son secret. Mais tant que l'on ne s'est pas reconnu, en face du Christ comme "un bras cassé"... on n'a avancé à rien.

Enfant sage, premier prix de catéchisme, épouse modèle, cadre entreprenant qui enchaîne les succès... Oui... Et alors ? "Nous sommes tous des bras cassés".

Autre formule, qui a le même sens : les dernières paroles de Mgr Lefebvre, l'évêque de fer. On ne leur a pas fait beaucoup de publicité : "Nous sommes tous ses petits enfants".

Est-ce que nous sommes tous des fils prodigues ? Sans doute pas. Mais le fils prodigue a un avantage, par rapport aux fils sans problémes, qui sont "bien sous tous rapports", économes, fidèles, travailleurs etc. Ils sont obligés de casser l'armure plus vite. Ils ne peuvent pas se réfugier dans la haute opinion qu'ils ont d'eux-mêmes. Ils ne peuvent pas s'enfermer dans leur "idéal du moi". Ils doivent d'urgence se remettre en cause, mettre bas le masque qui ne les cache plus. Les gens biens, eux, parce que tout va bien pour eux, ils peuvent porter le masque jusqu'au bout et passer à côté de leur destinée.

Nous ne sommes pas des fils prodigues ? Nous ressemblons davantage au fils aîné de la parabole ? Faisons au moins un effort de simplicité. "Qu'as-tu que tu n'aies reçu ?" demande saint Paul. "Et si tu l'as reçu, pourquoi te glorifier comme si tu ne l'avais pas reçu ?". C'est le premier réflexe du fils prodigue. il reçoit son héritage, ce capital que le père avait amassé avec amour pour ses enfants et... il le cnsomme. il le consume. Il fait comme si il ne l'avait pas reçu. même si nos qualités sont grandes, ne nous comportons pas comme si nous ne les avions pas reçues. Ne faisons pas comme si nous n'avions aucun compte à rendre. D'une certaine façon, nous sommes tous des fils prodigues.

Le fils aîné, lorsqu'il critique la bonté de son père qui a organisé la fête pour le prodigue, que fait-il ? Il revendique un droit sur son père, le droit de juger de sa bonté... N'est-ce pas une attitude égocentrique ? N'est-ce pas dans un ordre purement moral, quelque chose qui analogiquement ressemble à ce qu'a fait le fils prodigue dans sa vie quotidienne ? Le Fils aîné fait comme si l'argent du Père était déjà le sien, mais... différence avec le prodigue... lui n'a pas conscience de cette captation d'héritage.

Que lui dit le Père ? On fait toujours attention à la bonté, à la sollicitude du Père envers son cadet, le prodigue. Mais on ne remarque pas la délicatesse du Père envers cet aîné trop sûr de lui. Le Père exauce son fils aîné, encore plus que son cadet. il va à la rencontre de ses voeux intimes d'aîné fidèle. Et il les dévoile, ces voeux, et il rassure son aîné qui, lui, a sans doute craint une nouvelle compétition pour un deuxième héritage donné trop libéralement au prodigue qui n'a plus rien.

Voyez le Père, dans les entrailels de sa Bonté. Il s'écrie : "Toi mon enfant..." Notez la tendresse et continuons : "Toi mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi". Le Fils aîné a fait comme si il pouvait décider lui de la manière de dépenser l'argent. Eh bien ! Avec une infinie miséricorde, le Père le conforte dans sa fidélité, en soulignant qu'elle ne sera jamais oubliée.

On pense à saint Paul, écrivant aux Romains, à propos des juifs, qui sont "nos frères aînés" : "les dons de Dieu sont sans repentance". "Tout ce qui est à moi est à toi".

Le Christ ne nous dit pas si le frère aîné a, lui aussi, été touché de la bonté de son Père. Il se contente de nous montrer cette bonté, sans donner de suite à la deuxième partie de l'histoire. Dans l'Ecriture, on sait ce qu'il peut advenir de deux frères en rivalité. C'est l'histoire de Jacob, subtilisant à Esaü son droit d'aînesse. C'est la terrible histoire de Caïn tuant Abel.

Que nous apprend-elle ? A d'autres endroits et en d'autres contextes, par dépit, par jalousie, le frère aîné entre en rivalité, il veut se croire supérieur, par ce que les Latins appellent la "superbia", la volonté de l'emporter, d'être "super" et supérieur à l'autre. Ce genre de rivalité peut faire du jaloux un tueur, c'est l'histoire de Caïn.

je pense avoir montré combien, que ce soit pour le fils prodigue ou pour le frère aîné, la vertu essentielle, sans laquelle rien n'est possible, c'est l'inverse de la superbia : l'humilité, c'est-à-dire la vérité avec la simplicité. Nous voulons allé à Dieu par l'excellence de toutes les vertus. Nous oublions que le seul moteur de notre vie spirituelle, c'est l'humilité. Seul moteur ? Parce que sans lui, il n'y a pas de charité véritable.

Personne parmi nous, fils prodigue ou frère aîné, ne peut faire l'économie de cette phrase que le pauvre cadet, mangeant dans la bauge avec les cochons, avait soigneusement préparée et qu'il se répétait comme nous devons nous la répéter à nous-même : "Père, j'ai péché contre le Ciel et contre vous, je ne suis pas digne d'être appelé votre fils".

Ce Domine non sum dignus, il n'est jamais facultatif lorsqu'on s'approche de Dieu.

vendredi 25 mars 2011

Aujourd'hui, l'Annonciation, fête de la vie

25 mars : nous sommes à neuf mois de Noël, exactement. Aujourd'hui le Verbe se fait chair, dans le sein de la Vierge et Marie représente à elle seule toute l'humanité. Elle est réellement la nouvelle Eve, la vivante, non seulement de nom mais de fait. Elle est à elle seule toute la nouvelle création. Incroyable préséance : elle donne vie au "chef de la vie" (Ac. 3). Elle est vivante avant même que nous ayons tous reçu la vie du Verbe.

Vivante Marie ! Son dialogue avec l'ange nous le montre bien, elle est l'inverse d'une "jeune fille rangée". Ce projet fou de virginité, conçu durant des heures de prières ardentes, sous l'impulsion de l'Esprit saint, elle veut que le Messager de Dieu en tienne compte ! Comme les autres, comme Joseph qu'elle ne veut pas tromper et auquel elle a parlé, comme tous les autres, ces hommes et ses femmes qui imaginent qu'une femme sans enfant est une femme maudite par Dieu. Marie a décidé d'offrir son corps à Dieu, de lui offrir toute l'affection qu'elle aurait eu pour des enfants. Tout cela est à Dieu ! pense-t-elle. Abraham n'a-t-il pas offert son fils Isaac en sacrifice ? Eh bien ! Elle offrira tous les enfants qu'elle aurait eu avec ce Joseph qui lui "fait la cour" (l'expression est de Luc dans le texte occidental) et qui l'aime tellement qu'il est prêt à tout pour elle. Elle veut aimer et elle ne sait pas comment dire à Dieu cet amour, alors elle lui offre tout : sa maternité et sa vie.

"Moi, la Mère du Messie ? Comment en sera-t-il ainsi puisque je ne connais pas d'homme" (Lc 1, 34). Plusieurs choses sur ce dialogue de Marie avec l'Ange. il faut en noter d'abord l'audace et déduire le caractère officiel - quoiqu'inédit - de la situation de Marie. Si l'Ange Gabriel est ainsi mis au courant, nul doute que Joseph l'était aussi et qu'il était d'accord. Au Livre des Nombres, on lit ceci : "Lorsqu'une femme, jeune encore, demeurant chez son père, aura fait un voeu au Seigneur (...) si elle vient à se marier, étant tenue par ses voeux ou un engagement sortie de ses lèvres, et que son mari, en l'apprenant, ne lui dise rien le jour même, ses voeux resteront valides" (Nbres 30, 4-7-8). [cité par Sylvie Chabert d'Hyères, Des jours de Lumière, t. II p. 44].

