mardi 29 novembre 2016

Noël à Sainte Rita

Pour tous ceux qui en ont assez du conformisme des fêtes de fin d’année, voici un Noël extraordinaire.

Devant l’église Sainte-Rita, entre 20 H et 22 H, nous célèbrerons le 24 décembre au soir, une messe de minuit véritablement inoubliable, une messe aux flambeaux, avec une crèche vivante.

Nous retrouverons ainsi l’esprit du premier Noël. Les mots de l’Evangile résonneront en toute vérité devant l’église murée : « Il n’y avait pas de place pour eux à l’intérieur de l’hôtellerie ». Nous serons en plein air, dans le froid (mais bien couverts), comme au premier Noël. Et  comme au premier Noël, en même temps que dans la tradition pastorale de Sainte-Rita, que nous avons fêtée ainsi le dimanche 22 mai dernier, nous bénirons les animaux présents, en nous souvenant de l’âne et du bœuf, dont parlent les Apocryphes…

Notre combat pour l’Eglise Sainte-Rita porte du fruit. Des images ont fait le tour du monde.

Il est temps de rappeler que c’est le combat d’une communauté chaleureuse et militante, qui ne veut pas disparaître, elle non plus. Nous rappelons que l’église Sainte-Rita a toujours été, anglicane ou gallicane, une église de quartier ouverte à tous sans distinction et qu'aujourd’hui, la communauté catholique entend bien sauvegarder cet esprit d’ouverture. C’est l’esprit de Noël, c’est ce que racontent nos crèches où il ne manque même pas le ravi. C’est aussi le témoignage d’une communauté qui ne veut pas mourir.

mercredi 23 novembre 2016

[annonce] Vente de Charité 2016 de Notre-Dame de Consolation

Chapelle Notre-Dame
de Consolation
23 rue Jean Goujon / 75008 Paris
01.43.80.46.93

Samedi 26 nov. 2016 de 11H00 à 18H00
Dimanche 27 nov. 2016 de 10H00 à 18H00

Déjeuner
servi sur place (quatre services : 11H45 – 12H30 – 13H15 – 14H00) Bar – Salon de thé – Pâtisseries - Dégustation d’huîtres
   
Stands
Alimentation – Arts de la table – Bijoux – Brocante – Cadeaux – Jouets – Layette – Cartonnage – Icônes – Livres – Vêtements

Signatures de livres
Samedi de 15H00 à 18H00:
François-Xavier Bellamy & Philippe Maxence

Dimanche de 15H00 à 18H00:
Jacques Trémolet de Villers & Jean-Luc Cherrier

Règlement par carte bancaire accepté

dimanche 13 novembre 2016

[verbatim] Philippe de Villiers, «Le krach de la Transcendance»


Philippe de Villiers consacre un chapitre de son livre «Le Moment est venu de dire ce que j'ai vu» (2015) à ce qu’il nomme Le krach de la Transcendance. Voici le texte, repris du blog de Marc-Elie. Toute la première partie offre une similitude parfaite avec le constat de Michel Onfray que l'on re/lira ici: «J'ai vu les effets de Vatican II à la messe étant gamin...»
J'avais grandi au rythme de la messe des anges et du credo grégorien. Je suivais les enfants de chœur du reposoir avec leurs paniers débordant de pétales de roses.Je tenais une petite bannière de sainte Thérèse, au milieu de la procession des Rogations qui implorait la clémence du Ciel, après les semailles, pour une juste récolte. Les surplis rouge et blanc tenaient les cordons du dais qui abritait l'ostensoir à paillettes dorées. C'était beau.

En ce temps-là, la dévotion populaire était le terreau de la liturgie. On priait avec des gestes, avec son corps, on tombait à genoux, on joignait les mains pour supplier, on frissonnait en chantant le Lauda Sion immémorial.

Au mois de mai, on marchait chaque soir d'une maison à l'autre, avec une Sainte Vierge portée à bout de bras sur un brancard. C'était le mois de Marie. J'aimais l'odeur d'encens et la plainte du requiem qui faisaient descendre en majesté un peu de ciel dans nos cœurs. Et puis la Fête-Dieu, les œufs de Pâques, la crèche, les pèlerins de Lourdes, les cloches du glas et du baptême, les croix de mission. C'était une société.

