mardi 30 août 2011

[Minute / Christophe Mahieu] Madrid : Benoît XVI « traditionalise » les JMJ

Entretien Joël Prieur / Christophe Mahieu, paru dans Minute du 24 août 2011
Les JMJ 2011 en Espagne resteront comme l’une des réalisations concrètes les plus caractéristiques du pontificat de Benoît XVI : liturgie solennelle, très souvent en latin ; exigence spirituelle et silence. On est très loin de la première mise en oeuvre du concile Vatican II. Sous l’impulsion du pape, les croyants reviennent à leurs racines. Quel sera l’impact d’un tel renouveau spirituel ? Il est trop tôt pour le dire.

Minute : Christophe Mahieu, vous étiez l’envoyé spécial du journal « Monde & Vie » à ces Journées mondiales de la jeunesse. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans ce long week-end durant lequel on a pu voir le pape Benoît XVI en « grand-père spirituel » à Madrid, avec, autour de lui, jusqu’à deux millions de jeunes ?
Christophe Mahieu : Je garderai trois images de cette immense manifestation, trois images qui disent bien ce qu’ont été les Journées mondiales de la jeunesse cette année. Il y a d’abord les 200 confessionnaux établis au Parc du Retiro (l’analogue de notre Jar din du Luxembourg), avec des confessions sans arrêt, même après que ces installations très design, triangles à pointes arrondies, avaient été démontées. Toute cette organisation autour du sacrement de pénitence porte un message clair : non, la confession, ce n’est pas ringard ! Oui, ça existe toujours!
Deuxième image : la veillée de prière, samedi soir. Il y a d’abord eu le déchaînement des éléments : tonnerre, pluie, vents. Le pape abrège fortement son discours. Les jeunes réagissent avec enthousiasme. Et puis le silence se fait sur la demande des organisateurs, le silence total d’un million et demi de jeunes. Quelque chose d’unique ! Et dans ce silence une grande ma chinerie sort de terre. L’hostie sacrée s’élève aux yeux de tous dans la célèbre custode de Arfe, chef-d’oeuvre d’orfèvrerie en or et en argent, avec 260 statuettes. Ce chef-d’oeuvre, remontant au début du XVIe siècle, provient de la cathédrale de Tolède.

La puissance visuelle de ce moment doit être soulignée. L’Eglise a oublié la timidité postconciliaire et le dépouillement volontaire dont elle voulait s’entourer dans les années 1970.

Durant ces JMJ, on a observé un re tour aux sources baroques de la contre-réforme. Comme pour confirmer cette intuition, une voix s’écrie dans toutes les langues, mais d’abord en espagnol : « Voici le Roi des rois » (« El rei de los reyes »)… Autour de moi des journalistes se mettent à genoux… Des chants latins résonnent : Ave verum, Tantum ergo… Je suis où ?

Troisième image : la messe de diman che matin, devant deux millions de personnes, essentiellement des jeunes, en majorité des Espagnols, mais aussi des Italiens, des Allemands, des Polonais et des Français. Là encore, comme le remarque notre confrère Jean-Marie Guénois sur son blog, ce qui frappe c’est le silence, c’est la piété : des jeunes restent en action de grâc e un quart d’heure après la messe. On nous dit que les JMJ ont fait rentrer « la fiesta » dans l’Eglise. Ce n’est pas ce que j’ai vu !

La plupart des chants étaient en latin : Kyrie, Gloria, Sanctus… et le Christus vincit à la fin. Il y avait, en espagnol, le chant des JMJ : « Confirme-moi dans la foi… » On a fait plus révolutionnaire comme cantique. Et, pour accueillir le pape ou le saluer, ce slogan : « Esta es la Juventud del Papa », que l’on peut traduire par : « La jeunesse du pape est là. »
Quel a été le message du pape en Espagne ?
Avant tout un appel à la conversion pratique. Je voudrais insister sur le fait qu’en Espagne, cette visite a un impact que l’on n’imagine pas en France. La télévision a retransmis en boucle les cérémonies.
Sur les 4 900 journalistes présents, près de la moitié étaient espagnols. Il faut signaler aussi la prestation du cardinal Rouco, archevêque de Madrid, admirable de présence et de prestance et revendiquant l’identité catholique de l’Espagne sur la Place des Cibeles devant 500 000 personnes, en accueillant le pape. L’Espagne est en crise, plus encore que la France, comme le montre la dé mission annoncée du premier ministre Zapatero. Ces journées ont ré sonné dans ce pays comme un acte de foi collectif.
Peut-on dire qu’il y a un changement entre les JMJ selon Jean-Paul II et les JMJ selon Benoît XVI ?
Le quotidien espagnol « El Pais » a bien exprimé les choses en écrivant, c’était un titre : « Jean-Paul II a écrit la mélodie ; Benoît XVI est en train d’écrire les paroles ». Je me souviens des JMJ parisiennes, en 1997 : il y avait indéniablement un côté « fiesta ». Je n’ai pas retrouvé cela du tout à Madrid cette année. On pourrait dire que Benoît XVI a « traditionalisé » les JMJ.
Quel a été l’impact des polémiques autour de ce voyage ?
Les polémiques autour du prix du voyage étaient ridicules. Elles sont rituelles désormais. Chaque fois que le pape se déplace quelque part, on lui op pose l’argent que ça coûte. Souvenez-vous du voyage en Angleterre en 2010, durant lequel Benoît XVI avait été reçu à Westminster Hall. On faisait grand cas des polémiques avant l’arrivée du pape à Londres et elles se sont évanouies comme par enchantement.

C’est la même chose en Espagne. Il faut ajouter que dans une atmosphère de crise, le voyage du pape a rapporté de l’argent à Madrid, qui n’est pas une ville très touristique ordinairement. Au fond, les rationalistes militants et les athées déclarés ne supportent pas le succès d’un pape dont ils ne peuvent même pas dire qu’il est médiatique
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propos recueillis par Joël Prieur

jeudi 25 août 2011

La vertu d'obéissance

J'ai croisé sur la Côte (je parle de la Côte d'Amour, pas de la Côte d'Azur) un zélé membre de l'Opus Dei qui admirait la sainteté et la piété de ces prêtres, membres de communauté ED, qui ont pris le parti, me dit-il, de demander pour la plus petite chose la permission au supérieur ecclésiastique diocésain. Et de me donner des exemples : une place de parking, la permission de faire telle ou telle chose dans une célébration etc. "Même les choses les plus simples, pour lesquelles il n'y a pas besoin de demander, ces prêtres le demandent, humblement"... Je crois que je l'ai beaucoup choqué en répondant que ce genre d'obéissance, je ne saurais la faire mienne. Peut-être lira-t-il ce billet et nous pourrons continuer la conversation commencée.

L'obéissance a mauvaise presse, comme l'autorité a mauvaise presse. Il suffit de relire ce que dit Bossuet de l'autorité, dans le post précédent, pour comprendre que ni l'autorité ni l'obéissance ne sont facultatives. L'une et l'autre sont des vertus. Qu'est-ce que l'obéissance ? Le père Labourdette en parle bien dans un flamboyant article de la revue thomiste datant des années Cinquante de l'autre siècle. Etre dans l'obéissance signifie être à sa place. Refuser l'obéissance signifie refuser sa place, refuser de jouer son rôle et s'en inventer un éventuellement... A ses risques et périls.

L'obéissance a mauvaise presse, mais c'est d'abord parce qu'elle est mal connue. Le plus souvent on confond le voeu d'obéissance et la vertu d'obéissance. Par le voeu d'obéissance, on se remet entièrement dans la main d'un supérieur en abdiquant toute volonté propre, pour tenter, par cette voie d'être parfait, selon les conseils du Christ. Alors le moindre acte d'obéissance, fût-il superfétatoire, possède une valeur particulière. Cette perspective concerne les religieux et religieuses, pour lesquels l'obéissance n'est pas seulement une vertu mais un voeu.

Qu'est-ce que la vertu d'obéissance ? "Par sa nature, l'homme n'est pas ordonné à autrui" dit clairement saint Thomas (Ia Q96 a4)... Il n'existe donc pas d'esclave par nature, contrairement à ce qu'enseigne Aristote [Sur Aristote, au passage, les inconditionnels pourront lire, à La Table ronde, le livre d'Annabel Lyon, Le juste milieu, qui vient de paraître. Juste pour ne pas le christianiser trop vite !]. Quoi qu'en ait pensé Nietzsche, les surhommes, ça n'existe pas. Les sous hommes non plus d'ailleurs.

L'obéissance ne vient pas de la nature individuelle de l'homme mais de sa nature sociale. C'est du point de vue de la vie sociale et de ses nécessités, enseigne saint Thomas, que l'on doit pratiquer l'obéissance. Le Père Labourdette l'appelle en ce sens "la vertu du bien commun". il faut donner à l'expression "bien commun" que l'on emploie trop peu... tout son sens. Le bien commun, c'est le bien (spirituel, culturel, économique, politique) que je ne peux pas attendre par moi-même. Qui n'obéit pas n'a pas trouvé sa place à l'intérieur de la communauté du bien. Ou s'il l'a trouvé, il la trahit par sa désobéissance.

L'obéissance est donc tout entière conditionnée par ce bien commun. Elle n'est pas le résultat d'un rapport de force entre plus et moins gros bras (stupidité du bras de fer, qui ne doit pas dépasser la cour de récré). Elle naît de l'exigence du service. Si l'on vous refuse tout service sain et droit, vous êtes en droit et vous avez aussi le devoir... de désobéir.

Mais dans une société normalement constituée (comme est l'Eglise, la seule communauté qui ne supporte pas la lutte exclusive des communautarismes, qu'ils soient ethniques ou bien idéologiques et partisans), les occasions d'obéir doivent être relativement rares et toujours importantes. On n'obéit pas pour un oui ou pour un non mais seulement lorsque le bien commun est engagé.

