dimanche 31 octobre 2010

Qu'en est-il des valeurs chrétiennes ?

On invoque souvent les "valeurs chrétiennes" sans se donner toujours la peine de préciser quelles elles sont. On les invoque pour s'en gargariser... Ou pour les rejeter...

Ceux qui les rejettent paraissent avoir des raisons fortes de le faire, raisons qu'un Nietzsche a développées avec la force qu'on lui connaît : le christianisme, religion de faibles, provient du ressentiment des faibles qui en veulent aux forts. On a parfois même l'impression que l'Eglise s'autointoxique avec ses... fausses valeurs... Oui, qu'elle est faible souvent notre Eglise ! Et quelle différence entre ce qui devrait être, ce que les voix les plus autorisées disent que c'est... et ce que c'est. Ainsi, ceux qui se gargarisent des valeurs humanitaires, en les revendiquant comme identifiant l'Eglise du Christ semblent faire le jeu de ceux qui rejettent cette Eglise.

Exemple de l'identité entre le discours de rejet et le discours d'identification ? Dans Fragile absolu, sous titré Pourquoi l'héritage chrétien vaut-il d'être défendu ?, livre tout récemment réédité en collection Champs Flammarion. Slavoj Zizek explique, comme naguère Alain Badiou dans son Saint Paul ou la naissance de l'universalisme que les valeurs du communisme sont bien les valeurs du christianisme : ce sont les mêmes... Non pas que la Révolution bolchevik soit une révolution chrétienne : Zizek n'est pas si bête ! Mais en tout cas "l'idée communiste" (comme il dit) est une idée chrétienne : "Oui le marxisme est dans le droit fil du christianisme. Oui christianisme et marxisme doivent combattre main dans la main, derrière la barricade, le déferlement des nouvelles spiritualités. L'héritage chrétien authentique est bien trop précieux pour être abandonné aux freaks intégristes".

Freaks? Que les intégristes soient des gens profondément déformés, je le pense et l'ai écrit dans mon Jonas. "L'intégriste est celui qui veut faire la volonté de Dieu, que Dieu le veuille ou non" écrivait Frossard naguère : bien vu! Et cela pose un problème mental, tout en nous ramenant très près de la logique du premier péché. Comment peut-on savoir mieux que Dieu? Il y a dans l'intégriste un gnostique qui s'ignore.

Mais que Zizek nous donne le choix entre "freaks" et cathocommuniste, sans aucun troisième terme, c'est pour lui et pour son honnêteté de chercheur que cela devient inquiétant.

Ce cathocommunisme, dès 1973, Thomas Molnar l'a identifié en évoquant "l'utopie, éternelle hérésie" (Beauchesne éd.) et en montrant comment le Père Teilhard de Chardin entrait volens nolens dans cette logique. Un peu plus tard, dans Le paysan de la Garonne, Jacques Maritain évoquait la temporalisation du royaume de Dieu. Mais combien d'autres se sont tus, parmi les augures de la vie intellectuelle en ce temps là ? Je ne parle même pas de la vie ecclésiale !

Ce cathocommunisme n'est pas mort. Il n'est même pas ringard comme nous le montre le livre de Zizek. Plus grave : le vent d'antilibéralisme consensuel qui souffle en ce moment risque de nous ramener ce monstre spéculatif (véritable freak pour le coup) dans des habits neufs. Je ne dis pas que c'est déjà fait mais le risque est là.

Comment échapper à cette confusion mentale ? Peut-être en fêtant sérieusement la fête du Christ Roi, demain dans le calendrier old fashion. Il suffirait de réentendre le dialogue entre Jésus et Pilate, fantastique page d'Evangile, où Jésus apparaît vaincu, entre les mains de Pilate, mais où il annonce à l'avance sa victoire spirituelle contre le hiérarque : "Mon Royaume n'est pas d'ici". Ou encore, selon une ambiguïté possible en grec : "Ma royauté n'est pas d'ici". Sous entendu : tu ne peux rien contre elle.

Mais quelle est-elle cette Royauté ? Quel est le titre du Christ à régner ? La vérité. "Celui qui est de la vérité entend ma voix".

Le tout est de savoir de quelle vérité il s'agit ? Est-ce le christianisme tel que les hommes affectent de le comprendre, le christianisme réduit à un texte et à une histoire, le christianisme transformé en culture ? Alors oui, du point de vue de la culture chrétienne, Zizek a raison : il y a d'invincibles analogies formelles entre christianisme et communisme.

Mais telle n'est pas la vérité de l'Evangile. ce n'est pas une vérité uniquement formelle, spéculative, susceptible de s'analoguer à d'autres vérités qu'elle annoncerait ou qu'elle accomplirait. La vérité de l'Evangile est indissolublement une vie. Elle représente une transformation de soi, une vérité qui nous fabrique de nouveau, qui nous offre rien moins qu'une deuxième naissance comme l'explique le Christ à Nicodème.

Faire des valeurs chrétiennes autant de valeurs purement humanitaire, en "temporalisant le Royaume des cieux" comme disait Maritain, en réduisant la foi à une culture forcément homologue à d'autres cultures comme on le voit aujourd'hui, c'est oublier les données primitives de ce que j'appellerai une épistémologie de la foi. La foi est une réalité sacramentelle. Soit elle nous transforme, en créant en nous un esprit nouveau, soit elle n'existe pas comme foi, mais simplement comme culture. "La sagesse de Dieu est venue dans la Puissance" comme disait saint Paul aux Corinthiens.

Voilà tout ce qu'oublie le cathocommunisme assez répandu sous diverses formes depuis cinquante ans. Il confond l'action spirituelle et surnaturelle du christianisme avec des ressemblances purement formelles, dont personne ne comprend que les remarqer et les célébrer c'est détruire la puissance du Christ en la ravalant à une simple idée. Humaine trop humaine aurait dit Nietzsche pour le coup.

Il ne faut pas confondre le christianisme spirituel et le christianisme culturel, sous peine de mériter ce qu'annonce le Christ dans un des textes les plus pessimistes de l'Evangile, cette parabole de l'homme qui chasse de chez lui le démon, mais qui, comme le reproche Nietzsche à beaucoup de chrétiens, n'est pas assez fort pour le chasser tout à fait. Voilà une conversion purement humaine, qui s'est effectué sans la puissance de Dieu. Le démon revient, avec sept autres, plus méchants que lui : "et le sort de cet homme là est pire qu'avant" n'hésite pas à souligner le Christ, comme si nous ne l'avions pas assez compris en comptant les démons que comporte cette histoire (huit en tout finalement).

Ne devenons pas chrétiens à moitié ! C'est sans doute la pire des choses qui puisse nous arriver. Voilà la part de vérité paradoxale d'un Nietzsche. La demi-foi est pire que la non-foi. Elle est une trahison, la non-foi n'est qu'un silence (qui peut cesser à tout moment). Il ne s'agit pas de devenir des vibrions pour autant, des fanatiques, non. Le fanatisme, c'est le freak dont nous parlions plus haut. Mais il suffit de réfléchir à ce que signifie pour nous la vérité du Christ : non pas une idée, mais un fait nouveau dans l'histoire, qui nous transforme et qui (Girard l'explique très bien à Nietzsche dans Quand ces choses commenceront) a déjà transformé l'humanité tout entière.

samedi 30 octobre 2010

La France comme on écrit un haïku

Article repris de Minute du 6 octobre 2010
L’essentiel de la jeune production littéraire de Michaël Ferrier tourne autour du Japon, où il enseigne la littérature et la culture françaises. Son dernier roman ne déroge pas à la règle : il a lieu à Tokyo. Détail qui a son importance : il raconte un colloque sur l’identité française…

La cérémonie intellectuelle – le colloque – se déroule à l’Université du Centre, entre officiels, mandarins de l’université et vedettes internationales de la pensée, sous la haute autorité du professeur Nezumi. Cela nous vaut une galerie de portraits qui nous montre bien que le mandarinat est le même partout, aussi boursouflé, aussi essoufflé, aussi mesquin à Tokyo qu’à la Sorbonne ou à Harvard. Avec un petit plus pour les universitaires japonais, qui devient sous la plume de Michaël Ferrier un ridicule de plus: la volonté de bien faire ou de montrer que l’on fait bien, pas si fréquente sous nos latitudes universitaires!

Petits fours à gogo. Ambiance moi sie et toute mondialisée. Discours sur la France qui est le même qu’à New York ou à… Paris. Attaque contre la culture française qui n’existe plus, contre la littérature française qui se meurt. Mais je vais laisser parler Michaël Ferrier pour que vous compreniez que ce livre est avant tout une manière de dire, un arrangement de mots pour tenter de dire sa vérité: « Il fluctue le grand professeur, il églogue, il contredanse: adieu à la littérature par-ci, dépérissement de la littérature par-là, épuisement de l’espace littéraire en grandes voûtes solennelles par-dessus toute pensée… décadence partout, déchéance tous azimuts. N’en jetez plus, le corbillard est plein! L‘agonie est en marche, planifiée et comme souhaitée. Toute une phraséologie phraséeuse, vermoulue enfonce la France dans la déploration de sa grandeur perdue. Pourtant chaque trimestre un nouveau livre sur la question: il faut croire que le cadavre bouge encore. »

La France c’est naturel, comme un bon verre de pauillac

Michaël Ferrier est un Français d’Outre-mer, un Français qui n’a pas beaucoup vécu en France, mais dont la France, libre et insolente, constitue l’identité et le français son mode naturel d’expression. Est-ce parce que de loin elle lui apparaît comme un fantôme? Il affirme en tout cas « sa sympathie pour le fantôme », sympathie inconditionnelle, sympathie qui s’adresse à tous les sens du terme « fantôme », aussi bien les revenants, ces Français des anciens jours dont le passé est un présent pour Michaël Ferrier, que les fantômes des mangas japonais, sortes de divinités tutélaires voltigeant dans notre imaginaire, ou encore, de manière plus cryptée, ce « fantôme qu’on laisse entre deux livres dans une bibliothèque pour signifier qu’un volume est emprunté: la France est-elle cette absente toujours là, comme un livre suppléé par son fantôme? Il y a encore un sens au mot “fantôme”: l’harmonique cachée dans le piano qui vibre impromptue et donne de l’épaisseur à une note.

Dans la grande analogie du monde, c’est un peu tout cela la France. Pas la peine de chercher à lui donner « une image pour la télé ». La France? C’est naturel, comme un bon verre de pauillac dit Ferrier, comme un haïku, écrit à la va-vite, ou comme ses amours si légères si pudiques et si ardentes avec Yoko, la présentatrice de l’émission Miroirs de France à la télévision japonaise.

A l’heure des marchés financiers, ce naturel ne pèse pas très lourd. Mais c’est lui aussi qui a ému Michel Houellebecq, plutôt dur à cuire pourtant, dans la conclusion de La Carte et le Territoire. Ce naturel français existe, avec son parler, sous toutes les latitudes. Pas question de faire une différence entre la France et l’outre-mer pour Michaël Ferrier, la distinction lui semble pour le moins « curieuse ». Gageons que comme d’autres que nous connaissons bien, Gollnisch ou Giocanti, c’est au Japon et en japonisant que Ferrier se sent le plus français. Qui a dit qu’il y aurait – ou qu’il y a – un clash des civilisations?

