vendredi 22 décembre 2017

Un Noël pas banal

Que l'on ne se dise pas : encore un de passé, que l'on soit capable de retrouver chacun l'enfant aux yeux écarquillés qu'il ou elle a été, en sachant recevoir les cadeaux de nos proches, en apprenant à les faire, avec une intention et une attention particulière envers chacun. Certains vous diront : les cadeaux, ce n'est pas chrétien... Ah bon ! Et apprendre à donner, ce n'est pas chrétien ? Apprendre à recevoir avec gratitude comme le dixième lépreux guéri, le seul qui soit venu remercier Jésus de sa guérison et dont l'évangéliste note sobrement : "C'était un Samaritain". Un Samaritain devenu chrétien par le cadeau de la santé...

Noël c'est aussi une liturgie, la liturgie de la crèche dans laquelle on dépose l'Enfant Dieu. Il faut être attentif aux cantiques de Noël, ces cantiques dont on a fait des rengaines mais dont les paroles, simples et émouvantes ouvriraient le coeur le plus fermé : Minuit chrétien, les anges dans nos campagnes, le Divin enfant, ce n'est pas du folklore, c'est une appel de Dieu pour que nos coeurs de pierre se transforme en coeurs de chair.

Pensons à nous unir les  uns aux autres dans la joie de Noël. Le repas de famille est un beau rite qu'il ne faut pas laisser gâcher par des rancunes ou un passif qui ne passe pas. Pour ceux qui, sur Paris, n'ont pas de famille, , je signale qu'au Centre Saint Paul, après la veillée à 23H, après la messe de Noël à Minuit, il y a un réveillon simple aux huîtres et au champagne auquel tout le monde peut se joindre. L'entrée est évidemment libre !

Je ne dis pas Saint Noël car je ne suis pas sûr d'en être capable moi même, mais oui : joyeux Noël à tous ceux qui veulent se souvenir de l'enfant qu'ils ont été ! A tous ceux qui ont soif de vie.


jeudi 16 novembre 2017

Nouvelle traduction du Notre Père

Les années passent, la Réforme liturgique a presque 50 ans, mais le malaise persiste à son sujet. Le moins que l’on puisse dire est que son instauration obligatoire n’a pas permis à l’Eglise romaine d’échapper à la plus grave crise de son histoire. Faut-il revenir sur cette réforme ? Dès 1970, un an après son instauration, le pape Paul VI, cédant à la pression des traditionalistes, avait modifié l’Institutio generalis, qui, dans l’article 7 de sa première version, expliquait que la présence eucharistique était celle à laquelle le Christ faisait allusion lorsqu’il déclarait : « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je serai au milieu d’eux ». On avait également ajouté la mention du « sacrifice eucharistique » qui ne se trouvait pas dans la première version. En 2002 Jean-Paul II proposa une nouvelle présentation générale du Missel romain, dans laquelle on insistait sur l’exactitude dans l’observation des règles liturgiques et sur le sens du sacré.

Pour ceux qui ne veulent toujours pas revenir sur cette réforme mais qui reconnaissent que dans l’esprit quelque chose n’allait pas, au moment où elle a été instaurée, reste la question des traductions du latin dans les langues vernaculaires, et pour nous en l’occurrence, reste les problèmes que pose la traduction française. Mgr Aubertin, évêque de Tours, avait promis que la nouvelle traduction serait prête pour le premier dimanche de Carême de l’année… 2017. Pour l’instant, on ne nous parle plus de cette entreprise titanesque. Mais on nous promet (c’est un vote de la Conférence épiscopale dans son assemblée de printemps qui nous le garantit) une nouvelle traduction du Notre Père pour le 3 décembre 2017. Au premier dimanche de l’Avent, on ne dira plus « Ne nous soumets pas à la tentation » mais « Ne nous laisse pas entrer en tentation ».

Vous me traiterez peut-être de traditionaliste grincheux, mais, tout comme Mgr Aubertin d’ailleurs, qui s’est exprimé sur la question, je ne crois pas à l’exactitude de cette nouvelle traduction. Cette fois il s’agit de métaphysique. Ce qui est en cause, encore et toujours, c’est le problème du mal. « Dieu est fidèle, dit saint Paul, et il ne permettra pas que vous soyez tentés au-dessus de vos forces » (Rom. 8). Dieu permet que nous soyons tentés. La tentation est le révélateur de l’amour. La tentation est la matrice de nos libertés réelles. Simplement Dieu ne permet pas que nous soyons tentés au-dessus de nos forces. C’est ainsi que nous prions Dieu, non pas pour que nous n’entrions pas en tentation : nous ne sommes pas dans le monde des bisounours métaphysiques. Le salut est une lutte ! Il faut engager cette lutte sous peine de ne jamais savoir à quoi elle nous mène, sous peine de ne pas connaître ce salut « qui transformera nos corps de misère en corps de gloire ».

Dieu permet que nous soyons tentés, mais « Dieu ne tente personne » dit l’apôtre saint Jacques (Jacques 1, 14), parce qu’il n’y a pas en Lui une once de mal. Chacun est tenté ou « amorcé » (c’est le mot de saint Jacques) par sa propre convoitise. Mais en même temps, il faut bien reconnaître que Dieu permet la tentation, même s’il n’en est pas la cause. Autant donc la formule « Ne nous soumets pas à la tentation » est fausse, parce qu’elle laisse penser que Dieu nous obligerait à subir la tentation. Nous devons lui opposer le mot de saint Jacques : Dieu ne tente personne. Autant il est métaphysiquement impossible de ne pas admettre que Dieu, ayant créé le monde esclave de la vanité (Rom. 8, 21), n’ait métaphysiquement pris le risque que sa créature soit exposée à la tentation.
   
Nous prions Dieu (c’est la version latine) pour qu’il ne nous laisse pas pénétrer (inducere) dans la tentation, pour qu’il ne nous abandonne pas alors que nous consommons la tentation, pour qu’il ne nous laisse pas succomber à la tentation. Cette dernière version (qui est aussi la plus ancienne en français) est une traduction légèrement périphrastique : pénétrer dans la tentation signifie en bon français y succomber, mais, c’est vrai, l’idée de « succomber » n’est pas indiquée explicitement dans le verbe « entrer dans » ou « pénétrer » qui est utilisé tant en latin que dans l’original grec. Succomber ? Le mot serait-il trop théâtral ? Pas sûr, vu ce qui est en jeu : le péché ou la grâce, la mort ou la vie. "Ne nous laisse pas succomber à la tentation", cela demeure, en tout cas, la traduction la plus exacte. Personnellement en tout cas, je déteste cette idée que l’on puisse demander à Dieu qu’il ne nous fasse même pas entrer… oui qu’il revoie tout son dispositif, pour ne pas nous faire « entrer » en tentation. Comme si nous étions parfaits, avant même d’avoir essayé de l’être !

Mais il n'y a pas que la métaphysique du mal, il y a la religion, notre relation, notre rapport avec Dieu. J’ai une dernière objection contre la nouvelle traduction du Notre Père (déjà actée d’ailleurs dans la nouvelle Bible liturgique de 2013). Qui de nous est au-dessus de la tentation ? Qui de nous peut se targuer de n’être jamais entré en tentation ? Même le Christ a été tenté au Désert ! C’est le genre de prière, prise à la lettre, que Dieu n’exaucera jamais. Comment lui demander quelque chose qui va contre l’économie de sa Création ? Et pourquoi s’étonner si nous ne sommes pas exaucés ? Quand on multiplie ce genre de demandes absurdes par le nombre de fidèles et par le nombre de fois qu’ils vont réciter cette prière, cela donne légèrement le vertige…. Il y aurait eu « entrer dans la tentation », cela pourrait signifier : "Ne nous laisse pas moisir dans la tentation". on aurait pu se dire que la prière est simplement ambigüe : cela arrive souvent. Mais « entrer en tentation » ne laisse aucune chance à l’équivoque et nous fait retomber du mauvais côté, dans une métaphysique « sans mal », une métaphysique qui n’existe pas. Il me semble qu’il fallait le dire.

Cet article est paru dans le n°938 du magazine Monde et vie, voici presque un an. Il redevient d'une actualité brûlante...

jeudi 2 novembre 2017

Saint Luc, la bonne nouvelle de la miséricorde

Le 10 novembre prochain, après vous avoir entretenu de saint Matthieu et laissant provisoirement de côté saint Marc, le plus facile et donc le plus difficile des quatre, j'aborderai saint Luc. Lui ce n'est pas seulement celui qui écrit le plus beau grec, c'est "notre cher médecin" comme l'appelle saint Paul, celui qui nous enseigne la miséricorde du Seigneur, celui qui s'émeut devant l'angoisse du Christ à Gethsémani, celui qui nous apprend que crucifié à côté du Seigneur, il n'y avait pas seulement deux brigands, que l'un d'entre eux est entré le premier au Paradis, que Jésus avait converti la "femme qui avait en elle sept démons", qu'il a exalté de façon tellement paradoxale le fils prodigue et qu'il a donné en exemple ce Samaritain que tout le monde aujourd'hui nomme "bon".
  
Saint Luc nous montre comment la Miséricorde est la seule forme de justice qui soit digne de Dieu !
Café le François Coppée
1 boulevard du Montparnasse
75006 PARIS M° Duroc
vendredi 10 novembre 20H00
Entrée libre

lundi 2 octobre 2017

Saint Matthieu : l'Evangile de la colère du Christ

On est trop habitué à l’image d’un Christ blond, douceâtre avec le sourire dans le vague. En réalité, l’Evangile de saint Matthieu – Pasolini l’avait compris – est traversé de part en part par la colère du Christ. Que signifie-t-elle? L’Evangile n’est-il pas avant tout la bonne nouvelle de l’amour ? C’est ce que l’on apprend à l’école. Mais dans l’amour du Christ, il y a une exigence et une urgence. Le Seigneur veut un échange entre lui et nous. Il demande, pour matérialiser cet échange, que nous portions du fruit, pour que son immense amour ne s’éprouve pas comme une colère… La colère du Christ ? Oui, parce qu’elle est seule capable de nous réveiller de notre médiocrité, incurable autrement.
Rendez-vous:
Café le François Coppée
1 boulevard du Montparnasse
75006 PARIS M° Duroc
Jeudi 5 octobre à 20H00 - Entrée libre
et plus tard...


mercredi 27 septembre 2017

Bienheureux Paul VI ?