Reprenons notre saint Thomas (Immensus Aquinas noster comme l'appelait Cajétan) : dans le Contra impugnantes au chapitre 3, il définit une société quelle qu'elle soit (communitas) comme "l'union des êtres humains pour réaliser quelque chose d'unique et pour le mener à bien" adunatio hominum ad aliquid unum agendum et perficiendum. Une société qui tient la route (une entreprise ou une famille, un mouvement ou une société politique) c'est un véritable "concert", où chacun sait ce qu'il a à faire. Multiplier les occasions d'obéissance ou d'autorité ne signifie pas rechercher le plus parfait, mais dévoiler un problème de fonctionnement - ce qui du reste ne sera pas forcément bien vu par l'autorité, surtout si le problème existe vraiment. on a toujours tendance dans ces cas là à casser le thermomètre ou à tuer le messager de malheur comme s'il était responsable de ce qu'il annonçait. Celui qui, par son attitude hésitante, souligne un problème qui aurait pu rester purement virtuel et qui éclate au grand jour à cause de cette hésitation même, ne fait pas "politiquement" du bon travail. C'est vrai dans une entreprise... comme dans un diocèse.

En revanche, pour des religieux, qui cherchent leur perfecton personnelle et non le bien commun, le problème se pose autrement. Pour des numéraires de l'Opus Dei, qui sont des laïcs vivant d'un esprit religieux et s'y engageant par voeu, le problème se pose autrement. l'objectif n'est pas le bien commun mais la perfection de la personne. Cette perfection, dans ce cadre, s'atteint par le renoncement à quelque volonté propre que ce soit. Mgr Lefebvre, religieux spiritain, ayant donc prêté les trois voeux, nous expliquait que les Pères, en Afrique, devaient demander l'autorisation même pour prendre la voiture et pour faire quoi que ce soit. Le problème du voeu d'obéissance, pris au sens strict, c'est que soit on en ignore la terrible exigence dans tous les détails [et alors d'une certaine façon, on triche], soit on s'y soumet et cela peut poser des problèmes dans le concret d'une existence apostolique. Raison pour laquelle d'ailleurs le fondateur de la FSSPX n'avait pas souhaité donner à ses prêtres un statut de religieux...

On peut donc discuter - Mgr L l'a fait - de l'opportunité du voeu d'obéissance qui est un moyen (parmi d'autres) pour atteindre à la sanctification personnelle. Mais on ne peut discuter de la nécessité de la vertu d'obéissance, parce que l'ordre dans les moyens est déjà comme une première fin. Celui qui prétendrait servir l'Eglise sans obéir à ses lois indéfectibles ou en considérant comme facultative cette vertu du service qu'est l'obéissance, celui-là serait comme un homme qui marche dans sa tête. Saint Augustin avait une formule assassine pour ce genre d'individus : "Ils courent bien, mais ils courent en dehors du chemin".

mercredi 24 août 2011

Ne pereant !

"Rassemblez les morceaux, pour qu'ils ne disparaissent pas" demande Notre Seigneur après la multiplication des pains : Colligite fragmenta ne pereant ! Et on en fit 12 corbeilles... Fragmenta ! Le termes latin est éloquent. Il nous renvoie, je crois, à la vérité, que l'on ne possède jamais que par fragments. Nos discours trop complets et trop bien architecturés risquent toujours de laisser confondre notre propre architecture mentale, voire notre auto-justification existentielle, avec le spectacle étincelant que donne la vérité à ceux qui l'aiment. La vérité est universelle ; nos discours sont particuliers. Si complets qu'ils apparaissent, ils ne sont eux-mêmes que des fragments. En tout cas, ils doivent être pris comme tels.

A propos de fragments, je pense aussi à la Cananéenne, qui explique au Christ, avec une gravité... simplement craquante, que les petits chiens se contentent volontiers des miettes qui tombent de la table du Maître. Nous voudrions un système totalisant et sécurisant. Nous n'avons que les miettes, les fragments : il faut nous en contenter.

Je suis de ceux qui aiment que les Pensées de Pascal nous soient parvenues ainsi : par fragments, chacun contenant, en quelque sorte la vérité toute entière. Je suis de ceux qui détestent les recherches faites autour de l'ordre que Pascal aurait donné aux Pensées, s'il n'était pas mort avant d'avoir eu ses 40 ans. "L'ordre des raisons", c'est une idée et une expression de Descartes. C'est du rationalisme. Pascal n'en a pas besoin. Il sait que sa quête de vérité est déjà exaucée, avant même qu'il l'ait mise en œuvre. Non pas qu'il soit infaillible, non, quelle horreur ! Mais enfin, il a dû se répéter souvent à lui-même cette phrase du Mémorial : "Tu ne me chercherais pas si tu ne m'avais pas trouvé".

Un chrétien a toujours déjà trouvé, même s'il continue à chercher. N'est-ce pas artificiel ? Ce le serait si sa recherche était celle du dilettante, cueillant les "paradoxes" (Lubac) comme d'autres les pâquerettes.. Le chrétien qui continue à chercher cherche, lui, "en gémissant" comme dit encore Pascal. Avec une objectivité absolue, parfois crucifiante. Je dirai : il cherche "en s'exposant" pour reprendre un terme utilisé dans le Pari. Il sait qu'il a trouvé mais, par amour, il cherche encore car on n'épuise jamais la vérité.

J'étais parti pour vous donner (encore) un texte de Bossuet. Mais j'ai trop parlé. Alors je me tais et vous laisse avec l'une des "Pensées chrétiennes et morales" de l'Aigle de Meaux : ne pereat !

"Il faut une autorité qui arrête nos éternelles contradictions, qui détermine nos incertitudes, condamne nos erreurs et nos ignorances : autrement la présomption, l'ignorance, l'esprit de contradiction, ne laissera rien d'entier parmi les hommes. Jésus-Christ s'est mis au-dessus des jugements humains, plus que jamais homme vivant n'avait fait, non seulement par sa doctrine, mais aussi par sa vie. La possession certaine de la vérité lui a fait mépriser les opinions : il n'a rien donné à l'opinion, rien à l'intérêt, rien au plaisir, rien à la gloire. De combien de degrés s'est-il élevé par dessus les égards humains ! On ne peut pas même inventer ni feindre une fin vraisemblable à ses desseins, autre que celle de faire triompher sur tous les esprits la vérité divine. Ceux qui se rendent captifs des opinions humaines ne peuvent en être juges" (Pensées chrétiennes et morales n°XIV. Ed. en 12 volume, t. 4 p. 289).

"Autrement la présomption, l'ignorance, l'esprit de contradiction ne laissera rien d'entier parmi les hommes..."

mardi 23 août 2011

Le Choc des Journées Mondiales de la jeunesse

Alors que l'excellent périodique Monde et Vie nous propose un dossier complet sur les JMJ (à paraître vendredi), j'aimerais vous dire très librement comment, étant resté à Paris pour cause de messes à dire, j'ai vécu les Journées Mondiales de la Jeunesse. Au téléphone, fiévreusement, avec des amis qui 'y' étaient. Chaque détail venait renforcer le précédent pour donner l'impression d'une Eglise qui, depuis Vatican II et ses mille "expériences" stériles, a cette fois enfin trouver le ton. Elle s'adresse aux jeunes sans complexe par la bouche d'un vieux pape de 84 ans. Elle s'adresse au monde sans balancer, en assumant toute sa tradition, en particulier sa tradition liturgique (le latin est à l'honneur, des chants que l'on entendait plus résonnent de nouveau pour les jeunes : Ave verum. Christus vincit. Tantum ergo) et sa tradition culturelle : chef d'oeuvre des quatorze stations du Chemin de croix, réalisées d'après les canons de l'art espagnol traditionnel.

Une question iconoclaste me traverse l'esprit : et si Vatican II, qui s'est si longtemps cherché sans succès, n'était pas, conformément au plus vieux projet, celui de Jean XXIII, un Concile éclair, un Concile de contre-réforme catholique ? Vatican II au fond ne marche que comme concile baroque. Autrement c'est trop triste. Ou trop lâche. Ou trop vague. Ou trop vide.

Qu'avait-il manqué à Vatican II jusque là ? L'adoration. Le silence. La soumission à la volonté de Dieu. L'amour et la pratique des sacrements de l'Eglise, en particulier la confession, qui était un sacrement vraiment périmé et que Benoît XVI remet à l’ordre du jour, en donnant lui-même aux prêtres l'exemple...

Les 13èmes JMJ ont réussi la quadrature du cercle, d'être intégralement traditionnelles (par le silence liturgique, la recherche esthétique : la custode de Arfé etc.) et aussi "absolument modernes" dans le culte de l'image, la simplicité du message et le sens d'une communauté à 2 millions de personnes, qui ne versent jamais dans les communautarismes rivalitaires. Là-bas, chacun se sent de plain pied avec tous. Je songe à une métaphore politique : les JMJ, c'est une sorte d'immense fête catholique de la Fédération, où chacun se sent citoyen de l'Eglise et où nul n'est de trop dans l'Eglise comme disait Benoît XVI aux évêques français en 2009 à Lourdes. Si l'on cherche une image vraie de la Fraternité dans le monde, ce n'est pas du côté des "printemps arabes" qu'on la trouvera, mais sous le soleil de Madrid.

"Aimez la fraternité !" (I Petr. 2, 17) nous demandait l'apôtre Pierre. L'Eglise catholique retrouve ses valeurs au moment où elle se sent le plus authentiquement "universelle", au-dessus des partis. Les jeunes vont chercher à Madrid cette fraternité, qui fait que l'on se sent de plain pied avec la première personne que l'on croise, parce qu'on "en" est. J'ai connu cela personnellement dans les cafés romains le jour des obsèques de Jean Paul II.

Notre week-end au Centre Saint Paul a été certes plus modeste, mais en union avec ce grand événement. Et c'est un évêque, Mgr Baronnet, un jésuite, évêque émérite des Seychelles, qui est venu nous visiter. Au programme quête exceptionnelle pour l'Aide à l'Eglise en Détresse et sermon sur l'universalité de l'Eglise, avec ce fil rouge : dans 60 des 200 pays que compte l'Univers, l'Eglise est persécutée. Durant le déjeuner, Mgr nous a raconté la visite de Jean-Paul II aux Seychelles et le terrible orage, qui, comme à Madrid samedi, avait dévasté le Podium.