Cette liberté de Marie, il est essentiel de la souligner. Si on y réfléchit, en effet, l'acceptation solennelle de Marie : Voici la servante du Seigneur symbolise l'acceptation de tous les hommes, acceptation sur laquelle elle anticipe. Face au don de Dieu, il y a une liberté humaine comme toujours. Cette liberté, c'est la sienne.

mercredi 23 mars 2011

Quatorzième billet de carême Jeudi de la Deuxième semaine

"Ils ont Moïse et les Prophètes. Qu'ils les écoutent !"

La parabole de Lazare et du Mauvais riche est facile à comprendre. D'un côté Lazare, le mendiant, qui finit par mourir de sa pauvreté dans l'indifférence totale de ses voisins, de riches Pharisiens. Seuls les chiens lèchaient ses plaies, note le Christ.

De l'autre le Pharisien, qui estime que sa richesse est une bénédiction de Dieu, qui ne supporte pas la vue d'un pauvre et l'estime maudit. Par définition, comme tout Pharisien, il est observant. Mais il a oublié l'esprit de la Loi : l'essentiel.

Le pauvre meurt. "Il est porté par les anges dans le sein d'Abraham" note le Christ, en reprenant la manière de s'exprimer des Pharisiens, auxquels cette parabole est spécialement destinée. Lui, le pauvre, qui est le déshonneur d'Abraham, il va directement dans son sein pour l'Eternité. "heureux ceux qui pleurent car ils seront consolés" par Dieu. Il semble que le nom de Lazare (même racine dans Eléazar) signifie l'aide, le secours [de Dieu].

Le riche connaît bientôt le même sort, car devant la mort, nous sommes tous égaux. Mais lui bascule dans la fournaise de feu. En aucun cas, il n'a manifesté durant sa vie l'amour qui l'aurait sauvé après sa mort. il veut s'évader de cet enfermement douloureux. Impossible : "Entre nous et vous se trouve creusé un grand abîme" : chaos dit le texte. Le désordre le plus total, insurmontable, le chaos qui nous coupe de Dieu.

Mais voilà que connaissant "le dessous des cartes" comme dit Pascal, il est tenté d'en faire profiter ses cinq frères... Abraham s'y oppose : "Ils ont Moïse et les prophètes. Qu'ils les écoutent". La fin de cette parabole livre une allusion à la résurrection : "Même si quelqu'un se relevait des morts, ils ne le croiraient pas davantage".

Au delà des difficultés d'interprétation de cette mise en scène qui correspond aux croyances de spharisiens, cette histoire nous enseigne deux choses

1- Nos décisions vitales sont foncièrement définitives. Elles nous font devenir ce que nous sommes. Rien ne peut les faire changer. Les changer, cela signifierait que nous ne sommes plus les mêmes. Attention : même la conversion n'est pas un changement total, encore moins un reniement de ce que nous avons été. Nous convertissant, nous nous trouvons vraiment nous-mêmes.
A l'image de ces décisions vitales, est notre sort après la mort. Nous nous jugeons nous-mêmes devant Dieu par ce que l'on appelle le "jugement particulier". Le Jugement dernier ne fait qu'entériner ce jugement particulier, en nous privant de Dieu ou en nous le donnant pour toujours. En enfer, il n'y a que des volontaires ; ce sont ceux qui prennent la Bonté de Dieu pour une insulte : il y en a !

2- Le feu des tortures est certainement quelque chose qui nous choque. Saint Bonaventure explique génialement : "le feu de l'enfer est une oeuvre de la Miséricorde divine". Nous avons tendance à sous estimer l'importance de la première peine que l'on applle la peine du dam ou privation de Dieu. Pour nous aider à mesurer ce qu'une telle privation volontaire représente, Dieu a créé le feu de l'enfer.

A tous ceux qui préfèrent "la théologie de Polnareff, à tous ceux qui croient que "nous irons tous au Paradis", et que là bas on trouvera des arnaqueurs non repentis, des violeurs qui ont encore faim, des menteurs, des tueurs, des pédophiles etc. je voudrais poser une simple question : "Que faites vous de la Justice ? Pensez-vous que Dieu est injuste ? "Ne vous y trompez pas. On ne se moque pas de Dieu" dit saint Paul (Gal. 6, 7).

Résolution pratique : penser plusieurs fois dans la journée à nos fins dernières, aux échéances ultimes, au dernier compte que nous avons à rendre. Et mettre de l'ordre avant Pâques par une bonne confession : c'est facile et cela donne à la Miséricorde de Dieu l'occasion de s'exercer sur chacun de nous.

Anarchisme chrétien ?

Trop long me dit-on à propos du dernier post, le 13ème billet de Carême. Je m'en excuse. Je tâcherai etc. A ma décharge ? J'essaie de ne traiter que ce qui concerne précisément la formule évangélique commentée ce jour. Et je laisse de côté des considérations qui peuvent paraître adjacentes.

En revenant sur la Chaire de Moïse et ceux qui se font appeler "Maître", je voudrais préciser quelque chose. L'autorité dans l'Eglise s'exerce toujours de manière personnelle et non de façon anonyme et ou totalitaire. Celui qui prend une décision dans le Royaume de Dieu s'engage lui-même en la prenant. Il en est responsable... et s'il est prélat, il en est donc comptable devant les fidèles d'une manière ou d'une autre.

Pour prendre un exemple extrême, l'Eglise, cela n'a rien à voir avec cette Commission européenne qui nous gouverne sans que nous connaissions les commissaires (sinon de nom et encore) et sans que nous puissions établir, de l'extérieur, une traçabilité des décisions. Rien d'anonyme, rien d'occulte, dans la société chrétienne et surtout pas le Pouvoir suprême. L'autorité est un service que des personnes rendent à d'autres personnes. "Sicut ministrator" comme dirait le Père Laberthonnière quand il veut caractériser l'exercice de l'autorité : celui qui commande doit agir comme celui qui sert. Sublime anarchisme chrétien !

Je ne peux pas m'empêcher de vous faire remarquer le point commun qu'il y a entre le fonctionnement de l'Eglise et celui d'une monarchie chrétienne quelle qu'elle soit. Le pouvoir n'y est jamais anonyme. Il ne se dilue pas dans la très efficace mais très aveugle et très moderne "souveraineté". il est exercé au grand jour. Le secret du Roi ? C'est uniquement le processus personnel à travers lequel il en vient à décider - devant Dieu. Si Louis XIV assistait à la messe tous les jours, ce n'était pas pour la Galerie des courtisans qui l'accompagnaient à la chapelle comme partout. C'était pour prendre ses décisions devant Dieu, en homme faillible et responsable qu'il entendait être.

Lorsque Louis XV fait du "secret du Roi" un service d'espionnage très efficace, il choque les contemporains, habitués à la transparence de son prédécesseur et qui, du reste, ne comprendront pas sa politique extérieure. Signe de cette incompréhension ? La Révolution française reviendra à la politique de Louis XIV cinquante ans après le renversement des alliances et la réconciliation avec les Habsbourgs. Les décisions de Louis XV, pas toujours glorieuses, reconnaissons le, mais, pour ce qui est des grandes orientations - à l'intérieur comme à l'extérieur - souvent très pensées, n'avaient pas le caractère scénique et partagé par tous que savait leur donner Louis XIV. Lorsque le pouvoir est vraiment personnifié, il s'exerce en public comme le pouvoir de tous : vicem gerens multitudinis dit saint Thomas : tenant la place du peuple. Il y avait quelque chose de cette personnification du pouvoir - quelque chose de profondément chrétien - chez Jean-Paul II.

Pourquoi le secret est-il si difficile à admettre venant de celui qui a un pouvoir personnel, quel qu'il soit ? Parce que de la personnification publique et solaire du pouvoir, on passe très vite à la personnalisation torve de l'autorité. Les deux extrêmes du spectre politique ont le même principe : la personne.

La personnification du pouvoir permet l'exercice charitable de l'autorité "sicut ministrator". Elle est créatrice de consensus.

La personnalisation du pouvoir en revanche conduit à préférer un bien particulier aperçu secrètement par tel dirigeant, et à le faire passer avant le bien commun. Cette personnalisation du pouvoir conduit celui qui la pratique à se passer le plus fréquemment de l'adhésion des subordonnés, au nom du fameux "C'est moi qui commande" dont tout ce qu'on peut dire est que, menant à toutes les injustices, il ne l'emporte jamais longtemps dans une situation donnée. A moins de virer totalitaire.