Joël Prieur
Michaël Ferrier, Sympathie pour le fantôme, éd. Gallimard, coll. L’infini, 260 pp., 22,50 euros port compris. Commande à : Minute, 15 rue d’Estrées, 75007 Paris.

mercredi 27 octobre 2010

Déni d’immigration

Article repris de Minute du 27 octobre 2010

Hugues Lagrange est chercheur au CNRS. Il vient de publier un livre, qui a fait grand bruit, sur le problème crucial de l’immigration en France. Son cheval de bataille ? L’ouverture multiculturelle. Une manière comme une autre, sur ce sujet, de prendre le taureau par les cornes.

Comme il fallait s’y attendre, la longue introduction de Hugues Lagrange à son livre, Le Déni des cultures, porte surtout sur des questions de sémantique. Il s’agit, avant toutes choses, de trouver… les mots pour dire les choses: « La querelle du sémantiquement correct bat son plein. Le mot race est une abomination. Son funeste destin emporte avec lui le mot ethnie, ou ethnicité. » Comment désigner cette réalité de - venue innommable? « J’emploie le mot culturel pour parler des liens qu’un individu a contractés du fait de sa naissance et de sa socialisation avec une ou des cultures. » Bref, pour parler comme Pierre Boutang, il s’agit non de ce qui vient de la nature, cet universel identique en chacun, mais de ce qui vient de la « naissance », et qui constitue notre… identité. Lagrange connaît ses classiques: pour dédiaboliser la question, il s’empresse de mentionner Claude Lévi-Strauss, défendant l’ethnocentrisme qui existe dans toutes les cultures. Après s’être ressaisi des mots, en leur donnant un sens précis et non fantasmé par les uns ou par les autres, il faut encore pouvoir travailler sur le matériau sociétal qui est l’objet des recherches du sociologue. Las! Reprenant le constat de Michelle Tribalat dans Les Yeux grands fermés (Denoël, 2010), La - grange dénonce « l’occultation », le déni des diversités culturelles qui coexistent aujourd’hui en France. « On n’envisage pas de lire les phénomènes sociaux en référence à l’origine culturelle, on ne le peut pas, la statistique publique rechignant à tenir compte de ces paramètres. » Le lieu de naissance des ascendants est certes enregistré, mais il est ensuite éliminé des données publiques!

Un mépris des problèmes réels

Résultat de cette occultation? Un mépris des problèmes réels, les pouvoirs publics s’attachant à des poncifs rassurants, sans se donner la peine d’envisager l’immigration dans sa diversité culturelle, non seu lement par rapport à la culture autochtone, mais en son propre sein. Les immigrés ne sont pas tous les mêmes! Leurs problèmes sont dis tincts selon leur origine ethni que. Voilà la découverte, simple com me l’oeuf de Colomb, autour de laquelle Lagrange construit son livre. La tendance à la globalisation des problèmes migratoires em pê che qu’ils soient traités sur le fond et autorise des généralisations qui, à y regarder de près, sont toutes plus contestables les unes que les autres. On ne pourra résoudre les problè mes que si l’on prend en considération ces différences entre populations allogènes, au lieu de se caler dans le déni. Exemples des conclusions nouvel les que l’on peut et doit tirer sur les problèmes qui se posent concrète ment dans nos villes? La fameuse mixité sociale est organisée selon l’op position simpliste entre autochtones et migrants, comme si tous les migrants étaient les mêmes. L’une des propositions de Hu gues Lagrange consiste à organiser la mixité sociale au sein même des populations immigrés, pour ne pas laisser se pérenniser tel ou tel mo dèle périmé et pour éviter que naissent des zones de non-droit qui sont aussi des territoires d’une ethnie. Il est statistiquement prouvé que des Maliens, par exemple, mis dans un contexte culturel vraiment mixte, obtiendront rapidement un meilleur pourcentage d’intégration. Mais pour cela, il faudrait que l’administration française sorte du déni au lieu de donner des leçons de morale dans le vide. Tout en militant pour la prise en compte des diverses cultures d’origine, Hugues Lagrange n’est pas un « multiculturaliste », prétendant que la nation France se résoudrait aujourd’hui à une convivance de la tribu autochtone avec des tribus allogènes dont il faudrait respecter a priori les coutumes. Il s’agit au contraire pour lui de poser un certain nombre de diagnostic sur les élé ments dans la structure des cultures d’origine qui empêche l’intégration, et donc sur ce qui doit évoluer (voir encadré) pour que l’inclusion des nouveaux arrivants au sein de la nation France soit véritable.

Lagrange ne prend pas en compte la spécificité du modèle national

Deux regrets: nulle part Hugues Lagrange ne prend en compte la spécificité – irréductible à l’empire américain – du modèle national français, qui est assimilationniste dans la mesure même où il est ré - publicain. Et puis, tout en mentionnant fréquemment les problèmes que pose l’islam, il n’étudie pas la question religieuse, qui semble pour tant une question clef pour une véritable « inclusion » à venir… Mais ne boudons pas notre plaisir: ce livre marque une date im portante dans les études sur les phé nomènes migratoires. Avec une volonté affirmée de sortir de la langue de bois.

Joël Prieur

Hugues Lagrange, Le Déni des cultures, éd. du Seuil, 350 pp., 25 euros port compris. Sur commande à : Minute, 15 rue d’Estrées, 75007 Paris.

Variations sur les ouvriers de la Onzième heure

J'ai beaucoup aimé la contribution de l'anonyme qui, dans le post précédent - Antilibéraux de tous les pays unissez-vous - loue le Maître de l'Evangile dans la parabole des ouvriers de la 11ème heure en soulignant que c'est un patron social : "Un bon patron doit être comme un bon pasteur. Il connait ses salariés et ses salariés le connaissent. Il est une sorte de père pour eux (et tant pis si l'on m'accuse de paternalisme)".

Tout à l'heure, j'ai participé à une émission avec mon ami Arnaud Guyot-Jeannin sur le livre de Joseph Pearce, Small is toujours beautiful, dont vous entretient mon alter ego Joël Prieur. Au cours de l'émission, avec Philippe Maxence, éditeur-courage de cet opus, nous avons essayé d'insister (non sans quelques chamailleries de détail, "pour l'ambiance") sur le fait qu'alors que l'économie est la recherche naturelle du profit, le problème n'est pas de changer de système et d'anéantir le capitalisme comme parle encore le Front de gauche. Non ! Le problème est l'état d'esprit dans lequel on travaille, l'état d'esprit dans lequel on consomme, l'état d'esprit dans lequel on vit. Bene bona facere dit saint Augustin. Il importe non de faire le bien mais de le faire bien. La Révolution chrétienne ne signifie pas un changement de système, mais un changement d'état d'esprit.

Ainsi en est-il dans l'exercice de l'autorité. Il ne s'agit pas de dire : les cahiers au feu et les profs au milieu ; il ne s'agit pas de supprimer l'autorité parce qu'elle est injuste : ne rêvons pas le monde ! L'exercice de l'autorité est naturel à l'homme animal social, souligne saint Thomas (Ia 96 4). Il ne faut pas nier l'autorité mais l'assumer "comme un bon pasteur", qui connaît ses brebis. Le patron social de l'Evangile de Matthieu donne la même chose à ceux qui ont travaillé une heure [sans faute de leur part: personne ne nous a embauché, nemo nos conduxit, extraordinaire ce verbe conduxit à cet endroit], parce qu'ils ont les mêmes besoins, les mêmes enfants à nourrir etc. Voilà une économie personnaliste !

Qui parle d'autorité traite de l'obéissance : il ne faut jamais oublier la raison profonde de l'obéissance d'après saint Thomas : le bien commun. On n'obéit pas à un autre parce qu'il est plus grand, plus fort ou plus gradé. On lui obéit parce qu'il a une vision du bien commun que nous n'avons pas forcément de la place où nous sommes. De ce point de vue, l'obéissance n'est pas un rapport de force, mais une vertu, qui nécessite un acte d'intelligence de la part de celui qui obéit, comme de la part de celui qui commande l'ordre est ultimement l'expression de la vertu intellectuelle de prudence.

La modernité, avec Hegel et Marx, nous a désappris à voir l'intelligence dans l'autorité et dans l'obéissance. Nous imaginons qu'il s'agit simplement d'un rapport de force. Dans ce rapport de force, remarquait Hegel, l'esclave est toujours sûr de gagner pour la bonne raison qu'en tant qu'esclave il n'a rien à perdre. On sait l'usage que Marx et ses successeurs de la IIIème Internationale feront de la dialectique du Maître et de l'esclave. Des flots de sangs vont inonder l'histoire ! Il faut revenir à la conception traditionnelle, à la conception intelligente de l'autorité.

Ancré dans l'idée du rapport de force, le mauvais chef se pose la question : à quoi celui là va me servir ? Et s'il ne sert plus à rien il le jette comme un kleenex. Le bon chef, en revanche, se demande de son subordonné : est-il capable de servir (avec intelligence) le bien commun de l'entreprise ? Et si c'est le cas, il est comme le bon pasteur de l'Evangile, comme le patron des ouvriers de la Onzième heure. C'est le contrat qu'il honore d'abord et pas le nombre d'heures travaillées. Cet homme a accepté de servir sans se servir ? Il mérite salaire. Ce n'est pas une quantité de travail qui est rémunérée (une heure ou douze heure). C'est la qualité du service, c'est le contrat.

Au fond, ce que cette parabole nous enseigne, c'est qu'"il n'y a de richesse que d'homme" selon la devise d'un hebdomadaire. Les ouvriers font partie du bien commun de l'entreprise, ils doivent être respectés en tant que tel. Ils ne constituent pas une force de travail quantifiable, mais un capital, proprement in-estimable, que l'on se doit d'entretenir, en respectant le contrat que l'on a avec chacun d'eux.

Le chef qui ne voit pas que lui comme ses ouvriers se trouve au service d'un bien commun qui les englobe et, individuellement les dépasse, n'a pas compris son rôle de chef. Il va à la ruine de l'entreprise, en voulant faire du chiffre.

Qu'est-ce à dire ? Le rationalisme entrepreneurial qui délocalise à tout va et fonde sa décision sur un ratio, ce rationalisme omniprésent dans notre économie capitaliste devenue folle n'a raison que pour un temps. La rationnalité ne se limite pas au calcul. Celui qui dirige doit accepter d'être toujours dépassée par la réalité de la vie. S'il n'y a effectivement de richesse que d'hommes, alors le coeur, au sens de l'Evangile, au sens de Pascal, au sens de l'économiste Schumacher, au sens de Joseph Pearce (voir post précédent), en même temps qu'il est l'organe du courage, est l'organe du gouvernement. Pour gouverner, il faut être un homme de coeur, comme le patron des ouvriers de la Onzième heure. Est-ce la "faire du sentimentalisme" ? Point du tout. C'est accepter simplement avec Pascal que "le coeur ait ses RAISONS que la raison est incapable de reconnaître. Mais ceci est une autre histoire !

lundi 25 octobre 2010

[conf'] "Les Cristeros" par l'Abbé Néri

Mardi 26 octobre 2010 à 20H00 au Centre Saint Paul (12 rue Saint Joseph - 75002 Paris) - "Les Cristeros" par l'Abbé Néri - PAF 5€, tarif réduit à 2€ (étudiants, chômeurs, membres du clergé) - La conférence est suivie d’un verre de l’amitié.

samedi 23 octobre 2010

Antilibéraux de tous les pays, unissez-vous!