Soudain, un dimanche, tout chavire. On nous exhorte à tutoyer Dieu, dans un nouveau Notre-Père. Les agenouillons ont été descellés dans la semaine. Ils ont disparu.

On comprend que le remembrement ne s'est pas arrêté au porche de l'église, il est entré dans le chœur, en pleine messe.

On a remembré les missels. On a voulu éloigner le faste et le triomphalisme. On a descendu les statues, les tentures, on a remisé le dais: il fallait du dépouillement, revenir aux pauvretés, aux austérités des origines, aux pieds nus des catacombes ; les accessoires chamarrés de la dramaturgie sacramentelle ont été placés «en dépôt» chez le «conservateur départemental des antiquités et objets d'art», ravi de l'aubaine. Bientôt le dépôt deviendrait un dépotoir.

On nous avait expliqué, jadis, que l'autel était «orienté», qu'il devait regarder, avec les fidèles, en direction de l'est, vers le soleil levant qui triomphe de la nuit et symbolise le Christ ressuscité. Et voici qu'on installe une table à repasser au milieu du chœur, avec des tréteaux et des planches. Le curé nous regarde, convivial, collégial, «il faut participer». Il a congédié ses ornements et son calice. Il boit le vin consacré dans un verre à moutarde, il veut être comme tout le monde. Il a laissé la soutane et porte un débardeur marron. Selon le mot de Claudel, il dit «la messe à l'envers» pour «être à l'écoute des gens » et pour «faire église».

Un jeune paroissien avec une guitare, qui ressemble à Leny Escudero, entonne le chant que j'apprendrai par cœur:
Si tu en as envie,
Comme Jésus-Christ lui-même,
Tu peux faire de ta vie
Un... je t'aime.  
C'est la religion de l'amour. Enfin! On n'est plus dans un règlement. On est dans l'amour. Et, si on tutoie Dieu dans le nouveau Notre-Père, c'est pour se rapprocher de lui. Ce n'est plus un Dieu de tonnerre et qui condamne. Il n'est plus au-dessus de nous, il est en nous, au milieu de nous, il chemine. C'est un voisin et non plus un Père. Si les agenouilloirs ont disparu, c'est que Dieu n'a pas besoin de ces théâtrales démonstrations d'obéissance où l'on se couvre de cendre jusqu'à s'anéantir. Dieu est Esprit. Une religion trop sensible perd l'esprit.

C'est l'aggiornamento, la nouvelle Pentecôte, le temps du Renouveau et du retour aux sources.

Le fils de Samuel mon voisin devient lecteur à la messe, entouré de social-sacristines qui déplacent le lutrin des homélies. Il se réclame d'un cousin fameux, fierté de la famille, qui est entré au Grand Séminaire de Luçon. Une tête. Lui aussi est à la JAC, la Jeunesse agricole chrétienne. Lui aussi veut que ça bouge et qu'on en finisse avec ce qu'on appelle, pour le fustiger, le «christianisme sociologique», c'est-à-dire ces paroisses où «tout le monde va à la messe». Il cite souvent monseigneur Marty, l'archevêque de Paris, qui veut «un Dieu de fête et d'amitié» et non plus un Dieu de foudre punitive, au-dessus des nuages. Il faut «mettre l'Eglise en risque». Joël - le séminariste - relève l'audace du cardinal qui fera exploser sa joie en mai 68: «Dieu n'est pas conservateur!»

Joël se méfie de la dévotion populaire et de ces chrétiens d'habitude installés dans le rituel. Il faut se fondre dans la masse, dit-il: la soutane était une séparation, le latin aussi ; car, pour aller au monde, il faut parler et s'habiller comme le monde. L'idée d'une langue ancienne, figée, pour exprimer le sacré, même si elle est universelle, ressemble à nos vieilles haies du bocage qui bouchent l'horizon des hommes et créent des champs clos, des univers sans ouverture au monde.

