mardi 30 décembre 2014

Popularité de François : mais où sont les pratiquants ? [par Hector]

[par Hector] Je ne sais pas si, au milieu des préparations de Noël, de vos vacances ou de votre repos bien mérité, vous vous êtes intéressés au dernier sondage sur le pape François (sondaqe Odoxa de décembre 2014 réalisé pour iTélé et Le Parisien-Aujourd'hui en France). Les articles de presse qui font état de cette enquête sont tous à l’unisson : « record de popularité », « exceptionnelle popularité », etc. Les termes sont flatteurs et quel politicien en mal de popularité ou star déchue ne rêverait pas de qualificatifs aussi élogieux?

Les éléments du sondage sont largement positifs : 89% des sondés ont une bonne image de François, et la cote de popularité semble élevée quelle que soit l’orientation politique du sondé. Les Français de gauche l’aiment à 93% et ceux de droite, à 85%. François fait donc consensus chez tous les Français politisés (au passage, quelle serait la popularité de François chez ceux qui ne veulent pas se situer ? Ils sont aussi légion…). L’homme, voire le style, car les deux semblent liés, plaît incontestablement.

Le sondage traite aussi de l’Église et se son rôle dans l’espace public. Il ne semble pas catastrophique : 55% des Français estiment que « l’Église est à sa juste place en France, ni trop interventionniste, ni trop passive dans la société » (Le Figaro). On pourrait supposer que la popularité du pape François, qui déteint sur l’Église et sa hiérarchie, rend leurs prises de position sur les questions dites de société moins clivantes. On s’en réjouira, car il est habile que le médecin sache faire avaler la pilule (sans aucun jeu de mots de notre part).

Pourtant, il y a ce détail qui change tout : dans toutes les dépêches qui font état de ce sondage, on nous indique à la fin qu’il y a 3% de pratiquants dans le lot des sondés. C’est un peu le hic de l’enquête : la popularité du pape François, c’est un peu celle du type que l’on aime bien sans que cela change quoi que ce soit à votre vie. François, on l’aime bien, soit, mais de loin. Comme nous le remarquions, c’est un peu à un public absent (des églises) que le discours new look s’adresse. Fermez le ban !

dimanche 28 décembre 2014

Soumission : le dernier Houellebecq entre mystique et politique [par l'abbé de Tanoüarn]

Le roman doit paraître le 7 janvier. Son sujet est explosif : l'avenir de l'islam en France. Un bel avenir assurément nous dit Houellebecq, un avenir fécond. Un avenir... radieux ? Même Télérama, pourtant échaudé par la célèbre sortie de l'écrivain dans Plateforme sur "l'islam la religion la plus con", a daigné trouver qu'il fallait lire ce livre, que Houellebecq était "notre contemporain capital" de substitution (après Sartre, mazette !) et que, sur l'islam, heureusement, cette fois, sa perspective n'était pas totalement critique. 

Je crois vraiment qu'il y a mille manières de lire ce livre et que c'est justement pour cela qu'il faudra l'avoir lu, que Soumission sera, mais en plus grave, notre "Bataille d'Hernani" à nous, qu'il y aura, dans la littérature et dans la Culture un avant Soumission et un après Soumission. On distinguera non seulement les pour et les contre, mais, l'ayant lu, les houellebecquiens, islamophiles guénono-nietzschéens et les houellebecquiens islamophobes identitaires et chrétiens. La Bataille d'Hernani sera une bataille interne... entre amateurs divergents... avec un enjeu bien plus grave que la manière de faire un vers selon le fameux enjambement de l'escalier... dérobé ou pas. L'enjeu de Soumission, c'est l'avenir de notre vieux pays, tout simplement. De quoi en venir aux mains comme au temps du Comte Hugo ? Sans doute pas : la plupart d'entre nous accepteront... la soumission, c'est manifestement ce que pense l'auteur de Soumission.

