lundi 8 août 2022

Voir Dieu

"Je veux voir Dieu !" Ainsi sainte Thérèse de l'Enfant Jésus résumait-elle l'engagement de toute sa vie. Quel est le but de notre vie ? Plus on accumule les connaissances, plus il paraît clair que ce que nous voulons au plus profond, c'est sortir de l'obscurité, qui est comme l'étoffe même de notre condition humaine pour découvrir ce que nous f... sur cette terre. Plus nous prenons conscience de l'absurdité de ce que nous savons de notre destinée, plus nous désirons comprendre. Pascal disait : l'homme est cet individu qui se réveille sur une île déserte et qui ne sait ni d'où il vient ni où il va. La première richesse intérieure de l'être humain, c'est la manière plus ou moins profonde dont il prend conscience de son ignorance : Socrate est le plus savant de tous les hommes parce que c'est le plus ignorant. Il a une conscience précise de son ignorance ; "Je sais que je ne sais rien". 

Nous n'avançons dans le mystère que lorsque nous acceptons de ne pas remplacer cette ignorance par une pseudo-science, une idéologie, une fausse religion, c'est-à-dire une religion qui nous promet de tout savoir et de jouir de tout, ici et maintenant. Une religion qui ne respecterait pas le mystère. En ce sens, le culte à mystère d'Eleusis représente la grande synthèse humaine ou paënne de notre ignorance et de notre attente. Quelle attente ? L'autre vie, bien sûr. Comme dit encore Pascal : "Il importe à toute vie de savoir si l'âme est mortelle ou immortelle". Seul, on ne peut pas résoudre la question, mais nous devons poser le problème. Dans son dialogue sur la piété, l'Alcibiade mineur, après avoir expliqué qu'il valait mieux pour  l'homme une piété sobre comme celle des Lacédémonien, qu'une piété histrionique comme celle des Athéniens, Platon conclut ; "Pour le reste il ne manque plus qu'un dieu vienne et nous enseigne".

Ce Dieu qui vient à nous, c'est Jésus-Christ. "Il n'y a pas d'autre Dieu au ciel que Notre Seigneur Jésus Christ" disait Mgr Marcel Lefebvre. Il est venu nous donner son Esprit, nous enseigner la vie éternelle. En lui, Dieu s'est manifesté, Dieu s'est montré. C'est tout ce que l'évangéliste appelle "le Dieu vrai", le seul vrai Dieu, le seul qui se soit fait connaître à nous, le seul dont il y ait une vérité humaine. Mais quelle est cette vérité humaine de Dieu ? La vie éternelle, puisqu'elle devient ici une vérité humaine, qui transforme notre existence,  et qu'elle reste une réalité divine car c'est Dieu et Dieu seul qui nous la donne. Comment ? Par la connaissance que nous prenons de lui.

"La vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent toi le seul vrai Dieu et celui que tu as envoyé Jésus Christ"(Jean 17, 2). Un verset de la Première épître de Jean explique cela peut-être plus au fond, insistant sur deux points : d'abord, la foi, comme la vie éternelle qui en est la première manifestation, est un savoir. Nous avons reçu en héritage une intelligence du mystère, non pas la vérité tout entière mais une manière d'y entrer. Deuxième point : si Dieu est au-dessus de tout savoir, il nous a envoyé son Fils pour que quiconque connaisse le Fils connaisse le Père (Matth. 11) :  "Nous savons aussi, dit saint Jean, que le Fils de Dieu est venu nous donner l’intelligence pour que nous connaissions Celui qui est vrai ; et nous sommes en Celui qui est vrai, en son Fils Jésus Christ. C’est lui qui est le Dieu vrai, et la vie éternelle". Par la vie éternelle nous devenons le Dieu vrai, nous nous partageons à l'infini une vie divine, qui nous est offerte, ou bien, comme dit saint Pierre dans sa deuxième épître "nous partageons le sort de la nature divine" en restant humain par cette nature humaine que nous conservons. (II Pierre 1, 4).

Saint Thomas d'Aquin aime à citer deux textes du Nouveau Testament pour nous aider à comprendre ce qu'est la vie éternelle : "Nous le verrons comme il est", cette formule est de saint Jean. Et Paul renchérit : "Nous le verrons visage à visage". (I Cor 13, 12). Ces deux expressions signifient deux réalité apparemment opposées, mais qui ne font qu'un dans le plan du salut.

Premièrement : nous verrons Dieu et nous le verrons tel qu'en Lui-même. Comment cette vision est possible sans notre divinisation ? Pour voir Dieu, il faut être Dieu. Nous ne pouvons pas voir Dieu "comme il est", sans être divinisés par la lumière de sa gloire.

Deuxièmement : si nous le voyons "visage à visage" selon la formule de saint Paul, cela signifie que loin de nous laisser absorber par le grand brasier divin, notre relation avec lui est une relation  "de personne à personne". Du reste, c'est le mot grec visage prosôpon, qui exprime dans cette langue l'idée de personne. Dieu qui a créé chacun de nous individuellement ne détruit pas sa création mais la sublimise, en offrant à chaque être humain quelque chose du Je primordial, une parcelle pérenne de la subjectivité éternelle. Ainsi chaque individu sauvé, abandonnant ses travers personnels, est-il recréé, différent de tous les autres êtres, à la ressemblance divine. Nos visages, qui représentent dès maintenant cette individualité de chaque personne, plongés dans la lumière divine, prennent une beauté insoupçonnée : "tels qu'en eux-mêmes enfin l'éternité les change".

mardi 2 août 2022

Un désir naturel de voir Dieu ?

Je reprends la déclaration de mon ami journaliste dans la méditation précédente, osant poser une question qui fâche : est-ce que vraiment nous avons envie de Dieu ? Est-ce que nous avons un désir naturel de voir Dieu en lui-même ? Mettre un point d'interrogation en titre, pour un texte qui entend participer d'un commentaire catholique du Credo, cela peut paraître fort de café. Il n'y a pas de points d'interrogation dans le Credo, mais je maintiens le point d'interrogation ici néanmoins parce qu'il s'agit d'aller au-delà de la foi dans la vie éternelle, en se demandant si la perspective de la lumière divine est vraiment attirante, ou plutôt à quelles conditions elle l'est, si elle suscite en nous le désir, ou plutôt à quelles conditions elle le suscite. 

Certains trouveront sans doute que Dieu est toujours l'Infiniment attirant. C'est vrai dans l'épisode de la transfiguration du Seigneur (Lc 9). Pierre Jacques et Jean sont immédiatement fascinés par ce Christ qui se montre à eux dans un halos de lumière. Et Pierre va jusqu'à articuler une énormité, qui montre seulement qu'il est sous le charme : "Seigneur il nous est bon d'être ici. Si tu veux, faisons ici trois tentes, une pour toi une pour Moïse et une pour Elie". Cette scène inaugure une nouvelle relation entre Dieu et les hommes, une relation qui bannit la crainte. C'est l'Esprit de la Pentecôte. Luc commente à propos de saint Pierre : "Il ne savait pas ce qu'il disait". Et l'évangéliste d'ajouter : "Il parlait encore quand une nuée vint les couvrir de son ombre". Cette nuée, c'est la chekinah, présente au dessus du peuple hébreu dans le désert. Avec l'Ancien Testament revient la crainte : "Une grande crainte les saisit". Le Christ a laissé entrapercevoir la nouvelle économie du Dieu si proche. Intimité, légèreté, lumière. Mais la crainte demeure, comme en toile de fond. 

