mardi 30 juillet 2013

L'Eglise peut-elle se payer le luxe d'une guerre de religion ?

Voici, exceptionnellement et sans commentaires, l'une des dernières chroniques de Sandro Magister. Pour mettre la paix dans un ordre religieux va-t-on rallumer la guerre entre les catholiques du monde?
SOURCE - Sandro Magister - Chiesa (blog) - 29 juillet 2013
Sur un point névralgique: la messe selon le rite ancien. Ratzinger en a permis la célébration à tous. Bergoglio l’a interdite à un ordre religieux qui la préférait 
ROME, le 29 juillet 2013 – Un point sur lequel Jorge Mario Bergoglio était attendu au tournant, après avoir été élu pape, était celui de la messe selon l’ancien rite.
Certains prédisaient que le pape François ne s’éloignerait pas de la ligne de son prédécesseur. Celui-ci avait libéralisé, par le motu proprio "Summorum pontificum" du 7 juillet 2007, l’usage de la célébration de la messe selon l’ancien rite en tant que forme "extraordinaire" du rite moderne :Benoît XVI libéralise l'usage de l'ancien rite de la messe. Et il explique pourquoi et par l’instruction qui y faisait suite, "Universæ ecclesiæ", en date du 13 mai 2011 :Deux messes pour une seule Église
 
D’autres, en revanche, prévoyaient que le pape François allait restreindre – ou même carrément supprimer – la possibilité de célébrer la messe selon le rite d’avant le concile Vatican II, même si cela revenait à contredire les décisions de Benoît XVI alors que celui-ci était encore vivant.
 
Quand on lit un décret qui a été publié, peu de temps avant le voyage du pape François au Brésil, par la congrégation vaticane pour les religieux, avec l'approbation explicite du pape lui-même, il semble bien qu’il faille donner raison plutôt aux seconds qu’aux premiers.
 
Ce décret est daté du 11 juillet 2013, avec le numéro de protocole 52741/2012. Il porte la signature du préfet de la congrégation, le cardinal Joao Braz de Aviz, membre des Focolari, et celle du secrétaire de cette même congrégation, l'archevêque José Rodríguez Carballo, franciscain.
 
Braz de Aviz est le seul haut dirigeant de la curie qui soit de nationalité brésilienne, raison pour laquelle il a accompagné le pape François dans son voyage à Rio de Janeiro. Il a la réputation d’être progressiste, même si celle d’esprit brouillon lui correspond mieux. Et il sera probablement l’un des premiers à sauter, dès que la réforme de la curie annoncée par le pape François prendra corps.
 
Rodríguez Carballo, en revanche, jouit de la pleine confiance du souverain pontife. Sa promotion au rang de numéro deux de la congrégation a été voulue par le pape François lui-même, au début de son pontificat.
 
Il est donc difficile de penser que le pape Bergoglio ne se serait pas rendu compte de ce qu’il approuvait lorsque le décret lui a été présenté avant d’être publié.
 
Le décret met un commissaire apostolique – en la personne du capucin Fidenzio Volpi – à la tête de toutes les communautés de la congrégation des Frères Franciscains de l'Immaculée.
 
Ce qui constitue déjà un motif d’étonnement. Parce que, parmi les communautés religieuses nées dans l’Église catholique au cours des dernières décennies, les Franciscains de l'Immaculée sont l’une des plus florissantes. Ils comportent des branches masculines et féminines, les vocations y sont nombreuses et jeunes et ils sont implantés sur plusieurs continents, avec entre autres une mission en Argentine.
 
Ils se veulent fidèles à la tradition, dans le plein respect du magistère de l’Église. C’est si vrai que, dans leurs communautés, ils célèbrent la messe aussi bien selon le rite ancien que selon le rite moderne, comme le font d’ailleurs, partout dans le monde, des centaines d’autres communautés religieuses – comme les bénédictins de Nursie, pour ne citer qu’un seul exemple – appliquant ainsi l’esprit et la lettre du motu proprio "Summorum pontificum" de Benoît XVI.
 
Mais c’est précisément cela qui leur a été contesté par un noyau de dissidents internes. Ceux-ci ont fait appel aux autorités vaticanes pour se plaindre de la propension excessive de leur congrégation à célébrer la messe selon le rite ancien, ce qui aurait pour effet de créer des exclusions et des oppositions au sein des communautés, de miner l'unité interne et, pire encore, d’affaiblir le "sentire cum Ecclesia" le plus général.
 
Les autorités vaticanes ont réagi en envoyant, il y a un an, un visiteur apostolique. Et maintenant voici qu’un commissaire est nommé.
 
Mais ce sont les cinq dernières lignes du décret du 11 juillet qui suscitent le plus d’étonnement :
"En plus de ce qui est indiqué ci-dessus, le Saint Père François a décidé que tous les religieux de la congrégation des Frères Franciscains de l'Immaculée sont tenus de célébrer la liturgie selon le rite ordinaire et que, éventuellement, l'usage de la forme extraordinaire (Vetus Ordo) devra être explicitement autorisée [sic] par les autorités compétentes, pour tous les religieux et/ou communautés qui en feront la demande".
 
L’étonnement est dû au fait que ce qui est ainsi décrété contredit les dispositions prises par Benoît XVI. Celles-ci n’exigent, pour la célébration de la messe selon le rite ancien "sine populo", aucune demande préalable d’autorisation :
"Ad talem celebrationem secundum unum alterumve Missale, sacerdos nulla eget licentia, nec Sedis Apostolicæ nec Ordinarii sui" (1).
 
Et pour les messes "cum populo", elles fixent quelques conditions, mais toujours en assurant la liberté de célébrer.
 
En général, il est possible d’exercer, contre un décret pris par une congrégation du Vatican, un recours devant le tribunal suprême de la signature apostolique, aujourd’hui présidé par un cardinal qui est considéré comme un ami par les traditionalistes, l'Américain Raymond Leo Burke. 
 
Mais si le décret fait l’objet d’une approbation du pape sous une forme spécifique, comme cela semble être le cas dans cette affaire, le recours n’est pas admis.
 
Les Franciscains de l'Immaculée devront se conformer à l’interdiction de célébrer la messe selon le rite ancien à partir du dimanche 11 août.
 
Et alors que va-t-il se passer, non seulement chez eux mais dans toute l’Église ?
 
Benoît XVI était convaincu que "les deux formes d’utilisation du rite romain peuvent s’enrichir réciproquement". Il l’avait expliqué dans la lettre affligée qu’il avait adressée aux évêques du monde entier pour accompagner le motu proprio "Summorum pontificum" : "C’est avec beaucoup de confiance et d’espérance…"
 
Mais à partir de maintenant il n’en est plus ainsi, ou tout du moins pas pour tout le monde. Il ne restera aux Franciscains de l'Immaculée, contraints de célébrer la messe uniquement selon la forme moderne, qu’une seule façon de mettre à profit cet autre souhait de Benoît XVI : "manifester" aussi dans cette forme moderne, "plus fortement que ce n’est bien souvent le cas jusqu’à présent, cette sacralité qui fait que beaucoup de gens sont attirés par le rite ancien".
 