Un peu plus tard, Joël me parle de la signification chrétienne de la lutte des classes ; sa nouvelle trinité devient bientôt Marx, Freud et Nietzsche, il voit dans leurs prophéties l'irruption de l'esprit de Pentecôte. Il ne veut plus d'un ciel au-dessus, lointain, mais ici-bas et tout de suite. Une humanité en marche, « tournée vers l'avenir ». Il pense que la « déclergification » s imposera comme un temps nécessaire pour redessiner les nouvelles figures du sacerdoce. La Vendée est « une terre à prêtres ». Il n'en veut plus. Il cherche le pendant de la culture hors-sol, la religion hors-ciel. Une Église sans prêtres, un risque ? Non, selon lui, une chance.

Dans quelques mois, Joël aura quitté le séminaire, il aura défroqué après un passage chez les Frères du Monde qui l'auront guidé dans son discernement. Peu à peu, il va glisser de Teilhard de Chardin et Mounier à Mao, Castro, Hô Chi Minh, Che Guevara. C'est le temps des théologiens sociologues ; ils traitent par l'ironie et le mépris la « foi des charbonniers » qui font leurs Pâques avant d'aller au bistrot.

Ainsi vient le temps d'une Eglise dépouillée, d'une eschatologie sans transcendance et d'un messianisme sans messie.

La boucle est bouclée: les chrétientés charnelles disparaissent, les vocations se tarissent, les églises se vident. On y parle une nouvelle langue, la langue de buis. Joël est le petit dernier de la cordée de trois générations: le grand-père fut un chrétien militant ; le père, un militant chrétien ; le fils, un militant tout court. Tout cela est allé très vite.

En 1950, le diocèse de Luçon, qui fut celui de Richelieu, avait ouvert un nouveau séminaire aux Herbiers. Le père de Joël était là, au premier rang de la cérémonie grandiose, il servait la messe au nonce apostolique, le futur Jean XXIII.

En 1968, le drapeau noir se met à flotter sur le Grand Séminaire de Luçon. Joël s'en vante comme d'un acte prémonitoire pour « libérer l'Esprit ».

Trois ans après, le Grand Séminaire ferme ses portes. La « terre à prêtres » devient un désert de vocations.

Vingt ans plus tard, j'apprends que le bâtiment est à vendre. C'est un beau monument, construit par l'architecte du Prytanée de La Flèche. L'évêque de Luçon, monseigneur Paty, m'invite, avec élégance, à comprendre sa démarche: le diocèse n'a plus d'argent pour entretenir une bâtisse pareille. Il y a un acheteur de la grande distribution qui veut le raser pour en faire un Carrefour. On fait le tour du parc. C'est imposant. Il y a des buis sculptés partout en forme de croix et de cœurs vendéens, un Sacré-Cœur dans la broussaille.

Par curiosité, je visite les pièces de cette immense bâtisse, je suis abasourdi: dans l'ancien dortoir, je ramasse, par terre, des images pieuses de communion, des missels éventrés ; dans la chapelle, les vitraux ont été arrachés ; sur l'autel saccagé, il est écrit «fucking mother». La plaque de marbre sur laquelle sont inscrits les noms des anciens séminaristes tombés en 14-18 a été fracturée, maculée, déshonorée. Visiblement, le diocèse est dans un autre monde, il «ne veut plus se retourner vers le passé», il «cherche une dynamique qui ne soit pas une dynamique du souvenir». L'homme qui sauvera le séminaire est le maire de Luçon, Jean de Mouzon, un amoureux du patrimoine, par ailleurs radical de gauche et franc-maçon.

Le 19 septembre 1996, lorsque le pape Jean-Paul II vient à Saint-Laurent-sur-Sèvre pour commémorer le millénaire de la France, l'esplanade est déserte. Le pape prononce un beau discours «aux jeunes et à la population» devant une assistance d'une centaine de fidèles, chargés du service d'ordre. En effet, le nouvel évêque de Luçon, monseigneur Garnier, par crainte de débordements d'enthousiasme, a jugé nécessaire d'interdire la présence des chrétiens de Vendée. Je me souviens de ma rencontre avec le pape, à l'entrée de la basilique, il avait l'air tout étonné et fit savoir son incompréhension.