On constate la même ambivalence du sacré, à la fois lumineux et terrible, dans le récit de l'Annonciation, toujours chez saint Luc : une grande proximité entre l'ange et Marie. Et puis, comme chaque fois que la Puissance de Dieu se manifeste, les hommes qui en reçoivent l'impression, sont en même temps saisis de crainte. 

Marie ne fait pas exception : "Ne craignez pas Marie", lui dit l'Ange Gabriel au jour de l'Annonciation. "Voici que vous avez trouvé grâce auprès de Dieu"... Même Marie éprouve naturellement de la crainte en présence du Tout puissant. Elle ne le devrait pas car "elle a trouvé grâce auprès de Dieu". Elle entre ainsi la première dans le Royaume de la grâce, ce nouveau Royaume où la crainte n'existe pas et immédiatement d'ailleurs elle entre en même temps en  opposition, oui en lutte verbale avec l'ange qui lui avait annoncé qu'elle allait avoir pour fils le Messie - "Comment en sera-t-il ainsi car je ne connais pas d'homme ?". Elle est fiancée à Joseph nous dit l'Evangéliste, et elle ne... veut pas connaître d'homme. Magnifique liberté du Royaume de la grâce ! Extraordinaire naturel de cet échange avec l'ange. Sommes nous dans deux mondes différents ? Le monde où Dieu engendre la crainte et celui où Dieu suscite une joie libératrice ?  Nous sommes effectivement  comme entre ces deux mondes, selon la connaissance que nous avons reçue de Dieu.

La question que je pose, à la fin de ce Commentaire du Credo, n'est pas seulement une question, d'exégèse, qui trouverait réponse dans les textes. Le problème est tellement important dans notre culture que c'est devenu une question théologique : y a-t-il en nous un désir naturel de voir Dieu ? Or, justement, si nous voulons obtenir une réponse claire, la théologie, science de Dieu, peut parfaitement fonctionner, comme l'expliquait naguère Mgr Guérard des Lauriers, selon le mode hypothético-déductif, le mode de raisonnement proprement scientifique. On pose une hypothèse (avec un point d'interrogation) et on la vérifie ou on l'infirme selon qu'elle se trouve ou non dans l'enseignement divin (sacra doctrina), c'est-à-dire dans l'Ecriture, telle que la Tradition l'interprète, jusqu'à nous. Pour que ce mode de raisonnement puisse nous faire avancer, il faut encore que le sens des mots soit précisément établi, histoire d'éviter approximations et erreurs dans les inférences à la faveur de ce qui passerait pour une équivalence hasardeuse posée entre des termes qui, en rigueur, revêtent une signification différente. 

Plus crucial encore : un même mot peut recevoir des significations connexes, mais distinctes. Il en est ainsi par exemple du mot désir. 

Qu'est-ce que le désir de l'homme a à voir avec Dieu, l'Infini, l'éternel, au-delà de tout ce que nous pouvons en savoir ? Précisons les termes. 

Du point de vue scolastique, il faut distinguer le désir naturel et le désir élicite. Le désir naturel est une tendance fondamentale et innée, on peut inclure dans ces désirs naturels la faim, la soif et le désir sexuel, y ajouter les désirs liés à la sensation de froid et de chaud, à la fatigue et au bien être, à la volonté de puissance. Dans ces cinq cas, quelle que soit la connaissance de l'objet que l'on possède hic et nunc, on éprouve une excitation que l'on cherche à satisfaire ou un manque que l'on s'exerce à remplir. La satisfaction du désir naturel (orexis en grec) correspond à la disparition de l'excitation ou au comblement du vide, excitation et vide, qui, par ailleurs, renaissent sans cesse parce qu'ils proviennent de la nature. Ce désir naturel n'est pas compatible avec celui qui a Dieu pour objet.

Le désir qui a Dieu pour objet n'est pas un désir naturel au sens où Aristote parle d'orexis au début des Magna moralia. mais un désir élicite, un désir qui ne suit pas immédiatement une nature quelconque, mais qui naît de la connaissance que nous prenons de tel objet. Aristote parle alors non de l'orexis mais de l'epithumia. Ce désir-là devient une passion suscité et sans cesse renforcée par son objet. Il n'y a pas ce mécanisme de la satisfaction dans le désir de Dieu, nous n'avons pas à faire à un désir naturel comme le désir sexuel. Au contraire : le désir de Dieu n'est jamais rassasié et il augmente toujours, au fur et à mesure que l'on comprend, c'est-à-dire que l'on alimente de connaissances nouvelles notre désir : "Ceux qui me mangent auront encore faim et ceux qui me boivent auront encore soif" (Eccli 24, 21) proclame la Sagesse à propos d'elle-même. Cela signifie que le désir de la sagesse, à l'inverse des autres désirs n'est pas rassasié par la possession de son objet. A l'inverse, il augmente avec elle.

Ce désir de la sagesse  ne vient pas de notre nature. Il n'a rien à voir avec cette loi naturelle qui nous enseigne de manière innée le bon fonctionnement de l'animal humain. Il provient de la connaissance que nous acquérons auprès de Dieu, comme la Vierge Marie au contact de l'ange Gabriel. C'est ce que nous appelons le désir élicite. 

Quand on est allé au bout de la satisfaction des désirs ordinaires, il reste encore à expérimenter cet autre désir qui n'est jamais rassasié, qui ne procède ni de l'excitation ni du vide, mais plutôt de l'émerveillement, comme disait déjà Aristote. Si l'on met de côté la faiblesse humaine, qui contraint les couples à vivre à distance raisonnable l'un de l'autre, je peux dire que jamais je ne me lasserai de la présence de mon conjoint, celui que j'ai découvert, que j'ai choisi entre mille, celui dont je peux dire : "Nous étions faits l'un pour l'autre, nous ne nous connaissions pas et cette découverte mutuelle a engendré une passion inextinguible". Comme le voit très bien Houellebecq dans son dernier roman, Anéantir, cet amour n'a pas besoin de beaucoup de mots et se suffit de la présence de l'autre, présence remplie de la connaissance mutuelle que l'on épanche en silence. Dante, avec sa Béatrice, nous dit par exemple que c'est juste une affaire de regard : "Mes yeux la suivirent si loin qu'ils purent et quand ell' disparut, ils se tournèrent vers cet objet du désir le plus pur : tous mes regards furent pour Béatrice" (Le Paradis chant 1 v.  tr. Michel Orcel). Et encore du même Dante   : " Je me taisais mais mon désir était dépeint sur mon visage et ma question plus ardente que dite avec des mots" (Chant 4, v. 12 sq.)

Cet amour passion que décrit Dante est issu d'une connaissance, même si ce n'est en aucun cas une connaissance conceptuelle. Eh bien ! Dieu qui nous dit depuis l'Ancien Testament, dans le livre du prophète Osée par exemple, qu'il aime les hommes comme les hommes aiment leurs femmes, de façon passionnée, se laisse aimer ainsi : comme une présence irremplaçable, qui remplit celui qui l'a une fois appréhendée, qui fait naître son désir et le fait croître toujours plus.