Et puis, pourquoi ne vous le dirais-je pas, à vous qui êtes des amis, à travers ce Métablog, je suis fier de Georges, ce nouveau baptisé, dont je vous ai parlé il y a huit jours. Avant de rentrer en Algérie, son pays, il a pu parler dans une église de Madrid à 2000 jeunes qui étaient présents et leur dire combien trop souvent les musulmans qui veulent devenir chrétiens se sentent mal accueillis... dans l'Eglise. Il a eu droit à une "standing ovation" de cinq minutes (montre en main) et l'évêque présent de lui dire : "Je crois que c'est la meilleure réponse que nous pouvions faire à votre douloureuse interrogation".

- Quelque chose est en train de changer dans l'Eglise ? - Je crois, oui.

samedi 20 août 2011

Entretien avec M. l'abbé Philippe Laguérie

[Avertissement de Metablog : Ce texte important de M. l'abbé Laguérie, auquel nous faisons référence comme à une charte pour l'IBP et qui rentre dans les questions très concrètes sur la légitimité du rite rénové et sur l'attitude des membres de l'Institut du Bon Pasteur face à Vatican II a inexpliquablement disparu du site où il avait été publié et auquel nous vous renvoyions jusqu'ici. M. l'abbé Laguérie s'en est étonné avec moi au téléphone. Je l'ai retrouvé grâce au Forum catholique et au site de l'abbé Aulagnier. Le voici donc pour les nombreux lecteurs de ce Blog.-- GT]

Cinq années se sont écoulées depuis la fondation de l’Institut du Bon-Pasteur. Pour les amateurs de chiffres, la jeune communauté internationale compte à ce jour 25 prêtres – le plus récent ordonné à St Eloi le 25 juin par SE le cardinal Castrillon-Hoyos – et autant de séminaristes venus de divers pays (France, Brésil, Pologne, Italie…) qui reçoivent leur formation à Courtalain, dans le diocèse de Chartres. Sans détours, comme à son habitude, M. l’abbé Philippe Laguérie a bien voulu répondre à quelques questions sur la position théologique et liturgique de l’Institut du Bon-Pasteur et sur sa situation présente dans le paysage ecclésial.
Disputationes Theologicae : Monsieur l’abbé, deux des piliers de votre Institut approuvé par le Saint Siège en 2006 sont bien connus : usage exclusif des livres liturgiques de 1962 (Statuts et Décret d’érection), engagement à l’étude critique constructive des points de doctrine qui, dans le texte du concile Vatican II ou dans la liturgie, paraissent difficilement conciliables avec la Tradition (Acte d’adhésion des premiers membres). Cinq ans après, Rome a édicté des précisions magistérielles et juridiques : votre position a-t-elle évoluée ?

Abbé Philippe Laguérie : Notre position théologique et liturgique fondamentale approuvée par le Saint-Siège en 2006 n’a pas changé depuis notre fondation, fort heureusement. Mais elle a dû prendre en compte, bien sûr, toutes les précisions magistérielles romaines postérieures, avec la joie que vous savez. Tant, sur le plan générique, du discours du pape du 25 décembre 2005 devant la Curie que, sur le plan spécifique, par exemple, de la déclaration du 16 juillet 2007 (l’herméneutique du « Subsistit in ») que j’ai saluée avec enthousiasme (cf. mon blog, blog.institutdubonpasteur.org, 25/07/2007). Quant à la loi liturgique, nous avons reçu comme une bénédiction pour l’Eglise le Motu Proprio du 7 juillet 2007, que vient renforcer l’Instruction Universae Ecclesiae du 13 mai 2011.

Disp. Th. : Comment donc recevez-vous aujourd’hui le concile Vatican II ?

Ab. Ph. L. : C’est simple : nous recevons le texte de tous les conciles, et notamment du concile Vatican II, selon les normes définies par l’Eglise. Les théologiens savent quelles sont ces normes, rappelées dans Lumen Gentium n° 25, et ce qu’elles signifient[1].

Disp. Th. : Pouvez-vous expliciter ces « normes » ?

Ab. Ph. L. : L’IBP reçoit fidèlement les normes du Magistère de l’Eglise. Elles sont traditionnelles. Pour simplifier, l’adhésion à un document du Magistère, même non infaillible, venant de l’autorité suprême, suppose non seulement le respect qui lui est dû, mais requiert en outre une herméneutique de conformité avec la Tradition quant à son interprétation. Cette adhésion due recouvre, par nature, des degrés d’assentiment variable, selon la forme revêtue par le Magistère : définitions infaillibles ou non, magistère ordinaire universel ou non, magistère solennel ou non, etc. ; ou pour résumer, selon que l’Eglise veut obliger ou non tous les fidèles à un assentiment ou une obéissance de foi. Pour Vatican II, on sait qu’il s’agit d’un concile pastoral non contraignant pour la foi (sauf sur les points antérieurement définis), dont la réception authentique est encore en cours ou à venir, comme l’a si bien exprimé S. E. le cardinal Ricard à Lourdes en 2006.

Disp. Th. : N’y a-t-il pas une difficulté, si recevoir le concile, c’est donner son adhésion à un texte dont le sens authentique n’est pas encore fixé ?

C’est en effet la difficulté à laquelle le pape ouvre une voie de résolution. Le sens (certifié par Rome en conformité avec la Tradition) de l’ensemble des textes n’est pas encore totalement connu, car il n’a pas été déterminé en chaque point par l’Autorité Suprême ; la réception du sens authentique du concile reste par conséquent, elle aussi, en suspend sur ces points non élucidés qui ont paru induire une rupture. C’est ce que signifie : « La réception authentique est encore à venir ». Une liberté respectueuse est donc laissée pour interroger de façon critique et non polémique le texte de ce magistère nouveau, voire en proposer une reformulation en continuité avec la Tradition. C’est ce qu’a fait le Saint-Père dans la déclaration précitée (signée du cardinal Lévada) sur le fameux « subsistit in » de Lumen Gentium ch. I, §8. Il n’est plus permis à un catholique de penser que cette expression ne désigne pas l’être et même la permanence dans l’être entre l’Eglise du Christ et l’Eglise Catholique. Et par notre acte d’adhésion fondateur, nous nous sommes engagés, bien modestement mais résolument à travailler dans ce sens.

Disp. Th. : Quelle est votre position quant à « l’herméneutique de rupture » des textes conciliaires, blâmée par le discours du Saint Père du 22 décembre 2005 ?

Ab. Ph. L. : Comme l’ont dit et publié à l’époque plusieurs d’entre nous, conformément à ce discours de Benoît XVI à la Curie (22/12/2005), nous rejetons fermement, à propos des textes du concile Vatican II, « l’herméneutique de la rupture » et le faux « esprit du concile ». Ces postures dialectiques ont majoré l’importance et l’autorité du concile, comme un « super dogme » qui serait « plus important que celui de Nicée » qui définit l’identité de nature entre le Père et le Fils, autrement dit la divinité du Christ ! Elles ont causé des dégâts considérables dans de grandes parties de l’Eglise, avec des interprétations théologiques (faux dialogue interreligieux, refondation de l’Eglise du concile, fausse ecclésiologie, fausse collégialité, fausses théologies de la célébration, de la libération, de la liberté religieuse, etc.) contraires au Magistère et à l’orthodoxie. Avec parfois des réactions symétriques chez les plus ardents défenseurs de l’orthodoxie… Le chapitre 1 de « Lumen Gentium » est composé pour deux-tiers de citations du Nouveau Testament ! Dans sa foi, chaque théologien, chaque fidèle a le droit et le devoir de lire paisiblement dans la « continuité » de la Tradition les textes magistériels de l’autorité suprême, ceux du passé comme ceux à venir. C’est la grande libération du fameux 22 décembre 2005…
Disp. Th. : Qu’est-ce que ce discours de Benoît XVI vous inspire ? A-t-il modifié votre position sur Vatican II ?
Ab. Ph. L. : Ce texte libérateur du Pape Benoît XVI est un discours de réforme audacieuse, qui ramène le texte du concile et son avenir à leurs justes proportions théologiques. Il est antérieur à notre fondation et n’a donc en rien changé la position de notre Institut. C’est plutôt notre Institut qui s’est appuyé sur ce texte magistral. Au fond, le Saint Père invite les théologiens et tous les fidèles à repenser leur attitude par rapport au texte de Vatican II : d’un côté, à ne plus en faire le texte fondateur d’une nouvelle église. Mais pas davantage à en faire un prétexte de rejet global, polémique et systématique, qui serait en rupture avec l’autorité du Saint Père. Personne ne peut nier ou rejeter ce texte : il est là, historique, magistériel. Tant que le sens conforme à la Tradition n’est pas donné d’en haut en tous points, ce concile reste, certes, un texte du Magistère à recevoir, mais sujet à tant d’interrogations interprétatives qu’il est prudent de ne le recevoir qu’au rythme de l’interprétation authentique. Voilà 45 ans que les théologiens les plus divers proposent des interprétations possibles et contradictoires du sens de « Dignitatis Humanae » sur la liberté religieuse. Idem pour « l’Unité spirituelle du genre humain » souvent citée et jamais définie. Etc.…
Disp. Th. : Où vous situez-vous exactement entre ces deux postures symétriques ?
Ab. Ph. L. : Je m’efforce de voir les choses d’un peu plus haut, à l’invitation du Saint-Père. Le « mérite », si l’on peut dire, de l’évènement Vatican II me paraît celui-ci : poser aujourd’hui, avec le recul du temps, les problématiques essentielles de la modernité à la foi traditionnelle, (Même si ces problématiques sont parfois complètement obsolètes : le Net n’existait pas en 1962 et la mondialisation donnée comme inéluctable facteur de paix sur les § 83 à 90 de « Lumen Gentium » a carrément échoué !) Comme disait S.E. le Cardinal Ricard à Lourdes (Cf. sup) « Il faut relire (Vatican II) à nouveaux frais et en retenir ce qui peut l’être ». Il y a du pain sur la planche. Mais attention, le texte touche parfois aux dogmes de l’Eglise, comme en témoignent les trois premières encycliques du Pape Jean-Paul II. Par l’interprétation authentique, par « L’herméneutique de réforme » du texte, qu’il s’agit de relire désormais dans la continuité avec la Tradition, le concile est remis à sa place théologique : non plus un super dogme, mais un texte magistériel composite, rappelant ici la tradition, ouvrant là un espace de recherche, n’obligeant jamais la foi (hormis les points déjà définis) ; mais présentant de sérieuses difficultés d’interprétation : dépassé en certaines parties, soumis sur d’autres à des interrogations critiques fondamentales, ou qui induisent, par les ambiguïtés du texte, des ruptures herméneutiques béantes ; mais qui ouvrent par là même des problématiques passionnantes au Magistère futur. Pour conclure sur ce point, « l’herméneutique de continuité ou de réforme », qui consiste à rechercher un sens au texte en conformité avec la Tradition, vise à réformer, sinon le texte, en tout cas son interprétation et par là même son sens, son importance et sa réception.
Disp. Th. : Sur la question liturgique, comment votre Institut a-t-il reçu l’Instruction Universae Ecclesiae du 13 mai 2007 ?
Ab. Ph. L. : Nous recevons cette Instruction du cardinal Levada comme un document de droit liturgique positif. Il vient à point nommé, pour confirmer, préciser et faire appliquer la loi liturgique universelle posée par le Motu Proprio Summorum Pontificum, rétablissant le droit – jamais abrogé légitimement – du missel de Jean XXIII. C’est un bon document dont nous voyons déjà quelques fruits concernant l’IBP : en France, des évêques nous ont confié sans difficulté deux missions, et ont accepté une nouvelle implantation dans leur diocèse depuis cette Instruction. Alors qu’auparavant, tout semblait plus difficile.
Disp. Th. : Concernant le paragraphe 19 de cette instruction, l’encre a coulé dans la presse (par ex. La Croix) : certains ont voulu y voir une semonce contre certaines communautés traditionnelles…