Il est de fait que l’un des fondements du pontificat de Joseph Ratzinger a été altéré. Par une exception dont beaucoup de gens craignent – ou souhaitent – qu’elle devienne rapidement la règle.
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(1) Fait curieux, six années après sa publication, le motu proprio "Summorum Pontificum" de Benoît XVI continue à n’être présent, sur le site du Saint-Siège, qu’en deux langues qui comptent parmi les moins connues : le latin et le hongrois.

vendredi 26 juillet 2013

Fêtes à Bayonne

Au cours d'un petit périple au sud de la Loire (oui... ça m'arrive), j'ai fait escale à Bayonne, et je suis tombé sur la fête. La teuf. Du mercredi au samedi quatre soirées à l'enseigne de l'éclatez moi ça. Une occasion rêvée pour prendre le pouls d'un Pays, qui, pour l'occasion, abandonne toute inhibition et se retrouve - tel qu'en lui-même : basque.

Je confesse que c'est depuis peu de temps que je sais que Bayonne est la capitale du Pays basque et Pau celle du Béarn. Pour moi Bayonne était d'abord le berceau d'un homme illustre, Jean Duvergier de Heauranne, abbé de Saint Cyran (dans la Brenne). C'est à Bayonne que le célèbre confesseur a travaillé son saint Augustin, avec son brillant camarade batave, Cornelius Janssen, qui deviendra chancelier de l'université de Louvain puis évêque d'Ypres. C'est à Bayonne que les deux compères ont compris, sans doute par la vertu de l'analogie, la douceur des montagnes de la théologie catholique, la beauté sans pareil d'Augustin. Le moins que l'on puisse dire et qu'il fallait être basque (ou venir du pays des polders) pour comprendre cela au début du XVIIème siècle.

L'abrupte des montagnes et la douceur d'y vivre heureux, c'est encore aujourd'hui me semble-t-il ce qui caractérise les basques. Il suffisait de se promener en soutane (avec le foulard et la ceinture rouge de rigueur) pour être immédiatement hélé, interpelé, questionné. A 11H00 du matin on m'offre un gobelet de fine : ils n'ont pas des estomacs de Mickey, ces chrétiens. Car c'est ce qui frappe d'abord : la soutane agit en l'occurrence comme un révélateur de la foi... des autres. Il y a des firetti de saint François qui montrent que c'était déjà vrai au XIIIème siècle. Ces gens, loin des miasmes de l'idéologie laïque, ont su se garder un coeur. Ils se souviennent qu'ils ont une âme. Ainsi cette jeune maman qui me dit : "Je n'ai pas la foi, mais je veux faire baptiser mon bébé, pour qu'on soit ensemble après la mort".

Je dis qu'ils n'ont pas été contaminés par l'idéologie laïque, mais il y a une laïcité en acte, la conscience avant tout d'être un peuple, que j'ai perçue sur la petite place de la mairie, où l'on était à touche touche, en attendant l'envoi de "la clé" de la ville par le "roi Léon" (Saint Léon martyr local), après un petit feu d'artifice. Il me semble que c'est la vieille laïcité chrétienne et française - celle de Montesquieu éminent juriste en son château de la Brède (oh! avec l'autoroute ce n'est pas loin...). Pas l'idéologique, qui mettant Dieu hors champ supprime toute vraie possibilité de communion sociale, mais celle qui nous fait Français, avec un héritage qui va au-delà des croyances de chacun.

C'est dans ce contexte basque qu'il faut comprendre l'action d'Agour Maria (Je vous salue Marie en basque) : 25 jeunes qui parlent de Dieu dans la rue, en profitant de ce que le vin (et la sangria) délient les langues et peut-être ouvre les coeurs. Le soir à la cathédrales ces jeunes prient pour tous ceux qu'ils ont rencontré dans l'après-midi. Ils font, deux par deux, sans ostentation inutile, ce que ma soutane me permet de faire à plein temps : faire entendre un autre son de cloche. Rappeler chacun au Voyage intérieur qui constitue sa vie. Éveiller ceux que l'Abondance matérialiste a fait tomber dans l'hébétude du sommeil métaphysique...

mercredi 17 juillet 2013

Le choc de la simplification

Dans Libé, aujourd'hui, on nous raconte "le choc de la simplification" tel qu'il sera pour chaque Français sous la présidence Hollande en 2014. Les énarques se sont surpassés. D'un seul coup tout sera simple, et surtout - d'ailleurs dès maintenant - le mariage. Libé nous raconte une journée (fictive) de Sabine. Elle a manifestement tout compris de l'ère Hollande. On explique d'ailleurs sans commentaire, je cite : "19h45. Sabine rentre chez elle. Son épouse Nelly, qui travaille dans un ministère, lui raconte sa journée". C'est y pas mignon ? Banalité du mal et rareté du mâle quand tu nous tiens ! Le choc de la simplification dans un couple, c'est effectivement de vivre avec une personne de même sexe. Beaucoup moins de risque de malentendu, d'incompréhension de quiproquo quand on est fait pareil. Pour un choc, c'est un vrai choc.

Le choc de la simplification s'étend aussi (oh ! Libé n'en parle pas) à la manière dont vient d'être voté la nouvelle loi autorisant les expérimentations sur des embryons humains. Là, c'est la procédure parlementaire qui a été simplifiée, cette loi nouvelle dont on avait convenu qu'elle n'admettait pas d'amendements, a pu être adoptée, en un tour de main, pendant les vacances. Par quatre vingt voix d'écart, on aura donc droit désormais en France, comme cela se fait déjà dans d'autres pays, de tripatouiller des petits d'hommes : c'est pour la Science, alors pourquoi se compliquer la vie avec les cellules souches ? Autant travailler sur le vif !

Mais la simplicité engendre parfois des contradictions !

Samedi 13 juillet dernier, par respect pour les arbres, on a mis fin aux expérimentations en pleine terre sur les OGM.  C'est l'Institut National de la Recherche Agronomique (Inra) qui décidé, samedi 13 juillet, d'interrompre la dernière culture d’OGM en plein champs en France ; il s'agissait de peupliers ; le point de vue n'était pas immédiatement commercial, on s'en doute, mais purement scientifique. L’INRA a été forcé d’arrêter ses travaux remontant à plus de dix ans, faute d'une autorisation du gouvernement.