Article repris de Minute du 29 septembre 2010

Les éditions de l’Homme nouveau, émanation du périodique du même nom, viennent de publier en français le livre de Joseph Pearce, avec un titre original : Small is toujours beautiful. Une occasion d’aller faire un tour du côté de l’antilibéralisme catholique. En constatant que rien n’est plus actuel que ce refus des grandes lois économiques actuelles.

Il faut faire l’effort de dépasser les poncifs sur lesquels repose largement notre présent. Exemple de ces poncifs? Le libre-échange est toujours générateur de richesse. Supprimons partout toutes les protections et le monde s’enrichira. L’économiste français Maurice Allais a dit ce qu’il fallait penser de ce nouvel impératif catégorique du libre-échange, qui ne fonctionne vraiment, souligne-t-il, qu’entre partenaires à peu près égaux. Joseph Pierce montre, après bien d’autres, que la généralisation planétaire du libre-échange aboutit à la création de toutes sortes de zones spécialisées dans telle ou telle production dans lesquel les les producteurs (souvent des paysans) sont obligés de se contenter du prix qu’on leur impose, puisqu’ils n’ont pas d’autres ressources. La gestion soi-disant libre-échangiste du commerce mondial aboutit à un dirigisme des multinationales occidentales qui est l’exact opposé de la liberté. La vieille fable du « renard libre dans le poulailler libre » chère à Rosa Luxembourg, se reproduit non plus dans les « factories » anglaises mais à un niveau planétaire. Dans la liberté généralisée, il y en a forcément qui sont plus libres que d’autres et qui imposent leur liberté aux autres.

« Une civilisation blessée au coeur »

Pour que ce scénario catastrophe n’advienne pas à notre monde il importe de défendre tous les petits modèles: small is beautiful! Cette devise qui est aussi, ne nous y trompons pas, un cri de guerre, remonte à l’économiste Ernst-Friedrich Schumacher, qui, dans les années soixantedix, avait publié un livre sous ce titre. Joseph Pierce retrouve cette veine et il montre que l’antilibéralisme doit être politique lorsqu’il s’oppose à la dictature administrative de l’Union européenne, géopolitique lorsqu’il critique le « libre marché » mondial, dominé par les multinationales, écologique lorsqu’il s’oppose à la destruction systématique de l’environnement au nom de la monoculture et lorsqu’il exige que l’on s’interdise le gaspillage des énergies non renouvelables, métaphysique lorsqu’il prône la décroissance et la maîtrise du désir insatiable, spirituel enfin lors qu’il milite pour le retour de l’âme dans les sociétés qui fonctionnent aujourd’hui uniquement sur un calcul de rendement.

«La civilisation moderne ne peut survivre qu’en commençant à éduquer le coeur, car l’être humain est aujourd’hui beaucoup trop intelligent pour être capable de survivre sans la sagesse.» Tel est le dernier mot de Joseph Pierce dans ce livre. Cette allusion finale au coeur fait penser à l’un des derniers livres de l’intellectuel catholique Jean Madiran qui diagnostique, lui aussi, «une civilisation blessée au coeur.»

Le fait qu’un tel livre soit publié aujourd’hui par un journal qui se trouve résolument à droite dans le spectre des publications catholiques a son intérêt. Est-ce qu’une fois de plus ce n’est pas la droite qui est créatrice, originale et… radicale? Alors que la gauche chrétienne n’en finit plus de se morfondre dans les vieux schémas idéologiques, dont elle ne sait pas comment se dépêtrer, c’est la droite qui montre le chemin: antilibéral en politique, en économie et… en religion, pour défendre les identités et respecter l’indispensable biotope: cette nature dont on oublie qu’elle reste d’une manière ou d’une autre la mère de l’homme. Il s’agit de rien moins, dans ce livre d’apparence universitaire, que de défendre, en un ultime combat, l’âme du monde humain contre la dictature du rendement à tout prix et du productivisme sans entrailles. Combat perdu d’avance? Non: combat que l’on a gagné en soimême à partir du moment où l’on accepte de le mener.

Joël Prieur

Joseph Pierce, Small is toujours beautiful, éd. de L’Homme Nouveau, 372 pp., 33 euros. Commande chez l’éditeur.

jeudi 21 octobre 2010

"Mon copain Joseph"

Emu par le ton très personnel de la dernière adresse du pape aux séminaristes du monde, je me souviens qu'une de mes paroissiennes m'a confié des mémoires de l'écrivain allemand Günter Grass, intitulés Pelures d'oignon, avec des signets chaque fois que Grass évoque "son copain Joseph, celui qui mastiquait du cumain, aujourd'hui le tout nouveau pape" (coll. Points p. 426). Un personnage déjà fascinant pour le futur écrivain, justement parce qu'il ne cherchait à fasciner personne mais que "personne n'aurait été capable de défendre la Seule en dehors de laquelle il n'y a pas de salut avec autant de profondeur fanatique et en même temps d'amour et de tendresse que mon copain Joseph" (p. 408).

"Nous n'étions jamais que deux parmi des milliers (...) mais je ne voulus pas exclure que ce copain Joseph qui était comme moi la proie des poux et avec qui je mastiquais par temps de faim constante du cumin sorti d'un petit sachet, mais dont la foi était un blokhaus aussi solide que ceux du Mur de l'Atlantique, pouvait être un certain Ratzinger, qui prétendait aujourd'hui jouir de l'infaillibilité papale, quoi que de cette manière timide que je lui connaissais, d'autant plus efficace qu'elle était proférée à mi-voix"(p. 409)

Ce témoignage sur le Camp de Bad Aibling est beau, même si Grass affecte une certaine distance avec ses souvenirs. On VOIT le jeune séminariste, déjà tel qu'en lui-même. Pour éviter l'ennui et le vide intérieur (attitude typique du type 5 de l'ennéagramme), il fait du latin... avec Grass : "Avec quoi combler la fissure qui, si elle n'était pas visible, béait à l'intérieur ? Je m'entends aujourd'hui encore conjuguer des verbes. Aucun doute ce jeune accrocheur de wagon qui à 950 mètres sous terre essaie avec application et ténacité d'améliorer son pitoyable latin, c'est moi (...) Je me moque de lui, je le traite de rigolo, mais il ne se laisse pas distraire, il veut remplir le vide avec quelque chose, ne fût-ce que les scories d'une langue que son compagnon du camp de Bad Aibling maîtrisait parfaitement et dont il disait qu'elle "règnait sur le monde pour l'éternité". plus encore : Joseph allait jusqu'à prétendre qu'il rêvait selon les règles immuables de cette langue"(p. 259).

Et quand il ne rêve pas en latin, le jeune Joseph joue sa vie aux dés. "Je donnai du cumin au compagnon avec qui j'étais accroupi sous une toile de tente par une pluie continuelle et jouais peut être notre avenir avec trois dés. Il est là, s'appelle Joseph, me parle -d'une voix imperturbablement faible, douce même - et ne me sort pas de la tête. Je voulais être ceci, il voulait être cela. Je disais qu'il y a plusieurs vérité. Il disait qu'il n'y en a qu'une. Je disais que je ne crois plus à rien. il empilait les dogmes l'un sur l'autre. je m'écriais : Joseph, tu veux sans doute devenir grand inquisiteur ou même mieux encore. Il sortait toujours quelques points de plus et en jetant [les dés], citait saint Augustin, comme s'il avait sous les yeux ses cofessions latines. Ainsi jetâmes nous les dés, jour après jour..." (p.213).

Joli texte, qui nous montre un jeune sage, l'esprit tout occupé des saintes ettres et qui mastiquent sans doute davantage saint Augustin que le cumin de Günter Grass. Ce tableau nous montre quelque chose que l'on veut oublier : la puissance de l'esprit, surtout lorsqu'il fait de Dieu sa vie. C'est cela au fond que Benoît XVI prêche aux séminaristes, en les encourageant à faire des études, non pour la vaine gloire et l'érudition, mais pour trouver les réponses aux questions que se posent nos contemporains.

Dieu sait pourtant qu'à certain moment pour ce tout jeune homme réquisitionné par la Puissance hitlérienne, ce feu de l'esprit ne devait pas paraître peser très lourd. Il le dit d'ailleurs : « En décembre 1944, lorsque je fus appelé au service militaire, le commandant de la compagnie demanda à chacun de nous quelle profession il envisageait pour son avenir. Je répondis que je voulais devenir prêtre catholique. Le sous-lieutenant me répondit : Alors vous devrez chercher quelque chose d'autre. Dans la nouvelle Allemagne, il n'y a plus besoin de prêtres », rapporte le pape. Mais il ajoute sa propre conviction de l'époque : « Je savais que cette 'nouvelle Allemagne' était déjà sur le déclin, et qu'après les énormes dévastations apportées par cette folie dans le pays, il y aurait plus que jamais besoin de prêtres ».

Certains aujourd'hui ont tendance à penser comme le sous-lieutenant, contrairement aux séminaristes qui ont répondu à l'appel du Christ, fait observer le pape: « Vous, chers amis, vous vous êtes décidés à entrer au séminaire, et vous vous êtes donc mis en chemin vers le ministère sacerdotal dans l'Église catholique, à l'encontre de telles objections et opinions. Vous avez bien fait d'agir ainsi. Car les hommes auront toujours besoin de Dieu, même à l'époque de la domination technique du monde et de la mondialisation ».

Matérialisme hitlérien, matérialisme mondialisé : le premier était brutal. Le second insidieux et universel comme la société de consommation. Nous voyons la fragile silhouette de "mon copain Joseph" aux prises avec le Monstre totalitaire. Et ce n'est pas sans émotion. Mais prenons nous les moyens d'affronter ce totalitarisme soft, dont parle déjà Jean Paul II dans Centesimus annus, sommes nous capable de réagir dans une société qui met de côté ou condamne au néant toute forme de vie intérieure ? La résistance spirituelle est en cours. Petit exemple emprunté à l'écume des jours : hier dans un café, je rencontre, après minuit (eh oui...) un jeune homme qui parle théologie avec son amie. Surréaliste ? Non. Cette génération doit faire face. Elle sait que la plupart des problématiques du XXème siècle sont obsolète. Elle s'engage. "Si l'on étudie pas sa foi, on la perd" me dit en substance ce garçon.

Du haut de mon quasi demi siècle je vous le dis : cette génération pourrait bien nous surprendre par sa manière d'entrer en résistance spirituelle, sous l'égide du doux Benoît XVI. C'est en tout cas à quoi le pape appelle au moins les séminaristes du monde dans ce texte daté du 18 octobre dernier. Mais les laïcs qui veulent devenir chrétiens sentent bien, eux aussi, qu'il faudra, dans la grande centrifugeuse moderne, y mettre le prix. Chacun personnellement, en échappant à la superficialité obligatoire.

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Vous l'avouerais-je? je ne suis pas fan des réseaux sociaux. Ca doit être une question de génération.  Que voulez-vous... mon grand père pèse toujours dans ma manière de penser. Lui-même avait été élevé en partie par ses grands-parents, nés au début des années 40 (du XIXe siècle). J'ai une photo d'eux. L'aïeule ressemble fortement à ma mère. Mais quelle est cette mise en scène? que fait ma mère dans cette cour de ferme? s'agit-il d'une reconstitution? Non, ces sabots, cette coiffe, c'est du réel.  Entre eux et moi, il n'y a qu'un degré de connexion (ledit grand-père). C'est vous dire si j'ai des raisons d'être dinosaure!