Ab. Ph. L. : Ces gens feraient bien de relire d’abord le §2 et le §3 de l’Instruction, qui cite le Motu Proprio : « chaque Église particulière doit être en accord avec l’Église universelle, non seulement sur la doctrine de la foi et sur les signes sacramentels, mais aussi sur les usages reçus universellement de la tradition apostolique ininterrompue ». Cette Instruction entend rappeler que la communion des églises locales suppose l’obéissance à la loi liturgique universelle édictée par Rome, et donc au Motu proprio, justement, que beaucoup rechignent à appliquer.
Disp. Th. : Mais n’êtes-vous pas concerné par ce paragraphe 19 ?

Ab. Ph. L. : Tout comme l’ensemble de l’Instruction Universae Ecclesiae, ce paragraphe 19 ne pose aucune difficulté. Supposer d’ailleurs qu’il concerne l’I.B.P. alors qu’il vise d’autres communautés serait une galéjade. Dois-je vous le citer ? « Que les fidèles du Christ qui réclament la célébration selon la forme extraordinaire ne prêtent pas leur concours ou ne donnent pas leur nom aux associations qui attaquent (Impugnent) la validité ou légitimité du Saint-Sacrifice de la messe selon la forme ordinaire, ou encore ne soient hostiles (Sint infensae), de quelque manière, au Souverain Pontife Romain, Pasteur de l’Eglise Universelle ». Puisqu’il s’agit du droit liturgique universel en vigueur, l’IBP atteste la validité théologique et la légitimité canonique des célébrations de la messe et des sacrements dans la "forme ordinaire", conformément à ce paragraphe 19. Ce paragraphe ne porte pas non plus atteinte à notre acte d’adhésion fondateur, qui nous engage encore, de façon constructive, dans le nouveau mouvement liturgique, en vue d’enrichissements possibles du missel de Paul VI souhaités par Benoît XVI lui-même, suivi par un cardinal Burke ou un Mgr Bux.
Disp. Th. : Pourquoi alors ne pas célébrer la "forme ordinaire" ?

Ab. Ph. L. : Si on les reçoit dans l’esprit de l’Eglise, à la lumière du Droit Canon et du Motu Proprio Summorum Pontificum, nos constitutions approuvées par Rome sont très claires. Le décret d’érection de l’Institut du Bon-Pasteur confère à ses membres « le droit de célébrer vraiment comme leur rite propre la Sainte Liturgie en usant des livres liturgiques codifiés par le Bx Jean XXIII en 1962 » (ibidem ; cf. Statuts de l’IBP, Ar.1 §2). Ce droit propre de l’IBP implique l’observance du canon 846 §2 : « Le ministre célèbrera les sacrements selon son rite propre ». Cette disposition générale englobe le missel, le rituel et le pontifical de 1962, ainsi que le bréviaire (Décret d’érection ; Statuts, art.1 §2 ; confirmé par Universae Ecclesiae, §35 ; §§28-32). Ainsi, le charisme propre de l’Institut du Bon-Pasteur garantit concrètement pour ses membres la liberté et le droit d’adhérer à la "forme extraordinaire", qui sont offerts à l’Eglise entière par le Motu Proprio. Et puisque « la forme extraordinaire doit être conservée avec l’honneur qui lui est due » (Universae Ecclesiae, §6), puisque qu’encore le Motu Proprio Summorum Pontificum de Benoît XVI certifie la légitimité du missel de 1962 « jamais abrogé », ce droit propre pour l’IBP est légitime.
Disp.Th. : Quel est alors votre contact avec les célébrations dans la "forme ordinaire" ?
Ab. Ph. L. : De par son charisme propre, les membres de l’IBP célèbrent la liturgie ou y assistent selon l’usage de la "forme extraordinaire". Par rapport à l’assistance selon la "forme ordinaire", notre Institut est soumis au Droit Canon et au Motu Proprio – en tenant compte de la lettre et de l’esprit de nos statuts – et se contente d’en exiger l’observance. Les membres de l’IBP ont donc la liberté d’agir selon la loi générale étant saufs le droit propre (Décret d’érection et CIC c. 846) et la fidélité au caractère propre de l’Institut (CIC c. 578). Dans les diocèses où ils sont missionnés, il est pour eux notamment convenable, selon les exigences démontrées du bien commun, d'accepter les invitations des évêques à être présent aux moments significatifs de la vie du diocèse, par exemple les messes d’ordinations et chrismales qui réunissent autour de son évêque le presbyterium de l’église locale, mais aussi tel pèlerinage, des débats théologiques sur des problèmes actuels…, et surtout des agapes fraternelles entre prêtres ! L’Institut ne « réglemente » en rien au-delà de ses statuts, du droit de l’Eglise et de son Magistère, tout simplement parce qu’il est une œuvre d’Eglise. Fort heureusement d’ailleurs, puisque « l’Esprit vivifie et la lettre tue ». La fidélité à l’Eglise est aussi une question d’esprit. Le pape Benoît XVI a rendu à tous cette « glorieuse liberté des enfants de Dieu », cette « faculté de se mouvoir dans le bien », comme l’appelait le pape Léon XIII.
Disp.Th. : Merci pour cet entretien, M. l’abbé. Une question supplémentaire : quelles sont vos perspectives pour l’Institut ?
Ab. Ph. L. : Au plan concret, les projets en cours exigent, de soi, la plus grande discrétion. En attendant de pouvoir vous en dire plus, Je puis seulement vous annoncer l’installation prochaine d’une maison générale formée. Au cœur de l’Eglise, les services sont variés et il n’en est pas de petit. De la paroisse personnelle à l’aumônerie de malades, en passant par les écoles, les simples missions paroissiales ou les remplacements de confrères…, l’Institut du Bon-Pasteur s’y engage volontiers, selon ses possibilités et se développe humblement, mais sûrement.
Disp.Th. : Observez-vous une évolution du contexte ?

Ab. Ph. L. : Les choses évoluent de façon évidente, trop lentement ou trop vite selon les points de vue. Peu importe, « ça tourne », comme disait Galilée de la terre, que d’aucuns avaient arrêtée à leur guise. L’abondance de la moisson, les contacts personnels qui se multiplient, l’écoute nouvelle des évêques qui répondent à la demande, les avancées romaines (en particulier le document Universae Ecclesiae qui établit la Commission Ecclésia Dei comme « juge » de l’application du Motu Proprio)… Tout concourt à une mutation des esprits et des cœurs qui ouvre le champ à la liturgie traditionnelle, via les « Instituts spécialisés » (comme les appelaient le Cardinal Castrillon-Hoyos), qu’on le veuille ou non. Les années 70 sont bien mortes et les années 90 s’en vont aussi…
Disp.Th. : Et les obstacles, les difficultés ?

Ab. Ph. L. : J’en profite pour rectifier une erreur aussi répandue que funeste. On veut croire que les réticences à notre égard (qui proviennent surtout des inévitables tiraillements internes de notre fondation et non point du positionnement doctrinal de l’Institut, au contraire, comme me le rappelait Mgr Pozzo il y a quelques jours), me mettraient dans l’embarras pour placer des prêtres que nous aurions en surnombre. C’est complètement faux ! Aucun de nous n’est au chômage, je vous prie de le croire et, à la vérité, je ne puis pourvoir à toutes les nécessités, à l’étranger comme en France. La formation sacerdotale, prunelle de nos yeux, et œuvre silencieuse de longue portée, suppose un investissement de nombreux prêtres professeurs à plein temps (actuellement quatre résidents pour six années d’études). Je reporte des missions, bien malgré moi, pour des prêtres qu’on me demande. Nous serions deux fois plus nombreux que la tâche ne manquerait point.
Disp.Th. : M. l’abbé, merci, un mot pour la fin ?