Ces considérations sur le pouvoir personnel vous semblent obsolètes ? N'oubliez pas que les grandes entreprises du CAC 40, au delà de leur conseil d'administration, sont le plus souvent gérées par une personne seule. Comme autrefois la monarchie française, le roi ayant la responsabilité du consensus et gouvernant en ses conseils, comme en autant de "conseils d'administration". Le malaise chez Renault, ou il y a quelques mois chez France Télécom ? Il faut sûrement chercher autour des modalités d'exercice d'un pouvoir personnel. N'est pas Louis XIV qui veut, comme l'ont compris... Bernard Tapie, Jean-Marie Messier ou... Louis XV !

mardi 22 mars 2011

Treizième billet de carême Mercredi de la deuxième semaine

"Je suis venu non pour être servi, mais pour servir et donner ma vie en rançon pour la multitude" Matth. 20, 28  

Dans ce verset, le Christ résume toute sa mission divine, et sa vocation d'être humain. Il est vraiment le Rédempteur - l'Ancien Testament dit le Goel - qui, à lui seul, dans une sorte de prouesse magnifique, rachète tout l'Israël de Dieu de ses péchés. Comment s'effectue ce rachat ? Par le service, c'est-à-dire par l'amour. Saint Paul aux Ephésiens (5,21) définit ainsi la vie chrétienne : "Soyez au service les uns des autres". Evidemment quand le service est d'un seul côté, quand l'un sert l'autre, sans que ce dernier lui rende la pareille, cela peut être fatigant, lassant, amère. le Christ a vécu cette solitude dans le service des hommes, l'incompréhension de ses apôtres, qui ne savent rien lui rendre pour tout ce qu'il leur donne, qu'une sorte de naïf attachement non exempt de calcul intéressé. La scène du lavement des pieds (Jean 13) au cours de laquelle Pierre refuse que le Christ lui lave les pieds est caractéristique de cette incompréhension sans mauvaise volonté. Pierre refuse que le Christ manifeste par un signe ce qu'il fait réellement au cours de sa mission sur la terre. Et c'est déjà pourtant le chef des apôtres. c'est dire !

Mais le service n'est pas toujours amer. Il peut être mutuel. Ce service mutuel, dans la vie familiale ou professionnelle, c'est l'idéal concret que propose le christianisme... et lui seul. C'est le secret du progrès social et culturel. C'est la porte ouverte au vrai "développement humain". Mais c'est aussi de cette manière que nous pouvons appréhender la figure la moins menteuse, la plus exacte de ce que nous appelons le bonheur.

La qualité de notre service ne provient pas de notre aptitude à mémoriser des gestes dans une économie efficace de nos mouvements. La qualité de notre service ne vient pas de la répétition des actes bons que nous pouvons poser. Elle vient de notre coeur. Elle vient de ce qu'ayant accès à notre coeur, le Christ s'imite en nous. "Le Christ est le vrai peintre de lui-même" écrit le cardinal de Bérulle. Nous pardonnons comme il a pardonné ; nous servons comme il a servi ["Mari aimez vos femmes comme le Christ a aimé l'Eglise et s'est livré pour elle" à la mort]. Mais c'est lui qui nous indique à chacun la mesure. A chacun une mesure différente. Car c'est lui qui donne la grâce.

Et comme il a mérité pour nous le salut en mourant sur la Croix, à notre tour nous méritons aussi, à sa suite, et par sa grâce, "hosties vivantes unies à l'unique hostie" (Rom. 12, 1). Nous offrons au Père chaque jour un peu de "ce qui manque à la passion du Christ" (Col. 1, 24). Nous pouvons - en Lui - mériter notre salut par la souffrance.

Cette perspective fait peur à notre temps. Le pape dans son dernier livre, insiste sur le fait qu'elle est difficile à comprendre, mais qu'il nous faut garder cette doctrine de l'expiation ou de la satisfaction vicaire comme un trésor de notre foi et de notre vie chrétienne.

Soulignons tout d'abord qu'elle est parfaitement bien attestée, cette doctrine du sacrifice propitiatoire, non seulement dans l'Ancien Testament (c'est le sens de la fête de Kippour dans le Lévitique) mais aussi, avec beaucoup de précision, dans le Nouveau Testament : dans la Première à Timothée, par exemple, saint Paul parle du "Médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même, qui s'est livré en rançon pour tous". Et saint Jean évoque"Jésus Christ le Juste, victime de propitiation pour nos péchés" (I Jo, 2, 2).

On remarquera cette épithète "le Juste". Pour les juifs, le Juste, c'est celui qui obéit à la Loi de Moïse et respecte à la lettre ses prescritions. Pour la nouvelle économie chrétienne, la justice c'est la capacité qui est en nous par le Christ, de plaire au Père et de gagner des mérites devant lui. Nous ne pouvons plaire à Dieu si nous n'agissons pas dans le Christ. C'est par la geste du Christ, offrant sa vie en rançon pour nos péchés que nous pouvons quelque chose aux yeux du Père. Nous sommes ses Fils dans le Fils. Malheur à nous si nous n'avons pas l'esprit du Christ dans nos actions.

Qu'est-ce que la rédemption ?

Dans l'allégorie du Bon Pasteur (Jo. 10), le Christ prend l'exemple du berger attentif qui "met sa vie en jeu" pour sauver ses brebis du loup. Il en vient même à donner sa vie, il en vient à mourir mais attention, d'une manière peu ordinaire : "J'ai le pouvoir de déposer ma vie et le pouvoir de la reprendre". Faisant cela, le Christ nous donne l'exemple du service et du don de soi, d'où vient tout mérite. "Il nous a acheté cher" (I Cor. 6, 20. Cf. 7, 23).

Le Christ était-il obligé de nous payer si cher ? "Une seule goutte de son sang aurait suffi à racheter le monde de tout crime" dit saint Thomas d'Aquin dans une des strophes du chant Adoro te. La souffrance jusqu'à la mort dont il nous a laissé le témoignage n'était pas une obligation ni pour lui ni pour notre salut. Il a voulu nous laisser "un exemple" comme le dit d'ailleurs aussi l'Evangile d'aujourd'hui, pour que, comme il a mérité, nous méritions nous aussi. ce faisant, nous transformons le mal en un moyen de salut par amour...

Pourquoi ne veut-on plus entendre parler de sacrifice ? On peut penser que les sacrifices étant désagréables par nature, il faut en éviter la perspective.

Mais cette explication est encore trop superficielle. La vraie raison de la détestation du sacrifice ? C'est la détestation de toute forme de responsabilité personnelle. Par son sacrifice, le Christ nous a mérité, il nous a "acheté" un grand prix, il a payé, il a misé sur nous. A notre tour de miser... A notre tour de payer, pour devenir enfin un peu responsable de ce salut qui nous est donné. En nous rachetant, et en nous rachetant si cher, le Christ fait de nous tous des rédempteurs. Une telle perspective est exaltante ? Sans doute, mais accablante aussi : petites natures s'abstenir. Le salut est toujours une forme d'exploit. Ce n'est pas pour rien que saint Paul compare cet exploit à celui du sportif dans les Jeux du stade.

Il y a je crois une deuxième raison qui nous fait détester la perspective du sacrifice. Saint Paul en a deviné sans doute quelque chose lorsqu'il écrit : "Si un seul est mort pour tous, alors tous sont morts" dit saint Paul avec une logique irréfragable (II Cor. 5, 14).

- Pouvons nous admettre que "tous sont morts" ? pouvons-nous admettre que toute la vie chrétienne est un processus de résurrection ? Pouvons nous admettre, nous qui nous croyons vivants, que nous sommes en fait des morts vivants et qu'il nous faut chacun "racheter le temps" comme dit saint Paul énigmatique. - Nous acheter une conduite ? - Non, ce serait trop simple. Nous acheter une destinée, cette destinée éternelle, qui n'est pas "naturellement" en nous...