C'est très simple : il y a aujourd'hui deux écologies, celle qui tend à diviniser la nature et celle qui s'intéresse avant tout à l'humanité de l'homme. Pour simplifier, il vaut mieux s'occuper de la nature que de l'homme ! On interdit les expériences sur le vivant végétal par respect pour la nature et on l'autorise sur les petits d'homme, par... haine de notre propre nature ?

jeudi 11 juillet 2013

Liberté égalité fraternité

"J'apprécie d'ordinaire les propos de l'abbé de Tanoüarn, mais si agir en homme libre, considérer autrui comme son égal, entretenir avec lui des rapports fraternels ne sont pas des valeurs chrétiennes, j'avoue m'y perdre un peu. je ne vois pas non plus l'intérêt de leur substituer des "valeurs" (fécondité, respect, responsabilité) qui n'ont rien de spécifiquement chrétien (à l'exception peut-être de la première). Les vertus théologales et cardinales forment un socle théorique et pratique plus solide..."

Ainsi s'exprime Jean-Jacques sur Facebook. La remarque est intéressante et le sujet capital. La liberté, l'égalité et la fraternité sont trois "beaux mots" comme dit aussi ce matin François Huguenin et ce n'est pas en tant que tels que je les attaque, c'est plutôt dans leur trajectoire historique. 

La liberté républicaine après la destruction des corporations par la loi Le Chapelier a promu "le renard libre dans le poulailler libre". On sait dans quel état humain se trouvaient les fabriques sous la Restauration d'après le rapport Villermé. Pitoyable désastre dû à la Révolution bourgeoise ! Personnellement je ne m'encombrerais pas de cette liberté libérale.

L'égalité républicaine a engendré les iniquités du socialisme international au nom de cette formule de Proudhon (souvent mieux inspiré) : "La propriété c'est le vol". Ce "communisme" là ne m'intéresse pas. Lorsque FH écrit en préface de ses 60 propositions pour la France : "L'égalité est l'âme de la France" c'est de cette égalité-là de cet idéal politique qu'il parle.

La Fraternité, j'en ai parlé un peu plus longuement, elle est la Fraternité des gens du même parti, une fraternité qui ne se définit pas à partir d'une paternité naturelle ou surnaturelle.

Il est vrai qu'agir en homme libre, considérer autrui comme son égal et entretenir avec lui des rapports fraternels, cela peut définir un comportement chrétien. Si je propose la responsabilité, le respect et la fécondité, c'est parceque ces trois mots réinterprètent la devise révolkutionnaire en lui donnant un sens chrétien : un homme est libre dans la mesure où il est responsable. Le respect c'est l'égalité ou l'équanimité avec laquelle on traite autrui ("Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais as que l'on te fasse" dit l'Evangile dans la célèbre règle d'or). Enfin la fécondité me semble le signe par excellence de la charité, autre nom de la fraternité. Qu'est-ce qu'un amour qui n'est pas fécond ? - Une imagination d'amour.

Ces trois mots ne sont pas un autre socle que es vertus théologales : la foi est l'exercice spirituel de sa responsabilité. L'espérance est un acte surnaturel de respect envers soi-même. La charité est l'interprétation totale de la fraternité chrétienne. Responsabilité, respect et fécondité sont donc trois applications sociales des divines vertus de foi d'espérance et de charité.

Une réponse à Boulevard Voltaire (ou du moins à Christine Tasin)

Sur Boulevard Voltaire, Christine Tasin nous dit le peu de considération qu'elle éprouve pour le Printemps français en général et pour Béatrice Bourges, nommément citée, en particulier. Riposte laïque, qu'elle représente, aurait le filon en matière d'action politique : il faut être anti-islam en France avant tout. Et le Printemps français, en se plaçant sur le plan de la morale, n'aurait rien compris et retomberait dans l'ornière de tous les réacs. Mais le mieux est de la citer : 
"Non seulement l’aile catholique traditionnelle la plus véhémente – celle qui refuse l’avortement, voire la contraception et, forcément, demain, l’euthanasie -, était là, avec à la fois Civitas – dont le président, Alain Escada, affirme tranquillement que l’homosexualité est un péché (on ne rit pas) et que les homos doivent carrément se faire hara-kiri pour ses beaux yeux – mais, surtout, Fils de France, en la personne de Camel Bechikh, qui était invité aux préparations de manifs en compagnie de Béatrice Bourges et présent à la tribune avec ses femmes voilées… "
Chère Christine Tasin, toutes les révolutions auxquelles vous avez pu participer intellectuellement (et peut-être plus si affinités, je n'en sais rien) sont des révolutions anti. Vous croyez qu'on fait la Révolution en étant contre. Mais ces révolutions là ont toujours échoué parce qu'elles étaient purement dialectiques. La Révolution contre ? Cela ne va nulle part, on le sait trop aujourd'hui.

La Révolution française (contre l'Eglise et contre les nobles - à la lanterne) a produit le grand déclassement français comme l'a expliqué naguère Pierre Chaunu (ou encore Jean Sédillot). La Commune et la résistance à outrance et sans espoir aux Boches, au nom du nationalisme le plus éruptif à produit le Traité de Versailles et... la guerre suivante - Merci Gambetta. La Révolution russe a engendré des dizaines de millions de morts et une glaciation historique sans exemple. Bref, on ne fait pas une Révolution contre... Aujourd'hui si vous faites une Révolution contre l'islam, cela donnera quoi ? De nouveaux pogroms ?

La seule Révolution qui marche et qui impose sa marque à l'histoire est celle qui va en avant : c'est d'ailleurs pour cela que l'islamisme est tellement a craindre : il a une foi. Demandez aux nombreux Français de souche convertis à l'islam, demandez aux Françaises voilées... Mais vous ne ferez pas face à l'islamisme avec pour seule mot d'ordre la diabolisation et la dialectique.

Vous n'avez pas le choix, Christine Tasin : votre révolution à vous, ça devrait être la Révolution chrétienne, celle pour laquelle marchent la nuit tous ces Veilleurs, celle au nom de laquelle s'insurgent les "Comités d'accueil" pratiquant le harcèlement démocratique un peu partout en France. Celle qui se révolte contre la Police politique. Celle que porte une foi et une espérance pour l'homme. Celle qui refuse que la vie soit un matériau qui se gère, celle qui considère toute vie comme un don. Je pense que c'est ce que vous avez pu ressentir lorsque, avec Pierre Cassen, vous êtes venus au Centre Saint Paul pour un débat animé il y a deux ans : votre place devrait être avec cette France-là..

Le pire ennemi de la France, ce n'est pas l'islam, c'est elle-même. C'est le nihilisme dans lequel elle donne, comme une nouvelle religion, c'est l'à quoi-bonisme de notre société dépressive. Le Printemps français représente l'insurrection de la jeunesse contre la démoralisation obligatoire, contre le "tout vaut tout" qui est synonyme de "rien ne vaut rien". Lorsque la France - ou au moins une large élite de Français jeunes et ardents - aura repris conscience de la beauté de la vie, de la grandeur du destin humain, alors, à cette France là rien ne résistera et surtout pas l'islam. 