Ab. Ph. L. : Si l’urgence reste de former de bons prêtres, alors confions à la Providence le soin de remplir notre séminaire de belles et nombreuses vocations. L’avenir est là, et non de gémir sur les malheurs des temps. L’Institut du Bon-Pasteur est vraiment une œuvre providentielle et, unique en son genre. Impossible sans le discours du 22 décembre 2005 qui la précède de quelques mois, elle anticipe cependant de quelques mois encore sur la restauration liturgique du Motu Proprio. Merci au pape et à l’Eglise de ce cadeau magnifique qui nous place si près du centre de l’histoire et du cœur de l’Eglise…
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[1] Pour le concile, cf. Concile Vatican II, Lumen Gentium n° 25 ; Cal Periclès Felici, Secrétaire général de ce concile en 1965 ; Code de droit canonique CIC 1983, c. 749, 1-3 ; c. 752 ; Jean-Paul II, Ad Tuendam Fidem, 1998, etc.

jeudi 18 août 2011

Une semaine sur Radio Courtoisie

J'ai l'habitude, dimanches mis à part, de me replier en Bretagne quand arrivent les grosses chaleurs, parce qu'en Bretagne, c'est bien connu, il fait toujours beau mais jamais chaud. Les neurones peuvent donc continuer à fonctionner au sec ! Cette année... Eh bien c'était raté, voilà... A cause du réchauffement climatique, il a fait plus froid que les autres années, que ce soit en Bretagne, à Paris ou un peu partout en France.

C'est pourquoi je passe cette semaine à Paris en toute bonne conscience, les neurones au sec, avec quatre émissions sur Radio Courtoisie. Le jeu en valait la chandelle, non ? S'ajoute à cela (parce que les petits bonheurs ne sont jamais là par hasard) un passage - demain matin vendredi à 7 H - sur Sud Radio (fréquence 99. 9), dans une émission de Robert Mesnard. Thème : Faut-il brûler le pape ?

Sur Courtoisie (95.6 à Paris), où la liberté est incomparable, j'ai pu parler de la Sainte Vierge le 15 août, d'une part avec l'abbé Frédéric Guigain, et d'autre part avec Henry de Lesquen lui-même, le patron. Hier mercredi, j'ai évoqué Jacques Bainville et son nihilisme actif avec Christophe Dickès (l'émission repasse samedi à 18 H).

Ce soir, jeudi, Catherine Rouvier m'a demandé de la remplacer sur Radio Courtoisie. Nous aurons trois heures pour parler de deux sujets : les conversions de musulmans au christianisme et la crise financière comme crise morale. Pour le premier sujet, nous aurons des ùmembres de l'association Notre-Dame de Kabylie et Mathieu Michel un chrétien d'origine iranienne chiite. Puis le Père Gallez, spécialiste des origines de l'islam, viendra parler de la Vierge Marie dans le Coran. Pour le deuxième sujet, Romain Koller, journaliste dans la presse économique et Maxence Hecquart (auteur d'un livre magistral : Les fondements philosophiques de la démocratie moderne, dont le dernier chapitre est consacré... à la crise financière).

Bref du pain sur la planche. J'oubliais : sur cette radio les auditeurs ont la parole au 46 51 00 85.

mardi 16 août 2011

Joris Karl Huysmans : Le Roman de Durtal

"... nous n'avions point en ces temps,
honnis par les imbéciles, le bégueulisme..."
Il y a quelques années, les Editions Bartillat ont regroupé quatre romans de Joris Karl Huysmans – en un volume unique, sous le titre du Roman de Durtal. C’est ma principale lecture d’été, que je voulais vous faire partager. Voici ce qu'en dit libertepolitique.com
[…] Quatre romans tracent [l’]itinéraire [de Durtal]. Son attirance pour le Moyen Âge, son goût du bizarre et du fantastique, conduisent Durtal, dans Là-Bas, à fréquenter les cercles sataniques contemporains — mais il se révolte devant leur bassesse et leur puérilité, pour se tourner vers l'Église. En Route l'envoie à la Trappe. C'est la conversion, le grand chambardement de l'âme, dans le calme extérieur de l'abbaye silencieuse. Avec La Cathédrale Durtal se pose à Chartres dont il scrute, avec une science formidable, le symbolisme. Désormais chrétien, il cherche sa voie à l'ombre d'une église pleine de sens. Ici les poèmes en prose dont sont faits les romans de Huysmans, atteignent leur sommet. La Cathédrale est une débauche de tableaux magnifiques, très précis et traversés de visions étourdissantes. L'Oblat clôt le cycle sans résoudre la question du chemin à suivre, de la vocation. Dans cet hymne à la liturgie, sans pareil dans tout ce qui a été écrit, Durtal est reçu comme oblat de Saint-Benoît, mais la loi sur les congrégations force à l'exil sa communauté et le renvoie, seul, à Paris, sans objet. […]
… et voici quatre extraits du Roman de Durtal, pris parmi 1.000 possibles :
page 247 - Là-Bas
— Fous ! et pourquoi ? — Le culte du démon n’est pas plus insane que celui de Dieu ; l’un purule et l’autre resplendit, voilà tout ; à ce compte-là, tous les gens qui implorent une divinité quelconque seraient déments ! Non, les affiliés du satanisme sont des mystiques d’un ordre immonde, mais ce sont des mystiques. Maintenant, il est fort probable que leurs élans vers l’au-delà du mal coïncident avec les tribulations enragées des sens, car la luxure est la goutte-mère du démonisme. La médecine classe tant bien que mal cette faim de l’ordure dans les districts inconnus de la névrose ; et, elle le peut, car personne ne sait au juste ce qu’est cette maladie dont tout le monde souffre ; il est bien certain, en effet, que les nerfs vacillent dans ce siècle, plus aisément qu’autrefois, au moindre choc. Tiens, rappelle-toi les détails donnés par les journaux, sur l’exécution des condamnés à mort ; ils nous révèlent que le bourreau travaille avec timidité, qu’il est sur le point de s’évanouir, qu’il a mal aux nerfs, lorsqu’il décapite un homme. Quelle misère ! Lorsqu’on le compare aux invincibles tortionnaires du vieux temps !
page 600 – En Route
Récitée, dès l’aube, Prime figurait l’adolescence ; Tierce la jeunesse ; Sexte la pleine vigueur de l’âge ; None les approches de la vieillesse et les Vêpres allégorisaient la décrépitude. Elles appartenaient d’ailleurs aux nocturnes et elles se psalmodiaient jadis à six heures du soir, à cette heure où, au temps des équinoxes, le soleil se couche dans la cendre rouge des nuées. Quant aux complies, elles retentissaient, alors que, symbole du trépas, la nuit était venue. Cet office canonial était un merveilleux rosaire de psaumes ; chaque grain de chacune de ces heures se référait aux différentes phases de l’existence humaine, suivait, peu à peu, les périodes du jour, le déclin de la destinée, pour aboutir au plus parfait des offices, aux Complies, cette absoute provisoire d’une mort représentée, elle-même, par le sommeil !
page 706 – La Cathédrale
Songez que Chartres est le premier oratoire que Notre-Dame ait eu en France. Il se relie aux temps messianiques, car bien avant que la fille de Joachim ne fût née, les Druides avaient instauré, dans la grotte qui est devenue notre crypte, un autel à la « Vierge qui devait enfanter » « Virgini Pariturae ». Ils ont eu, par une sorte de grâce, l’intuition d’un Sauveur dont la Mère serait sans tache : il semble donc qu’à Chartres, plus que dans tout autre lieu, il y ait de très vieux liens d’amitié avec Marie ; l’on comprend dès lors que Satan se soit entêté à les rompre.
— Savez-vous, fit Durtal, que cette grotte a été préfigurée dans une annexe, humaine, quasi officieuse, de l’Ancien Testament. Dans sa « Vie de Notre Seigneur », l’admirable voyante que fut Catherine Emmerich nous signale, à proximité du Mont-Carmel, une grotte et un puits près desquels Elie aperçut une Vierge ; c’est à cet endroit, dit-elle, que les Juifs, qui attendaient l’arrivée d’un Rédempteur, se rendaient, plusieurs fois par an, en pèlerinage.
N’est-ce pas l’image de la grotte de Chartres et du puits des Saints Forts ?
Page 1165 – L’Oblat
[…] l’origine de ces parodies était liturgique. L’âne était honoré à cause de l’ânesse qui parla et fut, en quelque sorte, cause, par ses remontrances, que Balaam énonça, devant le roi des moabites, sa célèbre prophétie sur la venue du messie. L’espèce asine, qui fut une des annonciatrices du Christ, l’assista dès qu’il fut né, près de la crèche, et le porta en triomphe, le jour des palmes ; elle avait donc sa place toute marquée dans l’anniversaire de Noël.
Quant à la festivité des fous, elle s’appela de son vrai nom la festivité du « Deposuit » par allusion au verset du magnificat « Deposuit potentes de sede » . Elle avait pour but d’abaisser l’orgueil et d’exalter l’humilité. Les évêques, les prêtres n’étaient plus rien, étaient comme déposés, ce jour-là. C’était le peuple, les machicots et les clercs de matines, qui étaient les maîtres et ils avaient le droit, dont ils usaient, de reprocher aux religieux et aux prélats, leurs prévarications, leurs simonies, leurs péchés d’exception, d’autres encore, peut-être. C’était le monde renversé ; mais, en tolérant jusqu’au moment où elles dégénérèrent en pures farces, ces parades revendicatrices, l’église ne fit-elle pas preuve de condescendance et de largeur d’esprit, ne montra-t-elle point, en souriant de ces folies, combien elle était indulgente pour les petits et combien elle était contente de les laisser s’alléger de leurs griefs, en rendant, eux-mêmes, la justice, avant que de se divertir?

dimanche 14 août 2011

Emotion au Centre Saint Paul

Ca y est : Joseph et Georges sont baptisés ! Deux hommes de 30 et 60 ans originaires de l'islam et habitant le Maghreb sont devenus enfants de Dieu par le baptême au Centre Saint Paul. Pour les soutenir, il y avait tout le groupe de prière de Villejuif que je salue et des religieuses ayant travaillé en Algérie, dont l'une était marraine.

Nous savons que ces deux personnes prennent un risque car la liberté religieuse n'existe pas dans leurs pays. Elles prennent ce risque pour le Christ, en bousculant notre tiédeur de chrétiens installés et en nous rappelant la beauté de notre propre baptême. Le baptême nous a vacciné contre la peur et nous l'oublions ! Je me souviens de mon vieil ami Pierre Ordioni, qui se disait si proche spirituellement de Port-Royal et qui m'avait dédicacé l'un de ses livres (Une jeunesse pour l'éternité) avec cette formule de Saint-Cyran : "Aller où Dieu mène et ne rien faire lâchement".

