jeudi 16 novembre 2017

Nouvelle traduction du Notre Père

Les années passent, la Réforme liturgique a presque 50 ans, mais le malaise persiste à son sujet. Le moins que l’on puisse dire est que son instauration obligatoire n’a pas permis à l’Eglise romaine d’échapper à la plus grave crise de son histoire. Faut-il revenir sur cette réforme ? Dès 1970, un an après son instauration, le pape Paul VI, cédant à la pression des traditionalistes, avait modifié l’Institutio generalis, qui, dans l’article 7 de sa première version, expliquait que la présence eucharistique était celle à laquelle le Christ faisait allusion lorsqu’il déclarait : « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je serai au milieu d’eux ». On avait également ajouté la mention du « sacrifice eucharistique » qui ne se trouvait pas dans la première version. En 2002 Jean-Paul II proposa une nouvelle présentation générale du Missel romain, dans laquelle on insistait sur l’exactitude dans l’observation des règles liturgiques et sur le sens du sacré.

Pour ceux qui ne veulent toujours pas revenir sur cette réforme mais qui reconnaissent que dans l’esprit quelque chose n’allait pas, au moment où elle a été instaurée, reste la question des traductions du latin dans les langues vernaculaires, et pour nous en l’occurrence, reste les problèmes que pose la traduction française. Mgr Aubertin, évêque de Tours, avait promis que la nouvelle traduction serait prête pour le premier dimanche de Carême de l’année… 2017. Pour l’instant, on ne nous parle plus de cette entreprise titanesque. Mais on nous promet (c’est un vote de la Conférence épiscopale dans son assemblée de printemps qui nous le garantit) une nouvelle traduction du Notre Père pour le 3 décembre 2017. Au premier dimanche de l’Avent, on ne dira plus « Ne nous soumets pas à la tentation » mais « Ne nous laisse pas entrer en tentation ».

Vous me traiterez peut-être de traditionaliste grincheux, mais, tout comme Mgr Aubertin d’ailleurs, qui s’est exprimé sur la question, je ne crois pas à l’exactitude de cette nouvelle traduction. Cette fois il s’agit de métaphysique. Ce qui est en cause, encore et toujours, c’est le problème du mal. « Dieu est fidèle, dit saint Paul, et il ne permettra pas que vous soyez tentés au-dessus de vos forces » (Rom. 8). Dieu permet que nous soyons tentés. La tentation est le révélateur de l’amour. La tentation est la matrice de nos libertés réelles. Simplement Dieu ne permet pas que nous soyons tentés au-dessus de nos forces. C’est ainsi que nous prions Dieu, non pas pour que nous n’entrions pas en tentation : nous ne sommes pas dans le monde des bisounours métaphysiques. Le salut est une lutte ! Il faut engager cette lutte sous peine de ne jamais savoir à quoi elle nous mène, sous peine de ne pas connaître ce salut « qui transformera nos corps de misère en corps de gloire ».

Dieu permet que nous soyons tentés, mais « Dieu ne tente personne » dit l’apôtre saint Jacques (Jacques 1, 14), parce qu’il n’y a pas en Lui une once de mal. Chacun est tenté ou « amorcé » (c’est le mot de saint Jacques) par sa propre convoitise. Mais en même temps, il faut bien reconnaître que Dieu permet la tentation, même s’il n’en est pas la cause. Autant donc la formule « Ne nous soumets pas à la tentation » est fausse, parce qu’elle laisse penser que Dieu nous obligerait à subir la tentation. Nous devons lui opposer le mot de saint Jacques : Dieu ne tente personne. Autant il est métaphysiquement impossible de ne pas admettre que Dieu, ayant créé le monde esclave de la vanité (Rom. 8, 21), n’ait métaphysiquement pris le risque que sa créature soit exposée à la tentation.
   
Nous prions Dieu (c’est la version latine) pour qu’il ne nous laisse pas pénétrer (inducere) dans la tentation, pour qu’il ne nous abandonne pas alors que nous consommons la tentation, pour qu’il ne nous laisse pas succomber à la tentation. Cette dernière version (qui est aussi la plus ancienne en français) est une traduction légèrement périphrastique : pénétrer dans la tentation signifie en bon français y succomber, mais, c’est vrai, l’idée de « succomber » n’est pas indiquée explicitement dans le verbe « entrer dans » ou « pénétrer » qui est utilisé tant en latin que dans l’original grec. Succomber ? Le mot serait-il trop théâtral ? Pas sûr, vu ce qui est en jeu : le péché ou la grâce, la mort ou la vie. "Ne nous laisse pas succomber à la tentation", cela demeure, en tout cas, la traduction la plus exacte. Personnellement en tout cas, je déteste cette idée que l’on puisse demander à Dieu qu’il ne nous fasse même pas entrer… oui qu’il revoie tout son dispositif, pour ne pas nous faire « entrer » en tentation. Comme si nous étions parfaits, avant même d’avoir essayé de l’être !

Mais il n'y a pas que la métaphysique du mal, il y a la religion, notre relation, notre rapport avec Dieu. J’ai une dernière objection contre la nouvelle traduction du Notre Père (déjà actée d’ailleurs dans la nouvelle Bible liturgique de 2013). Qui de nous est au-dessus de la tentation ? Qui de nous peut se targuer de n’être jamais entré en tentation ? Même le Christ a été tenté au Désert ! C’est le genre de prière, prise à la lettre, que Dieu n’exaucera jamais. Comment lui demander quelque chose qui va contre l’économie de sa Création ? Et pourquoi s’étonner si nous ne sommes pas exaucés ? Quand on multiplie ce genre de demandes absurdes par le nombre de fidèles et par le nombre de fois qu’ils vont réciter cette prière, cela donne légèrement le vertige…. Il y aurait eu « entrer dans la tentation », cela pourrait signifier : "Ne nous laisse pas moisir dans la tentation". on aurait pu se dire que la prière est simplement ambigüe : cela arrive souvent. Mais « entrer en tentation » ne laisse aucune chance à l’équivoque et nous fait retomber du mauvais côté, dans une métaphysique « sans mal », une métaphysique qui n’existe pas. Il me semble qu’il fallait le dire.

Cet article est paru dans le n°938 du magazine Monde et vie, voici presque un an. Il redevient d'une actualité brûlante...

jeudi 2 novembre 2017

Saint Luc, la bonne nouvelle de la miséricorde

Le 10 novembre prochain, après vous avoir entretenu de saint Matthieu et laissant provisoirement de côté saint Marc, le plus facile et donc le plus difficile des quatre, j'aborderai saint Luc. Lui ce n'est pas seulement celui qui écrit le plus beau grec, c'est "notre cher médecin" comme l'appelle saint Paul, celui qui nous enseigne la miséricorde du Seigneur, celui qui s'émeut devant l'angoisse du Christ à Gethsémani, celui qui nous apprend que crucifié à côté du Seigneur, il n'y avait pas seulement deux brigands, que l'un d'entre eux est entré le premier au Paradis, que Jésus avait converti la "femme qui avait en elle sept démons", qu'il a exalté de façon tellement paradoxale le fils prodigue et qu'il a donné en exemple ce Samaritain que tout le monde aujourd'hui nomme "bon".
  
Saint Luc nous montre comment la Miséricorde est la seule forme de justice qui soit digne de Dieu !
Café le François Coppée
1 boulevard du Montparnasse
75006 PARIS M° Duroc
vendredi 10 novembre 20H00
Entrée libre