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mercredi 20 octobre 2010

Paul del Perugia et la Révolution en formica

Article repris de Minute du 20 octobre 2010


Paul del Perugia nous a quittés en 1994, laissant derrière lui plusieurs très beaux livres sur des sujets divers : on se souvient de son Louis XV, de son Céline et de son livre souvent réédité sur Les Derniers Rois Mages, c’est-à-dire les Tutsis du Rwanda. Depuis quinze ans dormait dans ses papiers un roman, Le Voyage de Sébastien, qui nous livre sans doute la clef de son personnage et de son oeuvre si diverse et si profondément une.

Cela se passe à la fin des années 1950, entre la guerre d’Indochine et la guerre d’Algérie. Le monde est rentré dans la plus effarante révolution qu’il ait connue de puis l’origine, celle que Jean Fourastié a nommé les Trente Glorieuses. La vieille civilisation européenne, qui n’en finit plus de craquer, est en train de mourir. Une civilisation mondiale la remplace. C’est le premier thème de ce livre et c’est un témoignage passionnant sur une époque dont on a finalement peu parlé, une époque qui a laissé peu de traces dans la littérature, celle où les paysans de nos campagne ont pris conscience que parce qu’ils n’allaient pas le rester, il fallait absolument brader les vieux lits clos et les solides tables de chêne, pour les remplacer par ce mobilier multicolore en formica – dont aujourd’hui même les chiffonniers d’Emmaüs ne veulent plus, tellement c’est laid. Le Voyage de Sébastien est un roman d’initiation uni que en son genre: ni initiation sentimentale, ni initiation sociale – oh! bien sûr il y a tout de même un peu des deux sans doute –, mais ce que sent Del Perugia autour de son jeune héros, c’est l’émergence d’une civilisation nouvelle, dans laquelle Sébastien apprend à se mouvoir. Il découvre des personnages puissants: « le patron », un paysan du Limousin, mon té en graine à la faveur de l’é puration résistantialiste. Celui-là fait penser à un personnage bernanosien, il est comme Monsieur Ouine, au-delà du oui et du non, du Bien et du Mal.

Il y a quelque chose de plus fort que Monsieur Ouine, simple professeur pervertissant ses élèves. La - doue a fait une fois dans sa vie, sur une pierre, polie et repolie par l’eau, l’expérience de la destruction et du néant. Il se croit absolument seul au monde et sait que « le res te », femme, enfant, collègue, n’est rien. La littérature, depuis Dostoïevski, s’est souvent essayée à décrire le mal absolu dans un être. Ladoue a fait « un noviciat hercynien » dans les Montagnes vieilles du Centre de la France. Son coeur est de venu une pierre à l’image des pierres de son pays.

Face à cette vision du mal moderne, Del Perugia nous montre, au tour de son Sébastien, deux figures de pédagogue. Guère convaincantes. Il y a le prêtre qui est prêt à « passer aux barbares », qui ne cherche pas à défendre la civilisation chrétienne qui s’en va et prétend qu’il vaudrait mieux détruire Notre-Dame de Paris et le château de Versailles. Et il y a l’homme fait, qui a tout réussi mais vit dans une véritable schizophrénie, écartelé entre sa bonté naturelle et son ambition. Aucun des deux n’est vraiment à la hauteur!

Il y a aussi les vestiges du vieux temps, sa grand mère, attendrissante dans sa pudeur hautaine et inquiète et « Charlemagne », l’ancien Poilu qui cherche à comprendre ce qui restera de sa vie. N’est-ce pas auprès d’eux que Sébastien va se for mer? N’est-ce pas l’exemple muet de sa grand-mère et les curieux conseils du Poilu qui demeureront dans son esprit? A moins que la nature, ce beau pays de Langres, ne demeure gravé dans sa mémoire? On sent que Del Perugia ne veut fermer aucune porte: et si ses amours avec Jacqueline avaient définitivement ancré le jeune loup dans une absence totale de scrupules? La vie, même quand on veut l’avorter ou la détruire, garde le der nier mot: l’histoire n’est jamais qu’un vaste cimetière de civilisations disparues.

Il faut lire ce livre où le lyrisme entrouvre les portes de notre destinée et où la nature s’allie à l’histoire pour trouver des solutions en prenant la mesure des défis nouveaux qui nous sont jetés. Ce livre, en décrivant l’épouvantable crise de la post-modernité, nous offre une paradoxale espérance. A saisir.

Joël Prieur
Paul del Perugia, Le Voyage de Sébastien, éd. Via romana, 234 pp., 32 euros, port compris. Sur commande à : Minute, 15 rue d’Estrées, 75007 Paris.

mardi 19 octobre 2010

[conf'] "Les origines romantiques de l'antisémitisme allemand" par Olivier de Boisboissel

Mardi 19 octobre 2010 à 20H00 au Centre Saint Paul (12 rue Saint Joseph - 75002 Paris) - "Les origines romantiques de l'antisémitisme allemand" par Olivier de Boisboissel - PAF 5€, tarif réduit à 2€ (étudiants, chômeurs, membres du clergé) - La conférence est suivie d’un verre de l’amitié.

lundi 18 octobre 2010

L'Eglise et le monde

En lisant le petit ouvrage de Chesterton tout récemment traduit en français pour les éditions de l'Homme nouveau, intitulé L'Eglise et la conversion (13 euros), je tombe sur cette phrase magnifique, et profondément juste psychologiquement me semble-t-il : "Il est impossible d'être juste envers l'Eglise catholique. Dès qu'on cesse de l'attaquer, on se sent attiré par elle ; dès qu'on cesse de l'invectiver, on se met à l'écouter avec ravissement ; dès qu'on se met à être juste envers elle, on commence à l'aimer. Mais quand cette affection a dépassé un certain point, elle se met à revêtir la grandeur tragique et menaçante d'une grande histoire d'amour". Et il continue, comme parlant de lui-même : "Le converti éprouve le sentiment de s'être engagé, voire compromis, bref de s'être laissé prendre au piège, même s'il est ravi. Mais pendant un temps considérable il éprouve moins de bonheur que de terreur".

Pourquoi les rapports entre l'Eglise et le monde ont-ils toujours été si complexes ? Parce qu'au nom du Christ, l'Eglise ne tolère pas la demi mesure... C'est toute la difficulté de Vatican II que d'avoir imaginé que l'Eglise catholique pourrait ne plus avoir d'ennemis. Cinquante ans après, on s'aperçoit de la vanité profonde de ce calcul, qui affleure pourtant en toutes lettres dans Gaudium et spes. L'Eglise s'est réformée. Elle s'est lyophilisée. Elle a toujours autant d'ennemis. Ce constat avait en son temps beaucoup affecté René Rémond, le grand historien de l'anticléricalisme, qui imaginait que l'Eglise libéralisée n'autrait plus d'ennemis et qui a écrit son histoire de l'anticléricalisme sur ce thème. Il a eu le temps de voir que ce calcul était parfaitement vain. Et, au rebours de toute son oeuvre, alors qu'il avait publié en 1948 un Lamennais et la démocratie, puis en 1976 une synthèse sur L'anticléricalisme en France depuis 1815, avec toujours la même insistance sur une politisation excessive d'une Église trop antilibérale à son goût, un quart de siècle plus tard, en 2000, dans Le christianisme en accusation et en 2005 dans Un nouvel antichristianisme, il est obligé de constater que l'antichristianisme n'est pas du tout ce qu'il imaginait qu'il était dans sa jeunesse. L'Eglise est devenue libérale conformément aux voeux du Concile Vatican II, et on l'accuse encore. Comment se fait-ce ?

Voilà une vraie question.

Cela montre en tout cas d'abord que, sous quelque défroque que ce soit, l'Église reste l'Église. Elle hérite de son fondateur d'être "signe de contradiction pour la ruine et le relèvement d'un grand nombre". "Les disciples ne sont pas au dessus du Maître".

Le fait que l'on continue à pouvoir se poser la question montre deux choses :

1- l'Église ne saurait être parfaite, elle est forcément critiquable, même si elle constitue, de par les sacrements qui s'y donnent, une matrice inégalable de saints et de sauvés. Ceux qui opposeraient l'Église d'hier et l'Église d'aujourd'hui comme l'ombre à la lumière en seront forcément pour leurs frais. L'hommerie sous toutes ses formes est d'autant plus présente dans l'Église qu'elle semble plus scandaleuse aux spectateurs non avertis. Comme dit encore Chesterton, dans L'homme éternel : "Les chrétiens sont moins bons parce qu'ils devraient être meilleurs".

2- Le monde continue et continuera longtemps à être déçu par l'Église parce qu'il en attend trop. Parce que finalement, il l'aime trop. Il faut apprendre à distinguer la personne de l'Église et son personnel selon la distinction célèbre et sans doute un peu désenchantée de Jacques Maritain vieillissant. Mais cette déception que le monde éprouve face à l'Église est l'envers d'un véritable amour, persistant, toujours prêt à renaître, d'un amour qui, comme dit Chesterton, fait peur parce qu'il peut devenir dramatique - parce qu'il risque, chez les meilleurs, de se transformer en une histoire d'amour. Le célibat sacerdotal n'a pas d'autre justification que cette histoire d'amour pour l'Église, maîtresse exigeante, parfois injuste ou même simplement capricieuse.

Le succès trans-public du film Des hommes et des dieux (un peu plus de deux millions de spectateurs aujourd'hui) ne s'explique-t-il pas par cet amour persistant au-delà de tous les dédains ? En réalité, cet amour s'exprime d'ailleurs jusque dans le dédain dont on entoure les ministres de l'Église ("prêtre, pédophile, pléonasme" dit l'humoriste qui ne se rend pas compte à quel point ce trait de véritable haine antichrétienne est la preuve, par son outrance même, d'un amour persistant sous la cendre).

Ce qui naît et renaît sans cesse parmi les hommes, c'est, quoi qu'il en soit des insuffisances de ses ministres, cet amour pour l'Église, brillante à travers leurs haines - et aussi ce respect pour ceux qui la servent avec sincérité, quels que soient les défauts dont ils font montre. Je porte la soutane depuis plus d'un quart de siècle maintenant et puis témoigner que les ceusses qui imitent le cri du corbeau sur mon passage sont les premiers à vouloir discuter (parfois âprement) avec... l'objet de leurs quolibets.

samedi 16 octobre 2010

16 octobre 2010 - Marche de prière pour la Vie

Le Centre Saint Paul s'associe à la Marche de prière pour la Vie organisée par Renaissance Catholique, de la basilique Notre-Dame des Victoires à celle du Sacré-Coeur de Montmartre, le samedi 16 octobre à 17H45 à Paris.

vendredi 15 octobre 2010

France 1500 : quelle Renaissance ?

Magnifique exposition au Grand Palais, avec les chefs d'oeuvre d'un temps, où la France, après le règne bénéfique de Louis XI, se sachant reine du monde, entreprenait les folles guerre d'Italie et aspirait à une sorte d'Imperium mundi sans le titre.

Il est d'usage désormais de souligner que la Renaissance ne vient pas seulement d'Italie, mais aussi de la Flandre et des villes hanséatiques. Sans doute ! Mais l'exposition s'achève sur une toile de 1497, signée Léonard de Vinci La belle Ferronière. Il est incontestable que le Milanais, avec quelques Toscans, avait plusieurs longueurs d'avance sur la peinture européenne, et ce, malgré Memling et quelques autres peintres flamands... ou français - Jean Clouet - dès le XVème siècle.