Certains n'ont de Dieu que l'idée innée (simple nom de l'Infini)  que Descartes nous a appris à reconnaître et dont Pascal fait la matière de son Pari. D'autres ont reçu cette image de Dieu en  eux, mais ils l'ont reçue écornée, abimée, déformée, parfois méconnaissable, Dieu bonasse, Dieu horloge ou méchant Dieu, Le mot Dieu est abîmé comme dit la romancière  Sylvie Germain. Comment dans ces conditions peut naître un vrai désir de Dieu ? Comment la vision de Dieu peut-elle être attirante, si l'on s'en tient à l'image de Dieu que diffuse la culture moderne ? Au contraire un Dieu fait chair qui donne sa vie pour ses amis laisse espérer un amour infini. Cette espérance naît de la connaissance que nous prenons de Dieu, en lisant sa Parole ou, mieux encore, en en vivant. Le christianisme représente ce progrès dans la connaissance de Dieu qui nous rend infiniment attractive la vision que l'on nous promet du Dieu qui se définit lui même et se laisse découvrir comme amour.

Nous concluons cette courte mise en question en soulignant que l'amour de Dieu n'est pas instinctif, n'en déplaise au Vicaire savoyard. Nous ne sommes pas poussés à aimer Dieu comme nous sommes poussés à nous reproduire ou à nous protéger. Le désir de Dieu n'est pas un désir naturel. Néanmoins ce désir est profond, il vient d'une connaissance innée de Dieu ou de l'Infini, que nous formons en nous-mêmes et que nous précisons par l'expérience : expérience de la beauté du monde, expérience de la nécessité d'une morale, qui renvoie à un cosmos spirituel que nous formons au fur et à mesure de notre existence. Expérience du dépassement de soi par l'amour ou par la connaissance. Cette "expérience de l'existence" nous mène spontanément à Dieu,, non pas à un désir naturel de Dieu, mais à un désir qui naît de la curiosité, de l'émerveillement et aussi de la prudence, c'est-à-dire de la droite raison imposée aux choses à faire. 

Cette connaissance innée de Dieu, on la trouve exprimée à la fois dans l'épitre aux Romains, lorsque Paul nous dit que la loi morale est inscrite sur les tablettes de notre coeur (Rom. 2, 15), avant tout enseignement ; on la trouve également au chapitre I, 20 de la même Epître, lorsqu'il nous explique (reprenant l'enseignement du Livre de la Sagesse Sg 13, 1-13), que nous allons  aux choses invisibles par le spectacle de la beauté des choses visibles. 

On la trouve enfin dans le prologue de l'Evangile de Jean au verset 9 du chapitre 1 : "Le Verbe était la vraie lumière qui éclaire tout homme venant dans le monde" Tout homme quand ? demande Cajétan dans son Commentaire : tout homme quand il vient dans le monde, tout homme en naissant. Les protestants préfèrent parfois rattacher le groupe de mots "venant dans le monde" au sujet qui est verbum, le verbe, la Parole au commencement. "le Verbe éclaire tout homme en venant dans le monde". Cette lecture qui n'est pas celle de la tradition, est possible grammaticalement dans le texte grec original, quoi qu'elle paraisse un peu compliquée. Mais surtout elle a l'inconvénient de restreindre la mission de Jésus au temps qui suit sa vie terrestre, comme si le Verbe n'était pas de tout temps la sagesse promise à l'humanité, dont tous les hommes en venant dans le monde, reçoivent toujours au fond d'eux-mêmes, avec la connaissance de Dieu et du bien moral, quelque chose, de la vraie lumière.

Faut-il dire pour autant que l'amour de Dieu n'est pas naturel en nous ? Nous pensons avoir montré que l'amour de Dieu n'est pas instinctif dans l'homme puisqu'il dépend d'une connaissance, elle-même en partie innée, et en partie révélée ou acquise, comme l'enseignent et saint Paul et saint Jean. L'amour de Dieu n'a rien à voir avec un instinct qui serait caché en nous. Il naît de la connaissance que nous avons de lui, mais cette connaissance, elle, est bien innée, ainsi que l'enseignent les deux théologiens parmi les apôtres que sont saint Jean, le disciple et saint Paul le converti. Dans le grec d'Aristote, au début du Deuxième Livre de son Ethique à Nicomaque, nous trouvons une distinction qui convient assez bien à ce que nous essayons de dire. La vertu (arété : l'excellence humaine) n'est pas inscrite dans la nature au point qu'elle serait innée. Elle n'est pas dans l'homme par nature, en grec : phusei. Elle ne représente aucun désir naturel. Mais elle n'est pas pour autant contraire à la nature dont elle représente l'excellence réalisée. La vertu n'est pas instinctive (phusei), mais elle est selon la nature de l'homme, dont elle manifeste les virtualités. On dit : kata phusin. Elle est conforme à la nature.

Ainsi le désir de voir Dieu n'est pas dans la nature de l'homme, l'homme n'y accède pas spontanément. Mais au fur et à mesure qu'il connaît mieux le monde divin qui se révèle à lui au fil de son histoire personnelle et au fil de l'histoire du monde, il réalise combien ce Dieu, d'abord inconnu, se révèle  comme fait pour lui et il se découvre naturellement incliné vers lui. C'est saint Pierre lors de la transfiguration : on est bien ! Faisons trois tentes ! Comme l'explique Cajétan, en exposant là ce qui est le fond thomiste du thomisme : "La grâce perfectionne la nature selon le mode de la nature" (In IamIIae Q89 a6 n. 5). Et encore : "Il faut que tu réfléchisses au fait que tout l'univers est comme un seul être, à partir des forces naturelles et des forces surnaturelles". (In IamIIae Q62 a2). 

En cette affaire peut-être exagérément technique, il faut sauvegarder deux vérités contraires : Dieu est le bonheur de l'homme et Dieu transcende infiniment l'homme, il se donne à lui, c'est lui qui l'a aimé le premier. Aimer Dieu n'a rien à voir avec un droit de l'homme. C'est avant tout une manière de dépasser l'hommerie. Dante avait inventé un verbe pour cela dans le premier chant du Paradis : transumanar. En français : transhumaner. 

mercredi 27 juillet 2022

Approche philosophique de la vie éternelle

Le chrétien a toujours deux vies, une vie biologique, celle des organes qui nous constituent comme  êtres au monde, et une autre vie, spirituelle celle-là : la vie avec Dieu, la vie sans fin, la vie éternelle. La première; nous en prenons conscience facilement ; "On sent qu'on sent" comme disait Aristote. De la seconde, nous faisons l'expérience de temps à autres, lorsque nous parvenons à oublier le temps, ce Chronos de la mythologie grecque, qui dévore ses enfants. 

Autrefois nous savions bien que cette durée intemporelle dont parle Bergson est quelque chose de rare et de précieux. Hélas, on a très vite cessé d'écouter Bergson. La modernité calculante se caractérise par un quiproquo à cet égard : on a cru que pour être moderne, il fallait savoir compter et que compter le temps, cela nous permettait d'y échapper. Le temps compté  entrait en quelque sorte en notre pouvoir. Qui était maître des horloges croyait devenir maître de la vie elle-même. Ce raisonnement est rationnel mais il est trop simple : on ne peut calculer que le peu de temps qui statistiquement ne nous échappera pas, "le temps qui reste" dit saint Paul aux Romains, mais très vite dans une vie le temps revient à sa sauvagerie native et, pour parler en filant la métaphore des mythologues grecs, les infanticides de Chronos se multiplient, d'autant plus que le temps est compté. Rien n'échappe au calcul, sauf le temps, parce que c'est toujours le temps qui nous reste et que - c'est humiliant de le reconnaître, certains se sont donnés eux-mêmes la mort pour ne pas vivre cette humiliation - sauf si nous intervenons nous mêmes, nous ne pouvons pas dire le temps qui nous reste et finalement nous le laissons nous vaincre, comme son épée pour Damoclès..