Dix ans plus tard, le dimanche 2 avril 2006, le nouvel évêque, monseigneur Santier, délivre une homélie retentissante pour clôturer le synode de Vendée, à La Roche-sur-Yon. Il fait « repentance pour l'emprise de l'Église catholique en Vendée ». Il confesse: «Dans le passé, en Vendée, l'Église était très présente, elle occupait l'espace social et laissait peu de place à des manières de penser et de vivre la vie humaine et la foi d'une manière différente. Au nom de l'Église, comme évêque, je vous demande pardon. »

Tout cela m'a aidé à comprendre le pape Benoît XVI, que j'avais rencontré pendant un long moment à Rome, avec le sénateur Bernard Seillier, le 28 janvier 1993. Il nous parlait d'une véritable tornade qui s'était abattue sur la chrétienté, d'une immense apostasie silencieuse: « C'est le vide qui s'est propagé, le désert spirituel. On a perdu bien souvent la dignité et le mystère du sacré. On a dépouillé les églises de leurs splendeurs. Beaucoup de clercs ont réduit la liturgie au langage et aux gestes de la vie de tous les jours par le moyen de salutations, de signes d'amitié. »

Il se lamentait sur « l'effrayant appauvrissement qui se manifeste là où l'on chasse la beauté. On a une liturgie en show. Je suis convaincu, ajoutait-il, que la crise de l'Eglise que nous vivons aujourd'hui repose largement sur la désintégration de la liturgie ». Et le cardinal Ratzinger d'ajouter: « En refusant de reconnaître ses racines chrétiennes, l'Europe se refuse à elle-même. Elle se renie. »

On a déraciné la Foi. Ce qui est au cœur de la crise, c'est la sécularisation. Ce qu'a vécu Joël, c'est une rupture de la transmission, le refus de toute métaphysique, l'idée que l'homme est aujourd'hui assez grand pour se sauver seul, comme être historique et comme être social.

On désincarné l'homme, on le met hors de sa culture. Et en refusant la grâce, on finit par refuser la nature. La culture, c'est l'ensemble des pensées et des œuvres par lesquelles l'homme développe sa nature. Hors de sa culture, l'homme meurt à sa nature.

La société regarde avec effarement le grand vaisseau qui sombre. Elle perd ses valeurs et elle en perd la tête.

La déchristianisation de la France laisse une société de zombies désorientés qui tournent dans le vide. C'est le krach de la transcendance, la chute vertigineuse des valeurs fondamentales, la grande dépression.

Pendant longtemps, on a vécu sur la vitesse acquise. Je relisais récemment, au Journal officiel, le compte rendu du dialogue saisissant qui eut lieu dans l'hémicycle, en 1883, entre Jules Ferry et un député de l'opposition. Le ministre de l'Instruction publique annonçait les principes de l'école publique: Oui, bien sûr, nous enseignerons la morale à l'école...

La morale, l'interrompt le député, mais quelle morale ? Alors Jules Ferry hésite un instant puis martèle: Eh bien... la morale de toujours... la morale de nos pères! Hé oui, la morale de toujours, celle de la civilisation chrétienne. On a longtemps pensé que le progrès allait renvoyer aux oubliettes l'homme religieux, l'homme relié, l'homme qui relie. Jaurès le proclamait: « Nous avons interrompu la vieille chanson qui berçait la misère humaine. Et la misère humaine s'est réveillée avec des cris. » Et elle a entonné l'Internationale.

La vieille chanson, c'était la chrétienté chantante. Et le socialiste Viviani crut pouvoir saluer à son tour la fin des vieilles croyances: «Nous avons éteint une à une les étoiles qui brillaient dans le ciel. On ne les rallumera plus.»

Il y eut le temps des illusions, puis celui des désillusions. On a célébré le Progrès, on commence à comprendre que, depuis les Lumières, il n'est qu'une contrefaçon de l'espérance chrétienne. Le triomphe de la Raison n'a pas réconcilié l'humanité avec elle-même. Celle-ci s'est mise à douter de tout.

La modernité croyait en elle-même et en sa raison. La postmodernité ne croit plus à rien. Elle verse dans l'hédonisme narcissique, elle honore un nouveau dieu, l'argent. Le dieu de Sade et de Mammon. L'homme délié devient une marchandise, une machine désirante. Le curé d'Ars l'avait prophétisé: «Laissez une paroisse cinquante ans sans prêtre, on y adorera les bêtes.»