Mais qu'est-ce que la Renaissance ? Jeune, on m'a appris que la Renaissance recelait tout l'esprit du paganisme, un antichristianisme viscéral et une sorte de révolution humaniste en germe.

Je ne peux en parler qu'en apprenti philosophe des choses que je connais un tout petit peu. Un exemple ? Il est emblématique. Pic de La Mirandolle est mort avant 1500. Il faisait partie de la bande de jeunes qui entouraient Laurent de Médicis, jeunesse folle, jeunesse dorée, jeunesse immensément cultivée et profondément confiante en son temps. Il avait la prétention, dans les 900 thèses qu'il placarda à Rome, de balayer tout le savoir humain, en soulignant, dans une sorte de syncrétisme, que le christianisme était en germe dans les principales doctrines de l'Antiquité, chez tous les peuples. Poursuivi par la police du pape, il s'était réfugié en France pendant un temps. Mais Paris ne lui a pas souri. Il est vite de retour en Italie. Et là, à Florence, sur ses terres, après avoir échangé en platonicien avec Marsile Ficin (mort en 1499 : un symbole) et Ange Politien et après avoir écrit sur ces échanges le De ente et uno, il devient tertiaire de l'ordre dominicain. Par quel détour ? Le fait est qu'il se met volontairement sous la férule de Savonarole, dominicain qui organise à Florence des bûchers de vanités, et fait régner un ordre évangélique dans la cité de Côme de Médicis. Savonarole est, à ma connaissance, le premier sédévacantiste de l'histoire (il ne croyait pas qu'Alexandre VI Borgia fût vraiment pape). Et c'est lui que Pic choisit comme "directeur spirituel", comme on dira au XVIIème siècle. Etonnante rencontre ! Pic le rebelle fut enterré à 36 ans dans l'habit des frères dominicains, peu après avoir assisté à la soutenance de thèse de mon cher Cajétan.

Je pourrais parler de son traité De dignitate hominis, dans lequel, à travers un petit apologue, il explique que l'homme est le seul être qui n'a pas de nature, ou plutôt qui choisit lui-même sa propre nature. Terrible modernité. On est à des années lumières du Moyen âge. Et pourtant quelle foi !

Voilà tout le paradoxe de la Renaissance. Oui, c'est vrai l'univers ouvert de la Reanaissance n'a rien à voir avec le cosmos scalaire du Moyen âge. Mais la foi n'y est pas moins grande. Elle semble plus forte, elle éclate dans les moindres oeuvres d'art. C'est de la Renaissance que date le plus grand nombre de nos églises françaises. C'est la Renaissance qui vit naître la guerre religieuse. Nous ne pouvons donc pas imaginer ces gens là comme des païens ou des indifférents.

Alors Renaissance ? Moyen âge ? Les tableaux réunis dans cette exposition marquent un extraordinaire esprit de ferveur. Ils sont en même temps profondément religieux. Et si la Renaissance était l'un des moments les plus forts de notre histoire religieuse...

mercredi 13 octobre 2010

Les francs-maçons et leurs ennemis

Article repris de Minute du 13 octobre 2010

Michel Jarrige est ce que l’on appelle un spécialiste : l’homme d’un seul sujet, qu’il connaît sous toutes les coutures. De quoi parle-t-il ? De ce que l’on nomme pour faire court « l’antimaçonnisme » du XVIIIe siècle à nos jours. Entre théorie du complot et guerre des deux France, il y a du pain sur la planche !

Il a collaboré au Dictionnaire des francs-maçons de Daniel Ligout. Il a écrit sur la franc-maçonnerie à la Belle Époque, sur les positions de l’Action française à ce su jet. Aujourd’hui il présente une synthèse de ses travaux, dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle est bien ficelée et qu’elle nous renvoie à des personnages (de Copin-Albancelli à Flavien Brenier), à des événements (le fameux sommet in ter - national antimaçon de Trente – une sorte de concile catholique universel – mais sans le nom – réuni, évêques en tête, contre tous les con vents du monde) et à des revues (« La Pieuvre », « La Franc-maçonnerie démasquée ») qui ont disparu de nos mémoires.

Michel Jarrige est plus précis que les précédents historiens du complot, que ce soit Frédéric Charpier (qui reste à la superficie du sujet dans son livre L’Obsession du complot publié en 2005) ou même Pierre André Taguieff, butinant entre histoire, philosophie et mythologie dans sa récente Foire aux illuminés. Jarrige apporte des faits, des chiffres et des textes (en particulier l’extraordinaire Rituel intégral du Chevalier Rose Croix, publié en annexe, avec les commentaires d’Abel Clarin de La Rive, grand érudit antimaçon de la fin du XIXe siècle). Et il limite au minimum les considérations explicatives et les jugements de valeur que l’on voit fleurir partout ailleurs.

Il montre clairement le rôle de certains francs-maçons à double face dans l’élaboration de la légende noi - re. Parmi eux, René Guénon occupe une place de choix. Le métaphysicien blésois était passé dans l’ordre de Memphis Misraïm, où il était parvenu au 90e degré (sic) et dans l’ordre martiniste, dirigé par Papus (où il avait le grade de SI: Supérieur Inconnu). Plus tard, le même Guénon collabore sous le nom de plume Le Sphinx à la revue « La France antimaçonnique » dirigée par Clarin de La Rive… Il y défend l’idée d’une initiation hiérarchique, renvoyant à des supérieurs inconnus, tirant les fi cel - les ou dirigeant les ondes d’un vaste com plot spirituel contre l’ordre ancien. Quant à Papus, célèbre martiniste, il ne nie pas le complot, mais pré tend que les grands initiés sont… des extra-terrestres, venus au XVIIIe siècle apporter sur la terre une nouvelle spiritualité. La polémique qui s’ensuivit entre le Sphinx et Papus ne contribua pas le moins du monde à dé passionner le problème. Il me semble que l’histoire et l’historien devront faire l’inventaire de ce prodigieux montage de l’antimaçonnisme.

Que reste-t-il de tout cela? Quand on suit Michel Jarrige, on est irrésistiblement enclin à distinguer le folklore maçon ou antimaçon et les faits irréfutables. Que disent les faits? Qu’à partir de 1876, après la fin de ce que l’on a appelé la République des Ducs, on a assisté, sous l’égide de Gambetta, puis de Waldeck-Rousseau et de celui qui restera pour toujours le « petit père Combes » à une OPA des républicains radicaux sur l’enseignement, qui avait pour but de pérenniser la Ré publique troisième du nom, en lui donnant une plus longue durée de vie qu’à ses deux devancières. Cet impératif politique républicain, les francs-maçons, en particulier les membres du Grand Orient de France, l’ont servi de toutes leurs forces. La décléricalisation de la société française passait par là. C’est de cette manière également que l’on peut expliquer la célèbre Affaire des fiches, qui vit la République accorder de l’avancement à ses soldats non pas en fonction de leur savoir faire, mais selon le critère simple de savoir s’ils allaient ou non à la messe.

La mainmise de la République sur la société française

De manière différente, Augustin Cochin et Charles Maurras ont étudié en sociologues cette mainmise de la République sur la société française de l’époque, société qui était loin d’être gagnée à ce qui va devenir le mythe français moderne. Ni l’un ni l’autre ne sont seulement cités dans ce livre de Jarrige, qui s’intéresse avant tout à la grande croisade antimaçonnique lancée par le pape Léon XIII, dans son encyclique Humanum genus (1884). Ce que dénonce Jarrige, ce n’est pas le fait que la franc-maçonnerie a eu et a toujours une influence importante sur la société française. C’est plutôt le duel fantasmé entre Eglise et contre-Eglise qu’il attaque, en montrant comment la fameuse affaire Leo Taxil avait montré les limites de ce modèle. L’antimaçonnisme ne se relèvera jamais vraiment de ce fameux canular. Il ne revient à la mode comme théorie explicative que lorsque Darquier de Pellepoix et quelques autres conjuguent l’antimaçonnisme et l’antisémitisme, en dénonçant la « judéo-maçonnerie ». Mais ceci est une autre histoire.

Joël Prieur

Michel Jarrige, L’Eglise et la Franc-Maçonnerie. Histoire des soupçons et du complot, éd. Jean-Cyrille Godefroy, 308 pp., 24 euros. Commande chez l’éditeur.

En lisant Monsieur Taine...

Personne ne lit plus Taine et si je ne préparais pas une émission sur son biographe attitré, François Leger, il ne me serait pas venu à l'esprit de méditer ses leçons. Sa trajectoire spirituelle est étonnante pourtant. Jeune, il peut être comparé au Julien Sorel de Stendhal, jeune homme doué, en révolte contre la société de son temps et son pseudo spiritualisme, moqueur face à la pseudo religion qu'elle se donne... Il faut le voir, normalien frai émoulu de la Rue d'Ulm, envoyé comme prof en Poitou dans le diocèse du cardinal Pie : il joue le jeu des conservateurs locaux, pour ne pas attirer l'attention... mais sans croire un mot du classicisme très XVIIème qu'il distille dans ses cours. On a l'impression qu'Hippolyte au lycée, c'est Julien Sorel au séminaire...

Ce jeune révolté devint sur la fin de sa vie, à force d'observer les faits sociaux et de les passer au crible de sa passion pour la biologie, un véritable conservateur, et c'est dans cet état d'esprit qu'il écrivit Les origines de la France contemporaine, cette fresque monumentale qui est - entre autres - une charge contre la Révolution française, responsable de ce que Pierre Chaunu appellera plus tard "le grand déclassement" de la France.

Mais quel est son rapport au christianisme ? Il a publié sur ce sujet une série de trois articles dans la Revue des deux mondes en mai et juin 1891, que la recherche patiente de François Leger nous restitue.

"L'amour de Jésus Christ, écrit François Leger, avait réussi à créer dans le peuple comme un organe nouveau - et là il cite Taine : "la grande paire d'ailes indispensable pour soulever l'homme au dessus de lui-même, au dessus de sa vie rampante et de ses horizons bornés, pour le conduire, à travers la patience, la résignation et l'espérance jusqu'à la sérénité, pour l'emporter, par delà la tempérance, la pureté et la bonté, jusqu'au dévouement et au sacrifice".

Etonnante formule d'un grand matérialiste, d'un analyste pointilleux, d'un biologiste passionné. Dans cette série d'article, Taine montre l'évolution ultramontaine du catholicisme, qui a lieu alors que Napoléon persécute ce même Pie VII qu'il avait requis pour le couronner empereur... Et surtout il décrit le mécanisme de la déchristianisation. François Leger le résume ainsi : "Le catholicisme présentait à ses fidèles un tableau de l'univers, qui, déjà traditionnellement durci par la rigidité latine de ses formulations, avait encore depuis le début du siècle accentué sa rigueur et, si l'on peut s'exprimer ainsi, son étrangeté, alors que dans le même temps s'offrait chaque jour aux yeux des contemporains un tout autre tableau du même univers, un tableau dont la science moderne n,e cessait d'accroître l'attrait par l'incessant apport de ses découvertes, tableau dont l'instruction pimaire, le livre et la presse ne cessaient de vanter la véracité et la perfection. Entre ces deux tableaux, le contraste était devenu si criant que les Français étaient en train de perdre la foi". Suivent des chiffres : sur la Paroisse de la Madeleine, il y a 4000 pratiquants sur 29 000 habitants, et à Grenelle pas plus de 1500 sur 47 000...