J'évoque l'avenir de notre vieux pays... Cela fait déjà quelques années que Houellebecq ne se montre guère optimiste à ce sujet. Dans La Carte et le territoire (2010), il envisageait la France comme un Parc d'attraction aux dimensions du monde, vivant essentiellement de la seule industrie que la mondialisation n'a pas fait périr : le tourisme. C'est l'esprit d'Amélie Poulain étendu à l'ensemble du territoire : on restaure le glorieux passé, on l'aménage pour le présent, et on se donne ainsi le droit de faire chauffer les cartes bleues des touristes de passage.

Oh ! Cette fois, il est plus optimiste pour la France Michel Houellebecq. Il la voit comme pionnière en Europe, sous la présidence d'un brillant sujet, fils d'un épicier tunisien installé dans le XVIème arrondissement, Ben Abbes, devenu président de la République à la faveur du déclin des Partis politiques traditionnels. Tonnerre dans la vie politique française : l'alternance entre centre gauche et centre droit, c'est fini. Face à Marine Le Pen, Ben Abbes se fait élire par son parti Fraternité musulmane, devenu le fer de lance d'un nouveau Front républicain incluant, comme nouveau moteur, les musulmans de France. Nous sommes en 2022. François Bayrou devient le Premier ministre du nouveau Président Ben Abbes. Houellebecq nous en fait un croquis à la Daumier.

Quand on y réfléchit, le mécanisme électoral imaginé par le romancier est tout à fait crédible. A force de manquer de programme, à force de livrer la France à une Europe qui, pour Houellebecq est "déjà morte", les partis traditionnels d'une part, le Front national involontairement, mais parce qu'il est là, d'autre part, font le jeu du changement le plus radical et de l'islamisation de la France.

Mais j'ai mauvaise grâce à ne mettre en cause que les politiques. Le livre Soumission est un roman total. Il cherche la vérité sur tous les sujets. La mort de nos sociétés qui sont encore occidentales - mais pour combien de temps ? - n'est pas seulement la faute des Politiques. En l'espèce, ces gens seraient plutôt des symptômes. Le mal est plus profond, il est... spirituel. Et puis aussi sexuel, mais c'est la même chose (nous sommes dans Houellebecq ne l'oublions pas : le sexe est chez certains de ses personnages tout ce qui reste de l'esprit ou une manière de le désigner).

Le héros autour duquel se construit le roman est un universitaire spécialiste du célèbre romancier converti au catholicisme Joris Karl Huysmans. La vie du biographe se confond parfois avec l'ombre de "son" grand écrivain. L'un et l'autre sont étonnamment houellebecquiens. Surprise, qui n'est vraiment pas houellebecquienne, elle : il y a trois pèlerinages dans ce livre, l'un, plutôt involontaire chez notre héros, dans la ville d'un très vieux Charles, qui est encore aujourd'hui le village de Martel, le second, dans la foulée, à Notre Dame de Rocamadour, le dernier au monastère de Ligugé (où a vécu Huysmans, devenu oblat bénédictin). Mais alors, sommes-nous dans un roman catholique ? Plutôt dans l'autopsie de ce qu'il fut. Houellebecq ici se fait critique littéraire (ce n'est pas la première fois, il a consacré tout un livre à Lovecraft). Il se montre d'une étonnante pénétration. Il s'agit de comprendre pourquoi cette culture catholique, si belle qu'elle ait été, ne pénètre plus, pourquoi elle ne trouve qu'un jeune public "humanitaire et asexué", et pourquoi elle n'entame pas l'athéisme déclaré du Professeur de Lettres, pourtant spécialiste de Huysmans.