Aller où Dieu mène ? Cela faisait 40 ans que Joseph attendait ce moment... Dieu mène nos vie invisiblement. Rien n'est jamais pour rien. Il faut croire à la grâce qui est plus grande que nous. "la grâce de Dieu c'est la vie éternelle" dit saint Paul en une parole profonde. Donner le baptême, c'est donner la grâce... pas à un groupe, pas à une assemblée. A une personne.

Ne rien faire lâchement ? Le moment venu, il faut être capable de se jeter à l'eau. Tant de gens ne savent pas choisir. On fait les choses lâchement quand on les fait à moitié, sans prendre les situations à bras le corps. On fait les choses lâchement quand on laisse la peur dominer le champ de notre psychisme... Nous ne voulons pas nous l'avouer, mais c'est tellement fréquent !

Le prêtre n'est que le témoin de la fécondité du don de Dieu qui bannit la peur. Je pense qu'invisiblement une nouvelle génération de chrétiens est en train de se lever, peu nombreuse, mais décidée, venant de tous les horizons, ayant fait le choix du Christ et prête à en découdre pour faire aimer ce choix.

L'un des enjeux des JMJ à Madrid est de rendre visible ce choix enthousiaste à travers le pape, devenu l'espace de quelques jours curé des jeunes de l'univers. Le plus jeune de nos deux baptisés sera à Madrid dans les prochains jours. Immense émotion pour lui, me dit-il : désormais il fait partie de la famille. Il espérait cela depuis plusieurs années sans voir comment cela pourrait devenir possible. C'est fait ! Tout commence pour lui. C'est ce qu'il me dit : dans son pays d'origine, on lui a fait passer plusieurs années de catéchuménat en lui disant "plus tard", comme si le baptême était une fin. Une sorte de récompense.

Mais non ! Le baptême c'est le commencement de notre métamorphose méta-physique. Nous étions des mammifères supérieurs. Nous devenons des fils et des filles de Dieu à l'image du Christ. Dans le Coran me dit Joseph, Dieu est le créateur de tout, mais il est incapable de devenir père : c'est vraiment absurde, conclut-il ! Il a bien compris que pour aspirer à cette métamorphose qui, seule nous sort de l'athéisme, il suffit de s'adresser à Dieu comme à... Notre Père.

samedi 13 août 2011

Demain la fin du monde

Non, rassurez-vous, je n'ai pas viré Apocalypse now. Mais je viens de voir le film de Lars von Trier Melancholia et je désire vous faire partager mon admiration pour cette œuvre d'art, centrée sur... la fin du monde.

Oui, je sais Lars n'est pas fréquentable. il a d'ailleurs en 2009 reçu un antiprix du Jury œcuménique de Cannes, tellement son film Antichrist, dans lequel jouait une Charlotte Gainsbourg sulfureuse, était apparu aux chrétiens comme dépassant les bornes des limites... Cette année, sa petite provocation sur Hitler dans l'ambiance ouatée du Festival, ne contribuera pas à le rendre plus fréquentable. Pensez : le grand patron, Gilles Jacob, pour le punir, l'a purement et simplement interdit de festival, lui qui est un des plus puissants réalisateurs d'aujourd'hui... Gageons que c'est une première dans l'histoire de la Croisette.

Mais enfin, tout cela mis à part, reste que son film Melancholia est un grand film sur le nihilisme européen.

Il y avait naguère des fables métaphysiques. Ingmar Bergmann était un spécialiste de ce genre plutôt froid et Bergman est certainement un maître pour Lars von Trier. Je crois que notre homme perfectionne le dispositif, en proposant ce que j'appellerais une fiction métaphysique, non pas un conte surréel, mais une situation qui relève de la science fiction : le choc entre la terre et un astéroïde énorme, Melancholia. Situation purement hypothétique et qui relève elle-même d'une sorte de conte : à part les effets spéciaux, rien ne vient étayer cette hypothèse d'une "planète" (c'est le mot du film) heurtant la terre. Cette collision, de plus, est vécue comme une sorte de huis-clos, dans un château scandinave, loin de tout, par une famille, trois adultes et un enfant, sans aucun lien avec le monde extérieur, sinon Internet, sur lequel on lit seulement cette manchette : Melancholia, danse de la mort avec la terre. Dans cette fiction métaphysique la vraisemblance importe peu ; ce qui compte c'est le huis-clos. Le face-à-face avec la mort, avec le mal, avec la disparition de tout, avec le néant. Voilà le vrai sujet du film.

C'est ce qui explique la première partie, qui est une longue cérémonie de mariage, commençant de manière dérisoire dans une de ces voitures de place immense dont la manœuvre est difficile. Ce mariage est une première parabole du néant : nothing dira la mariée, Justine - éblouissante Kirsten Dunst, prix d'interprétation féminine. Clôturant de façon magistrale cette improbable soirée, elle règle son compte à son beau-père et employeur. Vous êtes Nothing. Le marié, lui-même, sorte d'ectoplasme aimant et mimétique, est d'ailleurs tout aussi insignifiant que son père dans un autre registre... Et on devine, derrière cette double condamnation, une sorte d'arrêt de mort signifié à l'homo festivus festivus dont parlait Philippe Muray, cet individu qui ne pense qu'à faire la fête, le consommateur modèle. La mélancolie de Justine provient d'une perception profonde de cette vanité de la société du spectacle (elle est elle-même publicitaire : ce n'est pas pour rien).

Dans la deuxième partie, on retrouve le personnage de Justine, au comble de la dépression. Et surtout on va assister en direct à la fin du monde. Justine est revenue chez sa soeur Claire qui vit dans le chateau où a eu lieu le mariage, avec son mari et un enfant. Claire porte Justine à bout de bras. Elle la fait monter à cheval et même se laver. Justine semble s'enfoncer dans la crasse de ce monde. Elle peut à peine marcher et ne retrouve un peu de tonus qu'avec son jeune neveu, le fils de Claire Léo. O melancholia ! Et puis, stupeur, plus la Planète bleutée se rapproche, plus la dépressive va bien. Et c'est au tour de sa soeur de sombrer non dans la dépression, mais dans l'angoisse.

Comment accueillir la mort ?

Claire, grande organisatrice du Mariage raté de sa soeur Justine, propose d'organiser la mort. On pourrait, on pourrait... boire un verre de vin (have a cup of wine) en chantant la IXème symphonie. - Sheet ! Ta solution est merdique... lui répond sa soeur métamorphosée par la gravité des circonstances, enfin à la hauteur de sa dépression, c'est-à-dire de sa lucidité. Dans un instant, c'est elle qui construira à l'intention de son jeune neveu, la cabane magique, ultime refuge des sentiments religieux de ces êtres nihilistes, dans laquelle ils attendront le choc bleuté du néant.

Le mari de Claire, lui, a déjà choisi. Après avoir multiplié les propositions rassurantes et scientifiques auprès de sa femme, il s'est suicidé sans prévenir en absorbant la boîte de somnifère que Claire avait rapporté par précaution. Après son départ brusqué, il n'y a plus d'hommes pour faire face. Ce film est un film de femmes, qu'on se le dise ! Il nous donne le choix entre deux paroxysmes féminins - Marthe et Marie dans l'Evangile de Luc : d'un côté, l'anxiété pour faire face à toutes les urgences de l'existence concrète (en oubliant trop souvent l'essentiel). Dans le film Marthe c'est Claire, la sœur attentionnée et gonflante. Et de l'autre côté, la lucidité contemplative, qui se termine en rêve ou en dépression : c'est Justine. Une Marie Madeleine laïcisée et profanisée.

Tout se passe comme si, Lars von Trier, en quête d'un nihilisme sublime, contrastant avec le nihilisme plouc dans lequel se vautre l'Occident, avait voulu dans ce film consulter l'éternel féminin dans le secret de ses paroxysmes. En nous imposant le Tristan et Isolde de Wagner, il nous offre une quête du sublime, qui n'est au fond une fois encore qu'un pâle démarquage de l'Evangile. Mais il me semble qu'il suffit de le remettre à l'endroit, de toucher du doigt la vacuité de ce romantisme du néant, pour découvrir dans cette parabole sur la fin du monde quelque chose de l'Evangile éternel dont parle l'Apocalypse : l'urgence de la question du salut, hors de laquelle tout est rien. Voilà en quelque sorte la vérité de Lars von Trier.

vendredi 5 août 2011

Réponse à Beauceron le théologien

Il s'agit encore de la légitimité de la messe nouvelle. Beauceron, dans un post récent sur le Forum Catholique, nous apprend que le terme se trouve dans l'Indult de 1984 en faveur de la Messe traditionnelle. J'en suis vraiment très heureux. cela signifie que, lorsque j'ai produit ce terme, dans les discussions houleuses du Forum Catholique il y a trois ans, j'étais sans le vouloir ni le savoir dans la droite ligne de la Pensée romaine. Merci à Beauceron de souligner ce point !

Mais pourquoi diable (je vois les cornes !) aller dire que "la légitimité du NOM n'est que canonique" ? Comme si le mot "légitime" renvoyait simplement à une légalité de papier... Certes l'abbé Laguérie parle lui-même , en obiter dictum, de légitimité canonique. Mais il ne se donne pas le ridicule d'écrire, comme Beauceron le théologien, que "la légitimité du NOM n'est que canonique". Je tiens à le dire en son nom, car nous en avons souvent parlé ensemble. Dans une problématique théologique, l'abbé Laguérie n'exclut pas ce que Pascal appelait la vérité contraire qui est, ici, en l'occurrence, non celle de la légalité seulement mais celle des principes du droit. Parler de "légitimité" c'est remonter non pas seulement au droit positif (toujours changeant, même dans cette société de droit divin qu'est l'Eglise), mais aux principes du droit, et en l'espèce au principe imprescriptible de l'indéfectibilité de l’Église promulguant des lois liturgiques. Ce point n'est en rien changeant, il ne relève d'aucun droit "positif", fût-ce le droit canon, puisqu'il est l'une des sources ou, si vous voulez, l'une des raisons de la force de ce droit canon.