Faut-il fêter Paul VI, ce 26 septembre, date anniversaire de sa naissance? Faut-il célébrer l'anniversaire de sa béatification le 19 octobre? La question est particulièrement difficile pour un traditionaliste. Grand ami de Jacques Maritain auquel il proposa même le chapeau de cardinal que l'intéressé refusa, Jean-Baptiste Montini est assurément un grand ami de la France et il se mêle à la bagarre entre "intégristes" et partisans du pape Pie XI, celui qui condamna, sans motifs affichés, l'Action Française en 1926. Sur ce point, Montini a dû approuver de tout coeur son ami Maritain, proche de Maurras, écrivant dans la Revue universelle d'Henri Massis, et théorisant en 1936, face au "nationalisme intégral" de Maurras, ce qu'il appela l'humanisme intégral. J'ai lu de près très récemment cet ouvrage. S'il y a un livre qui a influencé le pontificat de Paul VI, c'est celui-là. L'idée est devenu banale aujourd'hui. A l'époque elle fit l'effet d'un coup de tonnerre : l'Eglise, critiquant les humanismes purement modain, s'empare pourtant de ce thème philosophique et, s'inspirant de Jacques Maritain, les hommes d'Eglise revendiqueront désormais pour l'Eglise la charge d'un humanisme que l'on appela intégral, non seulement en souvenir vengeur du nationalisme intégral de Maurras, mais pour signifier que l'homme sans Dieu n'était pas l'homme intégral. Méditant sur le livre de Maritain, le futur cardinal de Lubac écrira à la fin de la guerre, le Drame de l'humanisme athée (1944), qui envisageait trois grands protagoniste de la "querelle de l'athéisme", Nietzsche, Auguste Comte et Dostoïevski, dont on connaît le fameux "Si Dieu n'existe pas tout est permis". 

Le pape Paul VI devait reprendre ces deux théologiens. Son discours de clôture au Concile est clair, mais faible hélas: "Le culte du Dieu qui s'est fait homme est allé à la rencontre du culte de l'homme qui se fait Dieu. Qu'est-il arrivé? Une lutte? Non !Un immense mouvement d'admiration a débordé du concile sur le monde". C'était le 8 décembre 1965. L'Eglise avait fait son aggiornamento! Et pourtant tout restait à faire, c'est le drame du pontificat de Paul VI. Au lieu de faire comme Jean XXIII le sentait, un concile bref et identitaire, soucieux de rappeler les fondamentaux de la foi chrétienne à un monde qui les oubliait, Paul VI, ce grand intellectuel, a essayé de faire droit à toutes les questions sur lesquelles se dégageait un consensus suffisant (c'était sa grande préoccupation, le consensus!). Résultat? Le concile n'en finit plus de finir. De grandes questions comme le dialogue interreligieux ou l'oecuménisme ont été abordé en quelques lignes, parsemées de formules vachardes... Je pense au début de Nostra aetate : "Chercher plutôt ce qui nous unit que ce qui nous divise". Cela veut tout dire et rien dire... On en discute encore aujourd'hui. Il était important de permettre le dialogue interreligieux, mais comment et dans quel but ? Aucune précision à ce sujet, pour des textes adoptés à la va vite en 1965, parce que l'Eglise ne voulait pas se payer une année conciliaire supplémentaire (malgré l'enthousiasme d'un Roger Schutz, qui au nom de sa communauté protestante de Taizé, envisageait un "concile permanent").

Paul VI va devoir gérer le bricolage du Concile. Le concile de Trente s'était étendu sur quelque trente ans. Vatican II a duré quatre ans. C'était trop peu. Le pontificat de Paul VI fut une sorte de continuation du concile par d'autres moyens, envisageant d'une part une réforme de la liturgie qui n'était pas dans la lettre de Sacrosanctum concilium et d'autre part un enseignement sur l'avortement et la pilule, produit en urgence : le pape François essaie encore de trouver une interprétation à Humanae vitae. C'est une encyclique inachevée, comme la liturgie dite de Paul VI est une liturgie qui ne cesse pas de connaître des mises à jour.

Concrètement, le pontificat de Paul VI se partagea entre une lutte contre les déviances trop marquées de l'épiscopat hollandais d'une part. A cette occasion, le pape lui même déclara l'Eglise "en état de schisme", car il n'arrivait pas à se faire obéir du cardinal Alfrink (grande personnalité du concile) et de ses héritiers bataves. Heureusement, en 1975, commence l'affaire Lefebvre. C'est providentiel ! Une unité provisoire de l'Eglise peut se manifester... au moins contre... oui contre les "intégristes". Paul VI n'hésita pas à consacrer un consistoire à l'ancien archevêque de Dakar. L'affaire Lefebvre commençait.

Alors Paul VI ? Il a tenté de rester sur une ligne de crête, condamnant l'avortement et la pilule d'une part, méditant aussi sur le célibat des prêtre auquel il consacre un document en 1971, mais imposant d'autre part par la force de son autorité un changement liturgique sans précédent, qui épousait largement les aspirations de son époque, en mettant de l'ordre dans les initiatives intempestives de tel ou tel "révolutionnaire". Il lui arriva ce qui arrive souvent aux conservateurs. Il voulut épouser son temps, sans pour autant rien changer au message de l'Eglise et, ainsi, ne satisfit personne, ni à droite ni à gauche. Un peu comme le premier pape, Pierre, qui ne condamna jamais saint Paul, tout en demeurant fidèle aux observances judaïques. Est-ce là l'ADN de l'Eglise romaine ? Serait-ce sa force ?

Correctio filialis: en réalité, on juge un silence

Au micro de Boulevard Voltaire
Je crois qu’il y a un quiproquo sur cette affaire de la correction filiale intentée. On peut dire qu’il s’agit d’une sorte de procès intenté par une soixantaine d’intellectuels et de responsables catholiques qui s’adressent au pape François en lui demandant sa bénédiction apostolique in fine. Il y a un quiproquo parce que la forme semble très lourde par rapport au fond.
   
Je m’en expliquerais en citant le lapsus [corrigé depuis] que l’on trouve sur le site de la Porte latine. La Porte latine est le site de la Fraternité Saint Pie X en France. Sur ce site, il n’est pas question de «correction filiale», mais de «correction finale» comme solution finale. C’est l’idée d’en finir peut-être pas de façon physique, mais intellectuelle. Lorsqu’on compare le pape à Luther dans la dernière partie du texte, on a vraiment l’impression qu’on veut en finir avec ce pape et qu’on ne s’est jamais remis de la renonciation de Benoît XVI, à laquelle il est fait mention comme pour indiquer que la légitimité du pape actuel serait douteuse. Tout cela me semble disproportionné et déplacé. Le pape est pape.

Il faut évidemment une expression plus claire pour pouvoir dire qu’il remet en question toute la morale catholique. Certains textes du pape peuvent faire peur à certains catholiques. C’est incontestable et ils peuvent avoir des raisons sérieuses d’avoir peur. Entre ces raisons sérieuses d’avoir peur et la dénonciation d’un pape qui tiendrait un discours qui ne serait plus catholique, mais luthérien pour reprendre ce texte de la correction filiale, la marge est énorme.
   
J’ai beaucoup lu le pape François. J’apprécie la dimension personnaliste qu’il donne à sa prédication. Mais je n’ai jamais vu sous sa plume, ou entendu dans sa prédication, la moindre chose qui puisse ressembler à une hérésie. En réalité, on juge un silence.
  
Il est déjà difficile de juger des mots. Les mots peuvent avoir plusieurs sens. Les mots peuvent ne pas tout dire. On peut préjuger de leur sens et juger du préjugé plutôt que des mots eux-mêmes. Quand le pape fait dire au Cardinal Burke, qui le met en demeure de répondre à quatre dubia, qu’il ne répondra pas et qu’il gardera le silence, cela veut dire que la position du pape sur les dubia n’est ni la position qu’attend le Cardinal Burke ni son contraire, mais le silence.
"Le pape François déroute tout de même les Européens. Il a un certain art de la nuance. Est-ce que cette tentative de « correction filiale » ne naît pas d’une certaine ambiguïté possible du pape François sur énormément de sujets ?"
On peut penser par exemple que les positions du pape François sur les migrants sont contestables du point de vue politique. Quand on sait que le pape François écrit un livre qui s’intitule « politique et société« , on peut penser aussi que dans tous ces domaines, la parole du pape François et la parole de Jorge Bergoglio ne sont pas forcément une parole pontificale infaillible. On doit la prendre en considération comme venant du plus haut dignitaire de l’Eglise, mais qui n’est pas dans le domaine de définition de son infaillibilité.
   
J’ai par exemple moi-même écrit un texte dans lequel je conteste l’usage que le pape François fait du Lévitique, ou de ce que dit le Lévitique sur l’étranger, ou le converti, « ger » en hébreux. Le pape François traduit étranger ou converti par migrants ou immigrés. On comprend que ce n’est pas la même chose. On est en droit de dire respectueusement au pape que l’usage qu’il fait de tel texte sacré n’est pas incontestable. Mais quant à manœuvrer cette idée d’hérésie du pape en faisant un rapprochement explicite avec Martin Luther, cela me semble excessif. On peut contester les raisons pour lesquelles le pape garde le silence, mais on ne peut pas de ce silence tirer une hérésie. Cela ne me semble pas logique.

mercredi 20 septembre 2017

Lettre au pape

Chère Sainteté, 

Votre dernière lettre à l’occasion de la journée des migrants prévue le 14 janvier 2018, a été publiée dès la fête du 15 août… Une occasion avant la rentrée de revenir sur votre politique en faveur des migrants, une politique que vous n’hésitez pas à tirer des propres paroles de l’Ecriture sainte, en citant dès les premières lignes l’un des cinq premiers livres de la Bible, le Lévitique : « L’immigré qui réside avec vous sera parmi vous comme un compatriote, et tu l’aimeras comme toi-même, car vous-mêmes avez été immigrés au pays d’Égypte. Je suis le Seigneur votre Dieu » (Lv 19, 34). Je crois que l’on peut employer, plutôt que le mot « immigré » qui sent très fort notre ultra-modernité, le mot « étranger ». Toute la Bible insiste sur l’accueil de l’étranger, la civilisation hébraïque est en symbiose sur ce point avec toutes les plus vieilles civilisations de l’humanité, dans lesquelles l’hospitalité est un devoir sacré. 

Il ne vous aura pas échappé néanmoins, qu’il existe une petite nuance entre « hospitalité » et « immigration ». L’hôte ne s’installe pas ; l’immigré si. L’accueil de l’étranger, tel qu’il est recommandé dans la Bible et dans ce passage du Lévitique en particulier, relève du devoir d’hospitalité, qui est sacré. Il ne s’agit pas, pour les juifs de faire de la place aux étrangers dans la Terre promise, sinon sous certaines modalités bien précises et vraiment drastiques, qui sont définies dans la Torah et sur lesquelles nous allons revenir. 