Le diagnostic d'"étrangeté" me semble terriblement exact. C'est cette étrangeté de certaines formulations catholiques qui a engendré le malaise dont s'est nourri le Concile. Cette "étrangeté" est-elle surmontée pour autant aujourd'hui 45 ans après Vatican II ? L'omniprésence de la langue de buis dans certaine communication ecclésiastique me semble un symptôme parmi d'autres de la persistance du malaise.

mardi 12 octobre 2010

[conf'] "La Messe à l’endroit" par l’abbé Claude Barthe

Mardi 12 octobre 2010 à 20H00 au Centre Saint Paul (12 rue Saint Joseph - 75002 Paris) - "La Messe à l’endroit" par l’abbé Claude Barthe - L'abbé dédicacera son ouvrage, paru aux Editions de l’Homme Nouveau - La participation aux frais pour les conférences du mardi est de 5€ - exceptionnellement le centre Saint Paul vous propose le tarif suivant: LIVRE+CONFÉRENCE=10€ - La conférence est suivie d’un verre de l’amitié.

l'ouvrage: "Les textes liturgiques publiés par Benoît XVI supposent un renouveau liturgique à deux vitesses : une diffusion élargie de la messe tridentine et ce que l'on nomme la réforme de la réforme.

Après avoir analysé la situation du catholicisme français, l'auteur estime que le projet concret de réforme de la réforme pourrait se résumer à la diffusion de ce qui se pratique déjà dans certaines paroisses avec beaucoup de fruits pastoraux : réintroduction de la langue liturgique latine, distribution de la communion selon le mode traditionnel, usage de la première prière eucharistique, orientation de la célébration vers le Seigneur au moins à partir de l'offertoire et enfin: usage en silence de l'offertoire traditionnel.

Mais ce projet de réforme ne peut se réaliser sans la célébration la plus large selon le missel traditionnel ; inversement, celle-ci a besoin pour exister dans les paroisses ordinaires de la recréation d'un milieu vital par la réforme de la réforme. Les deux critiques parallèles des mutations opérées sous Paul VI (la critique frontale qui veut élargir la diffusion de la liturgie dite de saint Pie V et la critique réformiste, dite réforme de la réforme) ont aujourd'hui plus que jamais partie liée."

l'auteur: "L'abbé Claude Barthe, né en 1947, a vécu les évolutions en cours dans l'Eglise depuis le concile Vatican II. Auteur d'un bon nombre d'ouvrages de réflexion et de chroniques religieuses sur la crise actuelle et sur la liturgie romaine, il a participé à l'édition d'oeuvres de spiritualité ou de littérature catholique."

lundi 11 octobre 2010

Chesterton à la Catho jeudi !

Il n'en reviendrait sans doute pas lui-même ! Gilbert Keith Chesterton fera l'objet jeudi prochain (de 18H00 à 21H00) d'un important Colloque à la salle des actes de l'Institut catholique, 21 rue d'Assas, 75 006 Paris. Angle d'attaque : une comparaison entre Chesterton et Péguy sur la question de la conversion, avec, sous la baguette de Philippe Maxence, président de l'association des amis de Chesterton, des laïcs, des ecclésiastiques, des Français, des Anglais, des universitaires blanchis sous le harnois et des amateurs pleins de fougue, bref un beau plateau...

J'ai pu me prourer en avant première le nouveau livre de Chesterton traduit en français pour la circonstance. Cela s'intitule : L'Eglise catholique et la conversion, dans la petite collection de poche des éditions de l'Homme nouveau. C'est une perle (182 pp., 13 euros). Vous pouvez commander ce titre sur le site de L'Homme nouveau.

Je vous en donne juste un extrait pour la bonne bouche. C'est tout Chesterton : "Je voudrais dire ici de l'Eglise catholique ce que l'on ne pourra pas dire de ses respectables rivales : en bref, je dirais qu'elle est très précisément catholique. Elle n'est pas seulement plus grande que moi, mais plus grande que n'importe quoi au monde et que le monde lui-même".

Cela me rappelle la manière provocatrice dont Rohrbacher, au milieu du XIXème siècle commence sa monumentale Histoire de l'Eglise : "Au commencement était l'Eglise". Effectivement si l'Eglise est selon l'étymologie l'assemblée des fidèles convoqués par le Christ et si cette Eglise est vraiment catholique, c'est-à-dire universelle, on peut comprendre qu'elle représente dès maintenant la... fin de tout. Et parce qu'elle est à la fin de tout, pour Dieu en tout cas, elle est nécessairement au commencement : Ecclesia ab Abel répétait souvent le Père Congar avec justesse. L'Eglise existe depuis cet Abel que le Canon romain qualifie sobrement de "juste" et qui est quelque chose comme le premier martyr, ou, en tout cas, l'auteur du premier sacrifice, qu'il couronna de son propre sang, à l'imitation anticipée du Christ lui-même.

Tout cela pour dire qu'il ne faut pas manquer Chesterton et Péguy... Vous auriez attendu l'un à Oxford et l'autre, en face de sa célèbre boutique, à la Sorbonne. Vous les trouvez tous les deux... à la Catho, où ces deux grands pudiques nous parleront de ce qu'ils ont de plus intime : leur amour de Dieu ! Ils ont écrit l'un et l'autre des milliers de pages pour essayer de... ne pas nous dire ce que la Bible appelle "le secret du roi". Les spécialistes présents jeudi prochain tenteront de forcer leur pudeur et de les faire parler pour notre plus grand profit spirituel.

Pour une politique de la vie

Texte repris de Monde&Vie n°833 - 11 octobre 2010

Qu’est-ce que la politique chrétienne ? Par la bouche de Benoît XVI à Westminster hall, l’Eglise semble s’abstenir de proposer un modèle social particulier. Elle revendique d’être une instance critique, dénonçant les excès du néo-libéralisme dominant et la culture de mort. Malheureusement, il y a du pain sur la planche pour les laïcs chrétiens, qui, à l’exemple de Jean- Pierre Maugendre, le président de Renaissance catholique, sont prêts à descendre dans la rue pour faire valoir leurs valeurs.

Ce que l’on voit partout aujourd’hui, ce que l’on est obligé de constater c’est la mise en valeur de la culture de mort sous toutes ses formes. Dernier petit signe de ce nouvel état d’esprit : le professeur Robert Edwards vient de recevoir le prix Nobel de médecine pour ses travaux permettant de réaliser une fécondation in vitro, qui permet à des couples réputés stériles d’avoir des enfants. At- on le droit de jouer avec la vie humaine, en en provoquant l’apparition dans une éprouvette? Je voudrais citer in extenso la déclaration circonstanciée de Mgr Ignazio Carrasco de Paula, président, à Rome, de l’Académie pontificale pour la vie. Elle est significative de l’engagement intelligent du Saint Siège pour la culture de vie. « L’attribution du Nobel au Prof. Edwards a suscité de grands acquiescements et de nombreuses perplexités comme c’était prévisible. Personnellement, j’aurais voté pour d’autres candidats comme McCullock et Till, qui ont découvert des cellules souches, ou même Yamanaka, le premier à avoir créé une cellule pluripotente induite (iPS). Cependant le choix d’Edwards ne me semble pas complètement déplacé. D’une part, il entre dans la logique poursuivie par le Comité qui attribue le Nobel. D’une autre, le scientifique britannique n’est pas un personnage qu’on peut sous-évaluer : il a inauguré un nouveau chapitre important dans le domaine de la reproduction humaine, dont les meilleurs résultats sont sous les yeux de tous, à commencer par Louise Brown, la première petite fille née par la FIVET, qui a désormais une trentaine d’années et qui est à son tour maman – de façon tout à fait naturelle – d’un petit garçon. Mais les perplexités existent. Elles sont nombreuses : sans Edwards, il n’y aurait pas de marché des ovocytes. Sans Edwards, il n’y aurait pas de congélateurs pleins d’embryons en attente d’être transplantés dans l’utérus, ou, plus probablement, d’être utilisés pour la recherche ou même de mourir abandonnés et oubliés de tous ».
La conclusion du Président de l’Académie pontificale pour la Vie est formelle : « Je dirais qu’Edwards a inauguré une maison mais qu’il a ouvert la mauvaise porte à partir du moment où il a tout misé sur la fécondation in vitro et où il a consenti implicitement au recours à des donations et à des achats-ventes qui impliquent… des êtres humains. En réalité, il n’a modifié ni le cadre pathologique, ni le cadre épidémiologique de la stérilité. La solution à ce grave problème viendra d’une autre voie moins coûteuse et désormais dans un état de construction avancé. Il faut prendre patience, et avoir confiance dans nos chercheurs et nos cliniques ».

Une Marche de prière pour la vie !

Prendre patience ? Avoir confiance ? Mais en qui ? Les hommes? En en discutant avec Jean-Pierre Maugendre, président de Renaissance catholique et organisateur, depuis 20 ans déjà, de la Marche de prière pour la Vie, on ne peut s’empêcher d’être, là-dessus, moins optimiste que le Prélat romain.
Pour toutes les manipulations de la vie humaine – cela vaut en particulier pour l’avortement, mais cela vaut d’une autre manière pour la fécondation in vitro - on est passé, explique Jean-Pierre Maugendre, « de la dérogation à la dépénalisation, puis de la dépénalisation au droit, enfin du droit au Bien ». Et il enchaîne : « Prenons l’exemple de notre ministre de la santé Roselyne Bachelot et voyons comment elle crie sans complexes: vive l’avortement, en se glorifiant que l’on fasse disparaître aujourd’hui d’après certains sondages, jusqu’à 60 % des enfants non désirés. C’était le 15 juin dernier, elle déclarait aussi devant le Sénat : « L’IVG est présentée comme un mal nécessaire. Je ne m’associe pas à cette présentation négative. La loi de 2001 a adapté l’IVG mais il reste à s’assurer de son application. Le rapport, rédigé à ma demande, indique que la France est au premier rang mondial pour la couverture contraceptive. L’IVG reste stable et notre taux de fécondité est parmi les plus hauts en Europe : nous n’avons donc pas de culpabilité à avoir. Je préfère d’ailleurs, en souvenir de nos combats, conserver le mot « avortement », plutôt que cet « IVG » de bon ton ».
J’ai saisi Jean-Pierre Maugendre au téléphone, entre deux trains. Il n’a que peu de temps, mais il prend celui de me dire : « De la même façon que l’on proclame en force les principes de la mort, il faut opposer une protestation au nom de la vie. Cette protestation n’est pas seulement civique ou politique. Dans le déferlement de la culture de mort, il y a quelque chose d’eschatologique. On sent en face de soi la puissance du diable. Et il nous faut opposer à la puissance du diable la puissance de la prière. C’est pourquoi, à l’occasion du 20e anniversaire de notre Marche pour la vie, nous avons décidé, à Renaissance catholique, d’exprimer cela dans l’intitulé de notre Manifestation. Notre Marche s’appelle désormais « marche de prière pour la vie », avec une dimension de réparation, d’expiation, avec la volonté aussi de prier pour les femmes qui ont connu le traumatisme de l’avortement, pour que Dieu les aide à trouver la grâce jusque dans leur péché… » J’envie cette force, cette conviction tranquille, dans notre monde où tout semble vaciller. « En faisant de notre Marche une marche de prière, nous sommes sûrs du succès. Même si les médias ne nous reprennent pas, même si la cause sacrée de la Vie semble perdue, la prière porte en elle-même son efficacité. Il faut que nous soyons le plus nombreux possible à prier pour la Vie ».