Et voilà la rédemption : un pari où il faut seulement mais vraiment miser pour gagner. Un investissement dans lequel il faut accepter de perdre d'abord pour gagner ensuite. Ce que nous nous achetons ? Ce n'est pas une conduite, c'est une liberté, c'est un pouvoir, "le pouvoir de devenir enfant de Dieu" comme dit saint Jean.

- Mais ce pouvoir, Dieu nous ne le donne-t-il pas gratuitement ? - Certes Dieu donne gratuitement, mais il donne toujours à une liberté. Je dirai même : c'est d'abord cette liberté et cette capacité de mériter qu'il nous donne.

Résolution concrète : faire feu de tous bois, au cours de la journée, pour apprendre à servir, pour nous mettre au service, même et surtout si nous avons un poste de commandement : c'est un poste de responsabilité et de service.

Formulons les choses autrement : il faut faire feu de tous bois pour acheter notre destinée à l'exemple du Christ "qui nous a payé cher".

Dans le Carême, on pense toujours aux pénitence ; on pense parfois à la prière, à la méditation, à la lecture pieuse. Mais n'oublions pas les oeuvres. "Faisons le bien sans nous lasser". C'est par "les belles oeuvres" dont parle Paul à Timothée que nous nous achetons un destin éternel.

L'abbé Aulagnier et Mgr Lefebvre

A Paris, qui est plus qualifié que M. l'abbé Aulagnier pour évoquer la figure de Mgr Lefebvre, vingt ans après son rappel à Dieu et pour faire le bilan de son héritage spirituel et doctrinal ? Paul Aulagnier a raconté dans La Tradition sans peur comment fut fondée la Fraternité Saint Pie X. Alors que le Prélat avait compris qu'il ne pouvait plus rien faire à l'intérieur de la Congrégation spiritaine qu'il dirigeait, il décide, sur un simple contact avec trois séminaristes du Séminaire français de Rome de lancer un convict à Fribourg, en Suisse. Parmi ces trois séminaristes, M. L'abbé Aulagnier.

L'abbé m'a bien précisé cependant qu'il ne s'agirait pas pour lui de regarder vers le passé, en racontant des anecdotes d'"ancien combattant", mais au contraire de voir ce qui est permanent, toujours valable dans l'intuition pastorale de Mgr Lefebvre.

Le fondateur de la Fraternité Saint Pie X est mort le 25 mars 1991. Mais, à ma connaissance, rien n'a été fait sur Paris pour saluer sa Mémoire, en montrant combien les événements qui se sont succédés avaient donné raison à l'audace et à l'espérance de ce grand évêque.

Dans le cadre de nos conférences du mardi, je tenais à réparer modestement cet oubli en invitant mardi prochain 22 mars M. l'abbé Aulagnier à évoquer la mémoire et à présenter l'héritage de ce serviteur inconditionnel si mal compris souvent.
 
Mardi 22 mars 2011 à 20H00 : Mémoire et héritage de Mgr Lefebvre - par l'abbé Paul Aulagnier - PAF 5€, tarif réduit à 2€ (étudiants, chômeurs, membres du clergé) - la conférence est suivie d’un verre de l’amitié.

[Rémi Lélian - Respublica Christiana] L'esthétique extraordinaire

Bien sûr, il y a la querelle théologique sur la validité des sacrements, et je n'ai pas la prétention de résoudre ici ce débat entre les tenants de la messe de toujours et les partisans de la messe ordinaire depuis le concile de Vatican II, chacun ayant ses arguments, et ces arguments, à quelque camp qu'ils appartiennent, quand ils ne sont pas la manifestation hystérique d'une idéologie stérile, sont souvent valables et méritent d'être entendus. Cependant, c'est par la superficie, comme Nietzsche disait des grecs qu'ils sont superficiels par profondeur, que j'aimerais à présent aborder cette grave question, puisqu'elle engage l'instant ultime, dans le monde et dans l'histoire, où le catholique s'exhausse hors le temps pour communier avec le Seigneur. Paradoxalement, si je désire me faire ici le modeste apologue de la messe en latin, c'est pour des raisons humaines et, bonnes ou mauvaise, des raisons d'abord esthétiques.

S'il est un fait du monde contemporain, c'est sa laideur et sa tristesse, qui nous obligent trop souvent à confondre la joie avec le mensonge, Dieu avec une idée de Dieu, et la vie avec le vide. Ce monde, placardé de facticité, où l'amour lui-même tourne systématiquement à la farce de la névrose, à l'intérieur duquel celui qui s'y livre entièrement ne souffre d'aucun autre secours que la main perpétuellement tendue de Celui qu'il ignore pourtant, ne peut attendre en guise de récompense que le salaire de son péché : la mort ! Et qu'importe l'argumentaire frelaté des athées en tous genres, des scientistes idolâtres ou des pécheurs malgré eux ravagés constamment par une faute, dont ils ont perdu le sens même, et qui les tue d'autant plus qu'ils ne croient pas à son existence, c'est avant tout par le beau que l'on combat la laideur, de la même manière que Dieu contrecarre la synergie implacable de la Chute par sa Grâce.

Le mystère de la messe en latin, c'est la beauté de son rite, le chant grégorien, et la langue de la Rome ancienne surmontée selon la puissance de l'Incarnation. En extension, c'est aussi la civilisation catholique occidentale qui, comme chaque chose qui naît un jour sur cette terre, si elle est amenée à disparaître, n'en finira néanmoins pas de dispenser aux générations à venir ces toiles du Titien ou ce magnificat de Monteverdi qui, l'espace d'un instant, ont condamné la barbarie à se taire et, le temps de quelques mesures, continuent dès qu'on les écoute de murmurer à nos tympans assourdis et soudain ressuscités : « Non ! L'ignoble n'est pas l'ordre du monde », « non ! la peine et le mensonge ne sont pas les seuls lots que nous soyons dignes de mériter ».

Le rite latin, c'est cela : un rite, donc une esthétique, donc un rempart derrière lequel chacun peut se réfugier, non pour s'isoler mais pour y être consolé ; non afin de s'améliorer seulement mais parce que la Parole, à laquelle il sert d'écrin, nous accueille tel qu'en nous-mêmes et que, malgré les blessures, Elle nous sait digne de son amour. Elle chante pour nous le prouver, elle sacralise le moindre de ses gestes pour nous en convaincre et nous dire « tes plaies filtrent la lumière », « ton être détruit ne sera pas réparé mais transformé », plus simplement, que Dieu nous aime et qu'il nous offre le recueillement dans la lumière en avant-goût du salut. Il faut avoir assisté une fois dans sa vie, une pauvre fois simplement, à une messe extraordinaire, sans idée préconçue dans un sens ou dans l'autre, sans comprendre le latin et en suivant son déroulé à tâtons pour sentir immédiatement qu'il s'y passe quelque chose, que la beauté, même dans une église modeste, peut se déployer en un faste étranger à l'atrocité du monde, en un faste qui rejoint la pauvreté en se faisant charité et qui nous sauve déjà... par son esthétique seulement…

Rémi Lélian

Des nouvelles de l'abbé Alexandre Berche, par sa mère

Vous pouvez annoncer sur le site que je serai ravie d'emmener toute personne désireuse d'aller à Berck, sachant que je pars à 8H30 et reviens à minuit, le voyage par les départementales étant de 3H30. J'ai apporté à Alexandre deux disques durs externes sur lesquels ont été copiés les contenus de ses précédents disques, si bien qu'il a récupéré l'intégralité de ses données.  Je vous saurais gré de bien vouloir transmettre via le site, l'expression de notre profonde gratitude pour la générosité et la spontanéité des paroissiens lors de la quête organisée par M. Berthoux. Veuillez transmettre mes remerciements et mon meilleur souvenir à l'Abbé de Tanoüarn.

Alexandre m'a annoncé hier soir au téléphone qu'il avait perdu 1 kilo, les 3 kilos annoncés précédemment étant le produit d'une erreur. Je l'ai néanmoins encouragé et félicité car c'est un début. Il sera de retour à l'hôpital de Garches le 12 avril et indisponible l'après-midi du jeudi 14 avril.  Il voit sa neuro-psychologue tous les jours et réussit  les tests et jeux de concentration et de logique qu'elle lui fait faire sur ordinateur. Nous avons été très touchés par ce geste plein d'empathie. Il peut ainsi faire fonctionner ses "petites cellules grises", pour paraphraser Agatha Christie.