C'est en sortant de l'obsession rationnelle du chronomètre que l'on peut espérer faire l'expérience de cet au-delà du temps qu'est la durée, "image mobile de l'immobile éternité", image mobile qui nous introduit à la vie éternelle. Il nous faut dit saint Augustin nous enfoncer sans peur dans les palais de la mémoire. "Ton souvenir en moi brille comme un ostensoire" s'écrie le Poète (Baudelaire Harmonies du soir). Il continue de briller et il brillera toujours, parce qu'il a rempli, parce qu'il a saturé tel instant de ta vie. Ainsi aussi sont les palais de la mémoire, séduisants jusqu'au bout. Tel est le genre  d'événements que nous cherchons, au-delà du temps et qui participe d'une éternité, parce qu'ils ont à voir avec l'être lui-même, qu'ils l'ont construit et qu'il est indestructible dans la mesure exacte où il a construit la personne, où il est devenu quelque chose de sa conscience. "La durée réelle est ce que l'on a toujours appelé le temps, mais le temps perçu comme indivisible", celui qui, intense, se prolonge indéfiniment dans le souvenir et ne se coupe jamais sans que s'exerce une forme de violence extérieure à lui.

Dans le langage des Evangiles (repris par saint Paul), on appelle cela des fruits. Le Christ nous demande de porter du fruit : tout ce que l'intensité de l'existence peut arracher au temps qui coupe, qui tue et qui sépare, tout ce qui peut faire mûrir, tout ce qui peut percevoir le souffle de l'éternité, tout ce qui est parvenue à une heureuse maturité, bref tout ce que Bergson appelle la durée ou tout ce que Platon appelle la beauté (parce que c'est la beauté qui est un appel), tout cela au fond nous parle, dans le temps, de l'éternité. Il ne s'agit pas de nier le temps, mais de "racheter le temps" (Eph. 5, 16), de permettre au temps d'échapper à lui-même et à sa logique de mort, en portant de beaux fruits.

Je parlais de ce dernier article du Credo, et du commentaire que j'avais entrepris d'en faire ici, avec un camarade journaliste (un des meilleurs sur la place de Paris, qui est en même temps profondément chrétien). Il me disait, avec la sincérité de l'expérience vécue que l'Eglise n'avait jamais réussi à rendre appétissante cette perspective de la vie éternelle. "Moi par exemple, je n'ai aucun désir de la connaître", affirmait il pour mettre fin à ce sujet de conversation. Je n'ai pas rebondi, mais j'ai pensé en moi-même, que, sauf une curiosité dévorante pour ce qui va se passer dans l'éternité, je n'éprouve par moi même absolument pas ce fameux désir naturel de voir Dieu dont a tant parlé le cardinal de Lubac. Dieu fait peur ou Dieu se dérobe à notre regard. Comment pouvons nous l'aimer spontanément sans voir le gap qui existe entre lui et nous ? Le fait est que dans certaines expériences de vie, Dieu semble s'approcher de nous en nous donnant un avant goût de ciel. Je pense à certains qui ont reçu les derniers sacrements et qui jouissent comme par avance d'une joie et d'une sérénité inentamable.

C'est ce que j'ai essayé de montrer en évoquant trop vite Platon et Bergson. Pour se faire une idée de l'éternité - juste une idée - il faut reconnaître qu'il nous arrive de perdre la notion du temps, d'expérimenter la durée, et que c'est à ce moment-là que nous sommes sur terre au plus proche du Ciel. Telle est la vraie contribution de la philosophie à cette grande question de la vie éternelle et parce qu'elle est plutôt rassurante, j'ai cherché à l'explorer pour commencer, avant d'aborder les énigmes de la théologie, cette énigme en particulier du désir naturel de Dieu que nous aborderons la prochaine fois..

vendredi 15 juillet 2022

La résurrection de la chair

"Le corps semé corps psychique ressuscite corps spirituel" déclare saint Paul aux Corinthiens (I Co. 15, 45)  dans une de ces formules qui disent tout en quelques mots, et dont il a le secret. Dans ces quelques mots, il offre comme un premier descriptif de l'anthropologie chrétienne, de la conception chrétienne de l'homme.

L'homme n'est pas pur esprit. Le fameux vers d'Alfred de Vigny : "L'homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux" ne décrit pas une anthropologie chrétienne, mais renvoie à une conception gnostique de l'homme, à une opposition radicale entre le corps et l'esprit, qui n'est pas surmontable car il y a d'un côté, régissant les corps, le démiurge, créateur, qui a tout enseveli dans la matière (raison pour laquelle on l'appelle aussi le méchant dieu), et de l'autre un Hypertheos, purement spirituel, qui donne à l'homme cette étincelle d'esprit pur, qui, d'après Vigny fait de lui "un dieu tombé" et non un homme. 

Dès le IIème siècle dans son De Resurrectione carnis, Tertullien, théologien chrétien d'Afrique du nord, montre que le dogme de la résurrection de la chair contient une théologie appréciative du corps tout à fait opposée à la théologie des gnostiques, grands lecteurs de Platon et des néo-platoniciens et qui tiennent le mépris du corps pour la forme ordinaire de la sainteté, en se satisfaisant du fameux et sinistre jeu de mot : soma séma. Le corps est un tombeau.

C'est tout le contraire qui est vrai : le corps est beau en tant qu'oeuvre de Dieu. Il est beau au point que Dieu lui-même s'est fait chair en Jésus-Christ, lui que l'on appelle d'ailleurs "le plus beau des enfants des hommes", selon la prophétie du Psaume 44 : speciosus forma prae filiis hominum. Cette beauté, beauté des visages, beauté des proportions, beauté des mouvements, est un appel à l'amour, selon le beau jeu de mot entre to kallos la beauté et kalein qui signifie appeler. Le corps est une réalité noble, qu'il faut aimer pour tout ce qu'il nous offre, en particulier lorsqu'il apparaît faible ou fragile, alourdi par le handicap ou la vieillesse. Ce n'est pas l'origine du péché, comme le prétendent les gnostiques. C'est l'usage que l'on en fait qui peut être négatif et nous faire sombrer dans le péché. L'orgueil des "bodybuidés", la beauté quand elle devient un moyen d'écraser ou d'éclipser les autres, la sensualité quand elle est une fin en soi, tout ce que peuvent produire les trois concupiscence, énumérées par saint Jean au chapitre 5 de sa Première épître : la volonté de dominer, la volonté de briller ou la volonté de jouir sans amour.