Et là bien sûr vous m'arrêtez tout de suite, en me disant que je fais le jeu des réactionnaires que l'on vous a appris à haïr. Pour vous, l'aile catholique la plus véhémente est celle qui refuse l'avortement, la contraception et demain l'euthanasie... Mais c'est toute l'Eglise catholique que vous visez là. Et que proposez-vous en échange de cet idéal que Jean-Paul II a nommé "l'évangile de la Vie" ? La guerre à l'islam ? Ce n'est pas un idéal, c'est une dialectique.

Ce dont la France a besoin, c'est d'un bien commun que chacun puisse nommer. Or les valeurs républicaines dont vous vous réclamez jusqu'à maintenant sont purement négatives : la liberté, mais pour quoi faire ? L'égalité, si c'est pour emm. le voisin qui réussit et justifier les revendications les plus déraisonnables... La fraternité ? Parlons-en : ça débouche sur ce que Mona Ozouf appelait la fête révolutionnaire. En 1792 et 1793 à Paris on a mangé de la chair humaine dans des transes collectives sans nom. La fête révolutionnaire ? Non merci. La Fraternité révolutionnaire ? Elle ne signifie rien puisqu'elle est un décret purement abstrait et sans idée de père et que l'on ne reconnaît comme frère que celui qui a les mêmes idées que soi.

Ce sont les valeurs chrétiennes d'amour, de fécondité, de respect et de responsabilité (s'opposant à la "fraternité" à "l'égalité" et à la "liberté") qui ont fait notre pays. Ce que le printemps français - tout laïc qu'il soit - nous montre, c'est que ce sont ces valeurs, les seules vitales et vitalisantes, les seules qui ne mènent pas à l'apologie de la culture de mort, qui feront notre avenir. Ou nous les adopterons vraiment et nous vivrons. Ou nous les refuserons et nous crèverons dans notre refus compulsif de la vie, de tout ce qui la respecte et de ce qui lui donne sens. Le déclin démographique de notre Pays deviendra irrémédiable et tout ce que vous craignez arrivera, non pas comme vous l'imaginez, d'une attaque islamique, mais d'une immuno-déficience du corps social français, en autodestruction par dépression collective, autodénigrement et non-remplacement des générations. La France tout entière sera un vaste Massif central - vide.

Vous ne voulez pas cela ? Réfléchissez : les valeurs du christianisme (je ne parle pas ici de foi chrétienne, mais dans l'ordre, de l'amour, du respect et de la responsabilité) sont les seules qui permettent à la France de se payer un avenir, loin du nihilisme ambiant. Au lieu de vous enferrer dans une dialectique anti-islam, censée tout conjurer, travaillez à votre manière pour redonner son âme à notre peuple. Je suis à votre disposition quand vous voulez et si vous le souhaitez pour évoquer ces questions fondamentales, qui sont forcément des questions d'âmes. Les problèmes politiques se sont tellement radicalisés aujourd'hui qu'ils sont devenus, vous le sentez en mettant en cause l'islam, des problèmes spirituels.

mercredi 10 juillet 2013

Une lecture du testament de Dominique Venner

Ce texte est paru dans Minute-hebdo, il y a huit jours...
Dominique Venner, qui s’est donné la mort devant l’autel à Notre-Dame de Paris, n’avait pas dit son dernier mot. Il nous laissait un ouvrage testamentaire, qui vient de paraître. On peut dire qu’il s’y confesse, qu’il s’y met à nu. Il apparaît tel qu’en lui-même, avec sa grandeur et ses failles. Parce qu’il ne triche pas avec nous, et cela même quand il triche avec lui-même. D’où l’intérêt exceptionnel de cet opus, à déconseiller vigoureusement à tous ceux qui voient la vie en noir et blanc. J’ai demandé à mon alter ego Joël Prieur que pour une fois et sans trop tarder, il me laisse sa page habituelle de Minute pour en parler. J’étais sûr de sa réponse et l’en remercie vivement. C’est en tant que prêtre que j’ai voulu lire ce Bréviaire des insoumis, curieusement intitulé Un samouraï d’Occident.

Alors que le Système accroît son emprise déconstructrice, délocalisatrice, démoralisatrice et qu’on mesure chaque jour un peu plus son poids sur nos vie, il est urgent de devenir intérieurement des insoumis. Ce livre, Dominique Venner l’a écrit pour tous ceux qui aspirent à se libérer. C’est une initiation à la liberté intérieure. On ne sort pas indemne de sa lecture. Son premier mot d’ordre (p. 25) : « Mystique d’abord ! » - Mais quelle mystique direz-vous ? Il nous répond comme si la chose allait de soi : « Celle du clan bien sûr ». J’ai envie d’avoir la curiosité de lui demander sérieusement : quel clan ? Mais là - au moins p. 25 - il esquive et laisse la parole à Martin Heidegger : « Toute chose essentielle et grande a pu naître parce que l’homme avait une patrie et était enraciné dans une tradition ». Drôle de clan ! Au fond, parce qu’il n’y a plus de clan, dans nos sociétés hyperindividualistes, c’est à une plongée dans l’épaisseur historique de l’humanité, dans la tradition, que Dominique Venner nous invite. Voilà l’origine de sa vocation d’historien. Il conçoit l’histoire comme un pèlerinage de longue haleine, entrepris pour retrouver la mémoire, pour ressusciter les clans disparus, pour rappeler à soi l’esprit des ancêtres, ces Européens qui ont fait le monde et qui, en ce moment se défont aux yeux du monde. Entre ce rêve de sagesse et sa rigueur intellectuelle, il n’a jamais choisi. « Je suis un historien méditatif » avoue-t-il.

Toujours impartial dans sa manière de traiter les sujets les plus controversés, comme le montre ce grand œuvre qu’est Le siècle de 1914, il est absolument partial dans ses choix : ce qu’il cherche dans l’histoire c’est une ferveur, il s’arrête donc souvent aux sujets qui peuvent la lui procurer. « L’histoire n’est en rien une science. Mais elle utilise des méthodes scientifiques ». En elle-même, « elle est savoir et poésie ». Pour construire le Poème de l’histoire européenne, il s’est forgé un instrument. Il parle sans cesse de civilisation. On sait que ce terme, usé par des usages antithétique, prête à confusion. Il le définit donc, avec sa rigueur habituelle : « La tradition telle que je l’entends n’est pas le passé mais ce qui ne passe pas et qui revient toujours sous des formes différentes. Elle désigne l’essence d’une civilisation sur la très longue durée, ce qui résiste au temps et survit aux influences perturbatrices de religions, de modes ou d’idéologie importées ». Je crains moi, cher Dominique Venner, que cette relative intemporalité de la civilisation telle que vous l’entendez ait plus à voir avec le rêve et son ivresse qu’avec un concept opératoire au plan historique. Vous définissez cette civilisation comme « un mythe fondateur ». Dieu vous entende. Il me semble que c’est un mythe tout court, une manière de substantialiser l’histoire, en l’enfermant dans l’a-temporalité… Que cherchons-nous ? Des mythes ? Des poèmes historiques qui nous transportent ? ou plutôt une analyse visant à définir le moment favorable, comme l’ont conçu tous les grands politiques (dont De Gaulle) ?