Son élocution, qui s'était momentanément améliorée, est depuis quelques jours difficile. Il fait 30 mètres (versus 20 m à Garches) avec un déambulateur et une personne de chaque côté pour le soutenir. Il s'est bien adapté à cet hôpital où il participe à des ateliers créatifs qui lui ont permis de créer des toiles à la peinture acrylique, des poteries, des objets décoratifs en bois, etc. Ces ateliers d'ergothérapie ont ainsi considérablement amélioré sa concentration et sa capacité à anticiper, si bien qu'il conduit son fauteuil sans problème dans des passages étroits alors qu'il était un danger public à Garches.

Douzième billet de Carême : mardi de la deuxième semaine

N'appelez personne Père... Ne vous faites appeler : Maître par personne...(Matth. 23, 10)

On peut facilement se tromper dans la compréhension de ces deux commandements du Christ, si on en juge en dehors du contexte de l'Evangile selon saint Matthieu, qui, en ce point, organise une terrible critique des Pharisiens : "Ils se tiennent sur la Chaire de Moïse (...) Ils lient de pesants fardeaux et les mettent sur les épaules des hommes, mais eux-mêmes se refusent à les remuer du bout du doigt".

Non le Christ n'a jamais voulu détourner du respect dû aux parents selon la chair, puisqu'il s'agit d'un commandement de Dieu, précisément le quatrième. Non le Christ n'a jamais cédé à je ne sais quel égalitarisme, au contraire ! Dans la parabole des talents par exemple, il souligne que certains ont reçu plus que d'autres, et qu'il n'y a aucune injustice à cela.

Ces deux commandements visent avant tout les Pharisiens qui siègent sur la chaire de Moïse et jouent aux Pères spirituels, en prescrivant ce qui est dû et en proscrivant ce qui est interdit, bref en jouant les guides et les chefs à tout va. Ils jouent les Pères, mais ils n'en sont pas, ne vous y trompez pas. Ils se font appeler Maître (rabbi, magistri), mais ils n'en sont pas. Le Christ est seul à enseigner "le chemin, la vérité et la vie" et il n'y a qu'un seul Christ.

Prenons ces deux points l'un après l'autre.

Quels sont ceux que nous devons appeler nos maîtres ? Il n'y en a pas d'autre que Jésus-Christ Et ceux que nous considérons comme des maîtres, c'est toujours et uniquement en tant que, d'une manière ou d'une autre, ils nous rapprochent de Jésus-Christ, en nous enseignant la Puissance de sa Parole.

Dès les premiers temps de l'Eglise, les chrétiens avaient tendance d'eux-mêmes à se rattacher à un Maître plutôt qu'à un autre. Saint Paul nous raconte le rififi qui anime l'Eglise de Corinthe : "Lorsque l'un vient dire à l'autre : 'Moi je suis pour Paul'. Et l'autre : 'Moi je suis pour Apollos', n'agissez-vous pas d'une manière tout humaine ? Qu'est-ce donc qu'Apollos ? Et qu'est-ce que Paul ? Des serviteurs, par le ministère de qui vous avez cru, selon la part que le Seigneur a donné à chacun" (I Cor, 3, 4-5).

De façon très émouvante, saint Paul souligne que ces fameux "maîtres" sont des serviteurs. Et le Christ dit la même chose, au même point dans l'Evangile de Matthieu : "Celui qui est le plus grand parmi vous sera votre serviteur" (Matth. 23, 11). Il ne s'agit pas de nier les grandeurs et les hiérarchies et d'inverser les places de Maître et de serviteurs, dans un absurde jeu de rôle. Non ! Celui qui est le plus grand, par le fait même de sa grandeur, et de l'autorité que cela lui confère, doit se reconnaître à lui-même comme un devoir de service plus urgent.

En tout état de cause, nous n'avons qu'un Maître : le Christ, qui est aussi d'ailleurs le serviteur des serviteurs de Dieu, celui "qui s'est fait obéissant jusqu'à la mort et la mort de la Croix". Comme cela simplifierait nos querelles si nous vivions, les uns et les autres - ceux qui commandent et ceux qui obéissent - dans cette unique conduite du Christ. Plus de clan ! Plus de chapelle ! Plus de comptes à rendre à tel ou tel féal par tels ou tels clients ! Plus de personnalisation du pouvoir ! La crise de l'Eglise est finie. Devant nous, quelle que soit la manière dont nous lui rendons notre hommage fidèle, il y a le Christ qui est "le chef de la foi" (Hebr. 12, 2), "le chef du salut" (Hebr. 2, 10) et "le chef de la vie" (Ac. 3, 15).

Résolution concrète pour aujourd'hui : exerçons nous à nous reconnaître "frère" de tous les chrétiens, sans forcément mettre en avant notre appartenance à telle ou telle chapelle. Non pas que cette appartenance ne soit pas légitime, mais jamais Paul ou Apollos ne se sont pris pour le Christ. Jamais un groupe, quel qu'il soit, même le plus officiel, même le plus "mandaté" ne pourra revendiquer le monopole dans l'Eglise. Non ! Que personne ne se fasse appeler : Maître !

Je suis trop long ? Arrêtez la lecture, si cela vous suffit pour aujourd'hui. Je continue pour demain ou un autre jour : "N'appelez personne : Père".

Il s'agit de pères spirituels comme nous l'indique tout le contexte du chapitre 23, qui nous entretient des Pharisiens. Voyez dans la Bible comment Elisée appelle Elie : "Père" (II Rois 2, 12). "Vous n'avez qu'un seul Père" dit le Christ au contraire, et c'est Celui que lui aussi il appelle Père. "Dieu est Celui de qui toute Paternité au Ciel et sur la terre tire son nom" (Eph.3, 15).

La paternité physique est infiniment respectable comme nous l'indique le 4ème commandement de Dieu : Tes pères et mères honorera... Mais enfin elle ne peut jamais signifier je ne sais quel asservissement spirituel. "Si quelqu'un vient à moi et qu'il ne hait pas son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses soeurs, et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple" (Lc 14, 26). Dans l'ordre spirituel, il est impossible de mettre quoi que ce soit au dessus de Dieu (ce que signifie l'hébraïsme "haïr"). La paternité de Dieu en effet s'étend non seulement à notre corps qu'il a créé, mais à notre âme, qui n'est à personne, qu'à Lui.

Pensons et prions pour tous ceux qui en ce moment se convertissent de l'islam : ils paraissent rejeter leur père terrestre et leur lignée. En fait, ils ont choisi comme un absolu cette Paternité de Dieu qui ne se trouve pas dans le Coran, mais bien dans l'Evangile. Combien le disent et en témoignent : maintenant nous nous sentons aimés de Dieu. Confidence de Zubir que j'ai baptisé il y a quelques années : maintenant que je sais que Dieu est Père, je sais comment je voudrais être avec mon fils qui vient de naître.

lundi 21 mars 2011

Onzième billet de carême Lundi de la Deuxième semaine

"Si vous ne venez pas à croire que moi Je suis, vous mourrez dans votre péché" (Jo 8, 24)

Nous sommes transportés aujourd'hui dans la polémique terrible qui oppose Jésus aux juifs, aux chapitre 7 et 8 de l'Evangile de saint Jean. Le Christ, mis au pied du mur par l'aggressivité de son auditoire, n'a d'autre ressource que de déclarer son identité. Nous allons d'abord étudié, d emanière un peu technique, lauis cette technicité est nécessaire pour ne pas dire n'importe quoi, comment Jésus s'y prend pour dire à son auditoire cette chose énorme : "Je suis Dieu".

Le Christ nous met devant sa divinité, de la manière la plus explicite qui soit : "Si vous ne venez pas à croire que moi Je suis..." déclare-t-il. Je suis ? Dans cet emploi absolu du verbe être, c'est le nom sacré de Yahvé, 'ani hu, que l'on trouve souvent sous cette forme dans l'Ancien Testament (Deut. 32, 39 ; Is. 41, 4 etc.) et que l'on retrouve sur les lèvres du Christ. Tout à l'heure le Christ dira aussi : "Avant qu'Abraham vînt à l'existence, moi Je suis" (8, 58).