Le mot de saint Paul demeure, pour quiconque a un minimum d'expérience de la vie : aujourd'hui "les désirs de la chair sont contraires à ceux de l'esprit, et les désirs de l'esprit contraires aux désirs de la chair" (Gal. 5, 9) ou, comme le dit encore saint Paul, "celui qui sème dans la chair récolte de la chair la corruption. Celui qui sème dans l'esprit récolte de l'esprit la vie éternelle" (Gal. 6, 8). Les désirs charnels, qui répondent au grand enjeu de la procréation et de la survie de l'espèce humaine, sont l'instrument de l'amour spirituel ou bien ils ne sont rien, et cela au sens le plus ordinaire du terme : rien. Ils ne sont pas. C'est Freud dans les Essais de psychanalyse, qui a remarqué à raison que le désir sexuel a pour but sa satisfaction, c'est-à-dire simplement la disparition de l'excitation qui l'a fait naître : le vide. Le nihilisme est toujours charnel. 

Voilà pourquoi la chair rencontre l'esprit, l'esprit rencontre la chair et la dialectique entre les deux est nécessaire. Le salaire de la chair c'est la mort. seul l'esprit porte du fruit, un fruit qui résiste au temps qui passe, alors que la chair obtient des satisfaction, qu'il faut sans cesse satisfaire de nouveau.. C'est donc à l'esprit non pas de faire disparaître la chair : impossible ! Qui veut faire l'ange fait la bête. Il s'agit plutôt  pour l'homme spirituel, de soumettre la chair à son dessein, pour qu'elle contribue au salut de la personne, par le plaisir comme aussi par la souffrance : le plaisir qui est la récompense du bien comme dit Aristote ; la souffrance qui est le bois de nos sacrifices, la manifestation de notre amour. le corps, oeuvre de Dieu, qui est bon et la chair, dynamisme difficile à contrôler au sein de l'homme, dynamisme contaminé par les trois concupiscences dont le moteur est eros et la finalité thanatos.

Il faut donc soigneusement distinguer le corps et la chair, même si certains traducteurs officiels de saint Paul ne le font pas ce qui donne des résultats dramatiques : par exemple dans un extrait lu le 8ème dimanche après la Pentecôte, l'expression "faire mourir les oeuvres de la chair" devient, à la gnostique : "faire mourir les oeuvres du corps". Ce n'est pas admissible.

Deuxième direction de recherche : ce dogme de la résurrection de la chair confirme l'espérance des philosophes en l'immortalité de l'âme : il y a quelque chose après la mort. L'homme n'est pas un être pour la mort. Mais en même temps, cette espérance, ce même dogme de la résurrection de la chair la contredit à force de l'approfondir et de l'exaucer. L'immortalité d'un ressuscité n'est pas seulement celle de l'Esprit, séparé de la matière, mais celle du composé humain, corps et esprit  indissolublement liés, et donc celle de chaque personne humaine promise à la résurrection. La philosophie est-elle capable d'apporter la preuve de cette immortalité personnelle de l'être humain ? Tant qu'elle professe que les êtres sont des êtres "individualisés par la matière" selon la formule d'Aristote, tant que c'est la matière qui, seule, les constituent comme séparables dans l'espace,  et donc comme individués, il n'est pas sûr que la philosophie puisse apporter grand chose à ce débat, comme l'avait perçu Cajétan, allant contre l'opinion dominante au Vème concile de Latran (1516) et affirmant, lui contre le torrent des docteurs de son temps, l'impuissance de la philosophie à prouver l'immortalité personnelle de l'âme humaine.

Historiquement ce "dogme des philosophes" qu'est l'individuation par la matière semble indiquer qu'Averroès (philosophe islamique mort en 1200) a raison de penser, en tant que disciple d'Aristote, que l'intellect actif est à la fois unique et présent en chaque homme et qu'à la mort du corps, la personne individuée disparaît dans la Pensée unique qui n'a pour objet qu'elle-même. 

La théologie chrétienne de la résurrection de la chair, tel que saint Paul le développe au chapitre 15 de la Première Epître aux Corinthiens, nous ouvre de tout autres perspectives, autorisées par le Credo, qui, rappelons-le, fait de cet événement eschatologique, la résurrection de la chair, une oeuvre appropriée au Saint Esprit lui-même , comme l'Eglise, nous l'avons vu, comme la communion des saints, la rémission des péchés et la vie éternelle. Cette idée de résurrection d'un corps mort est bien évidemment de l'ordre de la seule foi. Mais la foi a ses raisons que la raison ne sait pas reconnaître. Non pas des raisons démonstratives mais des présomptions qui, mises bout à bout, font une certitude, comme l'expliqua naguère le pascalien Filleau de la Chaise dans ses Discours introductifs aux Pensées. Présomptions ? Raison inclinantes ? Je pense, par exemple, aux corps conservés des saints, que l'on peut voir encore, quand l'Eglise, trop prévoyante, ne les a pas enveloppés de cire. Qui a regardé le visage du corps conservé de sainte Bernadette de Lourdes (visible dans le sanctuaire de Nevers), peut témoigner de l'extraordinaire finesse de ses traits merveilleusement parvenus jusqu'à nous. Quoi qu'il ne s'agisse pas là d'une preuve argumentative à proprement parler, je pense irrésistiblement à ces portraits funéraires chrétiens du Fayoum en Egypte. Ces visages, peints avec un réalisme lumineux, ne peuvent pas disparaître : ils saisissent pour la rendre présente à son destin intégral, une personnalité unique, qui encore aujourd'hui exprime aux badauds dans les musées sa différence infracassable.

Ces considérations nous invitent à scruter, au delà des visages (prosopon en grec) les personnes (en grec toujours, c'est le même mot), le mystère des personnes, dont chacune est créée immédiatement par Dieu. Comme dit le psaume : Quoniam tu Domine singulariter in spe, constituisti me (Ps. 4). Nous chantons cela à Complies, comme la certitudes dans laquelle nous nous endormons tranquillement : Dieu nous a fait un par un (singulariter), il nous a aimé avant de nous donner l'être. Nous avons chacun, et c'est ce qui nous rend différents les uns des autres pour toujours - des raisons d'espérer, qui sont constitutives de notre être moral et qui sont dispositives au salut par une  grâce, qui, elle aussi est personnelle. En donnant à notre "chair pourrissante" sa vie pour toujours, Dieu, nous ressuscitant, sauve les merveilles de sa création, dont aucune n'a été créée en vain et qui toutes se retrouveront dans les cieux nouveaux et la terre nouvelle où la vie est éternelle et  nous sauve pour toujours.


    

dimanche 10 juillet 2022

La Rémission des péchés

"Allons ! Discutons dit le Seigneur : tes péchés seraient-ils rouges comme l'écarlate, je te ferai blanc comme la neige, quand ils seraient rouge comme la pourpre, comme laine ils deviendront" (Is. 1, 18) s'écrie le prophète Isaïe.


Le premier mot qui nous frappe est le mot "discutons". C'est ce que nous allons faire justement. Il faut discuter avec Dieu, il nous y invite. Discuter de quoi ? De ce qui nous sépare de lui : du péché.  A charge pour nous de ne pas raconter n'importe quoi. A charge de rester vrai quoi qu'il se passe. La Vierge Marie en donne un exemple remarquable dans son dialogue avec l'ange Gabriel, où elle lui avoue qu'elle entend ne pas connaître d'homme, alors que Dieu attend d'elle qu'elle soit la mère du Messie.

