dimanche 7 juillet 2013

Première ou dernière encyclique

Le pape François vient de publier sa première encyclique, datée du 29 juin dernier, fête des saints Pierre et Paul. Cette encyclique est pratiquement tout entière de la main de Benoît XVI, qui l'avait annoncée, qui en avait annoncé la publication imminente et qui avait... démissionné. "A quatre mains", c'est ainsi qu'elle est présentée, elle est signée Franciscus, François pape. Mais elle est manifestement le dernier document qui soit rédigé par le pape Benoît. On reconnaît et son style, archidocumenté que ce soit dans l'ordre sacré ou dans l'ordre profane (Nietzsche, Rousseau, Wittgenstein), et sa manière, douce ne prenant jamais l'adversaire de front mais ne lui laissant aucune chance, et aussi sa volonté de faire le point sur tous les sujets afférents au sujet principal, comme on le fait dans un cours bien professé : salut par la foi, rapport foi et science, foi et société, foi et Eglise etc. C'est tout Benoît XVI, cela. - Un peu difficile à lire ? - C'est vrai, avouons-le. Comme ses trois autres encycliques d'ailleurs. Mais pour celui qui veut se donner la peine de la lire, quelle fécondité !

Lumen fidei (c'est son titre) est donc à la fois une première et une dernière encyclique. Elle représente la continuité de Pierre, quelles que soient les personnes qui endossent la responsabilité de cette Barque, la sienne depuis 2000 ans. La logique sacramentelle, qui est celle de l'Eglise, permet ce beau jeu de représentation : derrière chaque instrument humain, continuateur du Christ,  c'est la même parole qui se donne pour le salut du monde.

Cette Parole est précieuse parce qu'elle n'est pas humaine. L'ancien Préfet du Saint Office qu'est Benoît XVI n'oublie pas de le mentionner ; en matière de foi, il n'y a pas de détails :
"Étant donné qu’il n’y a qu’une seule foi, celle-ci doit être confessée dans toute sa pureté et son intégrité. C’est bien parce que tous les articles de foi sont reliés entre eux et qu’en nier un seul, même celui qui semblerait de moindre importance, revient à porter atteinte à tout l’ensemble. Chaque époque peut rencontrer plus ou moins de difficultés à admettre certains points de la foi : il est donc important de veiller, afin que le dépôt de la foi soit transmis dans sa totalité (cf. 1 Tm 6, 20), et pour que l’on insiste opportunément sur tous les aspects de la confession de foi. Et puisque l’unité de la foi est l’unité de l’Église, retirer quoique ce soit à la foi revient à retirer quelque chose à la vérité de la communion" (n. 48).
 Entendre que la communion dans l'Eglise s'effectue d'abord par la foi, et par la foi professée dans son exactitude divino-humaine, voilà évidemment de quoi nous ramener aux fondamentaux. On comprend le combat de Benoît XVI (repris de manière moins ostensible, mais déterminée par François) pour l'unité entre les catholiques. Si nous savons la foi en commun, qui pourra nous séparer les uns des autres ?

Mais la foi n'est pas seulement le dogme. La connaissance qu'elle nous donne est aussi une connaissance pratique, l'élargissement d'horizon qu'elle produit en nous est quelque chose de vital. Elle est bien "loi de vie et d'enseignement" legem vitae et disciplinae, selon l'expression que l'on trouve chez Ben Sirach le sage que l'on appelle aussi l'Ecclésiastique. La fin du paragraphe 48 le souligne avec force :
"La foi se montre universelle, catholique, parce que sa lumière grandit pour illuminer tout le cosmos et toute l’histoire".
Non seulement la vie de chacun est éclairée par la lumière de la foi : elle offre indéniablement une voie pour apprendre à se connaître soi-même : "Que je me connaisse et que je vous connaisse !" dit saint Augustin dans ses Soliloques. C'est l'histoire et c'est le cosmos qui, dans un regard de foi, se mettent à parler. L'histoire, ce chaos, devient une source d'enseignement- sur la Providence divine. Quant au cosmos, au lieu d'arrêter le regard à la finitude de cet horizon qui le limite, il nous raconte la gloire de Dieu, il nous révèle l'Intelligence absolue, il nous établit dans la confiance tranquille. La foi est ainsi l'origine d'une science nouvelle, que chacun éprouve en lui-même comme une sagesse supérieure, qui permet de toucher à la Vérité, celle qui est à l'origine et à la fin. Le pape reprend d'ailleurs (c'est le titre de son deuxième chapitre) ce mot d'Isaïe qui avait tant ému saint Augustin : "Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas".