Petite parenthèse : au verset précédent, nous avons aussi un verset étrange, que saint Jérôme traduit dans son latin : "Je suis le principe, moi qui te parle". Le Père Feuillet, un très bon exégète qui a étudié avec la précision qui est la sienne les différents sens de l'expression, affirme la chose suivante sur ce mot qui fait partie de notre Evangile d'aujourd'hui, au verset 24. Je cite : dans ce verset "le langage de Jésus nous paraît être volontairement énigmatique. L'expression grecque, ten archen ho ti kai lalo humin, que l'on pourrait traduire littéralement : "Je suis ce que je vous dis dès le commencement, pourrait signifier en réalité : "Ce que Je suis, je le suis dès le commencement", c'est-à-dire depuis toujours. Cette interprétation est d'autant plus séduisante que le terme arché [principe, commencement] joue un rôle capital dans l'Evangile de Jean", depuis le fameux prologue : Au commencement était le Verbe. Saint Jérôme, faisant dire au Christ : "Je suis le Principe moi qui te parle", fournit certes une interprétation plus qu'une traduction rigoureuse, mais il n'a pas tort de la fournir pour rendre cette parole dans toute sa richesse de sens, en retrouvant l'intention de l'auteur sacré qui nous donne cette phrase en forme d'énigme.

Vous me direz : mais faut-il se lancer dans de telles arguties pour goûter l'Evangile ? Je vous répondrai tranquillement : Oui.

Dieu nous a parlé, il y a deux mille ans. C'était au sein d'une culture différente de la nôtre, dans une langue différente de la nôtre et selon une manière de s'exprimer différente de la nôtre. Pour retrouver le sens originel de ses paroles, soit nous faisons confiance à l'Eglise, qui porte la charge de l'Interprétation, soit nous cherchons à comprendre nous-mêmes et il faut accepter ce travail ; il nous permet de revenir à l'énonciation première de la foi en ce Mystère qui est en même temps effrayant et fantastique : la divinité du Christ. Nous comprenons que quand Jésus dit Je suis, c'est Dieu même, qui, comme autrefois devant le Buisson ardent (Ex. 3, 14-15), dit Je suis. Le Christ est un ego divin dans une nature humaine. Rien de moins !

Il ne nous dit pas "Je suis Dieu", ce qui reviendrai à faire de "Dieu" un nom commun se réalisant de différentes façons. Nous serions ramenés alors à la fameuse tentation de la Genèse, le Serpent disant à Eve : "Vous serez comme des dieux" ; "Vous serez comme des elohim".

Lorsque Jésus nous déclare sa divinité, il ne le fait pas de façon commune en s'attribuant les propriétés ou les fonctions du mot "Dieu". Il utilise le nom propre de Yahvé, le nom propre que Dieu a donné jadis à Moïse. Car "il n'y a pas d'autre Dieu que Dieu". Caïphe croit que Jésus "s'est fait l'égal de Dieu", que par conséquent il blasphème et donc que "selon nos lois" (Lev. 24, 16) il doit mourir. Mais le Christ ne s'est pas fait l'égal de Dieu, puisqu'il n'y a pas d'autre Dieu que Dieu. Il s'est dit Dieu, il a pris pour lui le nom de Yahvé : Je suis.

"Si vous ne croyez pas que Je suis, vous mourrez dans votre péché". Votre péché - au singulier dans le texte - c'est le fait de ne pas croire à la parole que Dieu nous adresse.

Je ne peux pas m'empêcher de mettre en parallèle cette exclamation du Christ et la formule de Yahvé au commencement du Livre de la Genèse : "Si vous mangez du fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, vous mourrez". Pourquoi Eve a-t-elle mangé finalement ce fruit défendu ? Parce qu'elle a constaté, dit le texte, que le fruit était beau à voir et bon à manger ? Mais pourquoi en est-elle venu à opposer cette impression agréable à l'ordre formel de Yahvé ? Parce qu'elle a douté de Dieu, sur le mode : "Celui-là, il nous cache quelque chose". Le premier mouvement mauvais dans le coeur d'Eve, c'est la défiance ! Et le premier mouvement qui nous sauve, en nous arrachant à la spirale de la privation de Dieu dans laquellle sont rentrés Adam et Eve, c'est cette confiance dans sa Parole, cette foi : "Si vous ne croyez pas... vous mourrez".

La foi n'est pas quelque chose de facultatif qui représenterait simplement pour nous "un plus", comme on dit aujourd'hui. C'est l'arme absolue contre la mort. La défiance a produit la damnation, c'est-à-dire la Privation de Dieu et finalement une véritable dé-création. Au contraire la foi est le moyen de la re-création. Elle représente dit l'Apocalypse "une création nouvelle". Nous sommes dans le Christ "une nouvelle créature" dit saint Paul à la fin de l'épître aux Galates. Le disciple de jésus doit connaître "une nouvelle naissance" dit Jésus en saint Jean (c. 3). Je crois qu'il n'est pas abusif de dire que c'est une renaissance, qui nous arrache à notre inéluctable mortalité.

Comment participer à la divinité du Christ ? Par la foi. "Si vous ne CROYEZ pas que JE SUIS...". Que reste-t-il de notre petite personne, si elle ne se tourne pas vers ce Dieu fait homme ? Il lui reste la seule chose qu'elle ait en propre, la décomposition et la mort.

On a l'impression qu'avec cette forte exhortation, Dieu donne à l'humanité, tombée dans le péché, une deuxième chance. Nous sommes tous, en ce carême, comme Adam et Eve dans le Jardin. A nouveau tout est possible... et son contraire. Le Christ nous a permis de remonter le temps, de remettre les compteurs à zéro, de faire, chacun, nous-mêmes le choix décisif.

Que voulons-nous ? Choisissons-nous la foi, cette confiance radicale en l'ordre du monde dont nous savons qu'il débouche ultimement sur la vie absolue, parce que Jésus, l'un des nôtre, a dit déjà qu'il est l'Etre [Je suis], qu'il est la Vérité, qu'il est la Vie ? Ou bien, comme Eve, choisissons-nous la défiance, qui fait de nous des séparés, qui nous éloigne des sources de la vie en nous enfermant en nous mêmes où nous ne trouvons... Rien... ? "Si vous ne venez pas à croire que Je suis, vous mourrez..."

Les mystiques allemands, Suso, Tauler, Maître Eckhart, parlent d'un "vouloir foncier" qui est sous jacent à toutes nos volontés particulières et qui s'exprime plus ou moins en elles. Quel est notre vouloir foncier ? Où allons-nous ? Avons nous vraiment et personnellement fait notre choix ? Ce choix le plus profond conditionne-t-il toutes les options que nous prenons dans le temps ?

La qualité présente de notre vie dépend de notre aptitude à avoir fait ce choix, qui garantit la fermeté de nos choix et la stabilité de nos désirs.

Mgr Marcel Lefebvre : 20 ans après - Notre devoir de piété

Article publié dans Monde&Vie n°840 - mars 2011

Le Lundi saint 25 mars 1991, en la fête de l’Annonciation, Mgr Lefebvre quittait ce monde. Il avait été opéré trop tard d’une tumeur cancéreuse « de la taille de trois pamplemousses »…Il laissait derrière lui quatre évêques et son œuvre la Fraternité Saint Pie X. Il laissait à l’Eglise universelle une question, qui peut s’entendre de multiples façons : qu’as-tu fait des formes de ta Tradition ? Qu’as-tu fait de ta liturgie ? De ta théologie ? De ta foi ?