Le temps est venu de la Bête abstraite et désincarnée, de l'idole glacée. La compassion, la charité et l'ensemble des vertus sociales, polies par la civilisation des grands sentiments, n'ont plus de place légitime dans une société fondée exclusivement sur la production de marchandises. Quand la seule consommation est célébrée comme une forme de culture à part entière, le seul exotisme est dans la fabrication ininterrompue de pseudo-besoins matériels, créés pour tromper l'ennui.

Alors le nouveau face-à-face peut commencer, entre la fin de l'absolu et la soif d'absolu. Les laïcards ont fait le vide. Les islamistes le remplissent. Comme l'a écrit Sayyid Qutb, un des penseurs des Frères musulmans: «L'islam ne peut que gagner parce que la modernité est intrinsèquement incapable d'étancher la soif de spiritualité de l'homme.»

On songe à la lettre ouverte de Philippe Muray: «Chers djihadistes, craignez la colère du consommateur, du touriste, du vacancier descendant de son camping-car! Vous nous imaginez vautrés dans des plaisirs et des loisirs qui nous ont rassemblés? Eh bien, nous lutterons comme des lions pour protéger notre ramollissement. Nous nous battrons pour tout, pour les mots qui n'ont plus de sens et pour la vie qui va avec.» [Philippe Muray, Chers djihadistes, Fayard/Mille et une nuits, 2002]

Nous assistons à l'islamisation douce de l'Europe, qui s'opère du fait de notre double asthénie, religieuse et sexuelle. Un philosophe lucide, Fabrice Hadjadj, a très bien pénétré cette nouvelle réalité: «Nous croyons à tort que les mouvements islamistes sont des mouvements pré-Lumières, qui découvriront bientôt les splendeurs du consumérisme. En vérité, ce sont des mouvements post-Lumières. Ils savent que les utopies humanistes, qui s'étaient substituées à la foi religieuse, se sont effondrées.»

Le relativisme libertaire et le nihilisme nous portent vers une impasse.

Ce n'est plus seulement un pan de mur qui est tombé. C'est un mur porteur. En reniant ses racines chrétiennes, la France oublie la civilisation qui l'a pétrie. Et le Pouvoir est vide.

C'est pourquoi, quand Jean-Paul II est venu au Bourget, en 1980, il a rappelé la France au souvenir de Clovis et de Clotilde, au baptistère de Reims: «France, fille aînée de l'Église, qu'as-tu fait des promesses de ton baptême?»

[...]

Les dernières paroles de Soljénitsyne furent elliptiques. Et prophétiques. Au cours d'un aparté inattendu, le maître s'élança. C'était du côté de Tambov, à mi-chemin entre Moscou et Volgograd où il m'avait emmené pour la visite d'une future bibliothèque construite avec le concours actif du Puy du Fou. Ce lieu parlait au cœur du maître parce que là, en 1921, les paysans koulaks s'étaient révoltés contre l'Armée rouge et l'ordre avait été donné par les commissaires politiques de nettoyer les forêts à l'arme chimique. Nous marchions sur la terre noire anthracite d'une plaine sans contours, immémoriale, en attente d'être fécondée.

D'un geste large, embrassant les blés à venir, le grand penseur dessina deux cercles entremêlés en murmurant, tête baissée:

Pendant longtemps, le sort de la Russie fut lié à celui de l'Europe. Dostoïevski écrivait en français. Mais aujourd'hui, c'est fini, nos routes divergent. Vous roulez à l'abîme. Alors que, tout endoloris, nous nous relevons du néant.

Vous espérez encore pour la Russie, mais pas pour l'Europe?

Si, pour les deux. Mais avec un décalage dans le temps. Mon instinct me dit que la Russie va renaître dès maintenant.

Derrière le visionnaire, le bûcheron de Cavendish n'était pas loin, il battit du pied sur une souche bourgeonnante, comme pour la prendre à témoin, et ajouta d'un ton assuré:

Ici, il reste encore des racines vivantes, elles sont en train de donner des pousses. Il y aura une restauration des valeurs civiques et spirituelles. Vous, en Europe, vous êtes dans une éclipse de l'intelligence. Vous allez souffrir. Le gouffre est profond. Vous êtes malades. Vous avez la maladie du vide. J'ai senti tout cela dans le Vermont. Le système occidental va vers son état ultime d'épuisement spirituel: le juridisme sans âme, l'humanisme rationaliste, l'abolition de la vie intérieure... Toutes vos élites ont perdu le sens des valeurs supérieures. Elles ont oublié que le premier droit de l'homme, c'est le droit de ne pas encombrer son âme avec des futilités.