Disons tout de suite que ce qu’on lit dans l’Ancien Testament, c’est exactement l’inverse de l’accueil de l’immigré, c’est plutôt le nettoyage ethnique. Notre gloire nationale, l’abbé Pierre, malgré ou à cause de sa piété réelle, s’en était scandalisé, avouant d’ailleurs n’avoir découvert ces passages de l’Ecriture que tardivement dans sa vie de prêtre. Des exemples ? Yahvé donne l’ordre à Moïse d’exterminer les Madianites au chapitre 31 du livre des Nombres. Madian est une terre au sud de la Mer Morte, les femmes madianites sont coupables d’avoir tenté de séduire les Hébreux, pour les détourner du culte de Yahvé. La vengeance de Yahvé a été terrible : « Les Hébreux tuèrent tous les mâles ». Et Moïse insiste : « Tuez toutes les femmes qui ont connu un homme en partageant sa couche. Ne laissez la vie qu’aux petites filles qui n’ont pas partagé la couche d’un homme et qu’elles soient à vous » (sic). Comme compréhension de l’étranger, avouons qu’on fait mieux. Dans le Deutéronome, cinquième des Livres de la Torah, ce sont les Cananéens qui doivent être exterminés. Moïse l’ordonne. C’est Josué qui passera à l’acte pour conquérir la Terre promise, en exterminant ses anciens habitants, hommes et femmes : « Josué battit tout le pays (…) il ne laissa aucun survivant. Il frappa d’anathème tout ce qui respirait, comme l’avait ordonné le Seigneur, le Dieu d’Israël » (Juges 10, 40). On pourrait continuer cette funèbre énumération… Une chose est sûre : les Hébreux arrivant dans la Terre promise, ne sont pas invités par Yahvé au vivre ensemble, mais à l’extermination.

Quant à l’accueil de l’étranger, dont il est question dans le Lévitique, si l’on va au-delà de la simple hospitalité à l’occasion d’une visite, je crois qu’il faut interpréter les passages « accueillants » à travers cette formule au chapitre 12 du Livre de l’Exode : « Si un étranger en résidence chez toi veut faire la Pâque pour Yahvé, tous les mâles de sa maison devront être circoncis, il sera alors admis à le faire, il sera comme un citoyen du pays. Mais aucun incirconcis ne sera admis à le faire ; la loi sera la même pour le citoyen et pour l’étranger en résidence chez vous… » (12, 48). Nous tenons là le sens réel du passage cité par vous, sainteté : les étrangers en Israël seront traités comme les souchiens, du moment qu’ils se convertissent, s’étant fait circoncire. Loin de respirer la largeur d’esprit et l’accueil de ceux qui n’ont pas la même culture, ces vieux textes exhortent tous à une assimilation, qui, si elle est impossible doit céder la place à l’extermination.

Ce sont les chrétiens qui ont modifié le message de haine au nom duquel Israël a pris racine en Terre promise. Je citerai un seul texte, antique : la biographie de l’évêque Cyprien, pape de Carthage, mort martyr (exterminé non exterminateur) en 258. C’est son propre diacre Pontien qui écrit et il souligne ce fait qu’il trouve admirable et sans antécédent dans l’histoire : Cyprien au risque de sa vie intervint lors d’une épidémie de peste et plus fort que les saints de l’Ancien Testament souligne Pontien, plus fort que Tobie, il soignait au péril de sa vie non seulement les chrétiens, ses coreligionnaires, mais tous ceux qui en avaient besoin. Albert Camus se souviendra d’ailleurs de cette histoire carthaginoise, lorsqu’il écrira La Peste. C’est le Christ qui ne fait pas acception de personne, pas le Vieux Testament… Ce qui ne signifie pas qu’un chrétien doit accueillir les immigrés pour qu’ils habitent sa terre, en en modifiant l’équilibre culturel, mais qu’il doit secourir celui qui est dans la difficulté, en s’investissant personnellement. De même que l’on ne doit pas confondre l’hospitalité et l’immigrationisme, de même il ne faut pas confondre l’universalisme chrétien respectueux de chaque identité et le mondialisme qui les détruit.

Avec mon respect le plus filial pour votre œuvre si nécessaire de réhabilitation de l’Eglise catholique.

Post scriptum : Après avoir publié ce texte dans Minute, j'ai reçu un courrier, qui, venant d'un hébraïsant donne plus de poids encore à ma critique, me certifiant que le mot "ger" en hébreu signifie à la fois étranger, hôte et converti"

mardi 12 septembre 2017

René Laurentin face à Marie

Il était né le 19 octobre 1917 à Tours. Il vient de s'éteindre, à l'approche de son centième anniversaire, ayant publié son centième livre. René Laurentin aura beaucoup
travaillé pour le Royaume de Dieu. C'est ce grand travailleur que je voudrais saluer.

En 40, il fait la guerre comme officier d'infanterie. Il est fait prisonnier et passe toute la guerre en captivité. Cet élément de sa biographie m'a frappé : on est tellement seul quand on est prisonnier ! C'est sans doute au cours de ces cinq longues années que sa dévotion à Marie se fortifie, au point de devenir toute sa vie. Ordonné prêtre le 8 décembre 1946, pour la fête de l'Immaculée conception, il entreprend trois doctorats, qui portent tous sur la Vierge Marie, en particulier sur son sacerdoce.

Le rôle du  prêtre n'est-il pas d'offrir le Christ au monde, d'insérer l'éternelle offrande du Fils à son Père dans l'espace-temps ? N'est-ce pas Marie, la première, qui offre le Christ au monde ? N'est-ce pas par la liberté de son OUI que l'humanité a pu se racheter du premier péché ? Toute grâce de Dieu implique une liberté de l'homme. Au moment de l'Annonciation, lorsqu'elle dit à l'ange Gabriel, "voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole", elle représente la liberté de toute l'humanité, dont elle est en quelque sorte la marraine pour toujours. Notre liberté d'enfants de Dieu, méritant l'éternité divine par la grâce, cette liberté est issue de la sienne. Elle a été la première.

A Saint-Nicolas du Chardonnet, il existait une confrérie de Marie reine du clergé. L'autel est au fond de l'église sous la petite coupole érigée par Gustave Eiffel. Marie est reine des prêtres, parce qu'elle est prêtre elle-même, la première offrante, au Temple, 40 jours après la naissance de son fils. C'est en tant que prêtre qu'elle est reine des apôtres, recevant avec les Onze l'Esprit qui leur avait été promis.

J'entends certains d'entre vous me dire : mais si Marie est prêtre, on peut donc ordonner des femmes prêtres... C'est ignorer la différence entre le sacerdoce ministériel, qui a toujours été réservé aux hommes, et le sacerdoce royal, dont nous faisons tous et toutes partie. Mon cher Cajétan parle à ce sujet du sacerdoce comme officium, comme charge, c'est celui que j'ai l'honneur de porter. Mais il y a un autre sacerdoce, le sacerdoce comme excellence, le sacerdoce comme vertu, dit Cajétan. Par ce sacerdoce, nous sommes chacun prêtres, offrant notre sacrifice intérieur et réalisant "ce qui manque à la Passion du Christ". Ce sacrifice, personne ne peut l'offrir à notre place, il en va de notre salut, nous sommes bien le "royaume de prêtres" prophétisé par le livre de l'Exode et aperçu par le Voyant de l'Apocalypse (1, 9). Et dans ce peuple de prêtres, qui s'élance vers son Sauveur, Marie est la première. Elle offre son sacrifice, nous allons le 15 septembre fêter Notre Dame des 7 douleurs : qui connaît les douleurs de Marie ? Qui a vu "le glaive qui lui a transpercé le coeur ? Elle s'offre, comme chacun d'entre nous, elle offre son Fils... Elle l'a présenté au Temple. Il s'est laissé offrir par elle en une divine condescendance.

J'ai toujours aimé cette idée du sacerdoce de Marie, qui est le modèle du nôtre et le sacerdoce par excellence. Marie a cultivé à un haut degré la vertu d'offrande, nous devons l'imiter en cela et vivre de la Passion du Christ, transformer le mal qui nous atteint en un bien éternel par l'acceptation : FIAT.

Au Cénacle Marie n'est pas lors de la dernière Cène alors que Jésus donne à ses apôtres le pouvoir de consacrer le pain et le vin, en redisant ses propres paroles : ceci est mon corps, ceci est mon sang. Mais, à la Pentecôte, quand les apôtres reçoivent l'Esprit saint qui leur donne une puissance divine, Marie est avec eux, elle partage leur joie, après tant de tristesse, elle a dû en ce moment retrouver les accents de son Magnificat. Marie est notre initiatrice au festin de l'Esprit, comme ele fut celle des apôtres.

Je suis sûr que le Père Laurentin acceptera cet hommage que je lui rend en saluant Marie. Il a été son chantre infatigable, cherchant ses traces partout dans le monde, allant à la fin de sa vie jusqu'à rédiger un dictionnaire des apparitions mariales, après avoir signé cinq gros volumes de documents authentiques des apparitions de Lourdes. Il n'était jamais fermé au souffle de l'Esprit dont Marie a éternellement épousé le feu. Il avait un a priori favorable pour toute apparition sérieuse. On a pu lui reprocher d'avoir pris parti pour Medjugorjé, et voilà qu'aujourd'hui la hiérarchie catholique est obligée (après moult tergiversations) de reconnaître l'authenticité des premières apparitions bosniaques.

Il a pris aussi vigoureusement partie pour Mère Yvonne Aimée de Malestroit, une mystique bretonne dont Rome ne voulait plus entendre parler. Il a rouvert le dossier qui avait été fermé de manière autoritaire. Aujourd'hui personne ne peut nier le caractère surnaturel de cette destinée hors norme, avec bilocations, prédictions vérifiées et autres miracles étonnants, qui font penser à ceux du Padre Pio. Je ne résiste pas à citer une phrase de Jésus à la jeune Yvonne Beauvais, qui touchera profondément le coeur de Julien Green (cf. Le Bel aujourd'hui p. 241) : "Je ne fais aucune distinction entre un coeur innocent et un coeur coupable. C'est celui qui m'aime davantage qui m'est le plus cher".