Ce point est certainement l'un des plus obscures du livre. Il me semble que c'est le point obscure qui explique (je n'ose pas dire : qui éclaire) tout. Michel Houellebecq pense de Huysmans ce qu'il pense aussi de Péguy (dont il cite pourtant, avec une admiration manifeste plusieurs quatrains lyriques sur "ceux qui sont morts pour la terre charnelle") : ni l'un ni l'autre ne sont en état de comprendre la statue de Notre Dame de Rocamadour, dans son austérité et sa majesté muette. Que cherchent-ils en définitive ? Dieu ? Pas sûr finalement. Une culture plutôt, une culture charnelle qui les mettait en accord avec eux-mêmes, mais qui a fait son temps, parce que c'était celle de leur temps. A Ligugé, c'est avant tout un apaisement qu'a trouvé Huysmans. La foi ? C'est la grande muette. D'ailleurs, assis une demi heure devant la Vierge de Rocamadour, notre universitaire, décidément, ne l'a pas trouvée. A la fin du livre, avant ou après sa conversion, il ne la trouvera pas davantage dans l'islam. Il annonce que pour lui, la récitation solennelle de la Chaada signifie aussi la fin de toute recherche intellectuelle. Ce qu'il trouve dans l'islam, c'est ce qu'a trouvé Huysmans à Ligugé, ce qui met fin à l'irritant désir de savoir comme à toutes les aventures sexuelles incontrôlées : l'apaisement.

Et d'abord l'apaisement des sens. Dans le plus pur style houellebecquien, nous avons droit, dans les dernières pages du livre, à une apologie de la polygamie, à travers la curieuse idée de la sélection des mâles les plus aptes. Apologie dérisoire bien sûr, même si, j'en suis sûr, certains lecteurs ne manqueront pas de la prendre au premier degré, comme ils prendront sans doute au premier degré les longues défenses et démonstrations de la vérité de l'islam et bien d'autres considérations de ce livre, le plus étrange, le plus profond qu'ait écrit Michel Houellebecq, le plus difficile à décrypter.

Cet éloge de la polygamie est très important dans l'économie de la critique houellebecquienne pour trois raisons, au moins :

On y retrouve le thème cher à l'auteur d'une rationalisation de l'énergie sexuelle à travers la loi de l'offre et de la demande. Le sexe n'est rien d'autre ici qu'un produit commercial. Il est soumis à une seule loi : celle du Marché. Et l'islam, avec sa claire distinction des rôles masculin et féminin, est compatible avec cette optimisation des échanges sexuels dans une consommation "ordonnée". Au contraire, "du fait de leur narcissisme exacerbé, les Occidentaux n'arrivent plus à coucher ensemble..." (Bernard Maris, Houellebecq économiste p. 123). Comme disait Lacan, précurseur, "il n'y a pas de relation sexuelle". Le sexe occidental, expression de l'amour, est trop cher pour être consommable autrement qu'à travers les succédanés de la pornographie et de l'amour tarifé. [Attention : Houellebecq n'approuve pas, il décrit et il décrit non pas la vie de tous les couples, mais une tendance lourde].

Deuxième raison : dans le livre, il est très peu question d'immigration et d'immigrés. L'Occident semble s'islamiser de l'intérieur. Les agents de l'islam sont souvent des convertis, comme ce M. Rediger qui dirige la Sorbonne islamique après une thèse sur Guénon nietzschéen. Ce que dénonce Houellebecq, c'est la conversion (la soumission) de l'Occident. Il évoque également une forme de "collaboration" des élites intellectuelles, en laissant son héros susurrer que cette collaboration-là est bien naturelle. Quel rapport avec la polygamie, direz-vous ? L'un des instruments de la conversion des mâles (c'est ce qu'explique notre héros sans gêne apparente) est ce retour sécurisant des vieux schémas sur le mâle et la femelle, sur la supériorité du mâle et la pluralité des femelles. Ce sont aussi ces schémas "essentialistes" que l'on trouve dans la Métaphysique des sexes de Julius Evola, où l'homme est le soleil et la femme la lune, qui emprunte sa lumière au soleil. Dans le Coran, vous le savez, l'image est celle du champ et de la charrue. Aussi élémentaire. Comment disait Houellebecq déjà ?