Ensuite, dans ce verset d'Isaïe, le mot important pour ne pas tout confondre, c'est le deuxième verbe : "Je te ferai". Dieu nous transforme, il nous rend l'innocence perdue, mais sommes nous capables de nous laisser transformer ? Nous ne devenons capable de cette divine métamorphose, que si nous reconnaissons la gravité de notre péché.

Comment Dieu nous rend-il l'innocence perdue ? Comment opère-t-il "la rémission des péchés", en laquelle nous croyons ? Par la communion des saints, qui trouve son origine dans le Christ. Le Christ nous rachète. C'est lui qui parle dans ce verset de l'Ancien Testament, lui et non le prophète Isaïe. Il nous enseigne la réversibilité des mérites. Qu'est-ce à dire ? Sa souffrance est notre rachat. Rachetés par lui (il nous a payé "cher" dit saint Paul en pensant à sa mort sur la croix), nous pouvons nous racheter les uns les autres. Nous pouvons nous aussi, offrir nos souffrance pour les autres. Par l'amour. En expirant sur le bois de la croix, dit le vieux Cantique, Dieu nous aima plus que lui-même". C'est ce que nous appelons la rédemption, le rachat, la victoire de l'amour. "Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime". Le Christ a démontré son amour par sa mort. C'est en l'imitant que nous ferons nous aussi "un bon usage des maladie", un bon usage des souffrances, un bon usage du mal et de la mort. "Sans effusion de sang, dit saint Paul aux Hébreux, il n'y a pas de rémission" (Hébr. 9, 22). Bien sûr Dieu aurait pu déclarer le péché inexistant. "Une goutte de son sang aurait suffis pour sauver le monde" dit saint Thomas dans l'Adoro te. Il n'avait pas ce besoin de la souffrance de son fils pour effacer les péchés du monde. C'est le monde qui en avait besoin. Le monde avait besoin de transformer l'obstacle de la souffrance, le scandale de la souffrance et sa fragilité pécheresse, en autant de moyens du salut. Comment faire concrètement pour pratiquer cette alchimie existentielle ? Simplement regarder la croix du Seigneur et imiter Jésus sur sa croix, pour recevoir l'intelligence de la souffrance. Beaucoup aujourd'hui se détournent de cette intelligence-là.

Revenons à Isaïe pour comprendre ce qui se passe aujourd'hui, dans une société qui hait la souffrance, qui déteste la condition humaine, en rêvant à "transhumaner". Si l'on oubliait ce verbe "Je te ferai", dans l'expression "je te ferai blanc comme la neige", on pourrait lire ce verset d'Isaïe dans le sens où tout vaut tout, où rien, jamais, n'est grave, parce que Dieu pardonne toujours. La pastorale actuelle détourne trop souvent les fidèles de la croix. Le péché dans cette perspective, devient juste un truc pour les enfants : pour leur apprendre à vivre, au mieux, il s'agit d'un rappel du devoir social. Mais, c'est en tout cas ce que l'on imagine trop souvent en voyant les choses depuis notre ici-bas - entre grandes personnes, avec Dieu on finit toujours par s'entendre. Il est vrai qu'en tant que le péché est une offense faite à Dieu, Dieu a une immense réserve de pardon. Mais le péché n'est pas seulement une offense faite à Dieu, offense que Dieu, libéralement nous pardonne, comme le Père de l'Evangile pardonne au fils prodigue d'avoir mangé son héritage avec les prostituées. Ce pardon là, nous savons maintenant qu'il va de soi, que Dieu est miséricorde, que rien ne peut l'atteindre surtout pas nos péchés, et qu'il nous aime sans mesure.

Si l'on fait un pas de plus, et si l'on décide de faire abstraction du péché et de s'en tenir à la miséricorde de Dieu, quoi que nous fassions, ne risque-t-on pas trop facilement de croire que tout nous est permis ? 

Pauline Jaricot, au début du XIXème siècle, avait identifié ce risque d'une miséricorde "excessive" de ce Dieu, coeur ouvert et grand pardonneur, Dieu qui dans l'eucharistie met sa miséricorde à la merci des passants. Dans son livre L'amour infini dans la divine eucharistie, elle explique : « Autrefois, le sanctuaire était fermé par un voile ou par une séparation qui dérobait presque entièrement à la vue des fidèles la célébration des saints mystères. Aujourd’hui il est entièrement découvert. Les laïcs peuvent prendre place jusqu’au pied de l’autel et dans quelques églises le sanctuaire est si rapproché de la nef qu’on pourrait dire en quelque sorte qu’il n’existe point de séparation ». C'était la tendance de son époque. Que dirait-elle devant la nôtre ? Et cette dame d'oeuvre lyonnaise d'essayer de tirer une loi historique inquiétante pour la logique chrétienne de l'amour infini. N'en pouvant plus de son propre constat, elle s'adresse directement à Dieu  : « A mesure que l’homme s’éloigne de vous, vous paraissez vous rapprocher d’avantage de lui.  A mesure que notre foi s’affaiblit, la sainte Eglise, toujours dirigée par le Saint Esprit, expose de plus en plus Jésus-Christ aux adorations des fidèles ; elle multiplie les adorations du Saint Sacrement. Elle rend les sanctuaires de nos temples plus accessibles. Elle paraît se dépouiller de sa sévérité pour mettre notre sauveur à la portée de tous ceux qui désirent arriver au pied du trône de sa miséricorde ».

Faut-il dissimuler cet amour divin aux hommes qui en abusent et rétablir l’empire de la crainte ?  Faut-il oublier cette grande promesse de la rémission des péchés ? A Dieu ne plaise ! 

La révélation de l’amour divin est dans l’Ecriture elle-même, dès l’ancienne alliance. On ne peut pas détourner Dieu de son dessein d’amour. Il faut seulement le faire comprendre, ce dessein,  comme existant de personne à personne, de cœur à cœur, pour que les hommes, insérés chacun dans une relation d’amour avec Dieu, ne puisse pas se contenter de spéculer sur le grand courant anonyme de la bonté divine, sans répondre activement à son amour.  Un homme digne de ce nom, un homme de coeur doit se sentir responsable d'avoir à rendre amour pour amour, comme l'écrit souvent le Père de Foucauld. Et Pauline Jaricot surenchérit : « C’est donc pour vaincre notre cœur comme malgré nous que ce Dieu généreux, ces derniers temps, nous montre le sien vaincu par sa charité pour nous. Il veut que son cœur soit exposé à notre vénération afin de réveiller notre sensibilité par sa tendresse mise en opposition avec notre indifférence ». Le Sacré cœur, remède historique à la tiédeur de l’homme calculateur et qui ne sait que se servir de la bonté divine en misant sur son pardon, c’était sans doute aussi le fond de la pensée du Père de Foucauld, qui, rappelons le, portait un sacré cœur (le cœur surmonté de la croix) brodé sur son habit.  On peut se moquer de l’amour, parce que l’on s’en fait une représentation vague, mais on ne se moque pas de l’amant, en particulier lorsque c’est Dieu qui aime. «  De Dieu on ne se moque pas » disait saint Paul. Du cœur de Jésus, nous les hommes, nous ne saurions nous moquer sans encourir la colère de Dieu, c’est-à-dire avant tout notre propre mépris. Tel peut-être la première réponse que l'on donne face aux excès de la miséricorde divine dans la rémission des péchés. Qui est capable de se moquer du coeur de Dieu ? Celui-là ne peut encourir que la colère du Tout puissant, colère face à laquelle la plus forte chance est que le pécheur s'endurcisse... jusqu'à l'enfer.