Le Père Laurentin fut expert et journaliste au concile Vatican II, écrivant parfois chaque jour pour le Figaro. Mais ce n'est pas le grand espoir conciliaire qu'il a gardé au coeur. Ses gros bouquins sur le Concile, ses fameux "bilans", publiés aux éditions du Seuil, ne sont plus lus par personne. En revanche, son oeuvre de bibliste, traquant les traces de la Vierge Marie dans la Bible, ne cesse pas d'intéresser un vaste public. La synthèse sur les Evangiles de Noël, je ne manque jamais de l'ouvrir chaque année pour Noël, justement. C'est lui qui m'a fait comprendre l'importance de la Fuite en Egypte, première confrontation entre le Christ enfant et un pouvoir totalitaire. Quant à son oeuvre de mariologue, elle est tout simplement sans équivalent dans le monde... Il aura donné le goût de prier Marie à plusieurs générations de lecteurs.

dimanche 10 septembre 2017

Réponse à Albert 76 sur François

"Mon Père, je m'interroge, mieux: j'ai interrogé des prêtres. Ils ne m'ont pas donné de réponse. Peut-être trouvaient-ils ma question oiseuse? impertinente? Ce n'était pas mon intention. Alors je réessaye, peut-être aurai-je une réponse avec vous. Je schématise, et voila la question: COMMENT SE FIER AU JUGEMENT D'UN PAPE QUI RÉPOND NE PAS ÊTRE LA POUR JUGER ?"
Cher Albert 76, votre question est très importante, parce qu'en disant "Qui suis-je pour juger ?" le pape François a donné l'impression à certains de ne pas vouloir faire le pape, de s'abstenir de tout discours normatif, en se contentant, comme il le répète souvent, "d'accompagner", c'est-à-dire au fond d'approuver. L'objection est de taille et l'on ne s'en débarrasserait pas d'un revers de main.

Il y a une deuxième objection, celle au fond que vous formulez : le pape pose des jugements sur des personnes. Je pense aux pauvres Franciscains de l'Immaculée. Cette congrégation parfaitement reconnue, il l'a persécutée et c'est bien au nom d'un jugement personnel qu'il portait sur une manière d'être religieux qui ne lui plaisait pas. On ne sache pas, par exemple, que le pape blanc s'en soit pris au pape noir, quand ce dernier a dit que le diable n'existait pas. Cette affirmation d'un homme qu'il a fait nommer à la tête des jésuites, manifestement... il ne la juge pas. Il est donc très clair que le jugement du pape sur telle ou telle personne est obéré par des présupposés, au point qu'on peut penser qu'il a raison de dire : "Qui suis-je pour juger ?" et que cette question, il devrait parfois se l'appliquer à lui-même.

Le pape, dans sa fonction de pape, doit pourtant, en nom Dieu, juger des personnes. Mais la plupart du temps, cela doit passer par une procédure canonique. La distinction des trois pouvoirs n'étant pas théologique, le jugement du pape peut en droit se porter sur des personnes, non seulement celles qu'il nomme à tel ou tel poste, mais surtout celles qu'il condamne. Voilà pour ce que j'ai appelé ici la deuxième objection.

Revenons à la première: le pape s'abstient-il volontairement de tout discours normatif? Il est clair que par tempérament il fuit de tels discours, mais par fonction, il doit en assumer quelques uns. Ces discours ne portent pas sur des personnes, mais sont supposés refléter un discernement, en départageant la vérité et l'erreur. Dans ces circonstances, non seulement le pape peut juger, mais il doit juger.

Au fond la formule: Qui suis-je pour juger? est profondément juste si l'on en définit correctement l'objet. "Seul Dieu sonde les reins et les coeurs" répètent les prophètes de l'Ancien Testament. "Le jugement a été remis au Messie" lit-on en Jean V. Seul le Christ possède le droit de juger les personnes, parce que seul, en tant que Dieu, il les pénètre et les connaît vraiment. C'est ce que l'on voit sur le porche de nos cathédrales: le jugement rendu par le Christ, seul juste juge. Comme je le propose plus haut, il faut distinguer ici : juger les personnes et discerner leurs actions. "L'homme spirituel juge de tout" dit saint Paul. Cela ne signifie pas qu'il juge les gens en pénétrant les recès de leur cœur. Seul Dieu peut le faire. Mais cela signifie qu'il juge de toutes les situations, qu'il possède une intelligence particulière des situations, celle que donne la sagesse.

Dernier point: il nous faut donc nous abstenir de juger les autres, puisque nous ne les connaissons pas vraiment. Mais pas seulement les autres : nous-mêmes. Nous avons le plus grand mal à nous juger nous mêmes, nous avons toujours tendance à exagérer nos qualités, parfois aussi à exagérer nos défaut. Laissons nous juger par le Christ, ne nous laissons pas impressionner par les jugements que nous portons sur nous-mêmes et enfin, d'un autre côté, n'hésitons pas à discerner à juger des situations dans lesquelles nous nous trouvons. C'est à cela que le Saint Esprit lui-même nous pousse.

vendredi 8 septembre 2017

Un pape fabuleux

Non je ne fais pas une crise de gatisme précoce ; je viens seulement de terminer le dernier livre du pape (avec Dominique Wolton) : Politique et société. Près de 400 pages. Un pavé. Bien sûr il y a des redites, mais ce n'est pas gênant, cela contribue au contraire me semble-t-il à montrer qu'il y a une pensée claire du pape et que les "petites phrases" dont il a le secret ne sont pas des piques gratuites mais comme des stalactites tombés de la paroi rocheuse et qui en proviennent. Il y a effectivement - c'est la première fois que cela m'apparaît avec tant de clarté - une pensée du pape, que l'on retrouve sur tous les sujets. Un regret ? Que la théologie soit trop discrètement évoquée pour que l'on puisse vraiment saisir le système théologique du pape, comme on comprend ici son approche politique.

Avec François, l'Eglise a un pape qui est en avance sur son temps, un pape qui a saisi l'aspect particulier que doit prendre une pastorale soucieuse de réussir dans la société matérialisée dans laquelle nous vivons, je dirais : un pape authentiquement personnaliste. Il ne me semble pas exagéré de considérer qu'il fait sienne la distinction que propose Laberthonnière entre les êtres et les choses. Les humains, quels qu'ils soient, sont tous des êtres, à l'image de Dieu. Chaque être vaut infiniment plus que toutes les choses. Preuve ? Chaque être se détermine librement par rapport à Dieu, en ce sens chaque être possède une destinée. "Le christianisme n'est pas une science. Ce n'est pas une idéologie. Ce n'est pas une ONG. C'est une rencontre (...) Comment élargir les conditions pour l'écoute des autres, c'est la mutation que l'Eglise doit faire". Comment ne pas souscrire à ces formules ? Comment ne pas voir se profiler l'image de Pascal et la réalité trop souvent tue de la grâce efficace dans cette exaltation de la "rencontre" ? L'Eglise de François est augustinienne et en ce sens "janséniste". Elle met la grâce avant la science et se garde de toute idéologisation d'un contenu de pensée chrétien. Elle met la grâce au-dessus de toutes les bienfaisances purement humaines, et c'est pour cela qu'elle n'est pas une ONG, malgré tant d'apparences contraires.

L'Eglise doit muter : ce qu'elle doit perdre en route, ce n'est ni sa liturgie (à Dieu ne plaise), ni ses dogmes (qui sauvent notre esprit de l'ignorance), ni sa morale (à condition, note le pape, que l'on considère la morale non pas comme un monde en soi mais comme une conséquence de la rencontre avec le Seigneur)... Ce qu'elle doit perdre en route, c'est ce qui l'empêche d'écouter les hommes, le cléricalisme et la rigidité, j'emprunte ces deux mots au langage du Saint-Père. J'en ajouterai un troisième ! l'idéologie.

Le pape emploie ce dernier terme très souvent. Il ne faut pas voir dans ce qu'il stigmatise comme idéologique ce que Marx appelait ainsi : la pensée qui se serait d'elle-même mise au service du Grand Capital (ou au service de l'Or, comme dit Maurras dans L'avenir de l'intelligence). Non ! Le mot "idéologie", employé par François, c'est de manière générale toute forme de pensée close sur elle-même et menacée de la fameuse maladie du perroquet que l'on nomme psittacisme : cette maladie, vous savez, qui apparaît quand la répétition dispense de la compréhension.

J'imagine quelque grave théologien me lisant d'aventure, je le vois plissant les yeux avec un air sceptique. L'objectant dirait sans doute sans s'occuper du pape : "ce christianisme là est un christianisme sans doctrine, une pure mystique, c'est-à-dire un état d'âme"...

A quoi je répondrais qu'il ne faut pas confondre "état d'âme" et "état de l'âme" et qu'il reste absolument vrai que le christianisme est un état de l'âme augmentée, sur-naturalisée, divinisée...

 Mais je voudrais souligner encore autre chose dans ce beau livre du pape François, qui a le don des petites phrases aux grands effets. Pour lui, la foi n'est pas seulement cet acte de vital, auquel notre objectant reprochait de n'être qu'un état d'âme. C'est une réalité objective, une réalité qui s'objective dans les cultures chrétiennes : "Une foi qui ne devient pas une culture n'est pas une vraie foi. Le voilà le rapport entre foi et culture : l'inculturation de la foi et l'évangélisation de la culture". Dans cet éloge de l'inculturation, on voit se profiler le risque du morcèlement de chrétientés inculturées que leur éloignement géographique contribue à rendre incompatibles les unes avec les autres.. Mais ce risque est un beau risque car la culture chrétienne agrandit toujours l'humanité, comme l'avait bien vu l'anthropologue René Girard. Et les cultures chrétiennes convergent toujours finalement, comme aujourd'hui fonctionnent ensemble les deux poumons, Orient et Occident de la sainte Eglise de Dieu. Moscou, Rome : des cultures différentes qui finissent par se rencontrer, non pas dans une synthèse artificielle, mais dans une sur-thèse différenciée, si l'on reprend le vocabulaire du pape.

Cette culture chrétienne, liturgique, théologique, artistique, les vandales post-conciliaires avaient espéré nous en priver. Nous en jouissons aujourd'hui en sécurité grâce à Benoît XVI. Cette culture chrétienne traditionnelle est la plus riche au monde, la plus diverse, la plus longue et la plus convergente en même temps.  Elle est comme un biotope favorable au développement de notre foi, pas seulement une contre-culture, dans notre monde matérialisé, mais un accomplissement humain intégral (pour reprendre un adjectif cher au pape) et qui ne peut nous être ôté.

Deux remarques pour finir : nulle part je n'ai vu le pape prétendre être responsable du développement humain intégral que par ailleurs il appelle de ses voeux. Le Père Stalla Bourdillon en fait un Boniface VIII des temps modernes. Mais sa lecture nous emmène à mille lieu de cela. François se veut seulement serviteur des serviteurs de Dieu. Son impérialisme est celui de la charité.
  
Deuxième remarque : je traiterai dans un prochain post ce qui concerne les relations entre le pape et les migrants.                                                                               

mercredi 30 août 2017

Philippe Aucazou: «Tant de choses existent en ligne... L'idée est de mettre du lien entre elles»

Les visiteurs du MetaBlog auront remarqué la petite fenêtre (en haut à droite de chaque page), qui indique le calendrier. Cette nouveauté est due à Philippe Aucazou, qui nous présente ici ce qu'il nomme le «théochrone».
   