En lisant le livre témoignage de Philippe Béguerie (voir encadré), ancien spiritain, qui a quitté sa Congrégation en 1963, à cause d’un désaccord avec le Supérieur général - un certain Mgr Marcel Lefebvre - on est frappé du respect avec lequel il parle, 20 ans après sa mort, de cet homme qui aurait dû être son ennemi et qui fut - à un tel point - son adversaire. Un respect qui a toujours entouré la personne et l’œuvre de cet évêque à toutes les époques de son long épiscopat. Je ne peux mieux faire que de citer l’un de ses paroissiens musulmans, Ababacar Thiam, écrivant, après avoir appris sa mort : « Monseigneur, l’Evêque, le Dakarois, le Sénégalais, le plus grand bâtisseur, l’homme de Dieu, de foi est parti ». Ceux qui le critiquent vertement sont ceux qui ne l’ont pas connu. Son obstination toujours sereine pouvait irriter. Mais sa douceur désarmait. « Heureux les doux, car ils possèderont la terre ». C’est d’abord la douceur de Mgr Lefebvre qui a permis le prodigieux rayonnement de son œuvre. Ses dernières paroles, reprises dans le livre magnifique de Mgr Tissier de Mallerais, semblent devoir cristalliser cette douceur dans un sourire éternel : « Nous sommes tous ses petits enfants ». Etonnant pour un homme qui a réputation d’avoir défié le pape, d’avoir contesté les orientations prises par l’ensemble de l’Eglise ! Cet esprit d’enfance devant Dieu, serait-ce son secret le plus intime, le mieux gardé, raison ultime de l’audace tranquille avec laquelle il a défié les modes de son époque ?

« Le moins influençable du monde »

Cela étant posé, le trait le plus apparent de Mgr Lefebvre n’a pas été sa douceur mais sa force. Le monde pouvait s’écrouler autour de lui, il ne changeait pas d’avis, une fois qu’il avait analysé une situation. C’était vrai au cours de son épiscopat en Afrique, quand il avait décidé d’implanter un dispensaire dans un village païen pour le christianiser. Cela demeurait vrai, lorsque depuis Ecône il faisait trembler les sacristies de France, de Navarre et peut-être du monde entier. D’où lui est venu une telle stabilité ? Il y a forcément les prédispositions de la nature, mais il y a son histoire personnelle, l’histoire de sa sainteté personnelle. Il dit avoir reçu l’enseignement du Père Le Floch, au Séminaire français de Rome, comme « une révélation ». Ce mot est de lui. Mais de quelle révélation s’agit-il ? Voyons le contexte : « C’est lui, le Père Le Floch, qui nous a appris ce qu’était les papes dans le monde et dans l’Eglise, ce qu’ils ont enseigné pendant un siècle et demi : l’antilibéralisme, l’antimodernisme, l’anticommunisme, toute la doctrine de l’Eglise sur ces sujets, pour tenter de préserver l’Eglise et le monde de ces fléaux qui nous oppressent aujourd’hui. Cela a été pour moi une révélation ». Très jeune, Mgr Lefebvre a formé son jugement, en s’inspirant de l’enseignement du Père Le Floch, lui-même disciple de saint Pie X et lecteur des encycliques des papes, de Léon XIII à Pie XI.

Ayant suivi moi-même les conférences spirituelles de Mgr Lefebvre pendant six ans, je peux témoigner qu’il ne connaissait pas l’œuvre de Charles Maurras, quoi que lui reprochent ses adversaires. Les citations de Maurras, en exergue de certains chapitres de son ouvrage Ils l’ont découronné sont de Mgr Tissier de Mallerais (Charles Maurras était le témoin de mariage de ses parents). Ce point – Maurras ou pas Maurras – est important. Si Mgr Lefebvre n’avait été qu’un maurrassien, imbu de doctrines politiques, on aurait pu traiter cet évêque d’idéologue mélangeant allègrement politique et religion, ce que ne se privent pas de faire ceux qui, comme Philippe Levillain, dans son récent Rome n’est plus dans Rome, écrivent l’histoire attendue. Mais personne n’était moins politique que Mgr Lefebvre. Qui se souvient de sa saillie lors de son Jubilé sacerdotale : « Je ne fais pas de politique, je fais de la bonne politique, cela n’est pas la même chose ». Non, cela n’est pas la même chose. Homme d’Eglise, engagé dans les réalités terrestre, témoin de la colonisation et de la décolonisation en Afrique, Mgr Lefebvre porte des jugements sur la politique et veut « une bonne politique » parce qu’il sait que, selon le mot de Pie XII, « de la forme d’un Etat, dépend le salut des âmes ». Mais il n’est pas une seconde le militant d’une cause politique quelconque. Sa seule préoccupation c’est la marche de l’Eglise dans ce siècle et c’est l’enseignement des papes sur « le droit naturel et chrétien », comme disait Jean Ousset, le patron de cette Cité catholique dont il prit la défense au risque de sa propre réputation, dès 1956. Il écrira dans cet esprit une préface à Pour qu’il règne, l’ouvrage majeur du même Jean Ousset en 1960, sans doute, entre autres, pour bien montrer que la polémique qui était née quatre années auparavant ne l’avait pas impressionné, ni fait changer d’un iota.

« Je vous ai compris »

Philippe Bèguerie raconte une scène qui eut lieu au moment de la IIème Session du Concile. Les évêques spiritains – il y en eut 12 – demandèrent à le voir et lui reprochèrent ses positions déjà anticonciliaires. Il leur répondit dans un sourire : « Je vous ai compris (sic). Mais chacun doit agir selon sa conscience n’est-ce pas ? ». Et il les congédia sans autre civilité, toujours souriant. Lorsque j’ai découvert cette scène, je me suis dit : c’est lui, déjà, « l’homme le moins influençable qui soit » comme le note Mgr Tissier au début de sa Biographie. Le moins influençable ? Parce qu’il est fort de cette « révélation » : l’enseignement des papes sur le droit naturel et chrétien.

Mgr Lefebvre n’était pas un théologien de profession. On lui a souvent reproché – du côté des sédévacantistes comme du côté des conciliaires - des prises de position qui pouvaient paraître ondoyantes ou insuffisamment approfondies. Dans sa condamnation de toute pratique du dialogue interreligieux, il était sans doute unilatéral, comme l’ont montré certains épisodes de sa carrière dakaroise : le refus d’un service religieux pour les victimes catholiques et musulmanes d’un crash aérien par exemple.

Mais ses adversaires avaient, de leur côté, deux carences, qui les ont empêchés de comprendre cet homme et d’apprécier ses raisons à leurs justes valeurs. D’une part, pour la plupart, ils n’avaient pas son expérience missionnaire sur le terrain. Ils parlaient de la mission comme on parle aujourd’hui de la nouvelle évangélisation : de manière incantatoire. Mgr Lefebvre – c’est un trait de son caractère - avait très vite décidé de répondre par des actes aux campagnes montées contre lui. Tel est le sens de son départ précipité du chapître général des spiritain dans lequel il vient d’être mis en minorité. Il ne se défend pas. Il ne prend même pas la peine de faire bonne figure. C’est que quelques semaines plus tard, il fonde un convict à Fribourg en Suisse et il pose les bases d’une nouvelle Fraternité sacerdotale. C’est ce goût de l’action et ce sens de l’organisation qui vont donner une importance exceptionnelle à sa protestation, en la rendant incontournable.

Pourquoi les sacres illégaux ?

Ayant assisté aux va et vient qui entourent le sacre des quatre évêques le 30 juin, je me souviens que je m’étais dit : les raisons spéculatives des sacres sont peu claires. Rome accorde un évêque. Pourquoi en vouloir quatre ? Mgr Lefebvre a préféré faire ces sacres sans l’accord de Rome pour trois raisons. Premièrement : ne pas laisser retomber le soufflet qu’il avait créé, en partant du scandale de la première réunion d’Assise : sans ce soufflet d’indignation populaire, il perdait toute marge de manœuvre et devait accepter les conditions de Rome. Deuxièmement : à l’instinct, l’accueil des « Romains » lui a paru trop froid pour qu’une « collaboration durable » puisse être envisagée. Encore la pratique ! Et troisièmement : il entendait préserver l’atmosphère spirituelle propre de sa communauté, qu’il craignait de voir se diluer dans l’état d’esprit dominant. Je pense que, du point de vue pratique, ces sacres ont été un grand moment de l’histoire de l’Eglise. Ils ont donné naissance aux communautés Ecclesia Dei sans affaiblir la Fraternité saint Pie X. Et ils ont créé un électrochoc qui a permis une véritable prise de conscience, comme l’a reconnu un certain cardinal Ratzinger lors d’une conférence à Santiago du Chili au mois de juillet 1988. Le pragmatisme de Mgr Lefebvre est un élément capital de son parcours spirituel. On le retrouve aux moments les plus critiques de sa vie.