Si la foi est catholique, si la foi est universelle, c'est parce qu'elle porte une vérité absolue qui nous ouvre et à la signification du cosmos et au sens de ces apocalypses qui parsèment l'histoire de l'humanité depuis Noé. Le chrétien ne prétend pas qu'il y a un sens (unique) de l'histoire - ce que Dom Guéranger appelait jadis le sens chrétien de l'histoire (voir la petite brochure parue sous ce titre temporibus illis aux éditions de la Nouvelle Aurore). Non, ce serait trop facile. Votez Jésus et vous serez dans le sens de l'histoire, ce n'est pas vraiment ça. Mais le chaos de l'histoire humaine porte toujours en lui son remède.

L'histoire est imprévisible. "Tout s'est toujours très mal passé" comme disait Jacques Bainville. Mais le chrétien, s'il ne domine pas forcément les circonvolutions de la Bête Historia, a un rôle à jouer dans le déroulement des opérations. Il ne doit jamais cesser de témoigner, jamais non plus il ne doit s'empêcher d'évangéliser, c'est-à-dire de substituer aux archaïsmes violents de la conduite humaine ordinaire, ce grand fleuve de la Paix dont nous parle Isaïe prophétiquement. L'Evangile est le bien de l'homme, " de tout l'homme et de tout homme" comme dirait Vatican II (GS22). C'est l'un des plus beaux passages de l'encyclique (à mon goût) qui nous rappelle, à travers un poème de TS Elliot, la nécessité d'un règne social du Christ, d'une socialisation de sa vérité, au-delà de toutes les laïcités :
 "Quand la foi diminue, il y a le risque que même les fondements de l’existence s’amoindrissent, comme le prévoyait le poète Thomas Stearns Elliot : « Avez-vous peut-être besoin qu’on vous dise que même ces modestes succès /qui vous permettent d’être fiers d’une société éduquée / survivront difficilement à la foi à laquelle ils doivent leur signification ? ». Si nous ôtons la foi en Dieu de nos villes, s’affaiblira la confiance entre nous. Nous nous tiendrions unis seulement par peur, et la stabilité serait menacée. La Lettre aux Hébreux affirme : « Dieu n’a pas honte de s’appeler leur Dieu ; il leur a préparé, en effet, une ville » (11, 16). L’expression « ne pas avoir honte » est associée à une reconnaissance publique. On veut dire que Dieu confesse publiquement, par son agir concret, sa présence parmi nous, son désir de rendre solides les relations entre les hommes. Peut-être aurions-nous honte d’appeler Dieu notre Dieu ? Peut-être est-ce nous qui ne le confessons pas comme tel dans notre vie publique, qui ne proposerions pas la grandeur de la vie en commun qu’il rend possible ?"(n. 55)
 Oh ! Sur ce sujet, il faut aller aux discours proprement politiques de Benoît XVI, en particulier son grand discours à Westminster House. Mais il était utile que, parlant de la foi, le pape François ne puisse pas faire moins que de rappeler le caractère nécessairement publique (pour le salut du monde) de sa profession. Mgr Marcel Lefebvre, missionnaire en Afrique, ne disait pas autre chose.

