La fin de la consécration est admirable : alors que s'affirme petit à petit, d'une prière à l'autre, la divinité du sacrifice de la messe, sacrifice terrestre et sacrifice céleste tout ensemble, alors que s'intensifie l'offrande sacrificielle jusqu'à être présentée comme "offerte par ton ange sur ton autel céleste" ; au même moment, ce même sacrifice déborde de l'autel sublime où il est offert en permanence et divinise tout ce qu'il y a de bon dans le monde créé. Jésus Christ est celui par qui, haec omnia, toutes ces choses, qui sont toujours des biens (semper bona), Dieu les crée, les sanctifie, les vivifie, les bénit et nous en fait l'offre.
Deux interprétations sont nécessaires pour comprendre cette ample conclusion du Canon. qui se heurte au problème du mal.
L'oeuvre créatrice de Dieu est toujours bonne : "Et Dieu vit que cela était bon" dit la Genèse. La matière n'est pas l'origine du mal ; la matière n'est pas le résidu inassimilable au dessein divin qu'imaginaient les philosophes néoplatoniciens. Dieu a voulu créer le monde matériel mais ce n'est pas tout - deuxième niveau de lecture : il a voulu le sauver de sa fragilité. A travers le salut de l'homme, c'est "toute la création" qui est "dans les douleurs de l'enfantement", attendant le salut que Dieu lui conférera explique saint Paul aux Romains. Quel mystère insondable ! Non seulement la bonté de la matière est ainsi proclamée - mais, ce serait trop bisounours d'en rester là - : c'est la gloire de la matière qui va être manifestée à travers le salut apporté par Jésus au monde, et c'est "la gloire de la liberté des enfants de Dieu" qui va agir sur la création pour racheter le monde et le transfigurer dans la gloire et la lumière de Dieu. L'homme justifié et sanctifié est ainsi appelé rédempteur du monde, car la gloire des personnes sauvées rejaillit sur toute la création, sonnant comme une annonce ou un avertissement pour des cieux nouveaux et une terre nouvelle.
Dans son Commentaire du saint sacrifice de la messe déjà cité et qu'il a nommé L'idée de sacerdoce et de sacrifice, le Père Quesnel parle avec éloquence, au sujet de ce passage, de la divinisation des élus. Mais le chapitre 8 de l'Epître aux Romains est formel : il n'est pas seulement question des élus, c'est toute la création, dans un ardent désir, qui attend le jour du salut. Le Père Teilhard de Chardin parle avec raison de la Messe sur le monde (1923). Il me semble que ses élans renvoient à la fin de la consécration : "Je me prosterne, mon Dieu, devant votre Présence dans l'Univers devenu ardent et, sous les traits de tout ce que je rencontrerai, et de tout ce qui m'arrivera, et de tout ce que je réaliserai en ce jour, je vous désire et je vous attends". Ou encore de façon moins unilatéralement optimiste : "Ma Communion maintenant serait incomplète (elle ne serait pas chrétienne, tout simplement) si, avec les accroissements que m'apporte cette nouvelle journée, je ne recevais pas, en mon nom et au nom du Monde, comme la plus directe participation à vous-même, le travail, sourd ou manifeste, d'affaiblissement, de vieillesse et de mort qui mine incessamment l'Univers, pour son salut ou sa condamnation. Je m'abandonne éperdument, ô mon Dieu, aux actions redoutables de dissolution par lesquelles se substituera aujourd'hui, je veux le croire aveuglément, à mon étroite personnalité votre divine Présence".
La messe est une machine à faire des dieux. En elle, Jésus, venu jusqu'à nous pour nous emmener jusqu'à lui, nous recrée, ainsi que toute la création. Il nous sanctifie au milieu de toute sa création, à l'image de son Fils qui lui a fait cette prière : "Sanctifie moi par ton esprit" (Jean 17). Il nous donne sa vie ainsi qu'à tout l'univers, qui vit pour l'éternité dans la Pensée divine. Enfin il nous bénit de communier à son sacrifice pour le monde, et ce monde, les biens de ce monde, il nous en fait le don.
Ainsi comme dit Descartes, s'inspirant de la Genèse (soumettez la terre), l'homme est comme maître et possesseur de la nature. Mais c'est de Dieu qu'il a reçu ce don et le don de Dieu, ça se respecte ! L'homme doit respecter la nature parce qu'elle est belle mais aussi parce qu’il s'agit d'un don de Dieu.
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