Et comment croyez-vous qu'on puisse désencombrer notre âme?

Par l'affleurement de l'instinct de vie.

Alors le maître laissa entendre qu'il y aurait un point de retournement. A partir d'une nécessité immuable qui est dans les lois de l'Univers.

Le gouffre s'ouvrira à la lumière. De petites lucioles dans la nuit vacilleront au loin. Au début, peu de gens les distingueront et sauront abriter ces lueurs tremblantes, fragiles, contre toutes les tempêtes hostiles. Il y aura des hommes qui se lèveront, au nom de la vérité, de la nature, de la vie ; ils cacheront, dans leurs pèlerines, des petits manifestes de refuzniks. Ils exerceront leurs enfants à penser différemment, à remettre l'esprit au-dessus de la matière. Ils briseront la spirale du déclin du courage. Ainsi viendra l'éclosion des consciences dressées. Aujourd'hui les dissidents sont à l'Est, ils vont passer à l'Ouest.

Soljénitsyne nous a quittés en 2008. Son intuition ne l'avait pas trompé. Sa chère patrie, après bien des convulsions, a retrouvé le chemin de ses anciennes harmonies. Dans le même temps, à la minute même où nous inaugurons un McDonald's en Europe, les Russes inaugurent l'iconostase d'une nouvelle église orthodoxe.

mercredi 2 novembre 2016

[Monde & Vie] La politique des évêques français - par l'abbé de Tanoüarn

Monde & Vie -  par l'abbé de Tanoüarn
Nos évêques publient un document consacré à « retrouver le sens du politique » occasion d’être encensés dans le quotidien capitaliste d’extrême gauche Libération. Une grande nouveauté, il fallait y aller voir.
Si c’est dans les pages de Politique générale que je vous propose cette réflexion sur la réflexion des évêques français à propos de la politique, c’est justement que leur document est très significatif non seulement de ce qu’ils pensent eux, mais de ce qu’on essaie de penser un peu partout face à la crise migratoire, de ce que pensent nos élites, de ce qui reste de pensée au Parti socialiste éclaté en diverses prétendances, et aussi de ce que signifie la fameuse « identité heureuse » chère à Monsieur Juppé, le candidat le plus à gauche parmi tous ceux qui se présentent à la Primaire de droite. Bref, quelque part entre Emmanuel Macron, Manuel Valls et Alain Juppé, une fois de plus nos évêques pensent au Centre, ils sont par conséquent au centre du débat, ils apparaissent comme représentatifs de la caste au Pouvoir, dont ils comptent certainement parmi les plus ardents soutiens. Ils sont en ce sens magnifiquement conservateurs ! 

Ce qui est nouveau, ce qui est positif dans ce document, censé nous rendre le goût de la Politique ? C’est que Nosseigneurs admettent que la nouvelle question, le nouveau paradigme, l’inquiétude dominante est celle de l’identité. Oh ! Il faut attendre le sixième chapitre pour qu’il soit question de « personnes d’origines étrangères » qui se trouvent en ce moment dans notre beau Pays de France. Le fait qu’elles y soient pour y rester va semblet-il de soi et n’est pas précisé. La religion de ces « personnes étrangères » n’est pas non plus désignée, comme s’il allait de soi qu’il s’agisse de l’islam, ou bien comme s’il ne fallait pas en parler, pour ne pas se faire de mal. Curieux oubli de la part d’hommes de religions, c’est certainement la plus grande faiblesse de ce texte.