J’ai beaucoup aimé, dans ce livre, la longue méditation de Dominique Venner sur l’Iliade et l’Odyssée. Elle remet sa contribution à l’histoire dans son véritable et noble cadre qui est… la littérature !
Abbé G. de Tanoüarn
Je continuerai l’analyse du Bréviaire des insoumis sur metablog
Dominique Venner, Un samouraï d’Occident, Le Bréviaire des insoumis, éd. Pierre-Guillaume de Roux, 2013, 318 pp. 23 euros

Et le christianisme ?
Dominique Venner est souvent injuste pour le christianisme dont il donne une image ultra simplifiée, à l’usage des enfants du catéchisme. Mais en même temps il fait montre d’une pénétration historique tout à fait remarquable, lorsque dans la dernière partie de son ouvrage, il reconnaît en saint Augustin un adversaire à sa mesure et dans le janséniste La Rochefoucauld le grand ennemi (avec Pascal) de ses spéculations sur l’héroïsme. En se focalisant sur le christianisme, ne se serait-il pas trompé d’ennemi ? Il semble le reconnaître lui-même lorsqu’il invoque la nécessité d’un pagano-christianisme, « qui donnerait toute sa place aux Vierges protectrices ». Il ajoute : « Je souhaite que vienne de l’intérieur des cathédrales une nouvelle réforme, dans l’esprit d’un retour à nos sources authentiques, dont le pape Benoît XVI a ouvert les perspectives ». Et de conclure avec un mot typique du vocabulaire chrétien, comme il lui en venait tant à la plume : « C’est l’âme de l’Europe qui est en dormition ». L’un des sept conseils qu’il donne pour la réveiller en nous : « Retirez-vous un instant, dans un jardin public (sans public) ou bien dans une église. Il n’est pas nécessaire d’être chrétien pratiquant pour y entrer. Asseyez-vous à l’écart de manière à vous laisser pénétrer par le silence qui rompt avec la trivialité du monde extérieur ». Vous savez comment il a voulu mettre en pratique ce dernier conseil…
GT

mardi 9 juillet 2013

Laïcité sélective [par RF]

[par RF] Je suis toujours un peu surpris du double standard de nos élus laïcs. Voila des gens qui s’interdisent de souhaiter un 'Bon Noël' (remplacé par un très générique ‘Bonnes Fêtes de Fin d’Année’), qui ignorent Pâques, et qui organisent ensuite une Nuit du Ramadan. A dire vrai je n’ai guère besoin d’eux pour fêter Noel, Pâques, et la Trinité (qui n’est pas qu’une station de métro), et je ne sais pas quel sens auraient leurs voeux.

Et si j’étais musulman? Si j’étais musulman je me méfierais de cette danse du ventre à laquelle on assiste depuis une demi-génération. On voit des politiques, des hauts fonctionnaires et des éditorialistes qui édictent que l’Islam est une religion de ceci ou de cela, qui fixent de leur propre autorité que «le véritable islam» ne demanderait pas telle ou telle chose. Ce discours constitue tout à la fois la carotte et le bâton: en échange du soutien para-public à cet islam «véritable» (ou «républicain», ou «de France», ou «citoyen», ou comme on voudra), les musulmans sont priés de correspondre dans leurs pratiques à l’image attendue d’eux. 

Mais puisque je suis catholique, c’est autre chose qui me surprend: c’est la géométrie très variable de la notion même de laïcité chez ces élus. Voyez comme ils se fâchent quand les évêques et leurs prêtres, s’intéressent aux affaires de la Cité; entendez leurs voix indignées (exemple récent) de ce que l’Eglise se prononce sur l’ouverture du mariage civil aux couples homos. Bien. En bonne logique ils devraient d’emblée rejeter par principe toute position papale sur l’immigration – par exemple quand il dit à Lampedusa : «nous regardons le frère à demi mort sur le bord de la route, peut-être pensons-nous ‘le pauvre’, et continuons notre route». Mais... que nenni, que nenni! Ces élus laïcs applaudissent alors des deux mains.
(...maintenant, évidemment, on peut réécrire mon texte 'en miroir', aux dépens de certains catholiques conservateurs...)

lundi 8 juillet 2013

Guérande, Mesquer, Piriac...

A l'attention de ceux parmi les lecteurs de ce Blog qui se trouveraient en Presqu'île guérandaise, je me permets de signaler que je célèbre la messe (tridentine of course) cette semaine à heure fixe chaque matin à 10 H jusqu'à vendredi inclu. Je serais ravi, à cette occasion, de rencontrer des lecteurs comme chaque année. Cela se passe sur la commune de La Turballe (pour les GPS) au petit village de Saint Sébastien, dans une belle chapelle bretonne où les anges vous regardent en coin.

Contre les Lumières !

Le plus important dans cette première encyclique du pape François, je ne pense pas manquer de respect en le disant, ce pourrait bien être le titre : la lumière de la foi. Ce titre permet de comprendre la foi non pas avant tout comme un objet (l'objet de la foi) mais comme un acte : un acte qui porte la lumière.

Parler de "lumière de la foi", c'est opposer la foi aux Lumières, ces Lumières au pluriel, qui ont soi-disant changé le visage de l'humanité, au point que l'on pourrait distinguer un "avant" (la période de l'enfance) et un après (la maturité de l'humanité). Dans toutes les langues européennes, dans la deuxième moitié du XVIIIème siècle a résonné la bonne nouvelle de l'illumination : illuminismo, Aufklärung, enlightenment. Même dans la catholique Espagne, il y a des illustrados, qui sont d'ailleurs catholiques et monarchistes... A la fin du XVIIIème siècle, Kant se demande : Qu'est-ce que les lumières, dans un petit opuscule qui restera célèbre. Et il explique : "Les Lumières, c'est la sortie de l'homme hors de l'état de tutelle dont il est lui-même responsable. L'état de tutelle est l'incapacité de se servir de son entendement sans la conduite d'un autre [...] Sapere Aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des Lumières." 