Vous proposez un « théochrone » - de quoi s’agit-il ?
C’est un calendrier liturgique universel. Divers règles régissent le calcul du comput (computus) ecclésiastique. Ces règles sont simples, il suffit de les donner à l’ordinateur (computer), qui détermine ensuite le calendrier, sans limitation de temps.
Bien – cependant, divers sites le proposent déjà.
Bien sûr. Une particularité du « théochrone » est de proposer une recherche par date, par l’intitulé des fêtes. Une autre particularité est d’envoyer, pour chaque fête, vers des ressources en ligne – typiquement, vers les pages d’introibo qui donnent les textes de la liturgie, ainsi que leur commentaire par les plus grands : Dom Guéranger, Pius Parsch, le Bienheureux Schuster.
Et tout cela, donc, en cliquant depuis votre site ?
Depuis votre site également, puisque vous avez installé notre ‘widget’. Il s’agit d’un petit morceau de code à placer sur une page pour que s’y affiche le principal, à savoir la date et ses fêtes. En cliquant sur chaque fête vous arrivez sur les textes du jour, sur des pages extérieures. En cliquant sur les flèches, vous faites défiler le calendrier. En cliquant sur la date, vous arrivez sur le site propre au théochrone, pour divers recherches.
C’est d’une simplicité désarmante… et efficace.
Tant de choses existent en ligne. L'idée est de mettre du lien entre elles. Ce calendrier peut se voir comme un tuyau entre les visiteurs de blogs traditionalistes et les sites de liturgie. Amis blogueurs, contactez-nous et nous vous envoyons le code.
Votre idée semble assez aboutie.
Oui et non. Nous l’avons dit, ce calendrier se veut universel. Les possibilités d’enrichissement sont encore importantes. En amont, par ajout de spécificités locales du comput – et en aval en donnant accès à plus de textes, ceux du bréviaire par exemple.
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mardi 29 août 2017

Qu'est-ce qu'un Christ humanitaire

En cette fête de saint Augustin légèrement dépassée, je tombe, en lisant La Vie, sur une formule du Père Stalla-Bourdillon, responsable du Service pastoral d'étude politique, qui me semble révélatrice, c'est-à-dire porteuse de vérités. Nous sommes en plein dans le débat sur les migrants, sur ce droit opposable universel que le pape François, au nom de la Personne humaine, veut voir conféré aux migrants, qui déferlent sur l'Europe depuis la Syrie, l'Afghanistan, l'Irak, la Somalie, le Tchad et toute l'Afrique sub-saharienne. Loyalement le Père Stalla-Bourdillon fait son métier, en défense de la parole pontificale.

Son premier argument ? Une nouvelle définition de la fonction pontificale. Pour lui, il faut reconnaître, je cite, que "la responsabilité du pape est d'abord le développement humain intégral, tel qu'il est apparu dans la personne [divine] du Christ".

On peut rapprocher cet essai pour la délimitation d'un rôle qui soit propre au Successeur de Pierre, mais qui touche en même temps à l'univers et à l'universel, de cette belle appellation, qui resurgit depuis Vatican II : "pasteur universel". Le pasteur est celui auquel le Christ a confié solennellement ses brebis, après sa résurrection (Jean 20). Quant aux brebis, elles ne sont pas toutes explicitement de "ce" bercail (Jean 10). Le pape-monde a une fonction qui dépasse cette confession particulière qu’est le catholicisme. "Doux Christ en terre" disait Catherine de Sienne, chargé, au nom du Christ, du salut du monde, il est bien le pasteur universel. On peut dire que la personne de Jean-Paul II a illustré, pour la première fois depuis les grands papes du Moyen âge, cette fonction du pape-monde, qui dépasse toutes les limites humaines, comme l'Eglise dont il a la charge, parce qu'elle est à la fois l'Eglise visible et l'Eglise invisible. Nous avons trop tendance à juger le pape en tant que chef de l'Eglise catholique (par quoi nous entendons de façon humaine, trop humaine le catholicisme). Or il est beaucoup plus que cela, puisqu'il est le pasteur universel, pour qui le salut ou la damnation d'une âme quelle qu'elle soit ne peut pas être un événement indifférent.

Faut-il inférer de ce premier point, avec le Père Stalla-Bourdillon, que "la responsabilité du pape est d'abord le développement humain intégral"?

Cette idée de développement humain intégral fait florès depuis l'encyclique Laudato si. Elle permet de concilier dans une seule vision le service de la Planète et le service de l'homme tel qu'il est sorti des mains de Dieu. Mais faut-il aller jusqu'à dire que la destinée surnaturelle de l'homme fait partie de son "développement intégral", alors que, nous le savons, cette destinée est essentiellement gracieuse ? Plus difficile encore, dans l’autre sens : peut-on accepter qu'un développement humain intégral soit synonyme de salut ou de réalisation surnaturelle ? Suffit-il de réaliser une harmonie aléatoire des forces divergentes qui se partagent trop souvent notre humanité pour considérer que l'on a, par là même, accompli la visée de l'Eglise et que rien ne nous manque ? L'humanisme intégral de Jacques Maritain (1936) n'allait pas jusque là, le philosophe thomiste reconnaissant que la nature ne peut prétendre se réaliser sans le surnaturel, qui est donné, qui est en plus, par grâce, comme une seconde chance, pour l'homme qui, de son côté, reste essentiellement pécheur, tant qu'il ne peut déployer que les forces de sa nature. Il ne suffira pas, parvenu de l'autre côté du voile, de dire au Christ : "J'ai pratiqué un développement humain intégral", "J'ai été responsable du développement humain intégral" pour être sauvé.

Comme pasteur universel, la responsabilité du pape n'est pas "le développement humain intégral", mais le salut des âmes, par la prédication de cette parole, affutée comme un glaive à deux tranchants, qui pénètre en tout homme, « d'une manière que Dieu connaît », à la jointure de l'âme et de l'esprit, pour provoquer un amour "plus grand que notre coeur".

Quant au développement humain intégral, il correspond à la connaissance que l’homme prend de lui-même en régime de chrétienté. Bien entendu, le pape n'en est pas responsable, même s’il est engagé, avec tous les autres acteurs de la chrétienté, conscients et inconscients, dans sa réalisation. Ce sont néanmoins les autorités temporelles, surtout quand elles sont chrétiennes mais pas seulement, qui doivent en rechercher l'accomplissement au-delà des confessions particulières, mais en deçà de l'esprit, qui lui va beaucoup plus haut, "passant infiniment l'homme". Sur la nature de ce développement humain intégral, il importe également que les Institutions internationales permettent aux Etats de se mettre d'accord. Il est vrai qu'elles le font mal. Mais est-ce une raison pour que le pape, chargé du salut du monde à l'image du Divin maître, se sente en plus responsable de ce salut temporel, de ce bien commun universel, de ce développement humain intégral des diverses sociétés, qu'elles soient ou non d'origine chrétienne ? Je ne le crois pas.

Le Père Stalla-Bourdillon me semble ici, pourtant, un parfait interprète. On sent que cette responsabilité du bien commun universel, c'est à quoi aspire la papauté depuis longtemps. Je pense à certains textes de Pie XII sur le sujet. Certains passages de Caritas in veritate, l'encyclique sociale de Benoît XVI (2009) le laissaient penser aussi, cette idée par exemple d'un groupe de sages, groupe arbitrant des conflits planétaires, dont le pape aurait tout naturellement fait partie. Pour cette fois, pour aujourd'hui, le théoricien est le Père Stalla-Bourdillon. Il interprète la pratique migratoire du pape François, en des termes qui montreraient qu'il ne se sent pas d'abord responsable de cette première loi qui est le salut des âmes, comme dit le Codex, qu'il ne se sent pas responsable de la christianisation des âmes, mais plutôt d'une abstraction séculière qui concerne au premier chef les autorités temporelles : ce que le Père Stalla-Bourdillon nomme le développement humain intégral.

Ainsi, contre le concile Vatican II et sa théorie néo-thomiste de l'autonomie des réalités politiques, la papauté contemporaine a eu beau renoncer à la tiare, insigne moyen-âgeux, à la faveur de cette confusion entre la nature et le surnaturel que porte l'expression "développement humain intégral", elle connaît la même tentation que la papauté médiévale d'Innocent III à Boniface VIII, cette confusion du spirituel et du temporel. Comment se formule l'augustinisme médiéval ? "Le pape est celui par lequel règne tous les rois de la terre" écrit saint Thomas d'Aquin (ou bien est-ce Ptolémée de Lucques ?) au chapitre 16 du De Regno. "La responsabilité du pape est d'abord le développement humain intégral" écrit de la même façon le Père Stalla-Bourdillon aujourd'hui... Vertigineux rapprochement ! De part et d'autre on constate la même "temporalisation du Royaume de Dieu" que déplorait Jacques Maritain dans le Paysan de la Garonne et la même volonté d'atteler le successeur de Pierre à un projet temporel universel, dont il serait la clé de voûte.

Inutile de préciser ce que l'humanité sait obscurément depuis la Tour de Babel : que ce projet temporel universel est "vanité et poursuite du vent"...

On m'objectera sans doute que le Père Stalla-Bourdillon, dans la formule que j'ose incriminer, prend soin de préciser qu'il s'agit du développement humain intégral "tel qu'il est apparu dans la personne du Christ". En réalité cette précision ne précise rien et confond tout : de quoi parle-t-on dans le "développement humain intégral" ? Dans la deuxième partie de son texte, le Père appelle dans la logique de son propos à "opérer une distinction entre la personne et la croyance", à ne pas "enfermer une personne dans sa croyance religieuse", bref à ne pas essentialiser les appartenances religieuses, et il précise : fussent-elles chrétiennes. Mais le Christ, qu'il revendique comme modèle du développement humain intégral, n'est-il pas l'origine de notre appartenance, le chrétien par essence, le religieux de Dieu, le frère universel, celui qui ancre en Dieu ceux qui le cherchent ? Et celui qui s'approche du Christ ne voit-il pas justement son essence humaine se réaliser, bien au-delà du projet biologique que porte notre nature commune?

Il y a donc une contradiction drastique entre d'une part cet effort de relativisation des croyances (parmi lesquelles la chrétienne au premier chef), qui aboutit, dans le texte du Père, à mettre en avant "cette même et unique nature qui nous forme" et d'autre part sa volonté de réduire "le développement humain intégral" au Christ. Dans la deuxième perspective, on est obligé de dire que le développement vient du Christ et de la foi au Christ et que l'islam (puisque c'est de cela qu'il est question) s'en éloigne dans la mesure où il s'éloigne de l'enseignement du Christ. Mais alors que reste-t-il de tout l'effort du Père, visant à "relativiser les croyances" en insistant sur "cette même et unique nature qui nous forme" ? On est obligé de reconnaître qu'il fait coexister deux discours de manière purement rhétorique, j'allais dire de manière pieuse, mais en dehors de la rigueur des termes auxquels il fait appel.