Il ne s'agit pas un instant en effet de prétendre que le péché n 'est pas grave. Ce que je soutiens c'est que le péché, qui est une offense à Dieu, rencontre facilement en  Dieu le pardon. Mais c'est en nous que, si j'ose dire, ça coince. Georges Bernanos s'écriait dans le Soleil de Satan, : "Que le péché qui nous dévore laisse en nos êtres peu de substance". Le péché nous détruit, détruit en nous l'amour, la générosité, la grandeur d'âme, le sens de l'honneur et de la dignité, le respect de soi-même. Il fait de nous des calculateurs intéressés, des philosophes anglais, les Start Mill les Bentham, qui pensent que le souverain bien, ça se calcule.

J'allais dire une chose énorme : le pardon qui vient de Dieu n'est pas suffisant. 

Il faut que nous ayons la volonté de réparer le péché commis. C'est ce que comprenaient bien les jansénistes face au sacrement de pénitence : sortir du confessional en se disant : tout est réglé, c'est oublier que recevoir le pardon divin n'est pas suffisant, qu'il faut aussi se reconstruire. Alors que notre être moral inné est tout entier tourné vers Dieu, fin ultime de notre agir. A pécher, c'est-à-dire à vouloir agir comme si Dieu n'existait pas, on s'endurcit et on détruit cette orientation spontanée vers Dieu. Ne reste plus en nous  que la peur ou l'instinct social, qui nous interdit les péchés trop voyants, mais qui encourage secrètement les dérapages d'autant plus terribles qu'ils resteront socialement neutres. D'autant plus mauvais qu'ils sont accomplis impunément.

Bernanos encore une fois : " La plupart des catholiques ne considèrent les Evangiles que comme une espèce de code moral qui leur promet le salut éternel en récompense de l'honnête exécution du devoir social. Ils ne voient rien. Nous sommes environnés de surnaturel". "Environnés", c'est le mot. Le mal est surnaturel : satanique. Le bien est surnaturel : divin. Obscurément, tous ceux qui ont reçu une formation chrétienne de près ou de loin, savent qu'ils sont responsables du bien et du mal qu'ils font, dans une dimension qu'ils ne soupçonnent pas forcément (c'est ce que Max Wundt appelle l'hétérogénie des fins : les choses que l'on cherche à atteindre sont infiniment plus importantes objectivement qu'on ne le croit subjectivement). Ces individus "de marque chrétienne" (Pierre Manent) savent encore obscurément que toutes leurs actions les dépassent et qu'en cela elles sont bien surnaturelles, alors que dans la conscience que l'on prend du quotidien, on voudrait à toute force s'insérer dans l'ordinaire du jeu social et ne pas en démordre.

Cette censure purement sociale que l'on confond avec la morale authentique, est souvent vécue comme une sorte de triche à l'échelon d'une société. Comment se débarrasser de ce jeu social dans lequel, quoi qu'en pense Sartre, nous sommes tous des salauds. Oui comment faire disparaître cette triche ? Non pas en acceptant le choix entre les deux formes de surnaturel, le divin et le diabolique, comme le pensent les chrétiens conscients d'eux-mêmes ; mais en déformant le christianisme et ce qu'il y a de plus beau en lui : la miséricorde.  en répétant que le péché n'existe pas, que d'ailleurs le rouge écarlate équivaut à la blancheur de la neige, qu'en fait tout vaut tout, le blanc, le rouge, que le péché n'existe pas. 

Mais comment croire à la rémission des péchés si l'on ne croit plus au péché ? Et comment ne plus croire au péché quand on voit la grossièreté des âmes qu'habitent une sorte d'impunité pécheresse ? Justement, la première expérience qui mène à la conversion est l'expérience du mal. C'est tout ce qu'a compris le Fils prodigue de la Parabole. Il l'a payé cher cette compréhension, jusqu'à s'engager comme gardien de troupeaux chez un maître exigeant et rapiat, lui qui n-a pas su reconnaître la bonté de son propre père. Pour que le pardon du Père lui soit favorable, il a dû reconnaître : "J'ai péché contre le ciel et contre toi, je ne suis pas digne d'être appelé ton fils" (Luc 15). Appeler mal ce qui est mal et bien ce qui est bien, c'est le commencement du salut. La bonne disposition pour recevoir de manière efficace - et non purement formelle - la rémission des péchés, c'est, comme le Fils prodigue, d'avoir fait, de manière cinglante, l'expérience du mal. D'un mal, le péché, la mort ou l'humaine saloperie, qui est plus fort que soi. Lorsq'on le comprend, on saisit que l'on a besoin de Dieu.

vendredi 1 juillet 2022

La communion des saints

 Une autre oeuvre du Saint Esprit sur la terre - après l'Eglise - est ce que l'on nomme dans le Credo la communion des saints. Attention : la communion des saints n'a rien à voir avec la communion eucharistique. Elle ne concerne pas directement le corps eucharistique de Jésus, mais bien d'avantage son corps mystique, selon l'expression de saint Paul. Mais qu'est-ce que le corps mystique ? Le récit par saint Luc dans les Actes des apôtres de la conversion de Saul nous aide à le comprendre.

Au chapitre 9 de cet ouvrage, saint Paul lui-même raconte sa conversion au Christ sur le Chemin de Damas. Il est venu dans cette ville pour livrer ceux qu'il appelle les partisans de la Voie (les chrétiens) à la Justice du Sanhédrin, lequel Sanhédrin  a fait de lui Saül, son représentant avec droit de vie et de mort sur ces juifs déviants que l'on n'appelle pas encore les chrétiens, et sur lesquels il pourrait mettre la main. Il est à cheval, en route vers Damas, quand une grande lumière le jette à terre et le prive de l'usage de la vue ; il entend une voix lui dire : "Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? - Qui es-tu Seigneur ? - Je suis Jésus que tu persécutes". C'est de ce bref dialogue entre Saul et la lumière qu'est née la théologie du corps mystique dans les épîtres de Paul. ET c'est l'origine du dogme de la communion des saints.

Qu'appelle-t-on corps mystique du Christ ? Le jeune Saul, qui a dû croiser Jésus dans les rues de Jérusalem un ou deux ans auparavant, n'a jamais persécuté Jésus. Il se tenait à distance, c'est tout. Mais, après ces événements tragiques de Jérusalem, malgré le supplice déshonorant infligé au Christ, le nombre de ceux qui suivent sa voie ne fait qu'augmenter. Pour Saul, juif militant, il fallait que ça cesse, et vite. il a donc souhaité persécuter non pas le Christ, mais ceux qui suivent son enseignement. Eh bien ! Alors qu'il s'apprête à jouer les persécuteurs dans la capitale voisine de Damas, voilà que lui apparaît le Christ ressuscité, vivant, pour lui dire : les persécuter, ces fidèles qui suivent ma voie, c'est me persécuter. Au fond, eux et moi, c'est pareil. Voilà où commence la communion des saints : "Tous ce que vous ferez au plus petit d'entre les miens, c'est à moi que vous le ferez". "Celui qui vous aura donné à boire un verre d'eau, parce que vous êtes au Christ, celui-là ne perdra pas sa récompense" (Mc 9, 41). Incroyable attrape-tout de la communion des saints ! Il suffit de donner quelque chose à un chrétien pour le devenir.