Ce qui est précisé par contre ? C’est que nous sommes en présence d’« un malaise identitaire pouvant aller jusqu’au rejet de l’autre différent ». Le débat sur l’identité – heureuse ou plutôt bien malheureuse – commence, sotto voce, par l’usage de cet adjectif, jusqu’ici incongru dans le langage de nos évêques, l’adjectif « identitaire ». L’apparition de ce mot nouveau n’empêche pas que le thème de l’Autre reste foncièrement dominant, et l’on devine ce qu’Alain Finkielkraut a appelé joliment « l’autrisme », en filigrane derrière ces mots nouveaux qui se pressent sous les plumes épiscopales. C’est parce que nous, Français de souche, nous manquons tous d’« autrisme » qu’il y a un problème. Ce qu’il faut mettre en cause en effet, c’est « le rejet » de « l’autre différent ». Nous voyons en ce moment les bus de migrants quitter la trop fameuse Jungle de Calais, cette verrue qui jusqu’ici ne semblait devoir déranger personne que les Calaisiens (des Français de la périphérie, ces Calaisiens, autant dire : personne). Les anciens habitants de la Jungle sont applaudis à leur arrivée dans tel ou tel terroir de la France bien profonde, dès leur sortie du bus, comme si déjà, malgré l’absence de Travail à leur proposer, on les suppliait de rester. Racistes les Français ? Allons donc ! Mais une fois de plus, la rhétorique est bien huilée : il apparaît commode de mettre sur le dos des autochtones « le rejet de l’autre différent », oui, un rejet qui viendrait simplement du fait qu’il est différent.
Pour une identité qui ne donne que des droits
Au crédit de Nosseigneurs, il faut mettre le fait que ce rejet, selon eux, semble bien devoir rester exceptionnel. Le responsable de la migration n’étant évidemment pas le migrant, c’est… personne. C’est la mondialisation. « L’idée d’une nation homogène est bousculée par la mondialisation ». Vous avez bien compris : c’est une fatalité, on n’y peut rien : les nations dorénavant, en Europe, ne seront plus des nations homogènes, ce n’est plus possible. On nous affirme cela froidement, comme si cela n’était même pas susceptible d’explication ou de démonstration. C’est un fait, le point de départ de la réflexion politique actuelle : « L’idée de nation homogène est bousculée » par le vent de l’histoire, dépassée, périmée. C’est énorme ! Les grandes nations européennes, Espagne, Germanie, Grande-Bretagne, Gaule, existent depuis toujours. L’Empire romain s’est contenté d’en faire des unités administratives. Et il faudrait entériner le fait que ces nations, avec leur longue histoire et leur langue, « sont bousculées ». « Il faut redéfinir ce qu’est être citoyens français et promouvoir une manière d’être ensemble qui fasse sens ». Rien que ça ! 

Nos évêques parlent donc de l’identité française. Là nous avons vu une bonne nouvelle. Mais la mauvaise, c’est que pour eux, l’identité française n’existe pas. Il faut réfléchir à « ce qu’est être citoyen français » en « découvrant une manière d’être ensemble qui fasse sens ». Quel aveu ! La manière dont les citoyens sont ensemble dans l’Hexagone en ce moment, n’est pas une manière qui fait sens. Il faut trouver le sens… Il importe de tout redéfinir. Nous sommes en plein constructivisme politique. Ces formules, qui paraissent tellement douces, sont en fait d’une extrême violence. On est en train de nous apprendre que, suite à l’arrivée de « nombreuses personnes étrangères », il faut tout repenser. Et cette fois, l’expression correcte est employée. Ce qui change tout, ce n’est pas seulement la mondialisation (qui, au contraire, pourrait et devrait renforcer nos identités dans un riche jeu d’échange international).

Ce qui change tout, ce sont « les revendications communautaires ». Il faut prendre acte du fait que la France n’est plus une nation au sens homogène de ce terme, mais déjà une communauté de communautés, dans laquelle on ne saurait parler d’assimilation, parce qu’il n’y a plus de modèle unique ou homogène et que tout se trouve « à repenser ». À ma connaissance, Alain Juppé n’avait jamais défini son identité heureuse de cette manière, mais c’est bien ce qu’il veut faire et s’il crée à Bordeaux, avec l’appui de la Mairie, un immense Centre culturel musulman, c’est bien sûr dans cette perspective nouvelle d’une France qui n’est plus nationale mais communautaire.
Pour une France qui n’est pas encore née
Pourquoi ne pas le dire clairement ? Ce que nos évêques entendent nous vendre, derrière leur souci de « redécouvrir le Politique », c’est la nouvelle France multiculturelle, qui d’ailleurs reste à penser, une France qui n’existe pas encore vraiment puisqu’elle est en train de naître. Nous assistons, écrivent-ils, à « la naissance d’une identité qui ne nie pas les autres appartenances ». L’expression doit être pesée. Elle est décisive. Elle pourrait passer pour la définition du projet français que les Politiques dans leur ensemble veulent faire avaler à la France.