Claire Thomas

vendredi 8 octobre 2010

Sarkozy et le programme politique des catholiques

Cet article est publié dans le numéro sous presse de la revue Monde et Vie, avec tout un petit dossier sur les catholiques et la politique. Alors que notre Président vient de rencontrer le pape, il me semble de circonstance sur ce Blog.

La Doctrine sociale de l’Eglise a longtemps été négligée dans l’Eglise de l’Après concile. Sous Benoît XVI, elle revient en force, avec les mêmes principes que ceux de Léon XIII, mais des contenus sensiblement différents, qui tendent à réunir la droite et la gauche chrétienne contre un néo-libéralisme incarné en France, volens nolens, par Nicolas Sarkozy.
 
Les Etats généraux du christianisme, qui ont eu lieu à Lille fin septembre à l’instigation de Jean-Pierre Denis, le talentueux directeur de La Vie, ont vu un embryon de réconciliation entre les catholiques. Gageons que l’évolution des problématiques politiques n’est pas pour rien dans cette ouverture qui permit à l’abbé Vincent Ribeton, supérieur en France de la Fraternité Saint Pierre, de prendre la parole au cours de cette manifestation organisée par ce que l’on a appelé autrefois la gauche chrétienne.
 
De la même façon que l’on peut se demander s’il existe encore une gauche, quand on voit ce grand cadavre idéologique à la renverse, on doit s’interroger sur le devenir de la «gauche chrétienne». Il semble que les habits neufs de cette gauche chrétienne, son message d’aujourd’hui soit essentiellement à chercher autour de l’antilibéralisme – et de ce qu’en France on appelle pour faire vite l’antisarkozisme. Mais l’antilibéralisme, c’est aussi un thème très ancien de ce que l’on appellera «la droite chrétienne» la plus intransigeante. Il me semble que sous cette bannière, il n’est pas impossible que les frères ennemis du catholicisme français finissent par se rapprocher, en réalisant qu’ils ont finalement gardé beaucoup de choses en commun.
 
Comment pourrait-on caractériser un programme commun des catholiques français, en quelques points ?
  • A droite et à gauche, les catholiques français ont conscience de défendre une culture de vie, fondée sur l’amour, sur la famille, sur l’accueil et le respect de la vie depuis sa conception.
  • A droite et à gauche, les catholiques français ont conscience de défendre ce que Pie XI a appelé le principe de subsidiarité : l’idée que contre le gigantisme financier il faut défendre l’initiative privée et les entreprises, que contre les délocalisations, il faut défendre nos industries, que contre le magma bruxellois que l’on appelle Union européenne, il faut défendre la responsabilité et la culture des nations, ces «grandes institutrices des peuples» dont l’identité est en péril.
  • A droite et à gauche, les catholiques français prennent une conscience toujours plus aiguë du devoir où nous sommes tous de respecter la nature, don de Dieu, en mettant des limites à la consommation effrénée, qui détourne les hommes des vraies valeurs – celles de l’esprit.
  • A droite et à gauche, les catholiques français prennent conscience des dangers d’une mondialisation sauvage, organisée par une petite «élite» au nom du «laisser faire, laisser passer», c’est-à-dire au nom d’une liberté devenue folle.
  • A droite et à gauche, les catholiques français prennent conscience du fait que la catholicité de leur Eglise est la seule réponse chrétienne adéquate à ce qu’Alain Minc appela «la mondialisation heureuse» ou «l’ivresse démocratique».
Il faut reconnaître que le pape Benoît XVI a fait beaucoup, en particulier dans son encyclique Caritas in veritate pour acclimater des thèmes nouveaux dans la réflexion des chrétiens en politique. Le moment est venu sans doute, en particulier à gauche, de reconnaître que la doctrine sociale est bien aujourd’hui ce qu’elle a été a toutes les époques : la synthèse antilibérale dont nous avons besoin pour ne pas perdre nos âmes. Parmi d’autres petits signes encourageant à une union alternative de la Pensée chrétienne sociale, la publication aux éditions de L ‘Homme nouveau du livre de Joseph Pearce, Small is toujours beautiful (sic), semble indiquer que l’union des catholiques ne se fera pas par le centre (comme le voudrait Sarkozy en bon politique électoraliste) mais par les deux ailes réconciliées dans un même refus des abus de la liberté sans règle. N’y aurait-il pas dans cette réflexion sur la nécessité croissante d’un antilibéralisme l’esquisse d’une conversation intéressante entre le principal promoteur de cette nouvelle vision, Benoît XVI, et son principal adversaire en France, Nicolas Sarkozy ?

jeudi 7 octobre 2010

L'abbé Berche est très heureux de recevoir...

[Suite à son très grave accident, en janvier 2010] la communication par Internet avec l'abbé Berche est impossible. Par contre, il est très heureux de recevoir des cartes postales ou des lettres (et remercie mille fois ceux et celles qui lui en envoient - il en décore sa chambre), mais ne peut pas encore y répondre. Idem pour les courriels qu'il lit, sur papier, avec grand plaisir. On peut lui téléphoner. Il fait de beaux progrès en kiné : à vélo, il atteint maintenant 5 km ; aidé par les barres parallèles, il peut faire quelques petits pas ; son bras gauche (il est gaucher) remue un peu, mais il ne peut pas encore s'en servir, et son épaule reste très douloureuse. Il progresse lentement mais sûrement, ne se plaint jamais, mais c'est long (surtout les journées sans visite). Il se confie toujours à vos prières.

Et au sujet des visites, en voici ses horaires:
Du lundi au vendredi : de 16H30 à 20H00 ;
le samedi : de 17H00 à 20H00 ;
le dimanche : de 13H30 à 20H00.

Son n° tél. direct : 01 81 80 38 80 ou 06 12 61 12 73 avant 11H00 ou après 16H30..
Adresse : Hôpital Raymond Poincaré, 104 boulevard R. Poincaré à Garches (92380), Pavillon Netter, porte 416 (1er étage, chambre 106).
En voiture, facile de se garer dans l'hôpital.

Si vous allez à Garches par métro + bus, prendre la ligne n° 10 et descendre à la station Pont de Saint-Cloud. Puis, prendre le bus n° 460 jusqu'à l'arrêt "Hôpital de Garches" (en face de l'hôpital).

Depuis la Gare Saint-Lazare : prendre la direction Saint-Nom La Bretèche (toujours à gauche quand on est face aux quais) et descendre à Garches-Marne la Coquette (20 min. de train environ). En face de la gare, arrêt des bus 360 ou 460 qui mènent à l'hôpital en 5 min.

Le bus 360 part de l'Arche de La Défense jusqu'à l'Hôpital de Garches (terminus).

Horaires du bus 460 du Pont de Saint-Cloud à "Hôpital de Garches" (env. 15 min) :
- du Lundi au Vendredi : 15H27, 15H52, 16H20, 16H48,17H18, 17H44, 17H59 ; 18H24, 18H44 ; 19H09...
- le Samedi : 16H47 ; 17H15, 17H35 ; 18H07, 18H40, 19H00....
- le Dimanche : 14H14 ; 17H24 ; 20H34.

Horaires du bus 460 de l'"Hôpital de Garches" au Pont de Saint-Cloud :
- du Lundi au Vendredi : 16H35 ; 17H00, 17H15, 17H39 ; 18H04, 18H29 ; 19H00, 19H34, 19H49.
- le Samedi : 16H29, 16H54, 17H29, 18H04, 18H24 ; 19H00, 19H30, 20H07.
- le Dimanche : 13H42, 16H52, 20H02.

mardi 5 octobre 2010

[conf'] "L'Eglise et la République" par Philippe Prévost

Mardi 5 octobre 2010 à 20H00 au Centre Saint Paul (12 rue Saint Joseph - 75002 Paris) - "L'Eglise et la République" par Philippe Prévost - PAF 5€, tarif réduit à 2€ (étudiants, chômeurs, membres du clergé) - La conférence est suivie d’un verre de l’amitié.

Nuit blanche

En rentrant de Rome, assez tard samedi soir, j'ai dû prendre un taxi, qui m'a expliqué précautionneux, qu'il ne rentrait pas dans Paris, "à cause de la nuit blanche" et qu'il ferait le tour par le périphérique. Nous rentrons rue Frémicourt par la Porte de Vanves... Rue Castagnary déjà une animation inhabituelle règnait ; nous croisions quelques soulographes sympathiques mais rarement égarés en ces parages à cette heure. Boulevard Pasteur, c'était la fête partout. Manifestement, dans les bistrots ouverts, l'alcool coulait à flot. je ne suis pas un partisan de la prohibition, que l'on se rassure. Mais cette manière de se saoûler la gueule "tous ensemble, tous ensemble" comme dirait Ségolène dans ses trips fraternitaires, ça vous a quelque chose de profondément déprimant.

J'en parlai récemment avec une pensionnaire de Normale Sup qui m'expliquait que même Rue d'Ulm les "Clubs d'orgie" sont à la mode, avec pour objectif : "pcppc", comprenez : "prendre chair pour pas cher". Le défi de ces grands intellectuels fruit de la sélection républicaine? Se bourrer la gueule pour 25 centimes. Un sport comme un autre. J'allais dire : une bourre en vaut une autre.

La Nuit blanche est-elle autre chose qu'un gigantesque débordement à un million et demi de personnes ? Dès dimanche, le Maire de Paris insistait plutôt sur la dimension culturelle de cette manifestation parisienne annuelle, ouverte à l'art contemporain. il semble qu'il y ait eu de joyeux fêtards sur les trottoirs de la Capitale, mais aussi des intellectuels qui avaient décidé de visiter tel ou tel musée (art contemporain uniquement). En nocturne.

Voici la déclaration de M. Delanoë datée du 3 octobre. Elle me paraît atteindre à une portée vraiment universelle puisqu'elle a pour objet... le beau : cette Nuit Blanche, "c'est la fête de la beauté mais il faut que la beauté soit du plaisir, pas quelque chose d'immobile, de froid et qui ne provoque rien sur le plan de la satisfaction" a lancé le maire de Paris.

Je ne suis absolument pas contre le fait que la beauté soit du plaisir : id quod visum placet, ce qui plaît à voir comme dit saint Thomas, dans une réponse à une objection au détour de son Traité de Dieu. La beauté plaît. Les artistes nous émeuvent parce qu'ils se font plaisir, c'est l'évidence même. On peut dire que l'art est le véhicule qu'utilise l'émotion pour avoir accès à une forme d'absolu ou d'infini. Le plaisir est un moteur. Mais quel moteur ?

C'est la dernière partie de la phrase de M. Delanoë qui me chagrine : la beauté selon lui doit à chaque fois "provoquer quelque chose sur le plan de la satisfaction". Une chose me semble-t-il est d'être ému par la beauté, autre chose d'y chercher une satisfaction. Parce que la satisfaction, c'est le vocabulaire de la consommation. Utiliser ce terme, c'est renvoyer à l'idée que nous sommes des consommateurs de la beauté. Or consommer c'est consumer. On consomme et après on jette. Comme si la beauté était jetable !