Troisième raison, apparentée à la précédente, mais que l'on ne trouve pas dans Houellebecq : ce qui est en question ce sont les personnes et les relations personnelles. Trop compliquées ? On peut dire que la polygamie permet d'en faire l'économie, en ramenant la sexualité à un modèle consumériste, ordonné finalement à la satisfaction des deux parties. Ce modèle apparaît comme l'inverse de l'amour à l'Occidental, reposant dans la durée, chacun le sait, sur l'insatisfaction acceptée ou provoquée des deux parties et sur la recherche d'un au-delà de la satisfaction qui s'appelle l'amour. 2000 ans de christianisme, c'est ce qui a permis ce rapport personnel égalitaire et différencié que j'avais appelé du nom un peu pompeux d'unidualité dans mon Histoire du mal et d'ailleurs aussi sur ce Blog. Si l'on fait abstraction de cette dimension personnaliste de l'amour, au motif qu'elle serait trop compliquée à vivre, il n'y a plus qu'à faire avec les vieux schémas essentialistes de l'homme principe actif et de la femme pôle passif (comme dit à peu près Evola). Et alors là : malheur à qui dépasse du moule.

Note en marge : si vous voulez des exemples de ce "malheur", allez vite voir cet extraordinaire film qui s'appelle Timbuktu d'Abderrahmane Sissako, sur l'application de la charia à des populations noires musulmanes qui ne la connaissent pas, par des mercenaires arabes ou occidentaux (français entre autres) qui imposent leur ordre (matrimonial par exemple), juchés sur des 4X4 flambant neufs et armés jusqu'aux dents. Il n'est pas question de charia dans le livre de Houellebecq, mais seulement de conversion. La charia est la deuxième étape. Ce qui rend ce film fascinant et unique, ce sont aussi les "paysages urbains" typique de la Mauritanie, les ocres de cette ville de Oualata, posée comme une complexe pièce montée dans le sable du désert.

vendredi 19 décembre 2014

Ce que serait le Troisième secret... [par l'abbé de Tanoüarn]

Je vous ai parlé du lien que le cardinal Ratzinger faisait lui-même entre le troisième secret de Fatima et le secret d'Akita au Japon qu'était venu lui porter Mgr Ito de la part de la voyante. La dernière apparition de la Vierge a eu lieu un 13 octobre 1973, le jour anniversaire du 13 octobre 1917 où eu lieu la terrible danse du soleil à Fatima. 

Voici ce que dit la Vierge à la voyante en 1973 : « L’action du diable s’infiltrera même dans l’Église, de sorte qu’on verra des cardinaux s’opposer à des cardinaux et des évêques se dresser contre d’autres évêques. Les prêtres qui me vénèrent seront méprisés et combattus par leurs confrères. Les églises et les autels seront saccagés. L’Église sera pleine de ceux qui acceptent les compromis. Le démon poussera beaucoup de prêtres et de consacrés à quitter le service du Seigneur. Il s’acharnera spécialement contre les âmes consacrées à Dieu. La perspective de la perte de nombreuses âmes me rend triste. Déjà la coupe déborde; si les péchés croissent en nombre et en gravité, bientôt il n’y aura plus de pardon pour ceux-ci. » Vous pouvez vous reporter au très beau et très audacieux post d'Yves Daoudal sur son site... 

Si le message d'Akita représente, "dans ses mots mêmes" comme a dit le cardinal Ratzinger à Mgr Ito, des ressemblances frappantes avec le Troisième secret de Fatima, on comprend bien les raisons qui ont poussé le cardinal à ne pas diffuser plus que la vision du troisième secret et à "oublier" le commentaire qui a dû en être fait par la Vierge elle-même, comme cela s'était passé pour les deux autres secrets. Et on entrevoit la raison pour laquelle le secret devait être diffusé "avant 1960", alors que le grand chambardement remonte à cette période, qui est celle qui prépare et qui accomplit dans l'Eglise la Révolution culturelle de Mai 68.

A noter : le film de Pierre Barnérias reste discret sur la teneur de ces secrets, que ce soit celui de Fatima ou celui d'Akita. Cela rend l'enquête du journaliste d'autant plus crédible qu'il ne s'aventure jamais sur un terrain théologique ou justiciable de la théologie.

samedi 13 décembre 2014

Le Troisième secret au Cinéma [par l'abbé de Tanoüarn]