Mais qu’est-ce qu’une identité qui ne nie pas les autres appartenances ? C’est une identité neutre, qui soit la même pour un catholique de souche, pour un animiste érythréen (il y a tant d’Erythréens parmi les migrants soi-disant syriens) ou pour un musulman même quand il n’est pas modérément musulman. Nous nous trouvons devant une identité qui n’est plus nationale, au sens où la nation, au-delà des différences profondes entre les Provinces, représentait « quelque chose d’homogène », cela au moins jusqu’à Georges Pompidou. Mais alors qu’est-ce que cette identité nouvelle ? Je doute pour autant qu’il s’agisse d’une identité impériale parce que je ne crois pas que qui que ce soit ne cherche à faire de la France un Empire. Reste l’identité à sa plus basse fréquence : une identité administrative, une identité de papier, qui donne des droits mais, parce qu’elle respecte trop toutes les appartenances qui lui sont antérieures, ne crée aucun devoir par elle-même. C’est vers cette identité-là que l’on nous dirige. La France devient un territoire de la mondialisation heureuse. La France est une identité heureuse, une identité qui ne crée que des droits. Elle est vraiment pour tous, elle ne fait aucune différence entre ses anciens et ses nouveaux enfants puisqu’elle a perdu son identité nationale homogène et qu’elle se contente très bien d’une identité hétérogène.
Contre les contre-cultures
Après avoir construit ce nouveau rêve français, aboutissement de tant d’esquisses depuis « la nouvelle société de Chaban-Delmas » jusqu’à la social-démocratie giscardienne, en passant par la France modeste de Jacques Chirac, et la France multiculturelle des MM. Sarkozy et Hollande, nos évêques, tout remplis de l’importance de la circonstance, se retournent vers leurs ouailles et ils les mettent en garde. Ils désarment leurs fidèles à l’avance, en leur enjoignant de se conformer mentalement à l’inculture dominante. L’Église avait été le réservoir inépuisable de la culture occidentale lors des invasions barbares, avec des grands évêques, saint Remi, saint Loup, saint Aignan, tant d’autres, qui représentaient eux-mêmes l’élite culturelle issue de l’Empire finissant. Il ne faudra pas compter sur l’Institution ecclésiale cette fois-ci. Quand on lui demande ce que sera la nouvelle France des communautés, elle répond pour l’instant officiellement : « Il faudra du temps pour que tout cela trouve son sens ». Là encore : quel aveu ! Cette formule est énorme elle aussi. La France est aujourd’hui en standby. Il faudra du temps pour qu’elle se redécouvre dans sa nouvelle formule, le temps sans doute que les communautés, se frottant les unes aux autres, un modus vivendi se crée entre elles. À ce petit jeu communautaire, les chrétiens bien sûr seront perdant puisque leur religion ne construit pas de communautés, sinon, comme les chrétiens d’Orient, d’une manière contrainte, en attendant la fin…

Mais surtout, écrivent nos seigneurs, il vous faut bannir « le rêve d’une contre-culture ». Là pourtant on est en plein christianisme. Le christianisme, qui ne crée aucune communauté parce qu’il n’est pas une religion de la Loi, a créé des cultures riches et foisonnantes, qui font honneur à l’humanité dans le Christ. À diverses époques de son histoire, ces cultures ont été des contre-cultures, comme actuellement dans la Chine communiste par exemple. On sait que Benoît XVI avait employé ce terme de « contre-culture » et il l’avait fait de façon positive, lors de son voyage à Malte (2010), en exhortant les fidèles à constituer des communautés qui soient autant d’ « oasis » dans lesquels puissent fleurir des contre-cultures. Le mot n’avait pas fait peur au pape allemand. Face à l’inculture dominante, face à la non-culture que les Réformes successives de l’enseignement ont rendue comme obligatoire, il faut bien sûr, avec nos évêques ou sans eux, par tous les moyens et de toutes les manières, promouvoir des contre-cultures, proposer des systèmes de références, parmi lesquels bien sûr les références chrétiennes devront être dominantes, parce qu’elles ont historiquement fait la preuve qu’elles représentent un vrai progrès humain.

Abbé G. de Tanoüarn