Il me semble que cette théologie qui prétend identifier le Christ avec "cette même et unique nature qui nous forme" est une théologie vaine, qui s'affranchit de la loi de non-contradiction, au profit d'un simulacre de Christ, sorte de zombie théologique, qui n'aurait plus ni frères ni soeurs, qui ne serait plus capable de faire des chrétiens et se contenterait de savoir recevoir, bonasse, tout individu au nom de son humanité.
   
Bref, il me semble que nous sommes devant le choix de deux Christ :
  • Le Christ qui, dans une sorte de jeu de miroir, se contenterait de l'humanité de l'homme dans son développement intégral : que cet homme soit chrétien, musulman ou autre, il importe de relativiser sa « croyance » (de façon significative, on ne parle pas de foi ici) au profit de son humanité, qui est le seul absolu, celui que Dieu a créé.
  • Et puis le Christ qui est venu pour augmenter l'humanité par la foi en lui. Foi explicite, foi implicite, lumière innée, "qui éclaire tout homme venant en ce monde", lumière adventice qui fait de lui un fils de Dieu...
Pas une seconde je ne mettrai en cause la foi du théologien. Mais j'ai peur que la logique des concepts qu'il développe ne poussent les lecteurs inattentifs du Père Stalla-Bourdillon à se rattacher à la première de ces deux images du Christ, qui n’est manifestement pas celle du christianisme réel.

samedi 3 juin 2017

Luther au Café

Pourquoi parler encore aujourd'hui de Martin Luther ? Le pasteur Alain Joly et moi-même nous cosignons un débat sur la personnalité, le message et l'héritage que laisse le réformateur allemand cinq siècles après qu'il ait mis en cause la pratique des indulgences en placardant 95 thèses sur la porte de la chapelle de Wittenberg. Geste médiéval ? Querelle dépassée ? Luther, pour quiconque l'approche encore, est un vivant. Il a quelque chose à dire non seulement aux luthériens, mais aussi aux catholiques et à tous ceux qui cherchent Dieu, comme le soulignait le pape Benoît XVI à Eisleben. Il bouscule notre confort intellectuel et spirituel.

Alain Joly et moi même, nous serons heureux d'évoquer nos accords et nos désaccords sur cette figure haute en couleur en continuant notre débat devant vous puis avec vous, car toutes vos questions seront les bienvenues.


Le livre, rédigé en débat avec François Huguenin et Serge Sarkissian, s'intitule Martin Luther, le défi de la transgression, éd. Onésime 2000

dimanche 28 mai 2017

Mise au point sur la FSSPX

Il y a trois semaines, j’ai parlé 40 minutes à l’AFP, qui n’en a retenu que deux phrases : celles où j’explique que Mgr Fellay a un intérêt personnel à la réintégration de la FSSPX. 

Je maintiens et je développe : depuis le début, Mgr Fellay est « dans le cockpit », économe général avant même son ordination, évêque a 30 ans, supérieur général depuis si longtemps que la plupart de ses prêtres n’ont connu que lui. Son mandat actuel s’achève l’an prochain, mais si la FSSPX devient entre-temps une prélature personnelle, il n’aura plus à se préoccuper d’être réélu : elle sera comme son diocèse personnel, aussi longtemps qu’il durera.

Voilà qui peut expliquer les évolutions de Mgr Fellay sur la question. Je fais partie de ceux qui l’ont connu dans d’autres dispositions, je n’en ferai pas l’exégèse mais au fond les « mutins » les plus récents sont sanctionnés pour dire aujourd’hui ce que la FSSPX disait au début du siècle. Ce que leur reproche Mgr Fellay, c’est de continuer à prendre au sérieux, en 2017, ses propos de l’époque.

La réciproque est vraie et nous sommes quelques-uns à avoir été débarqués pour avoir pensé un peu trop tôt (et peut-être un peu trop haut) que la FSSPX ne devait pas développer une mentalité obsidionale.

Cependant, Dieu écrit droit avec nos lignes courbes. Je vous ai dit que l’AFP n’avait retenu qu’une minute de mes quarante, voici les 39 autres : Tôt ou tard la FSSPX sera réintégrée. Dans les faits c’est déjà le cas, le pape François ayant donné ce qui lui manquait encore : juridiction pour les confessions, et pour les mariages, la licéité de ses ordinations, et le pouvoir de juger ses prêtres en 1re instance.

Reste un dernier « coup de tampon » que la Fraternité acceptera parce que Rome accorde tout et ne demande rien en échange. La FSSPX insiste depuis toujours qu’elle est une œuvre d’Eglise, et voilà que le pape partage cette conviction – que demander de plus?

Je m’en réjouis pour la FSSPX, qui est le navire amiral du traditionalisme. JE M’EN REJOUIS SURTOUT ET ENCORE PLUS POUR L’EGLISE, qui depuis quelques années se réapproprie sa Tradition, par des petits pas… parfois décisifs. La libération de la messe traditionnelle est l’un d’eux, et la réintégration de la FSSPX en est un autre (plus de 600 prêtres… 1.500 personnes si on compte les religieux, les sœurs, et les communautés amies). Rome réintègre sa Tradition ! tout est dit, je m’en réjouis et vous aussi bien sûr.

jeudi 25 mai 2017

L'Ascension, une "non-fête" ?

Rien depuis la semaine sainte, rien depuis Pâques et nous voilà déjà à l'Ascension. Cette fête m'a toujours beaucoup marqué pour deux raisons : je me souviendrai toute ma vie du sermon du Père Huot de Longchamp sur l'Ascension qui signifie "cette vie commune entre Dieu et nous". Ces termes m'avaient proprement ravi, j'avais un peu plus de 20 ans et je n'avais pas compris ce dessein de Dieu. L'expression du Prédicateur fait écho à l'Evangile de ce jour : "Je m'en vais vous préparer une place, dit Jésus. Il y a des demeures, nombreuses, dans la maison de mon Père". Demeurer avec Jésus, c'est à quoi nous invitera, dans dix jours, l'Evangile de la Pentecôte : "Celui qui m'aime, mon Père l'aimera et nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure".

En même temps cette fête de la vie commune apparaît comme une anti-fête, parce que Jésus se sépare de nous et que cette séparation, sur terre, est définitive. La liturgie traditionnelle, toujours éloquente dans sa simplicité, propose un petit rituel que je ne manque jamais : après l'Evangile le célébrant éteint solennellement le cierge pascal, qui représente le Christ ressuscité. Pendant le temps de Pâques, le cierge est allumé à chaque messe, car c'est bien Jésus ressuscité qui se rend présent avec son corps et son sang visiblement séparé l'un de l'autre, avec ses plaies apparentes sur son corps glorieux, comme a pu le constater l'apôtre Thomas. Mais lorsque Jésus monte au Ciel, le cierge est solennellement éteint, on ne le rallume plus pendant la messe. Désormais le Ressuscité est assis à la droite de Dieu. Il n'est plus sur la terre.

Cette disparition du Christ, qui nous envoie son Esprit est très difficile. Notre quotidien croyant devient très difficile. L'Esprit on ne le voit pas, il agit silencieusement à l'intérieur de nous, Il nous transforme, mais c'est en secret. Il est partout, "à Jérusalem, dans toute la Judée, la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre"... mais le plus souvent incognito, répandant à l'intime de chacun, la foi surnaturelle, signe divin du bien humain. Le Christ n'est plus visible, ne sera plus visible sur cette terre, où pourtant son Règne arrive.

Ne nous désolons pas ! Jésus n'est plus visible, mais son Règne dans l'Esprit se manifeste chaque jour, ne serait-ce qu'à travers les fameuses "vertus chrétiennes devenues folles". Voyez l'affaire Hanouna. L'animateur a manqué de délicatesse envers les homosexuels, il doit - au minimum - s'en excuser...

"Seigneur est-ce maintenant que tu vas rétablir la Royauté en Israël ?". Nous comprenons bien que la parole des apôtres, qui semblent s'être mis tous ensemble (sun-elthontes dit le grec) pour poser cette question qui leur brûlait les lèvres, est comme l'explication involontaire qui traverse toute cette scène. Les apôtres qui posent cette question ne sont pas n'importe qui. Ils sont déjà les témoins de Jésus ressuscité. Il l'appelle "Seigneur", ils lui donnent, ce disant, son nom divin. Ils savent que ce Royaume est le but de la venue du Christ sur la terre. Il l'a revendiqué haut et fort devant Pilate (Jean 18) : "Tu le dis toi même, je suis roi. Voici pourquoi je suis né, voilà pourquoi je suis venu dans le monde, pour rendre témoignage à la vérité". La vérité et le royaume sont une seule et même réalité cachée. C'est sans doute cela qu'ils n'ont pas compris.

Pour eux, comme pour les intégristes musulmans d'aujourd'hui, le Royaume de Dieu n'est pas spirituel, il est terrestre : "C'est maintenant...". Pour ces juifs pieux que sont les apôtres, le Christ joue avant l'heure le rôle du Mahdi ou de l'imam caché. Oui, pour eux le Royaume de Dieu, c'est maintenant. ils n'ont pas pris garde au faut que Jésus parle plus souvent du "Royaume des cieux" pour signifier que ce Règne qui peut s'exercer  sur la terre, est avant tout spirituel et intérieur. La justice, c'est maintenant ; l'égalité c'est maintenant ; la solidarité c'est maintenant... Non ! Ce n'est pas maintenant. Attention de ne pas céder à la tentation de "temporaliser le Royaume de Dieu" comme disait Jacques Maritain. Sur terre, rien n'est parfait comme dit Madame Michu.

Ce qui se joue dans le temps, ce qui est représenté dans le vieil et magnifique octave de l'Ascension, indûment supprimé, c'est la spiritualisation progressive des hommes que Dieu a choisi comme des frères et des soeurs de son Fils. Le Royaume de Dieu vient chaque jour sans bruit dans le coeur de l'homme, chacun tâchant de se relier à "la vérité première" par une alliance définitive.

samedi 8 avril 2017

La Semaine sainte au Centre Saint-Paul


Dimanche 9 avril : Dimanche des Rameaux :

11 H : Bénédiction et distribution solennelle des Rameaux. Passion selon saint Matthieu. Distribution des Rameaux à 9 H, 10 H, 12 H 30, 19 H
A 18 H : dernier sermon de Carême : l'identité selon les papes de Jean-Paul II à François

Mardi 11 avril : Mardi saint
20 H : Ténèbres anticipées du Vendredi saint

Mercredi 12 avril : Mercredi saint
19 H : Passion selon saint Luc. A Notre-Dame de Paris messe chrismale à 18 H 30

Jeudi 13 avril : Jeudi saint
19 H : Messe vespérale avec le lavement des pieds. Veillée au Reposoir
(De 18 H à 19 H 30, sur Radio Courtoisie, émission préenregistrée dans laquelle Anne Le Pape reçoit Marie-Thérèse Huguet et l'abbé de Tanoüarn : explications sur la Semaine sainte).