Lorsque j'ai appris cela, j'ai cru que c'était un gag. Mais voilà que Marc, mon vieil ami, genre cathophile agnostique, me téléphone : "As-tu entendu, vu, que penses-tu de M ou le troisième secret de Fatima ?". Cette fois pas de doute : il y a un cinéaste, Pierre Barnérias, qui a osé faire ce film sur le troisième secret. Ce n'est plus radio-bigote. Ca existe en vrai. Marc est volontaire pour aller le voir une deuxième fois, parce que, me dit-il, "je t'avoue que je n'ai pas tout compris". Rendez-vous est donc pris Rue Saint-André des arts. Deux heures. On voit à peine passer le temps au cours de ce documentaire qui nous emmène aux quatre coins de la Planète, dans une enquête un peu échevelée sur... le surnaturel chrétien, et plus précisément sur le miracle catholique. Tout y passe : les images "interdites" de la messe au cours de laquelle, Mgr Decourtray officiant, l'hostie était restée dix centimètres au dessus de la nappe d'autel pendant un quart d'heure ; les icônes qui suintent de l'huile, non seulement en Syrie mais en banlieue parisienne ; la foudre qui tombe sur le Vatican au moment de la démission de Benoît XVI. Barnerias raconte. Il accumule. A vous de juger, semble-t-il nous dire. Je me tourne vers Marc, optimiste : "D'accord à 80 % - A 60 % tu veux dire". Je ne chipoterais pas : on n'est pas à 20 % près. Je dirais même : s'il n'y avait que 10 % de dur, 10 % d'irréfutable... Cela suffirait ! Je m'abstiens pour l'instant d'expliquer cela à mon voisin : le film n'est pas fini. Ca continue, un peu genre "Des racines et des ailes" me précisera Marc. C'est vrai, c'est du gros cinéma. Mais il y a des trucs... Impossibles!

Cette miraculée de Lourdes, d'abord, handicapée et réparée, qui ne croyait pas à son propre miracle et qui nous explique cela le plus naturellement du monde : "J'ai bien senti qu'il y avait quelque chose, mais je n'ai rien dit. J'ai eu trop peur qu'on se f... de moi. Divorcée, remariée, pourquoi moi ?" Ce miracle n'a d'ailleurs pas été reconnu par la Commission ad hoc, mais la miraculée est impressionnante. Jean-Pierre Mocky aurait dû avoir l'honnêteté de rencontrer des gens comme cela avant de faire son film idiot.

Dans l'architecture foisonnante du film, cette femme n'est d'ailleurs qu'un exemple, une illustration devrais-je dire. Le journaliste qu'est Barnerias enquête sur le miracle de l'huile à L'Haÿ-les-roses. Ca, si j'ose dire, je connais déjà. J'ai vu, nous avons visionné il y a quelques années au Centre Saint Paul la cassette de mon ami Nicolas. Un tel miracle était arrivé dans sa famille près d'Alep. On sait ce que ce pays est devenu depuis. La Vierge demande à ces gens de ne pas avoir peur. Barnérias, huissiers à la clé, authentifie le caractère inexplicable de ce fait.

C'est alors que notre cinéaste sans peur et sans reproche s'intéresse à Fatima. Il nous raconte la danse du soleil, devant 60.000 personnes, croyantes et incroyantes, qui ont laissé des témoignages. En fait, c'est le troisième secret qui l'intéresse : officiellement d'après le cardinal Ratzinger, à l'époque préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, ce secret consiste en la vision par les petits voyants d'un homme en blanc tué à coups de fusil. La vision est aujourd'hui publiée. Elle concerne l'attentat d'Ali Agça contre le pape Jean-Paul II en 1980, souligne le cardinal. Bref, la prophétie a eu lieu : circulez rien à voir. Barnerias ne se satisfait pas de cette explication. Il remarque d'ailleurs que lors de sa dernière visite à Fatima (visite à l'occasion de laquelle le secret avait été dévoilé), alors que le cardinal Ratzinger avait donné cette explication sensée rassurante, Jean-Paul II, lui, sur la grande esplanade du Sanctuaire, avait fait un sermon apocalyptique... Comme s'il voulait se faire l'écho, par là, du véritable message de Notre Dame.

Qu'en est-il ?