Freud au début de Métapsychologie a parfaitement analysé le fonctionnement du désir ordinaire, du désir qui nous agite sans renvoyer en rien à ce que Thomas d'Aquin (Contra Gentes III, circ. 50) appelle le désir de vérité. Il a parfaitement analysé le "malaise dans la civilisation" que représente le passage d'une société de subsistance à une société de consommation. Le désir du consommateur (le désir sexuel pris dans sa forme brut avec tous les autres désirs) doit être satisfait. Certains précisent même : satisfait ou remboursé. Mais qu'est-ce que cette satisfaction ? Freud l'explique bien : c'est la disparition de l'excitation. Le but de ce désir ordinaire, ce n'est pas tel ou tel objet, tel ou tel bien, telle ou telle vérité. Non : le but, c'est la disparition de l'excitation. Et le moyen, c'est l'objet consommé, corps, aliment, alcool, film, sport, danse, par défoulement ou décharge d'excitation en tous genres.

Attention, je ne suis pas en train de dire que le plaisir est interdit. Mais ce plaisir qui n'a pour but que ce que M. Delanoë appelle "la satisfaction" est un plaisir vide et profondément nihiliste. Dire que l'art doit provoquer une satisfaction, c'est considérer que l'oeuvre d'art est un produit de consommation comme un autre. A propos de l'art, Freud parlait encore de sublimation, pour souligner que tout ne rentrait pas dans le schéma primaire de ce qu'il a appelé le destin des pulsions. M. Delanoë, parlant de satisfaction par l'objet d'art, oublie la dimension mystérieuse de la sublimation et établit le règne universel de la consommation.

Je crois que la grande question que nous devrions nous poser, si nous prenons au mot le Maire de Paris, c'est : "qu'est-ce qui ne se consomme pas". Quel bien est capable de provoquer - plutôt que la satisfaction du consommateur qui sommeille en moi mais ne s'est jamais vraiment endormi - l'admiration, le dévouement, le partage ? C'est ce bien qui est vrai, c'est ce bien qui est vraiment bon, parce qu'il ne se laisse pas consumer à l'usage... C'est ce bien que nous gardons après l'avoir adopté, non pas un moyen de satisfaction, mais une véritable fin.

Pas de morale sans l'identification des finalités propres à chacun dit saint Thomas, comme nous l'avons vu en cours, ce soir. Il n'y a que dans les romans qu'il ne faut pas aller voir la fin. Dans la vraie vie, il importe de toujours considérer d'abord la fin - ce qui résiste à la consommation, ce qui reste après toute les satisfactions. C'est sans doute ce que voulaient dire les Rolling Stones avec leur curieux : I can't get no satisfaction. Comment obtenir ce qui seul nous satisfait au-delà de la satisfaction consommatrice ?

lundi 4 octobre 2010

Beaucoup d'annonces pour cette rentrée au CSP...

J'en ajoute une : après avoir exposé la Première Partie de la Somme théologique l'an dernier, je vais passer à la première partie de la deuxième partie sur les principes de la vie morale. Et d'abord le bonheur. Non pas comme idée (il y a tellement d'idées du bonheur) mais comme réalité, c'est-à-dire comme cause finale réelle dans la vie réelle.

Ce soir à 20H00, au CSP, la question 1 article 1, en m'appuyant sur le Commentaire de Cajétan, qui propose une distinction géniale entre la réalité de la fin (ratio finis) et la condition à travers laquelle cette fin est ressentie actuellement (ou n'est pas ressentie) comme une fin. Avec à la clé un petit jeu entre saint Thomas et Averroès et l'exemple du hammam. C'est puissant... et ça aide concrètement !

dimanche 3 octobre 2010

Enfin vous retrouver...

Il a suffi d'une panne malencontreuse (un filtre haut débit à changer) et d'un voyage à Rome pour que je perde contact avec vous chers lecteurs anonymes, chers amis, qui me dites, au gré des rencontres, que vous lisez ce metablog. Bossuet aurait dit : "chers chrétiens", et mon mauvais esprit - allié à ma culture internautique - rajoute en hommage au Père Rahner : chers chrétiens anonymes ou pas...

Quand on va à Rome, on a besoin de penser l'universalité du christianisme (ou, dit en grec, sa catholicité). Comment le christianisme a-t-il osé se dire catholique (universel) par la bouche de saint Ignace d'Antioche, dès le Premier siècle. Ce mot est en quelque sorte depuis toujours pour l’Eglise une bannière, un étendard – qu’un saint Augustin reprendra avec conviction, en l’utilisant à de nombreuses reprises dans son sens propre : le Christ est universel, le Christ est pour tout l’univers. Et nous, avec ce mot, nous faisons exactement l'inverse : « catholique » ou pire « catholicisme », cela devient le symbole de la confessionnalisation du christianisme, la dénomination d'une confession... particulière parmi toutes les confessions chrétiennes. Bref l’inverse de l’universalité.

Il faut penser à l'universalité de l'Eglise... sous peine de n'être plus vraiment… catholique. Sous peine de transformer le catholicisme en une étiquette particulière, ce qui signifierait qu'on l'a vidé de sa vérité, qui est pour tous les temps et tous les lieux. Mais pour être capable de penser à l’universalité de l’Eglise, sans que cette pensée soit creuse et purement théorique, il faut aussi et d’abord PENSER L’UNIVERSALITE DE L’EGLISE aujourd’hui, la comprendre, non pas telle qu’on aimerait qu’elle sopit, mais telle qu’elle est pour chaque être humain.

J'en discutai profondément avec un séminariste, qui me fit part de son enthousiasme pour Tertullien et pour Moltmann...

Tertullien ? Il faudrait pouvoir le lire davantage. Son De carne Christi contient un magnifique éloge de la chair, ce qui est étonnant chez un ascète comme Tertullien. Son petit texte intitulé Témoignage de l’âme naturellement chrétienne nous permet de comprendre comment dès le début du christianisme, la foi, malgré son caractère in-ouïe (ineptum dit Tertullien) est en même temps une évidence pour chaque âme qui en rend témoignage. Tertullien, qui écrit vers 190, nous montre combien la foi est identique à elle-même et combien l’anthropologie qui en dépend est la même hier et aujourd’hui. L’antignosticisme musclé du Contre Marcion peut encore donner bien des idées aux apprentis philosophes sur les constantes de la philosophie chrétienne.

J'ai peu lu Moltmann. Mais je crois qu'il est à sa manière très représentatif de ce que le regretté Thomas Molnar appelait "la grande tentation de la pensée allemande" : concevoir le Royaume de Dieu, non pas comme une deuxième chance, non pas comme un salut venu d’ailleurs mais comme la réalité ontologique de ce monde. Et du coup, en faire une sorte de nécessité historique. Faire de l'histoire humaine une « théogonie », un avènement de Dieu. Imaginer un Dieu qui s'implique dans l’histoire humaine et dans ses échecs, au point de souffrir en tant que Dieu – comme si Dieu, infini, éternel, Tout puissant pouvait souffrir. Le rôle de Dieu, impliqué, intriqué même dans l’histoire humaine serait d’être au cœur de l’événement pour démentir les apparences de la victoire du Mal, en subissant lui-même le Mal et en le transmutant par le fait même qu’il le subit. De tout son être infini souffrant – ou plutôt présumé souffrant par Moltmann – Dieu sauve ainsi l’humanité sans faire de détails !

Dans cette histoire, il n’y a plus que Dieu. Dieu nous sauve qu’on le veuille ou non, qu’on l’ai souhaité ou non…

Comme si ce Royaume n'était pas avant tout une liberté personnelle, liberté du Christ d'abord, qui ne subit pas les conséquences avilissantes du péché. Liberté de chaque homme ensuite par et dans le Christ, se libérant petit à petit des addictions et des mensonges que le péché engendre.

Comme si le Royaume n’était pas un événement historique. Non pas d’abord un avènement, non pas d’abord un nouvel âge, une nouvelle ère. Plutôt d’abord un fait, une vérité de fait, que l’on accepte ou que l’on refuse : « Il a souffetrt sous le Préfet Ponce Pilate » nous fait dire le Credo. La passion du Christ n’est pas une figure métaphysique ou un système imprégné de cette nécessité qu’aurait pu lui conférer un rationalisme supérieur. C’est un fait. Nu. A la portée de tous. A portée de main pour chacun, soit pour la foi soit pour le blasphème. Ce fait-vrai (verum factum dit Vico) n'a rien à voir avec les raisons de l'être parce qu’il procède d’une raison supérieure, une raison du coeur. Eh oui : le coeur aussi a ses raisons, je parle bien sûr du coeur de Dieu.
Ce Royaume qui est une liberté et un événement apparaît non comme l’ultime dimension de l’être en gestation de l’Absolu, mais, modestement, de manière fragile, comme un accomplissement aléatoire, au sens où « alea » signifie le dé. Pascal a parlé de pari, disons que c'est notre liberté qui offre "ce qui manque à la passion du Christ" (Col). Cette offrande nous met en jeu. Elle représente un risque, mais comme Platon en a eu l’intuition dans le Phédon, ce risque est gagnant.

On me dira que le christianisme de Moltmann, vaste dispositif ontologique dans lequel on voit Dieu s’impliquer dans l’histoire humaine au point de souffrir est bien plus universel (catholique) que le christianisme de Pascal, que je défends ici. et on accusera ce dernier de "jansénisme". Sans voir que le fameux Pari de Pascal, loin d'être un texte prédestinatianiste est une hymne splendide à la liberté de l'homme, une hymne à l'existence dans laquelle s'accomplit le salut, loin de tout déterminisme essentialiste. Il faut parier, même si, Pascal le précise, c'est toujours à coup sûr. Mais celui qui ne parie pas, celui qui ne met pas sa liberté dans la balance où chaque existence est pesée, celui là d'une manière ou d'une autre a perdu sa vie. Il a perdu le pari à ne pas vouloir parier.

Quelle est l'universalité de l'Eglise ? Non pas celle d'une grande loi ontologique qui s'acharnerait à faire du salut de l'humanité un événement intratrinitaire. Thomas d'Aquin s'est toujours refusé à une telle perspective. Pour Thomas, il est impossible de dire « Dieu souffre » et ce n'est pas pour rien. Le but ultime de saint Thomas est de sauver la liberté de chaque personne, qui est seule déterminante en l'occurrence. L’universalité de l’Eglise n’est pas une universalité notionnelle, mais une universalité analogique : celle qui naît de la liberté de chaque sujet. L’Eglise est une société de personnes. Dans l’Eglise il n’y a que des volontaires.
Son universalité est donc une universalité faite de la singularité de toutes les personnes. On peut dire que l’Eglise réalise une sorte de personnalisme intégral, toujours différencié, comme le souligne saint Paul aux Ephésiens, évoquant, en travail dans l’Eglise « la sagesse du Seigneur en sa riche diversité ».
Du point de vue épistémologique, l’universalité de l’Eglise renvoie à l'évidence chrétienne ("Tu aimeras...") accessible à tout homme "de bonne volonté" - si on reprend le grec de saint Luc : à tout homme qui fait le bon choix : celui du pari-à-coup-sûr que Pascal découvre au coeur de... nos fois.

Paradoxe ultime de cette évidence : elle n’est pas analytique, nous renvoyant à nous-mêmes. Elle est transformante, dans la mesure où elle est divine. Tertullien justement a bien compris cela : "On ne naît pas chrétiens" Non nascuntur christiani. La communauté chrétienne n'est pas issue de la naissance et fermée sur elle-même et sur sa sociologie. Elle est issue du pari, que tout homme – depuis Platon au moins - sait qu'il doit faire... Pour vivre. Ou plutôt : pour pouvoir, le moment venu, de toute la force de son vouloir christifié par la grâce, donner tort à la mort.