Vendredi 14 avril : Vendredi saint
15 H Chemin de la Croix, suivi de la vénération de la Sainte Croix

19 H : Office des présanctifiés, Impropères, Prière universelle, Lecture de la Passion selon saint Jean.

Samedi 15 avril : Samedi saint
21 H 30 : Veillée pascale, bénédiction du feu, Exsultet, Lectures, Consécration de l'eau baptismale, Baptêmes d'adultes, Renouvellement des voeux du baptême, Messe de Pâques

Dimanche 16 avril : saint jour de Pâques
Messes à 9 H, 10 H, 11 H, 12 H 30, 19 H

Les confessions seront assurées tous les jours de la semaine de 9 H à 13 H et de 15 H à 19 H

Adresse 12 rue Saint-Joseph 75 002. Bus 39, 87 Métro Sentier ou Bonne-nouvelle
Renseignements complémentaires : 0615107582




mardi 28 février 2017

Un Carême sur l'Identité

Chers amis, je me permets de donner les heures des cérémonies d'entrée en Carême, ainsi que le programme des Sermons de Carême que je propose cette année.
  
Mercredi 1er mars les messes sont à 8H00 (messe basse) et à 19H00 (messe chantée). Les cendres seront distribuées avant (et même après) chaque messe.. J'assurerai les confessions entre 17H00 et 19H00.

Les messes des dimanches de Carême ont lieu comme d'habitude à 9H00, 10H00, 11H00, 12H30 et 19H00.

Chaque dimanche à partir de dimanche prochain, je prêcherai, à 18H00, un Carême, intitulé cette année Identité et christianisme.

En voici le programme. Le sujet est rebattu c'est vrai, mais il n'a jamais été abordé formellement du point de vue spirituel, où nous allons nous placer. Pour ceux qui le souhaitent, une messe est célébrée immédiatement après, à 19H00.
  • Dimanche 5 mars, 18H00 : Je crois donc je suis : la foi, notre identité à tous
  • Dimanche 12 mars, 18H00 : La charité nous presse : au-delà du compassionnel, la lumière
  • Dimanche 19 mars, 18H : L'Eglise, mère et maîtresse des peuples, significations du christianisme culturel
  • Dimanche 26 mars, 18H00 : Le spirituel et le charnel, création et recréation
  • Dimanche 2 avril, 18H00 : Notre Dieu en chair et en os, de l'incarnation à l'inculturation
  • Dimanche 9 avril, 18H00 : Jean-Paul, Benoît et François, trois théologiens de l'identité

CENTRE SAINT PAUL
12 rue Saint-Joseph
75002 PARIS
Tél.: 09 52 21 77 89
M°: ligne 3 (Bourse / Sentier), lignes 8 et 9 (Grands Boulevards)

samedi 25 février 2017

Païen et chrétien

Un film par an sans subvention d’Etat, sur les sujets les plus difficiles. Une telle fécondité est exceptionnelle. Une telle habileté pour se contenter de budgets microscopiques et faire au mieux avec, cela relève du miracle. Quel miracle ? Celui d’une volonté en acte, qui se sait mystérieusement plus forte que tous les obstacles. Voilà Cheyenne-Marie Carron, une réalisatrice atypique, qui nous offre un monde dans chaque film, avec une générosité sans cesse renouvelée, une sorte de jubilation créatrice, qui dépasse les scénarios attendus et nous propose hardiment une vérité cachée, une vérité à laquelle nous n’avions pas osé penser. C’est l’Apôtre, ce musulman qui se convertit au christianisme parce qu’il a compris la Paternité de Dieu. C’est Patries, avec ce jeune Camerounais qui ayant appris beaucoup de choses en France, ne se satisfait pas de la vie médiocre qu’offre la Banlieue et envisage de revenir au Pays comme entrepreneur. C’est La chute des hommes, dans lequel Cheyenne montre des djihadistes au désert, qui exécutent des otages et se battent entre eux pour la gloire d’Allah ; et puis l’un d’eux qui, devant l’horreur, retrouve sa foi chrétienne, au milieu des cadavres, non pas malgré ce qu’il a fait mais à cause de la brutalité d’un engagement, qu’il finira par renier.

Et voici en 2017 La morsure des dieux. Nous ne sommes plus au Désert, mais en plein Pays Basque, cette terre de caractère, dans laquelle les dieux des morts continuent leur sarabande à l’insu de la plupart des vivants, qui ne veulent rien entendre. Il y a bien – on les aperçoit dans le film – quelques hommes-brebis qui continuent à danser, mais ces démonstrations relèverait du pur folklore si certains êtres ne continuaient pas à vibrer à l’intime d’eux-mêmes pour le vieux Pays, qui persiste dans sa vie cachée tant que certains de ses rejetons perçoivent sa musique, et mettent leur musique intérieure au diapason des Tradition du monde dont ils sont issus. 

En regardant ce film, j’ai pensé au très beau roman d’Eugène Green, La bataille de Roncevaux, qui met en scène, lui aussi, ce pays qui refuse de mourir. Pour tenter de découvrir l’énigme qui constitue le Pays basque, Eugène Green a écrit une sorte de roman policier. Ne s’agit-il pas d’un secret à trouver? Le genre «policier» semble éminemment adapté pour poser cette énigme. Cheyenne Carron a fait l’option inverse. Rien à voir avec un roman policier ! Cette énigme est déjà donnée, comme l’énigme antique proposée par la Sphinge de Thèbes, la solution est dans la question qu’il suffit de bien lire, de bien voir. Elle est à portée de main ? Disons à portée d’objectif. Ce que propose la réalisatrice, à l’inverse d’Eugène Green, ce n’est pas un secret caché. Il suffit de percer la magie des images : que nous acceptions de voir ce que l’on ne sait que regarder… La beauté des images, dans ce film, invite avant tout à abandonner le Moi, pour une vérité hors de moi, une vérité qui n’est pas cachée mais trop apparente, trop offerte pour être vue, vérité dans laquelle Sébastien s’est cherché et croit s’être trouvé ; vérité dans laquelle Juliette est déjà de plain-pied, vérité cosmique, essentiellement féminine, vérité qu’il ne faut pas chercher si l’on veut la trouver, car elle est toujours déjà là.

Sébastien, ce jeune agriculteur, qui a repris des terres ancestrales pour y élever des chèvres, a compris la beauté de cette quête païenne de l’Origine du monde. Mais c’est un homme, il lui faut intellectualiser sa recherche. Il s’est donc constitué un petit autel, avec Cernunos, le dieu Cerf et Mari, la déesse mère vénérée par les Basques. Il connaît le chemin de la source sacrée, qui guérit ceux qui y ont recours. Il prie à l’Eglise aussi, où il retrouve l’ombre de sa mère. Il lui arrive de lire, Henry Miller : il s’identifie à la quête hellénique de l’auteur du Colosse de Maroussi. Mais surtout il milite et tente de constituer, avec les paysans, une Amap, qui soit comme un clan des paysans et leur permette d’échapper aux tarifs léonins pratiqués par le Supermarché voisin. Si la terre se meurt, il est en quelque sorte payé pour le savoir, c’est avant tout parce qu’elle ne permet plus aux hommes qui la cultivent d’en vivre, ou plutôt parce que le Système financier, qui broie les hommes faibles, quelque bienveillants qu’ils soient, ne permet plus une commercialisation normale de ses produits.

Quant à Juliette, elle a compris qu’elle était sa parèdre, que telle était sa place ou son destin, que l’Ordre cosmique ou le Fatum en avait décidé ainsi. Sans doute émue par la pureté de Sébastien, de son enthousiasme et de son engagement, elle choisit d’être à ses côtés, avec une tranquille assurance, sans se laisser impressionner plus que cela par les rebuffades qu’elle subit d’abord, avec, je dirais cette infaillibilité qui caractérise la femme amoureuse. La croix qu’elle arbore tranquillement sur sa poitrine ne laisse aucun doute : elle est chrétienne. Apparemment donc, elle vit à des années lumières de Sébastien, qui se met en tête de l’initier aux Puissances de la nature qu’il révère. Drôle d’entrée en matière ! Elle se laisse faire, souriante, mais au fond n’est-ce pas elle, n’est-ce pas son amour si supérieur à toutes les amourettes de rencontre, programmées sur Internet, n’est-ce pas sa sérénité tranquille qui leur permettra, à tous deux, de communier avec le cosmos?

Sébastien est inquiet, mental et militant. Au fond il n’a pas trouvé, parce qu’il n’a pas vu, pas encore, que Juliette est tout ce qu’il cherche, et que son christianisme semble la renforcer encore dans son éloquence muette, en l’ancrant inconditionnellement dans l’Amour, comme elle le lui expliquera.

Cette histoire d’amour entre Juliette et Sébastien aurait pu être une pochade. En réalité, c’est une sorte de parabole, qui permet de comprendre les rapports entre le paganisme et le christianisme, rapports que d’aucuns dans les années 70 avaient voulu rendre conflictuels, en les badigeonnant d’un nietzschéisme de bazar, rapports que Cheyenne Carron pressent comme absolument complémentaires, et je dois dire que sur ce point je ne saurais lui donner tort. Il y a une étroite symbiose, mais elle est à redécouvrir aujourd’hui, entre l’arbre de la nature et l’arbre de la grâce, comme parle Péguy. Quand l’arbre de la grâce est raciné profond » il est plein d’une sève naturelle, qui le fait vivre.  A ce moment, on peut dire avec saint Thomas d’Aquin que « la grâce agit selon le mode de la nature ». 

Je ne veux pas transformer cette critique agréable en un article de théologie, mais il faudra le faire, cet article, et y venir : l’actuelle faiblesse du christianisme en Europe n’a-t-elle pas son origine dans le divorce entre la nature et la grâce, opéré fort légèrement par de soi-disant spécialistes de la Pastorale, soucieux de faire des petits chrétiens propres sur eux, comme on fait les cornichons : en bocaux ? Marcel De Corte, Gustave Thibon, Charles Péguy, Gilbert Keith Chesterton l’ont pensé très fort… Cheyenne-Marie Carron nous le montre en images. Son héros, Sébastien, part en moto à travers l’Europe pour digérer son échec. Mais il sait bien que son équilibre, il le retrouvera, pour l’épouser lui-même, dans ce que j’aimerais appeler le catholicisme médiéval de Juliette.

mercredi 15 février 2017

Silence!

Le dernier film de Martin Scorsese impose silence à la critique dès son titre. C'est pourquoi d'ailleurs ceci n'est pas une critique, mais une méditation sur ce film, sur la foi donc, et sur la trahison, telles qu'elles apparaissent à ce grand artiste, en quête de vérité.