L'enquête devient intense. Barnérias part à Kito au Japon où le visage d'une statue de la Vierge a été marquée de taches de sang. Le Japon, nous l'avions vu au début du film, c'est le pays de Notre Dame de la bombe, cette statue mystérieusement épargnée par l'apocalypse de Nagazaki, en 1945, alors qu'elle se trouvait presque à l'épicentre du rayonnement monstrueux de la charge nucléaire. Au Japon, à Akita, la Vierge se confie à une religieuse sourde, que nous voyons au cours de ce film (pas une allumée, c'est sûr)... Et elle pleure des larmes de sang. Mais cela ne suffit pas à Barnérias. C'est à Rhode qu'il aura ce que j'appellerais sa clé de l'énigme. Une convertie, Vassula Ryden, a eu l'occasion de voir Mgr Ito, évêque de cette ville d'Akita, qui est justement le lieu des apparitions japonaises. Mgr Ito sortait de chez le cardinal Ratzinger. Il lui avait confié le secret de Notre Dame d'Akita. Le Préfet l'avait gardé pendant une nuit. Il lui avait rendu le lendemain sans commentaire : "Eminence, vous voulez envoyer un enquêteur sur place pour que l'Eglise se prononce sur les apparitions - Je n'ai pas besoin d'enquêteur. Ce secret correspond parfois mot à mot au secret de Fatima". Il s'agit donc bien d'événements terribles qui vont toucher l'humanité et d'une crise de la foi qui est sans précédent.

La cause semble jugée. Le cardinal Ratzinger a cru devoir finasser à propos du secret, mais il ne croit pas lui-même à la version qu'il a rendue publique. Cette réserve permettait sans doute de ne pas effrayer les populations et de ne pas démoraliser ce qui reste de l'Eglise.

Dans son film, Barnerias ne fait pas d'explication de texte. Il montre. Et il nous laisse conclure.

Personnellement, j'avais publié dans Pacte une analyse du troisième secret tel qu'il avait été révélé par le cardinal Ratzinger. Pour moi, il est authentique. La vision est authentique. Mais "on" a enlevé le commentaire de cette vision, pour pouvoir, en toute tranquillité identifier l'homme en blanc du texte que nous possédons avec le pape Jean-Paul II en invoquant l'attentat de 1980. Oui, cette vision est probablement authentique, elle est rédigée de la main de Soeur lucie. Mais elle est incomplète. Que signifie cet homme en blanc qui défaille? Est-ce en sa vie qu'il est menacé ou dans sa fonction : il nous aurait fallu le texte. Dans les trois secrets, à chaque fois, il y a d'abord une vision, puis un commentaire. Le commentaire du dernier secret manque. Il est très probable que ce commentaire commençait par ces mots du dernier mémoire, qui ont comme échappé à Soeur Lucie : "Au Portugal se conservera le dogme de la foi". Mais ailleurs? Le dogme de la foi... Qui peut comprendre, comprenne.

jeudi 11 décembre 2014

Il est encore temps [par l'abbé de Tanoüarn]

Je voudrais vous parler de Marie Heurtin, le film de Jean-Pierre Améris avec Isabelle Carré et Ariana Rivoire. C'est l'histoire d'une aveugle sourde et muette - sorte d'enfant sauvage au début du film - qui prend conscience de son humanité et apprend à communiquer - sans peur - avec le monde grâce au dévouement sans limite et à l'ingéniosité d'une religieuse. Peut-on se projeter ? - Non direz-vous : je ne suis pas infirme. - Si : devant Dieu nous sommes tous des aveugles sourds et muets.

Il a fallu trois étapes à cette jeune Marie-Ariana (qui dans la vie est vraiment sourde de naissance) : d'abord la connaissance, que peut-on faire sans ? Elle a compris, par geste dans sa main, ce qu'était un couteau, puis une fourchette etc. C'est le dévouement et la persévérance de Soeur Marguerite (et la sagesse d'une très belle Mère sup) qui ont eu raison de l'état d'incommunicabilité où elle était plongée.