5 commentaires:

  1. Ne jouez pas au (faux) naïf de service : le vrai rédacteur de ce texte n'est ni François ni Benoit 16 ; vous savez bien que ce sont les bureaux du Vatican. C'est comme si vous disiez qu'hier Sarko ou aujourd'hui Hollande rédigent leurs propres discours.

    RépondreSupprimer
  2. Citation originelle de TS Eliot :

    "Do you need to be told that even those modest attainments
    As you can boast in the way of polite society
    Will hardly survive the Faith to which they owe their significance"

    "Choruses from The Rock", in The Collected Poems and Plays 1909-1950, New York, 1980, 106.

    Il est très difficile de traduire TS Eliot en français et il faudrait replacer cette citation dans son contexte. La traduction très scolaire de la version française de l'encyclique me semble "gauchie".

    RépondreSupprimer
  3. Vous trouverez l'intégralité de la pièce de TS Eliot dont le court extrait est cité dans l'encyclique sur le site suivant :


    http://parzivalsquestion.wordpress.com/poems/choruses-from-the-rock/


    Je ne sais s'il en existe une traduction en français. Je précise à toutes fins utiles pour les lecteurs français que TS Eliot était un fervent anglican et que pour lui l'Angleterre et l'Eglise d'Angleterre formaient un tout. La poésie de TS Eliot est difficile à comprendre. Il y a de nombreux sites en anglais qui citent ou commentent la pièce. Attention certains sites ne donnent que des extraits. Grand admirateur de JH Newman il n'est pas étonnant que Benoit XVI ait inséré ces vers de TS Eliot dans son encyclique (si j'ai bien suivi le film, Benoit XVI dont la culture était universelle était le "nègre" de François qui aurait pu avoir la pudeur de laisser son prédécesseur signer son oeuvre).

    RépondreSupprimer
  4. j'ai survolé , puis commencé à lire de près...Ce qui me sidère: à une époque où les 3/4 des "catholiques"ne croient pas à la Sainte Trinité ou à la présence réelle ou la virginité de Marie, les papes nous balancent un discours -après mille autres- génial pour les gens au courant, ceux du sérail, les cultureux, les penseurs, etc ..mais qui ne "séduira" pas les hors Eglise et ne rectifiera pas les "en Eglise"..alors? quelle unité? quelle fécondité?....

    Savent-ils ce qui se passe dans les paroisses et les quartiers, les gens du Vatican ???
    Qui aidera les rackettés, les massacrés, les chômeurs structurels, les gosses désespérés de l'école de Chatel-Peillon (un très mauvais cru ! qui a très mauvais genre ! ) , les cancéreux, les SDF, les malades, les vieux, les gosses en instance d'avortement obligatoire. (ETC ETC ETC....) .. à croire à la divinisation? à offrir leurs souffrances et leurs épreuves? à vivre en union avec le Christ bafoué et ressuscité ???

    je ne vois plus qu'une solution radicale : la grève de la messe ( pire qu'une grève de la faim !!! quelle décision terrible ..) pour attirer l'attention de nos princes sur les humbles réalités divino-humaines!

    L' Assoiffé - Affamé de Service

    RépondreSupprimer
  5. [humour - début*] La "grève de la messe"? figurez-vous qu'elle est suivie par 95% de la population - et encore: 99% des générations les plus jeunes. Et ce depuis... longtemps. Et que le mouvement, loin de s’essouffler (On Ne Lâche Rien!) se dirige vers un 99.8%. [humour - fin*]

    Cependant je voudrais vous dire que...
    1/ n'est pas Léon Bloy qui veut (par exemple il ne suffit pas d'éructer)
    2/ ce n'est pas forcément le plus malheureux qui gueule le plus fort
    3/ il faut distinguer extrémisme et radicalité, qu'oppose ne serait-ce que l'étymologie
    --------------------
    * je préfère préciser

    RépondreSupprimer