C'est au nom de cette devise que Kant écrit en 1793, en pleine Terreur jacobine, La religion dans les limites de la simple raison. Qu'est-ce que les Lumières ? L'idée que rien ne doit résister à l'empire de la raison, l'idée qu'il n'y a ni savoir, ni foi, ni intuition, ni compréhension hors de "l'exercice libre et public de la raison", raison dont le pouvoir absolue est fondé sur l'expérience sensible et dont les limites s'arrêtent elles aussi à l'horizon de nos sens. Oh ! Kant lui-même ne se limitera pas à cet austère enfermement de l'homme dans sa raison ! Il soutiendra finalement, en morale, une théorie des idées, qui eut paraître à l'extrême opposé de ce qu'il articule du point de vue d'une critique de la raison pure et d'une critique de la raison religieuse. Fichte, Schelling, Hegel développeront l'idéalisme latent dans le kantisme. Mais en tant que penseur du XVIIIème siècle, en tant que grand Instituteur de la Raison européenne, Kant pratique ce que l'Etat prussien appelle, à son sujet, "la libre pensée".

Après deux-cents ans, il est temps d'examiner cette pensée "lumineuse". 

Benoît XVI, remarque le Père Michel Viot, est le premier pape à le faire (cf. son livre Le vrai et le faux aux éd. de l'Oeuvre qui est un commentaire de l'encyclique Spe salvi de Benoît XVI). Il y a eu dès le XVIIIème siècle une critique de Rousseau et de sa nouvelle République. Mais les penseurs des Lumières n'ont jamais arrêté l'acribie du Vatican. Rome vit encore au XVIème siècle, au temps de sa glorieuse alliance avec Erasme contre Luther, avec l'humanisme contre l'anti-humanisme augustinien des protestants. Cette défaillance originelle, les catholiques la paieront cher. Elle est sans doute à l'origine de toues les crises de l'Eglise depuis deux siècles. Même la Révolution liturgique qui sévit dans les années 60 est une révolution rationaliste comme l'a bien montré le dominicain anglais Aidan Nichols. L'Eglise n'était pas armée, pas prévenue, les hommes d'Eglise pas formés pour faire face à l'esprit désacralisateur des Lumières. Sans la réforme liturgique, du reste, on peut penser que les Vandales de l'intérieur seraient allés encore plus loin dans leur folle ambition de rendre "compréhensible", rationnel, transparent (... vide) le culte catholique. 

Une fois de plus Rome a accompagné le mouvement en le freinant d'une part, mais aussi en l'installant partout. 

Quant à la crise de la théologie, rappelons que les prodromes s'en sont fait sentir lorsque Ambroise Gardeil et Marie-Dominique Chenu ont envisagé de démontrer que la théologie était une science, scientia, se servant du terme latin scientia (qui signifie savoir) pour imposer une conception purement universitaire et spécialisée de cette discipline, qui était - oh ! de manière implicite et inconsciente - une sorte de reniement absolu. On sait que, chez les dominicains, le Père Torrell a officiellement mis fin à ce prurit véritablement scientiste, en montrant bien le lien entre théologie et spiritualité. Mais des générations d'étudiants ont souffert de cette arrogance du savoir dominicain, si l'on s'en tient par exemple, pour le témoignage qui nous en est laissé, aux Mémoires du Père Bro (La libellule et le haricot).

L'Eglise des années 60, les Lumières, elle avait envie d'en être. On a vu les résultats de cette ambition suicidaire - ambition qui avait été condamnée d'ailleurs dès 1864 par la proposition 15 du Syllabus de Pie IX. Mais qui avait seulement lu le Syllabus en 1960, à part l'abbé de Nantes et quelques prêtres isolés ?

Eh bien aujourd'hui, l'Eglise reparle de "la lumière de la foi" bien plus forte que ces Lumières, humaines trop humaines, qui d'ailleurs exaspéraient Nietzsche. Le savoir de la foi explique en substance François-Benoît XVI, est un savoir d'amour, qui naît en nous d'une parole que Chrysostome appelait "étrangère à notre sol". Et d'appeler à a rescousse Grégoire le Grand, pape au tournant du VIIème siècle, qui s'était écrié, "l'amour lui-même est connaissance" ou Guillaume de Saint Thierry qui parle des yeux illuminé par l'amour. L'un et l'autre ont évidemment lu le De Trinitate d'Augustin, où l'on trouve déjà tout !

Nous autres Français, outre d'ailleurs le Vosgien Guillaume de Saint Thierry, nous évoquerions volontiers un grand augustinien, Pascal : "Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît pas". J'ai essayé de montrer que pour comprendre Pascal dans toute sa profondeur, on pourrait essayé de faire appel au savoir analogique de Cajétan, savoir fondé non sur une impossible identité (qu'est-ce que l'Infini) mais sur une irréfutable ressemblance universelle dont Dieu serait la semblance. Mais quelles que soient les références auxquelles on se rattache, il faut sortir de la Dictature de la Raison rationaliste et montrer que nos pouvoirs de connaître sont bien plus large que ce à quoi la grande illusion des "Lumières" voulaient nous condamner. Outre la science des choses, il existe une science de la vie, qui nous rend responsable de la manière dont nous la menons. La foi ? Elle donne à cette deuxième science une force supérieure, une "lumière" qui nous permet d'embrasser des horizons que nous ne soupçonnions pas au premier abord.

Descartes, quant à lui parle de "la lumière naturelle de la raison", que l'on peut facilement opposer à "la lumière de la foi". Il désigne par là l'aptitude de la raison à se procurer une évidence sur n'importe quel sujet et aussi (comme on le voit dans la lettre 174 au Père Mersenne) l'évidence dont jouit la raison quant à la vérité qui lui est transcendantalement attachée. Cette lumière de la raison ne se démontre pas ! 

Ne peut-on pas penser qu'il y a, au moins dans l'ordre pratique (c'est tout le pari pascalien), une sorte d'évidence de la foi (ce que nous avons nommé l'évidence chrétienne). "La foi, écrit le romancier allemand Martin Mosebach, c'est ce que l'on fait avec évidence" N'est-ce pas là tout l'Evangile ? "Celui qui fait la vérité vient à la Lumière" (Jean 3) ? C'est là ce que François, dans l'encyclique appelle la fides oculata, la foi qui est tellement expérimentale qu'elle en devient quelque chose comme une vision... ou un toucher. La foi seule nous fait toucher du doigt l'existence.

dimanche 7 juillet 2013

Première ou dernière encyclique

Le pape François vient de publier sa première encyclique, datée du 29 juin dernier, fête des saints Pierre et Paul. Cette encyclique est pratiquement tout entière de la main de Benoît XVI, qui l'avait annoncée, qui en avait annoncé la publication imminente et qui avait... démissionné. "A quatre mains", c'est ainsi qu'elle est présentée, elle est signée Franciscus, François pape. Mais elle est manifestement le dernier document qui soit rédigé par le pape Benoît. On reconnaît et son style, archidocumenté que ce soit dans l'ordre sacré ou dans l'ordre profane (Nietzsche, Rousseau, Wittgenstein), et sa manière, douce ne prenant jamais l'adversaire de front mais ne lui laissant aucune chance, et aussi sa volonté de faire le point sur tous les sujets afférents au sujet principal, comme on le fait dans un cours bien professé : salut par la foi, rapport foi et science, foi et société, foi et Eglise etc. C'est tout Benoît XVI, cela. - Un peu difficile à lire ? - C'est vrai, avouons-le. Comme ses trois autres encycliques d'ailleurs. Mais pour celui qui veut se donner la peine de la lire, quelle fécondité !