Cette oeuvre grandiose que le cinéaste aurait médité pendant vingt ans, est évidemment scandaleuse, elle est un objet de scandale pour qui la prend dans la figure : 2 H 40 sur une histoire de martyrs qui s'offrent ou se dérobent au sabre de l'Inquisiteur, ce n'est pas folichon comme intrigue ; 2 H 40 d'un terrible pilpoul dont l'enjeu est la vie ou la mort, la mort du martyre qui donne la vie ou la vie du pékin moyen qui se termine toujours par la mort : le film se termine d'ailleurs... dans un cercueil ! 2 H 40 d'images sur le Japon du XVIIème siècle, où les visages sont "impénétrables" et les tempéraments de feu, où les chrétiens japonais sont persécutés et menacés à tout moment de supplices qu'en français courant nous qualifions de chinois, mais où les communautés créées par saint François Xavier au Pays du Soleil levant n'ont pas vu de prêtres depuis des décennies.

Toute la première partie du film s'engage sur le quiproquo que crée cette situation : deux jésuites portugais, le Père Garupe et le Père Rodrigues, débarquent clandestinement dans l'Archipel pour avoir des nouvelles de leur ancien Père maître le Père Ferreira, un personnage qu'ils admirent et dont ils ont fait leur idéal religieux. On pourrait presque dire qu'ils le vénèrent comme un saint. Mais très vite, leur mission prend une autre dimension : les deux hommes sont littéralement happés par les communautés chrétiennes clandestines qui vivent dans des villages au bord de l'eau. Leur foi d'écolier enthousiaste va mûrir, plus vite d'ailleurs chez l'un que chez l'autre, au contact des héros que sont les chrétiens japonais sans nom et leurs porte parole, Ichizo et Mokichi.

La première partie du film est un hommage à cette foi des laïcs japonais, naguère évangélisés par saint François-Xavier, et qui sont restés des années sans prêtres, dans une ferveur que la perspective du martyre venait encore stimuler. Certains trouveront sans doute que la seule promesse du paradis ("paradison", "paradise" reprend le Père Rodrigues en anglais) n'est pas suffisante pour justifier leur résistance au grand inquisiteur et leur mort. Mais n'est-ce pas l'élan du martyr, cette volonté d'une vie heureuse que le fidèle n'a pas découverte sur la terre ? Je ne suis pas sûr qu'il faille se choquer de cette attitude simple, fruste sans doute mais profondément vraie, qui correspond trop à l'instabilité de la condition humaine pour être écartée d'un revers de main... L'un des deux prêtres, le Père Garupe, cherchant de façon désespérée à venir en aide aux martyrs et devenu martyr lui-même, entendra cette leçon du peuple japonais chrétien, cette leçon qui par sa simplicité dépasse bien sûr les études compliquées des deux jeunes prêtres, mais qui aurait dû les confirmer tous deux dans leur foi. Il y a dans ce film, curieusement, une réflexion sur la religion populaire et sur le décalage des clercs par rapport à la piété des laïcs, décalage que certains parviennent à surmonter (le Père Garupe) d'autres non (le Père Rodrigues). Que se passe-t-il lorsque la religion savante l'emporte sur cet instinct de la foi et le fait oublier ? La foi disparaît, c'est sans doute l'un des aspects de la crise actuelle de l'Eglise, issue non seulement du concile Vatican II mais d'une tentation d'intellectualisme née dès les années 30 dans l'Eglise et qui, comme l'expliquait le Père Serge Bonnet dans les années 70, a fini par détruire l'authenticité (évidemment sacrificielle) de la religion populaire.

Cette explication n'est pas inutile pour nous faire comprendre le personnage de l'autre prêtre, le Père Rodriguès, à la personnalité certainement plus complexe que celle de son confrère Garupe. Rodriguès est certainement le principal porte-parole de Scorsese, il est notre contemporain : un bobo débarquant (volontairement me semble-t-il) dans cette histoire d'un autre âge, un enthousiaste, auquel sa longue attente dans les prisons d'Inoué "l'inquisiteur", donne l'occasion d'affirmer sa foi, mais aussi un personnage "arrogant", occupé de lui-même, qui dès le  début du film exhorte les futurs martyrs à "piétiner la croix" pour "rester vivants". Il a conscience, à tel ou tel moment du film, que les circonstances extrêmes dans lesquelles il se débat, surimposent à sa propre destinée celle du Christ et du Christ crucifié. La scène où, se regardant dans l'eau, parce qu'il aime sa propre image, il découvre en surimposition celle du Christ qu'il a vénéré durant son noviciat, du Christ crucifié, martyrisé, lui paraît insupportable. Il part dans un rire nerveux qui présage de la suite. Comme le dit sentencieusement Inoué, l'inquisiteur : "Il est arrogant, il trahira". Il est notre contemporain, il aime son image, il se chérit lui-même, admire son propre courage... Il ne peut pas terminer comme un martyr banal. Il voit le martyre de son confrère le Père Garupe. Caché dans la forêt, il voit les martyrs du village chrétien qui les avait accueillis. Ces images, dans leur inutilité, lui sont insupportables. Même la scène christique de la crucifixion de Mokichi et d'Ichizo, dans la marée montante qui finalement les submergera, ne suffit pas à lui montrer l'identification au Christ que suppose toute foi... Il pose à haute voix, plusieurs fois, la question du silence de Dieu. Ce silence lui semble insupportable.

Le Christ manquerait-il de compassion ? Le Père Rodrigues, lui, éprouve immédiatement une immense compassion pour le personnage de leur guide, celui qui les introduit dans le village chrétien, celui qui a déjà trahi le Christ en refusant le martyre et qui le trahira plusieurs fois au cours de cette histoire. Cette compassion, c'est celle de la morale contemporaine, qui n'a au fond rien à voir avec la charité. Après chaque trahison Kichigiro (c'est son nom), littéralement habité par sa peur, vient demander à Rodriguès de le confesser et Rodriguès, saisi par l'inutilité apparente du sacrement, s'exécute : il le confesse, encore et encore et jette le manteau de Noé sur ses trahisons successives, quel qu'en puisse être le coût humain. Kichigiro reconnaît "sa faiblesse", implore la miséricorde, ce que n'avait pas su faire Judas, mais, comme Judas, il ne touche pas à l'argent qui récompense sa lâcheté. Kichigiro restera toute sa vie avec Rodriguès, comme son double monstrueux, mais lui finira par mourir martyr après que les agents d'Inoué ait découvert une image du Christ qu'il portait sur lui. On a envie de dire : mais où va se nicher la fidélité ? C'est peut-être cela d'ailleurs le vrai sujet du film : l'omniprésence de la foi dans chaque personnage, sous la forme d'une fidélité.

Il y a deux manières de comprendre la deuxième partie de ce film, entièrement consacrée à un martyre, celui du Père Rodrigues, qui n'aura pas lieu. Rationellement on sera attentif à cette expérience du silence de Dieu, à cet apparent manque de compassion du Christ pour ses disciples victimes du martyre, à l'inutilité de leur souffrance, au discours de l'Inquisiteur sur la stérilité de l'Eglise au Japon, sur le "marécage japonais" dans lequel rien ne pousse, sur la vanité des missions étrangères, qui répandent une religion qui n'a rien à voir avec la population (la première partie du film dément pourtant ces raisonnement captieux, le film lui-même est dédié aux fidèles japonais). Il est permis de voir dans le film de Scorsese un Christ nihiliste, dont la dernière tentation au Ciel, est de préférer la compassion à la charité, l'interdit moderne de la souffrance à sa divinisation chrétienne. C'est ce qu'a bien vu Hubert Champrun dans sa critique de Monde et vie.

Le noeud de l'interprétation est aussi le moment clé du film, où le Père Rodrigues va finir par marcher sur la croix comme le lui demande son bourreau. Il le fait pour sauver d'une mort horrible quatre fidèles japonais dont le sang s'écoule goutte à goutte dans une fosse dans laquelle ils sont suspendus la tête en bas. La charité peut-elle tenir devant l'impératif de la compassion ? Qui saurait le dire ?  Dans la conscience embrouillée du Père Rodriguès résonne une voix off, lui demandant de piétiner la croix. Qui se cache derrière cette voix off ? Le Christ, comme l'affirme Champrun ? La conscience tourmentée du Pere Rodrigues, comme le pense François Huguenin ?  Le diable propose Laurent Dandrieu. Rodrigues lui-même ne sait plus et il craque. Peut-être, en cet instant décisif, est-ce la voix doucereuse du Père Ferreira, retrouvé in extremis par l'intervention expresse d'Inoué le grand Inquisiteur, qui sera décisive ?

Cette grande figure jésuite a tout trahi. Ferreira s'est converti au bouddhisme. Il se livre en toute tranquillité à des études d'astronomie, avec la bénédiction inquisitrice d'Inoué. Oui c'est cette voix sans doute, la voix de celui que  Rodrigues était venu chercher sans vouloir croire à la rumeur de sa trahison, c'est la voix du mentor, la voix du maître si longtemps respecté qui l'emporte au dernier moment et qui  décidera de la destinée du jeune "Padre".. Ferreira est le seul traître parfait dans le film. Il a perdu la foi. Il semble parfaitement heureux dans sa nouvelle vie. Rodrigues, marié à une Japonaise, aura sans doute tenté de suivre ce maître sur la voie du parfait reniement. Il exauce ainsi le voeu le plus profond d'Inoué le vieux samouraï défenseur des traditions japonaises, qui continue à le surveiller pour qu'il ne revienne pas à sa foi chrétienne.

Le persécuteur ira jusqu'à organiser les funérailles bouddhistes du Padre, dont la caméra nous découvre in extremis qu'il porte au creux de sa main une petite croix. Pas n'importe laquelle : celle que lui avait donnée Ichizo, le vieux chrétien martyr. Rodrigues, avec son orgueil, sa fatuité, son arrogance, a officiellement perdu la foi, il semble "perdu pour Dieu". Mais on n'en finit pas si facilement que cela avec son identité spirituelle. La foi se cache ? Elle est bien là, c'est l'autre compréhension que l'on peut avoir de ce film : quand même on voudrait quitter la foi, on n'échappe pas à une forme de fidélité cachée, qui au dernier moment intercède pour l'homme. On peut observer qu'à travers cet humble petit objet, qui aura longtemps été le seul signe chrétien autour duquel se réunissait la communauté japonaise, ce n'est pas la foi jésuite acquise au noviciat qui sauve Rodrigues. C'est la foi populaire des laïcs martyrisés qui aura finalement évangélisé son Pasteur autoproclamé, en lui offrant, à travers cette petite croix, l'ultime médiation à travers laquelle s'affirme, indéracinable, son Credo, c'est-à-dire - et ce n'est absolument pas étranger à Scorsese - son salut.