Vous me direz : en toute orthodoxie, pour devenir chrétien, il faut la foi. Oui, mais quelle foi ? L'exemple de Gamaliel, le maître de Paul (cf. Ac. 22, 3), est éclairant. Ce dernier, sans doute impressionné par la Parole de Jésus, avait solennellement dit de laisser les chrétiens tranquilles (Ac. 5, 38-39) : "Si ce qu'il dit vient des hommes, cela ne tiendra pas. Si ce qu'il dit vient de Dieu, nul ne pourra le détruire. Ne prenez donc pas le risque de faire la guerre à Dieu". Façon de dire, comme Tertullien plus tard : le christianisme est tellement fou que s'il vient des hommes, cet enseignement ne tiendra pas. Je crois parce que c'est fou, credo quia ineptum est, c'est inepte et ça tient : ça vient de Dieu. Tel est le premier raisonnement qui vous inclut dans la communion des saints. Comme dit le Christ lui-même : "Ceux qui ne sont pas contre nous sont pour nous" (Mc 9, 40). 

On peut parler de communion des saints non pas seulement à propos des saints ou de ceux qui prétendent l'être. La communion des saints - nous verrons comment tout à l'heure - fait devenir saints ceux qui ne le sont pas. Elle s'exerce aussi à l'égard de tous ces demi-chrétiens, qui  ne peuvent pas ne pas sympathiser avec le Christ : comme Gamaliel, ou encore comme Nicodème qui vient voir le Christ de nuit et qui se plaît à cette demie-lumière, restant à distance.. C'est une histoire de verres à moitié vides ? Il faut les voir à moitié pleins, voilà la première règle de la communion des saints.   Comme le dit le Christ lui-même : "Ceux qui ne sont pas contre nous sont pour nous".

Après ce premier détour par Gamaliel, Nicodème et tous les mal-croyants, dont nous faisons tous partie à un moment ou à un autre, revenons à saint Paul. Que nous dit sa doctrine du corps mystique du Christ ? Nous sommes attachés à Jésus, et si, chrétiens,nous sommes solidaires les uns des autres, c'est d'abord parce que nous sommes tous le Corps mystique du Christ. Ainsi solidarisés les uns avec les autres dans le même esprit, nous pouvons prier les uns pour les autres, mériter les uns pour les autres, nous sacrifier les uns pour les autres. Nous pouvons faire en sorte que les vivants prient pour les morts et les morts pour les vivants. Membres en bonne santé ou membres malades, nous sommes un seul corps dans le Christ.

Je pense d'abord à Cajétan et à son travail théologique sur les indulgences, en réponse aux critiques de Martin Luther. A-t-il en tête le communisme des premiers chrétiens à Jérusalem, pratiquant le "Ce qui est à moi est à toi" ? Pour lui, en vis-à-vis de sa doctrine sociale dans les Opuscules philosophiques, dans lesquels il parle d'un Trésor public (aes publicum), qui doit être ouvert aux pauvres, il existe, dans le Royaume de Dieu, un trésor surnaturel, trésor de grâce, alimenté par les mérites du Christ, ceux de la Vierge Marie, en particulier au pied de la Croix (cf. son De Indulgentiis Q1), et ceux de tous les saints, qu'ils aient été répertoriés ou non, comme saints. En se le partageant, les élus ne font que l'augmenter, puisqu'il est substantiellement tout l'amour du monde et que qui partage l'amour en vérité en reçoit toujours plus encore qu'il en donne.

C'est au XIXème siècle que le dogme de la communion des saints (profondément agissant dans la religion populaire) a donné lieu aux plus longs développement depuis saint Paul et depuis Cajétan. Pour ces laïcs, poètes et penseurs chrétiens, les actions des justes forment un trésor de grâces dans le Christ, trésor fait pour être dépensé en faveur des pécheurs. Je pense à Joseph de Maistre et à sa doctrine de la réversibilité des mérites, je pense à Baudelaire, disciple caché de Maistre, et à son poème Réversibilité. Le nom de réversibilité a été inventé, dans son acception théologique, par Joseph de Maistre, pour désigner le fait que celui qui s'est trouvé gagner des mérites en ce monde peut les offrir à un autre dans l'autre monde. Le culte des morts, si important au XIXème siècle, s'est trouvé vivifié par cette doctrine, qui est l'application de la charité à l'urgence personnelle du salut. Baudelaire en fait un schème de l'amour passion dans l'extraordinaire poème auquel il a prêté ce nom abstrait : Réversibilité. L'homme amoureux trouve dans la femme aimée tout ce qui lui manque, au nom de l'amour. N'est-ce pas comme une application profane (non une profanation !) du christianisme ? : "Ange plein de bonheur, de joie et de lumière, / David mourant aurait demandé la santé / Aux émanations de ton corps enchanté ; / Mais de toi, je n'implore, ange, que tes prières / Ange plein de bonheur de joie et de lumière !". 

Je pense aussi, je pense enfin à cet ours mal léché qu'était Léon Bloy, le vaticinateur impénitent. Voici comment il s'exprime au sujet de la communion des saints :

Il y a une loi d'équilibre divin appelée la communion des Saints, en vertu de laquelle le mérite d'une âme, d'une seule âme est réversible sur le monde entier. Cette loi fait de nous des dieux et donne à la vie humaine des proportions du grandiose le plus ineffable. Le plus vil des goujats porte dans le creux de sa main des millions de coeurs et tient sous son pied des millions de têtes de serpents. Cela il le saura au dernier jour. Un homme qui ne prie pas fait un mal inexprimable en toute langue humaine ou angélique. Le silence des lèvres est bien autrement épouvantable que le silence des astres".

En effet, de par ce dogme de la communion des saints, on ne prie jamais pour soi seul. Et par conséquent ne pas prier, ce n'est pas seulement se faire du mal à soi-même, c'est manquer au choeur des voix polyphonique dans le cosmos avec qui et au nom de qui l'on prie, qui représentent l'humanité et constituent son offrande, venant de tous ceux qui veulent ce sacrifice augural et allant à tous ceux qui cherchent la rédemption en lui. La référence finale à la célèbre Pensée de Pascal que nous avons déjà cité sur le Silence éternel de ces espaces infinis, qui a quelque chose d'effrayant, est une magnifique trouvable : bien plus effrayant que les silences galactiques sont les silences mutiques, silence des lèvres qui devraient parler, silence des coeurs qui devraient proclamer ce qu'ils ont pu comprendre et qui se taisent. Nous sommes au temps des chiens muets.

Le dogme de la communion des saints, à travers la souffrance (celle du Christ sur la croix et de tous les offrants sur la terre), constitue la grande réponse au problème du mal, ou plutôt la grande entrée dans le mystère du mal.

Comme le dit simplement Maistre, dans sa Huitième Soirée de Saint-Pétersbourg, "le juste en souffrant volontairement, ne satisfait pas seulement pour lui, mais pour le coupable par voie de réversibilité. La communion des saints est cette pierre philosophale, qui transforme le mal en bien par le miracle de l'offrande. Je dis miracle car cette offrande des péchés de toute l'humanité appartient au Christ, qui seul la rend possible. Nous la pratiquons dans la communion des saints. A son imitation.