Lumen fidei (c'est son titre) est donc à la fois une première et une dernière encyclique. Elle représente la continuité de Pierre, quelles que soient les personnes qui endossent la responsabilité de cette Barque, la sienne depuis 2000 ans. La logique sacramentelle, qui est celle de l'Eglise, permet ce beau jeu de représentation : derrière chaque instrument humain, continuateur du Christ,  c'est la même parole qui se donne pour le salut du monde.

Cette Parole est précieuse parce qu'elle n'est pas humaine. L'ancien Préfet du Saint Office qu'est Benoît XVI n'oublie pas de le mentionner ; en matière de foi, il n'y a pas de détails :
"Étant donné qu’il n’y a qu’une seule foi, celle-ci doit être confessée dans toute sa pureté et son intégrité. C’est bien parce que tous les articles de foi sont reliés entre eux et qu’en nier un seul, même celui qui semblerait de moindre importance, revient à porter atteinte à tout l’ensemble. Chaque époque peut rencontrer plus ou moins de difficultés à admettre certains points de la foi : il est donc important de veiller, afin que le dépôt de la foi soit transmis dans sa totalité (cf. 1 Tm 6, 20), et pour que l’on insiste opportunément sur tous les aspects de la confession de foi. Et puisque l’unité de la foi est l’unité de l’Église, retirer quoique ce soit à la foi revient à retirer quelque chose à la vérité de la communion" (n. 48).
 Entendre que la communion dans l'Eglise s'effectue d'abord par la foi, et par la foi professée dans son exactitude divino-humaine, voilà évidemment de quoi nous ramener aux fondamentaux. On comprend le combat de Benoît XVI (repris de manière moins ostensible, mais déterminée par François) pour l'unité entre les catholiques. Si nous savons la foi en commun, qui pourra nous séparer les uns des autres ?

Mais la foi n'est pas seulement le dogme. La connaissance qu'elle nous donne est aussi une connaissance pratique, l'élargissement d'horizon qu'elle produit en nous est quelque chose de vital. Elle est bien "loi de vie et d'enseignement" legem vitae et disciplinae, selon l'expression que l'on trouve chez Ben Sirach le sage que l'on appelle aussi l'Ecclésiastique. La fin du paragraphe 48 le souligne avec force :
"La foi se montre universelle, catholique, parce que sa lumière grandit pour illuminer tout le cosmos et toute l’histoire".
Non seulement la vie de chacun est éclairée par la lumière de la foi : elle offre indéniablement une voie pour apprendre à se connaître soi-même : "Que je me connaisse et que je vous connaisse !" dit saint Augustin dans ses Soliloques. C'est l'histoire et c'est le cosmos qui, dans un regard de foi, se mettent à parler. L'histoire, ce chaos, devient une source d'enseignement- sur la Providence divine. Quant au cosmos, au lieu d'arrêter le regard à la finitude de cet horizon qui le limite, il nous raconte la gloire de Dieu, il nous révèle l'Intelligence absolue, il nous établit dans la confiance tranquille. La foi est ainsi l'origine d'une science nouvelle, que chacun éprouve en lui-même comme une sagesse supérieure, qui permet de toucher à la Vérité, celle qui est à l'origine et à la fin. Le pape reprend d'ailleurs (c'est le titre de son deuxième chapitre) ce mot d'Isaïe qui avait tant ému saint Augustin : "Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas".

Si la foi est catholique, si la foi est universelle, c'est parce qu'elle porte une vérité absolue qui nous ouvre et à la signification du cosmos et au sens de ces apocalypses qui parsèment l'histoire de l'humanité depuis Noé. Le chrétien ne prétend pas qu'il y a un sens (unique) de l'histoire - ce que Dom Guéranger appelait jadis le sens chrétien de l'histoire (voir la petite brochure parue sous ce titre temporibus illis aux éditions de la Nouvelle Aurore). Non, ce serait trop facile. Votez Jésus et vous serez dans le sens de l'histoire, ce n'est pas vraiment ça. Mais le chaos de l'histoire humaine porte toujours en lui son remède.

L'histoire est imprévisible. "Tout s'est toujours très mal passé" comme disait Jacques Bainville. Mais le chrétien, s'il ne domine pas forcément les circonvolutions de la Bête Historia, a un rôle à jouer dans le déroulement des opérations. Il ne doit jamais cesser de témoigner, jamais non plus il ne doit s'empêcher d'évangéliser, c'est-à-dire de substituer aux archaïsmes violents de la conduite humaine ordinaire, ce grand fleuve de la Paix dont nous parle Isaïe prophétiquement. L'Evangile est le bien de l'homme, " de tout l'homme et de tout homme" comme dirait Vatican II (GS22). C'est l'un des plus beaux passages de l'encyclique (à mon goût) qui nous rappelle, à travers un poème de TS Elliot, la nécessité d'un règne social du Christ, d'une socialisation de sa vérité, au-delà de toutes les laïcités :
 "Quand la foi diminue, il y a le risque que même les fondements de l’existence s’amoindrissent, comme le prévoyait le poète Thomas Stearns Elliot : « Avez-vous peut-être besoin qu’on vous dise que même ces modestes succès /qui vous permettent d’être fiers d’une société éduquée / survivront difficilement à la foi à laquelle ils doivent leur signification ? ». Si nous ôtons la foi en Dieu de nos villes, s’affaiblira la confiance entre nous. Nous nous tiendrions unis seulement par peur, et la stabilité serait menacée. La Lettre aux Hébreux affirme : « Dieu n’a pas honte de s’appeler leur Dieu ; il leur a préparé, en effet, une ville » (11, 16). L’expression « ne pas avoir honte » est associée à une reconnaissance publique. On veut dire que Dieu confesse publiquement, par son agir concret, sa présence parmi nous, son désir de rendre solides les relations entre les hommes. Peut-être aurions-nous honte d’appeler Dieu notre Dieu ? Peut-être est-ce nous qui ne le confessons pas comme tel dans notre vie publique, qui ne proposerions pas la grandeur de la vie en commun qu’il rend possible ?"(n. 55)
 Oh ! Sur ce sujet, il faut aller aux discours proprement politiques de Benoît XVI, en particulier son grand discours à Westminster House. Mais il était utile que, parlant de la foi, le pape François ne puisse pas faire moins que de rappeler le caractère nécessairement publique (pour le salut du monde) de sa profession. Mgr Marcel Lefebvre, missionnaire en Afrique, ne disait pas autre chose.