Quelle est la différence entre légitimité et légalité ? Ou bien quelle est la différence entre légitimité tout court et légitimité uniquement canonique (c'est-à-dire légalité encore une fois) ? La légalité est toujours discutable, puisqu'elle n'est après tout qu'une application dans le temps et dans l'espace de principes intemporels. Quant à la légitimité, en tant que telle, elle n'est pas discutable, puisque ce sont ces principes eux-mêmes qui s'y expriment.

Mais qu'est-ce qui est indiscutable ? Veut-on dire qu'il est impossible de critiquer la nouvelle liturgie parce qu'elle est légitime ? C'est tout le contraire. C'est dans la mesure où on reconnaît le Nouvel Ordo comme légitime, c'est-à-dire comme une loi de l’Église catholique, que l'on peut le critiquer en tant que fils de l'Eglise, d'une critique valide et qui atteint son but. Tant que nous ne l'avons pas reconnu comme légitime, notre critique tombe à faux. Et nous sommes à côté du sujet. Je signale par exemple que le cardinal Ottaviani, qui a signé le fameux Bref examen critique du NOM, a célébré ce Nouvel Ordo qu'il avait critiqué. Aujourd'hui, Rome accorde le fait objectif qu'il n'est pas nécessaire de célébrer ce rite pour en reconnaître la légitimité. C'est toute la force des statuts de notre Institut du Bon Pasteur que de nous accorder "l'usage exclusif" de la forme extraordinaire. Mais c'est bien parce que nous reconnaissons la légitimité du NOM qu'une telle clause a pu être signée.

Que critiquons nous en effet ? Un simple rite religieux ? Un ensemble de signes et de gestes sacrés ? Un groupe de textes spirituels ? Non,bien sûr. Ce que nous critiquons, c'est la manifestation du dogme catholique de l'eucharistie dans une cérémonie catholique, qui est aujourd'hui la forme la plus courante de la liturgie catholique. Rien moins. Et il faut que nos critiques prennent en compte cette circonstance... qui d'une certaine façon est une circonstance aggravante, et qui, d'un autre point de vue, parce que nous sommes des fils, et dans la mesure où nous sommes des fils nous oblige à couvrir la nudité liturgique de notre mère du Manteau patriarcal.

Le respect du Nouvel Ordo (qui inclut sa célébration correcte par ceux qui la pratiquent) n'est jamais quelque chose de facultatif : voilà ce que nous enseigne d'abord la légitimité de ce rite, qui, en tant que légitime, n'est pas et ne peut pas être un rite "intrinsèquement pervers" comme je l'entendais à Ecône naguère.

Et en même temps, parce qu'il s'agit d'un rite catholique, nous devons marquer avec d'autant plus de force trois points inquiétants : d'abord les multiples formes qu'autorise le nouveau Missel, en particulier à cause de la célébration de l'ensemble de la messe versus Populum et en langue vernaculaire ; ensuite la relativisation ou l'omission encouragée ou permise par les rubriques rénovées de rites et de signes sacrés manifestant le respect de la Présence substantielle du Christ ; et enfin la légèreté doctrinale de certains textes, même des textes dits à chaque messe comme le nouvel Offertoire. Tout cela constitue autant de dangers mortels pour la continuité de l’Église. La pratique "en rupture" de la liturgie nouvelle est toujours condamnable et elle l'est avec la dernière énergie. Benoît XVI insiste pour que la pratique de la liturgie nouvelle se fasse dans la continuité de la forme traditionnelle. Avez-vous remarqué que dans les centres spirituels les plus dynamiques, où la pratique religieuse est la plus élevée, c'est déjà largement le cas ? Le mouvement en ce sens s'accélère d'ailleurs chaque année.

Le Bref Examen critique (qui fut rédigé rappelons le par Mgr Guérard des Lauriers avant d'être soutenu par Mgr Lefebvre) avait pénétré les faiblesses du rite nouveau d'une manière quasi-prophétique. Il nous appartient de porter sereinement cette vieille critique qui n'a pas pris une ride in facie Ecclesiae, en nous souvenant de ce mot de Pascal : "Jamais les saints ne se sont tus".

Ecole traditionaliste sous contrat: à partir de 40 euros par mois

Très intéressant article sur le site de la FSSP au Québec: l’abbé Loddé y annonce son retour en France, il succède à un laïc, Yann de Caqueray, à la direction de L’Espérance. L’Espérance est un établissement catholique traditionnel vendéen, qui accueille des élèves de 6 à 18 ans – dont la plupart en internat. Sa particularité est d’être sous contrat. L’avantage, explique l’abbé Loddé, est que «les professeurs sont payés par la République française, ce qui évite aux familles de se ruiner». De fait: la demi-pension y est de 40 euros par mois – une somme symbolique comparée à ce que demandent les autres établissements du même type, mais hors contrat.

L'inconvénient est que l’école n’est pas «totalement libre dans le choix des professeurs et des programmes». Entendons-nous bien: une école sous contrat n’est jamais tenue d’embaucher une personne dont elle ne voudrait pas - cependant ses professeurs doivent avoir certains diplômes. Les programmes maintenant: L’abbé Loddé déplore: «Nous sommes parfois obligés d’enseigner des contre-vérités» mais affirme aussitôt pouvoir «rectifier» - pour le plus grand profit des élèves: «un jour ou l’autre ils entendront des idées contraires aux leurs : autant que ce soit des gens bien informés qui leur expliquent et leur disent tout de suite le danger de certaines idéologies».

Il y a sans doute là un exemple à étudier, une expérience à partager, pour permettre aux établissements traditionalistes de s'ouvrir au plus grand nombre de familles.

MAJ
  • On me signale l'inquiétude d'une dame quant au recrutement des enseignants. Elle croit savoir que: "sous contrat [et] lorsqu'il n'y a pas le choix, le directeur est tenu d'engager le professeur qui se présente avec les diplômes requis, qu'il soit agnostique ou musulman". Je répète qu'une école n'est jamais obligée de recruter quelqu’un dont elle ne veut pas. En l'absence de candidats satisfaisants, elle peut renoncer à une nouvelle embauche - notez que les écoles hors contrats sont exactement dans le même cas... et connaissent les mêmes difficultés de recrutement.
  • Les diocèses n'ont pas le monopole de l'enseignement catholique sous contrat. Les normes qu'ils posent ne concernent que les établissements qui relèvent d'eux. Des écoles existent qui dépendent directement de congrégations. Dans le cas présent, l'école dépendra directement de la FSSP.

jeudi 4 août 2011

Désir de Dieu

Ce n'est jamais impunément que l'on promène ses yeux, en laissant vagabonder son coeur, dans la grande oeuvre de Bossuet. Je suis tombé à l'instant sur son Premier sermon pour la fête de la Visitation et plus précisément sur le deuxième point de ce sermon, consacré entièrement au désir de Dieu : quelles beautés ! Bossuet s'adresse à des religieuses (mon édition ne précise pas lesquelles et si c'était à Meaux dans son diocèse - dans la communauté de Faremoutiers par exemple où il avait des dirigées, ou à Paris). Mais une chose est certaine : c'est quand il s'adresse à des femmes, à des religieuses, que Bossuet est le plus profond, j'ai envie de dire, pour simplifier : le plus "mystique".

Que dit Bossuet de ce désir ? Qu'il n'existe pas, qu'il est trop faible, qu'il semble même faire violence à la nature comme une lumière trop ardente ébloui les yeux. Nous avons tellement l'habitude, dans les productions théologiques contemporaines, que l'on nous assène ce désir naturel, que l'on s'extasie devant la bonté de l'homme, faite pour Dieu, que l'on nous inflige une pastorale du bonheur, toujours trop simple : si pour être heureux, il suffisait d'aimer Dieu, cela se saurait !

Attention : Bossuet ne nous dit pas le contraire. Il ne nous dit pas que Dieu ne fait pas le bonheur de l'homme. Il ne nous dit pas que l'homme n'est pas fait pour Dieu et pour porter sur lui son désir, j'allais dire: tout naturellement. Mais il dit tout cela avec d'infinies précautions. Et surtout, en bon disciple de saint Augustin, "ce grand homme" comme il dit, il rattache le désir de Dieu au désir de vérité. Désirer connaître le fin mot de notre présence sur cette Planète et désirer Dieu, c'est la même chose.

Mais alors quel est le problème ? Qu'est-ce qui fait que l'on ne peut pas se livrer avec ivresse aux promesses dorées de la pastorale du bonheur ?

C'est que la vérité, personne n'en veut. Celui qui la dit ? Il doit être exécuté, comme dans la chanson. Ici, Bossuet n'est pas aussi dur : il parle à des soeurs. Mais il analyse notre peu d'envie devant la vérité, avec une grande précision psychologique et scripturaire. Il est temps que je lui laisse la parole.

"Nous avions premièrement perdu la lumière. Le soleil de justice ne nous luisait plus. Non seulement nous l'avions perdue, mais nous en avions même perdu le désir, et nous aimions mieux les ténèbres" (cf. Jo 3, 19). Nous en avions non seulement perdu le désir, mais nous nous plaisions tellement dans l'obscurité, l'ignorance de la vérité nous était de telle sorte passée en nature que nous craignions de voir la lumière ; nous fuyions devant la lumière : nous haïssions même la lumière, car "celui qui fait le mal hait la lumière" (Jo 3, 20). D'où nous venait cet aveuglement ou plutôt cette haine de la clarté ? Il faut que saint Augustin nous le fasse entendre ; en remarquant certains rapport de l'entendement aux yeux corporels, et de la lumière spirituelle à la lumière sensible. Les yeux ont été faits pour voir la lumière ; et tu as faite (sic) l'âme raisonnable pour voir la vérité éternelle qui "illumine tout homme qui naît au monde" (Jo 1). "Les yeux se nourrissent de la lumière" dit saint Augustin ; et "ce qui fait voir, poursuit ce grand homme, que la lumière les nourrit et les fortifie, c'est que s'ils demeurent trop longtemps dans l'obscurité, ils deviennent faibles et malades". Et cela pour quelle raison, si ce n'est, dit le même saint, qu'"ils sont privés de leur nourriture et fatigués par un trop long jeûne". D'où il arrive encore un effet étrange, c'est que si l'on continue à leur dérober cette nourriture agréable [la vérité] : ou vous les verrez enfin défaillir, manque d'aliment [on peut penser aux tentations suicidaires qu'engendre le nihilisme consumériste] ou, s'ils ne meurent pas tout à fait, ils seront du moins si débiles, qu'à force de discontinuer de voir la lumière, ils n'en pourront plus supporter l'éclat [ça c'est l'hébétude spirituelle qui saisit le premier consommateur venu] ; ils ne la regarderont qu'à demi, d'un oeil incertain et tremblant. A rendez-nous diront-ils notre obscurité ; ôtez-nous cette lumière importune. Ainsi la lumière qui était leur vie est devenue l'objet de leur aversion".