Mais il y a une deuxième carence de ceux qui ont voulu se proclamer ses juges : ils ne connaissaient pas – ou ne voulaient plus connaître - la théologie romaine à laquelle se réfère constamment Mgr Lefebvre et dans laquelle il a été formée par le Père Le Floch. Son assurance, c’est pourtant de cette théologie romaine qu’il la reçoit, persuadé que la foi catholique elle-même se trouve exprimée dans cette théologie.

C’est à travers ce prisme, qu’il discerne très vite le danger de la collégialité. Il voit bien que ce n’est pas une menace pour l’autorité du pape (comme certains le laissaient craindre) mais pour l’autorité de chaque évêque dans son diocèse. Combien de fois a-t-il répété : « La crise de l’Eglise est une crise de l’autorité dans l’Eglise ».

Un triple prisme

C’est à travers ce prisme qu’il met en cause la liberté religieuse, non seulement du point de vue des rapports entre l’Eglise et l’Etat mais parce que cette liberté sape l’autorité de la foi elle-même : « Le schéma sur la liberté religieuse admis, toute la vigueur et toute la valeur du magistère de l’Eglise sont frappées de mort d’une manière radicale ». Le Père Congar dans son très privé Journal du Concile, lui donne raison sur ce point, en avouant que le document sur la liberté religieuse « fera perdre à l’Eglise deux ou trois siècles » (sic).

Dans ce contexte de destruction de l’Autorité de la vérité, l’œcuménisme et le dialogue interreligieux peuvent-ils être autre chose que des manifestations d’indifférentisme ?

Voilà les trois grandes intuitions de Mgr Lefebvre, telles qu’il les a publiées dans Rivarol en octobre 1968 sous le titre Pour une vraie rénovation de l’Eglise. Ses confrères spiritains, les évêques français, le pape lui-même ne comprennent pas cette obstination « mystérieuse », « plus catholique que le pape », « inconcevable ».

Mais Mgr Lefebvre ne variera jamais et jusqu’à son dernier souffle désignera ainsi le mal et la mort dans l’Eglise. L’Histoire avec une majuscule n’a pas fini de lui donner raison. Jean-Paul II réfléchissant sur la primauté de la vérité sur la liberté dans l’encyclique Veritatis splendor, a (involontairement ?) confirmé le terrible diagnostic qui a fait de Mgr Lefebvre l’évêque de fer. Reste à en tirer toutes les conséquences : il y a du pain sur la planche ! Et les années passent, stérilisantes pour l’Eglise.

Abbé G. de Tanoüarn

Deux nouvelles « bios »

Philippe Levillain, historien médiatique, vient de commettre un Rome n’est plus dans Rome, Mgr Lefebvre et son église (éd. Perrin) qui n’est pas seulement une mauvaise action mais surtout et d’abord un mauvais travail. Exemple au hasard : le Père Laguérie accompagne mons. Ducaud-Bourget depuis 1972 à Laennec et il bénit la chapelle et dit des messes depuis 1973. En note, on apprend qu’il a été ordonné prêtre en 1979 (p. 285). Hypothèse plausible : le nègre de Levillain, chargé par lui, de l’appareil critique, n’a pas osé relever les erreurs grossières de son employeur… Ce genre d’ouvrage est une tâche dans la carrière d’un historien.

Sous le titre Vers Ecône chez DDB, Philippe Bèguerie, ancien spiritain, adversaire de toujours pour Mgr Lefebvre, publie un passionnant dossier et des documents inédits sur Mgr Lefebvre avant Ecône. Il ne nous laisse pas ignorer son partis pris, mais nous offre une nouvelle illustration de la constance de l’évêque de fer.

GT

dimanche 20 mars 2011

Lettre du dimanche : deuxième dimanche de carême

L’Eglise nous donne à lire le récit de la Transfiguration du Seigneur sur le Mont Thabor qui eut lieu devant trois des douze apôtres Pierre, Jacques et Jean. Ces trois apôtres sont initiés à la gloire du Ressuscité. Ils peuvent voir ainsi le Christ transfigué, éclatant de lumière, entouré de Moïse (celui qui a reçu la Loi d’Israël sur le Mont Sinaï) et d’Elie (qui représente tous les prophètes d’Israël). On sait que le mot « Bible » est un mot tardif et que pour désigner la Bible (« le livre » en grec), à l’époque du Christ on parlait de : « la Loi et les prophètes ». Moïse et Elie symbolisent à eux deux toute la Bible.

Le Christ se montre à eux ainsi nous dit le texte en prévision de sa Passion, pour les préparer au spectacle abominable de son corps ensanglanté. Comme en a averti le prophète Isaïe (53) : « Du sommet de la tête jusqu’à la plante des pieds, il ne sera qu’une plaie ». Le Christ transfiguré annonce le Christ crucifié, car la crucifixion, si horrible soit-elle, n’est pas une défaite, mais encore une victoire de cet homme qui porte en lui toute la gloire du Père. « Par la mort, il a vaincu la mort ». La Transfiguration anticipe sur sa résurrection.
On comprend pourquoi l’Eglise nous fait lire ce récit alors que nous nous enfonçons dans le Carême. Elle veut nous donner de l’assurance, comptant que nous comprendrions que nous aussi nous allons être transfigurés, à l’image du Christ, comme le veut la parole de Dieu et comme le certifient Moïse et Elie, c’est-à-dire toute la foi juive.

De quelle transfiguration s’agit-il ? non pas de celle à laquelle rêve Pierre, le disciple zélé, qui « plane » déjà. « Il nous est bon d’être ici. Si tu veux, faisons ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Elie ». « Il ne savait pas ce qu’il disait » commente l’évangéliste. Il n’était plus tout à fait dans son bon sens. Il imaginait que le « carême de cette vie » était fini et que semblait venu le temps de la jouissance tranquille… Une voix du Ciel l’interrompt dans ses supputations de bonheur : « celui-ci est mon Fils bien aimé en qui j’ai mis mes complaisances. Ecoutez-le ».

Ne nous attendons pas nous non plus à « voir » le paradis sur la terre. Avant de voir, il nous faut « écouter ». Il nous faut recevoir la parole de Dieu et la prendre pour nous. Et cette Parole, il ne faut pas la recevoir de Moïse et d’Elie, mais du Messie lui-même, pour la mettre en pratique.
Que signifie « écouter la Parole de Dieu » ? Je dirai concrètement deux choses : cela signifie reconnaître que le Christ est le « Fils bien aimé » du Père, car en le reconnaissant, nous devenons dignes de cette scène de transfiguration, nous comprenons que nous sommes, nous aussi, « des fils dans le Fils », des fils de Dieu par adoption dans le Fils de Dieu qui est par nature, et alors – c’est le deuxième point capital - nous pouvons aspirer à avoir une tente auprès de Moïse et d’Elie dans le Royaume du Père, car « il y a des demeures, nombreuses, dans la Maison du Père ». Et à ce moment, oui, nous n’entendrons plus seulement, « nous verrons » Dieu face à face.

La difficulté du Carême, c’est que, comme le dit saint Paul, dans l’épître aux Thessaloniciens que nous lisons aujourd’hui, « nous sommes appelés à la sainteté », mais, pour répondre à cet appel, nous avons à nous guider non pas par la vue mais par l’ouïe. Il ne nous est donné que cet appel, qui résonne dans la parole de Dieu. Les visions ne sont pas pour nous ! Le bonheur immédiat n’est pas notre lot et lorsqu’il nous est donné, il est souvent trompeur. J’aime beaucoup cette phrase de Soljenitsyne, le « zek » dans son Goulag : « ne crois pas au bonheur ! ne crains pas le malheur ! ».

Ne crois pas au bonheur tout de suite, en « ready made », comme l’apôtre Pierre. Ne crains pas non plus le malheur, car l’appel que tu as reçu de te mettre en route, pour ce Carême, n’est pas vain. Il résonne dans toute ta vie.