mercredi 3 juillet 2013

Ni progressistes ni conservateurs

Une suggestion des jésuites américains nous est transmise en français par Aymeric Christensen dans La Vie. Je crois qu'elle plaira aux lecteurs assidus de metablog. Il s'agit de bannir de son vocabulaire les termes de "conservateurs" ou de "progressistes", lorsque l'on parle de chrétiens véritables  (cf. lavie.fr). Non pas seulement parce que les étiquettes sont réductrices, mais parce que tous les chrétiens, dans la mesure où ils le sont, sont des révolutionnaires.

Juste une petite anecdote, avant d'aller plus loin. Alors que je faisais du stop sur l'autoroute (oh ! c'était autour de mes trente ans, un autre monde, une autre vie), les policiers veulent contrôler ce drôle d'oiseau en robe longue noire, qui tend le pouce sous un cagnard épouvantable. - "Rien à signaler ? Mais pourquoi ce drôle d'uniforme ?". Je leur explique que je suis prêtre (ou séminariste d'ailleurs peut-être), "traditionaliste"... Et comme je ne suis pas sûr qu'ils comprennent le terme, j'ajoute "conservateur". Mal m'en a pris. L'un d'entre eux me reprend du tac au tac : - Conservateur, vous ? J'ai plutôt l'impression que vous êtes un révolutionnaire". Cette petite histoire m'est resté, allez savoir pourquoi et il me semble qu'elle est de circonstance.

Mais pourquoi sommes nous des révolutionnaire ? Non pas parce que nous croyons à l'idée, non pas parce que nous nous définirions comme des idéalistes.
L'idéalisme est un mensonge ; mensonge aux autres auxquels on tente de vendre je ne sais quel miroir aux alouettes. Mensonge à soi-même finalement, et c'est peut-être le plus grave, lorsque l'on ment en connaissance de cause et je dirais : "en conscience", pour "ne pas désespérer Billancourt" au sujet de la non-existence de l'avenir radieux. Combien ne vivent que d'affirmations incantatoires sur le monde plus beau ou sur plus belle la vie. Sont-ils révolutionnaires ou plutôt conservateurs compulsifs de leurs propres mensonges, auxquels il ne faudra pas toucher ? Parce que l'idéaliste est un menteur, il n'est pas vraiment un révolutionnaire. Quand il a compris qu'il ne pourrait pas changer le monde (ce qui arrive plus ou moins vite), comme dit Sartre, il défend son mensonge avec toute la "mauvaise foi" d'un 'salaud'. Il devient "conservateur" comme le sont au fond les communistes français par exemple, malgré Budapest (1956), Prague (1968) et Gdansk (1984), malgré la Chute du mur (1989). Certains trouvent encore la force de conserver leur mensonge (dans le formol ?) et de lui rendre un culte, comme naguère à Lénine dans son Mausolée de la Place rouge.

Mais les mensonges meurent un jour ou l'autre. Bonaparte remplace les directeurs sans coup férir le 18 Brumaire. Eltsine se substitue à Gorbatchev sans effusion de sang. L'Union européenne passera la main quand elle aura ruiné l'Europe avec son libre-échangisme mondialisateur. C'est le destin des révolutions en toc : leur mensonge est découvert et bientôt connu de tous. "Une seule goutte de vérité peut changer le monde", disait Soljenitsyne en apprenant qu'il s'était vu décerner le Prix Nobel de la Paix.

Qu'est-ce que signifie la proposition de la revue jésuite America, suggérant de ne plus parler ni de "conservateurs" ni de "progressistes" ? Il me semble que cela signifie que les "progressistes" américains qui tiennent la revue America sont revenus des mensonges idéologiques en quoi consistent trop souvent les projets dits révolutionnaires. Non, l'avenir de l'Eglise ne tient pas à l'adoption de telle ou telle mesure mirobolante, sensée tout changer et qui servira de discriminant entre les vraies chrétiens (ceux qui s'en font les propagandistes) et les faux chrétiens (ceux qui la refusent). Non l'avenir de l'Eglise ne tient pas à l'idée qu'on s'en fait, mais à notre conversion : à notre entrée en révolution.

C'est dans cette perspective déjà que le pape Benoît XV, un peu après la Guerre de 14, avait proscrit les vocables d'intégristes et de modernistes. L'Eglise est trop grande pour s'organiser autour d'une idée humaine si bien intentionnée soit-elle. Elle offre sa propre révolution, qui est forcément spirituelle d'abord et non politique. Mais qu'est-ce que la Révolution chrétienne ?

Pour le savoir, il faut se demander ce que le christianisme apporte au monde. Je crois que l'on peut dire classiquement : trois choses, qui sont la foi, l'espérance et la charité.

La foi, c'est-à-dire l'aptitude en tout domaine (y compris celui de la vie sentimentale) à parier pour le bien, quoi qu'il en coûte. L'espérance, c'est-à-dire le refus obstiné du néant et l'aptitude à vivre devant et pour l'Infini divin. La charité, c'est-à-dire la maîtrise des désirs au nom du désir de ce qu'il y a de meilleur, bref l'amour de Dieu.

Voilà quels sont les trois agents de la Révolution chrétienne. Voilà comment nous dépassons notre humanité, et voilà la seule manière - spirituelle d'abord - de le faire. Voilà ce qui nous unit et devrait nous interdire de nous diviser en clans ou en chapelles. Voilà ce qui aurait dû et ce qui devrait permettre à ceux qui se réclament de la Tradition catholique de demander une liberté entière de culte et de théologie. Non pas pour entretenir la polémique mais pour utiliser tous les moyens pour la grande Révolution qui est celle de notre propre conversion.

J'ai intitulé ce papier "Ni conservateurs ni progressistes". Il faudrait sans doute conclure de cette échappée belle que nous autres chrétiens, en tant que chrétiens, nous sommes tous et conservateurs et progressistes... C'est la raison pour laquelle à Metablog comme dans America, nous nous efforçons de citer qui est intéressant et non qui se revendique de notre "parti", en espérant qu'un jour ces "partis" qui déchirent la Tunique sans couture du Christ se révèlent pour ce qu'ils sont : des inventions humaines trop humaines lacérant de considérations pseudo-intellectuelles l'unité divine qu'en tant que fils et filles de Dieu nous avons tous reçue en héritage.