Il n'y a de désir véritable de Dieu que celui qui prend en compte cette aversion possible. Il n'y a de désir véritable que ce désir qui n'est pas un désir moyen ou un désir "à demi". Le vrai désir de Dieu n'est pas compatible avec "ce regard incertain et tremblant" que nous jetons sur l'Evangile lorsque nous avons tout essayé. Il nous faut commencer par enlever les obstacles, par balayer les fausses raisons de notre ignorance si nous voulons nous établir en Dieu. Cela ne va pas de soi. Le désir de Dieu ne va pas de soi. Quelle force nous permettra de sortir de nous-mêmes et de cette confortable ignorance quant à notre destinée dans laquelle nous nous calfeutrons ? Une force venue d'ailleurs, que nous aurons accueillie. Une grâce, qui transforme notre "oeil incertain et tremblant", en nous donnant "en toute choses" ce "coup d'oeil", cette "compréhension" dont parlait saint Paul à Timothée (voir message précédent).

A propos de ce goût du mot juste, je suis heureux : en visite hier chez ma soeur, j'ai pu vérifier le texte grec de II Tim. 2, 7 : comme d'habitude le latin en est un assez bon calque. In omnibus, dit le latin. En Pasin dit le grec. Quant au mot "intellectum", il renvoie au grec sunesis, employé par saint Paul : non pas une science, mais bien une compréhension ponctuelle, quelque chose comme un coup d'oeil. Je pense à l'impertinence jaillissante de la jeune Jeanne d'Arc, 19 ans, devant ses juges... Sunesis... Le coup d'oeil qui permet à cette illettrée de contrôler la situation et de ridiculiser les 50 docteurs à bonnet carré que l'on avait invités à la juger.

L'impertinence de Jeanne est un don du Saint Esprit : le don d'intelligence, sunesis en pasin. Celui là même que Paul souhaitait à la jeunesse de son disciple Timothée...

mardi 2 août 2011

L'exactitude des mots

L'exactitude des mots a mauvaise réputation. D'instinct, ce petit roi du monde, qui dort en chacun d'entre nous, murmurera contre cette obligation qu'on lui représente, ou bien il s'écriera, comme naguère Roland Barthes : "le langage est fasciste". Ce disant justement, il donne un exemple magnifique de l'inexactitude d'une pensée qui se repose sur le flou des termes qu'elle emploie. Que signifie "fasciste" dans un tel jugement ? Au lieu de mettre le langage à son service, celui qui prononce des mots sans les maîtriser ne se rend pas compte qu'il se met lui-même au service d'un langage qui, aujourd'hui, ne sert plus tant à communiquer les uns avec les autres, qu'à communier tous dans le même flou, dans les mêmes déclamations, dans une même non-pensée unique, faite de "noms communs", sans signification précise.

Cette exactitude des mots est particulièrement importante dans l'étude de la sainte Ecriture. Et pourtant, là encore, justement là, elle a vraiment mauvaise réputation. Qui scrute les termes de l'Ecriture se voit rapideent traité de "fondamentaliste", comme si la recherche d'u ne intelligence précise de la langue de Dieu parmi les hommes avait quelque chose à voir avec le juridisme étroit que l'on appelle à bon droit fondamentalisme. Encore un mot valise ! Encore un jugement qui nous fait perdre du temps !

Dans la messe d'aujourd'hui, l'extrait de la IIème Epitre à Timothée (2, 1-7) que l'on lit en l'honneur de saint Alphonse de Liguori me fournit un exemple caractéristique. Dans le Lectionnaire français qui fut classique dans les années 50, on lit pour le dernier verset de cet extrait : "Le Seigneur lui donnera l'intelligence de toutes choses". Proclamant cela, j'ai tout de suite senti l'hyperbole. L'emphase qui sonne faux. J'ai vérifié sur le texte latin (dans ma Bretagne, je n'ai pas le grec) : In omnibus intellectum. "En toutes choses l'intelligence". Seule une préposition change : "en" au lieu de "de". Mais cela change tout !

C'est au Ciel que le Seigner nous donnera - et selon notre désir qu'il nous faut donc affûter sur la terre - l'intelligence DE toutes choses. Pour le moment, il serait bien vain d'y prétendre. Si saints que nous puissions être, nous restons des ignorants. Nous sommes face à l'Infini divin comme les médecins de Molière avec leur courte vue : "ignorantus, ignoranta, ignorantum". Non le Seigneur, si bon soit-il, ne nous donnera pas l'intelligence de toutes choses. Adam et Eve y ont aspiré, en mangeant le fruit de l'arbre de la connaissance et l'on voit ce que cela a pu donner : le péché originel, par lequel ils ont été chassés de ce lieux paradisiaque où Dieu a voulu qu'ils fassent l'expérience "chimiquement pure" de leur liberté.

Mais alors que dit saint Paul à Timothée ?

"Le Seigneur de donnera la compréhension [intellectum] en tout [en tout événement, en toutes circonstances, en toutes situations]". Il ne s'agit pas d'une gasconnade de saint Paul, qui d'ailleurs, historiquement, ne s'est jamais aventuré au sud de Bordeaux (même s'il est sans doute allé plus au sud : en Espagne).

La science chrétienne n'est pas une gnose universelle, mais une gnose dans la situation, dans le "kairos", sur le moment. Celui qui vit de la foi n'est jamais pris au dépourvu. En donnant au jeune Timothée des responsabilités qui paraissent sans doute écrasante à son jeune âge, en en faisant par l'ordination et "l'imposition de ses mains" [mais non par je ne sais quel miracle biologique] un ancien (presbyteros), en l'instituant gardien ou surveillant (episcopos) d'une partie du troupeau, Paul avertit Timothée, non pas qu'il va recevoir je ne sais quelle science infuse, mais qu'il acquiert, ipso facto, ex opere operato, une maturité, un recul, une science de la vie, sur laquelle il peut tranquillement compter pour faire paître le troupeau.

Cette science là, cette intelligence de la vie, nous l'avons tous reçue, autant que nous en avons et en aurons besoin. C'était à notre baptême... au moins si nous sommes baptisés ; et nous l'acquérons, cette science de la vie, par le désir saint du baptême, si nous n'avons pas encore reçu ce sacrement. Loin d'être une hyperbole paulinienne, la promesse de Paul, bien comprise, dans l'exactitude des mots qu'il emploie, est pour chacun d'entre nous un splendide viatique, une provision que nous portons toujours avec nous, dans la foi, à travers les déserts que l'existence nous fait traverser.

C'est ce que les Livres sapientiaux appellent déjà : legem vitae et disciplinae, la loi de vie que contient l'enseignement (disciplina) divin.

lundi 1 août 2011

Une charte pour l'IBP

C'est une véritable charte pour l'Institut du Bon Pasteur que vient d'édicter M. l'abbé Laguérie sur le site de Disputationes theologicae, auquel je vous renvoie. L'événement est considérable... Sans langue de buis, notre Modérateur entend fixer clairement les principes d'action de notre Institut dans la soumission au magistère authentique du pape Benoît XVI sur les questions encore brûlantes pour beaucoup à "droite" et à "gauche" dans l'Eglise, du Concile Vatican II et, pour reprendre un mot que j'ai beaucoup utilisé il y a trois ans et que l'on retrouve dans Universae Ecclesiae, de la légitimité de la réforme liturgique.

Nous avions beaucoup discuté entre confrères de la nécessité de cette charte, face à certaines "rumeurs", parfois épiscopales hélas. Depuis longtemps, j'ai milité pour ce texte, qui pourrait d'ailleurs, dans un autre format, donner un signal pour l'ensemble des Communautés Ecclesia Dei, avec lesquelles certains évêques français ne sont pas tendres. Procès d'intention de ma part ? J'aurais aimé que c'en soit un, pour le disqualifier. Mais j'ai encore eu entre les mains récemment le témoignage écrit d'un évêque de la banlieue parisienne qui tentait de jeter la suspicion sur notre communauté comme sur l'ensemble des communautés Ecclesia Dei à ce sujet. La tâche de clarification que mène l'abbé Laguérie et que je ne commente pas, mais à laquelle je vous renvoie, est ainsi tout à fait capitale. Il s'agit de montrer que les enfants de lumière, d'où qu'ils viennent, n'ont pas peur de la lumière qui vient de Rome aujourd'hui.

Ce texte, qui rentre dans les détails pratiques du service de l'Eglise et aussi de l'assistance à la messe dans la forme ordinaire confirme le geste prophétique du cardinal Castrillon, nous accueillant dans l'Eglise au grand scandale de certains (Dernièrement encore le Père Moingt, théologien jésuite qui a dirigé 30 ans les RSR se plaint de ce geste de miséricorde et d'amour de l'Eglise, dans un livre dont je vous reparlerai et qui s'intitule - bizarrement - Croire quand même. Le Père Sesbouë avait eu la même réticence dans un texte des Etudes repris tout récemment en volume). L'amour de l'Eglise ne se partage pas. Il a quelque chose de divin et donc d'infini. L'abbé Laguérie répond aux critiques par une déclaration d'amour. Le geste mérite d'être largement salué.