Deuxième stade : l'amour. Cette jeune fille s'éprend de la religieuse qui l'a sauvée, c'est un amour total et sans ambiguïté. Mais elle aurait pu penser que c'était elle la handicapée, qu'elle avait tous les droits et que le dévouement était à sens unique : toujours vers elle. Lorsque Soeur Marguerite tombe malade, elle sent que, toute infirme qu'elle soit et si maladroite, elle doit aider son amie : une scène à pleurer de beauté, qui nous montre que seul l'amour mutuel est l'amour.

Troisième stade : l'espérance. La jeune Marie apprend à comprendre ce qu'est la mort. Mort d'une religieuse plus âgée d'abord. Mort de son amie Marguerite ensuite. Le film se termine par une prière de l'infirme sur la tombe de Marguerite, dans le soleil. Elle a tout compris. Elle est entrée dans l'espérance comme on entre dans la danse. Je pense à ce texte magnifique de Gabriel Marcel, Homo viator : l'homme est constitué par son espérance.

L'infirme que l'on nous a présentée comme aux frontières de l'humanité, est devenue pleinement humaine: elle aime et donc elle espère - et d'abord elle espère pour celle qu'elle aime.

A la fin du film, la petite salle pleine à craquer de la Rue d'Odessa a applaudi longuement : je n'étais pas le seul à avoir les yeux rouges.

lundi 8 décembre 2014

Le signe de la femme [par l'abbé de Tanoüarn]

Les catholiques connaissent bien le texte du chapitre 3 de la Genèse, insolite tant il est catégorique : « Je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre ta descendance et sa descendance. Tu la mordras au talon, mais elle t’écrasera la tête » (Gen, 3, 15). Ce verset est connu sous le nom de « protévangile », c’est un Evangile d’avant l’Evangile ; c’est la première bonne nouvelle, immédiatement après la Chute : le Serpent n’imposera pas ses pensées serpentines, il sera écrasé. Ecrasé ? On nous parle de sa tête écrasée, sans doute pour montrer que ce sont les pensées du Serpent qui seront subjuguées par l’élan de pensées nouvelles et d’événements nouveaux obscurément aperçus au Commencement de ce Livre. Ce qui est décrit justement, naissant d’un grand collapsus (le péché originel), ce sont des pensées et des événements à venir. Ces pensées et ces événements sont comme l’horizon de l’histoire. Ils constituent la seule Révolution décisive dans le monde, la seule aussi qui dure depuis 2000 ans, la Révolution chrétienne, qui fait face au Serpent. Comme en écho au Protévangile du Livre de la Genèse, c’est, à la fin du Livre, l’Apocalypse de Jean qui nous montre cela de façon imagée : le Père, l’Agneau et l’Esprit, Trinité béatifique, font face à la Trinité négative, constituée du Serpent ou du Dragon (il en est question dans la Genèse et le revoilà dans l’Apocalypse) et des deux Bêtes de la Mer et de la Terre (cf. Apoc. 13).

Dans ce contexte de guerre à mort entre Trinité béatifique et triade maléfique, comment interpréter le signe de la Femme victorieuse du Serpent (Apoc. 12, 1 ssq.) ? Quel sens donner à « l’inimitié » posée à l’origine entre la femme et le Serpent ? Comment comprendre cette vision de Jean : « Un signe, un grand, apparut dans le ciel : une femme enveloppée du soleil, et la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles, et enceinte (…) Et le Dragon [« l’antique Serpent »] se tient debout en face de la Femme, celle qui est sur le point d’enfanter » (trad. Delebecque). On conçoit bien que les deux textes, au commencement et à la fin du Livre, dans la Genèse et dans l’Apocalypse, vont ensemble. Ils s’éclairent l’un par l’autre.

Il n’y a vraiment qu’une seule interprétation satisfaisante de ces deux textes pris ensemble, celle qui consiste à y voir l’annonce d’une maternité, triomphante du mal et de la mort et finissant par vaincre le Serpent. Depuis saint Irénée, le plus grand des Pères apostolique, tous les théologiens lisent ainsi le début de la Genèse, et l’appliquent à la Vierge Marie. Comment le comprendrait-on autrement ?  L’inimitié est le fait de Dieu : « Je poserai ». C’est Dieu qui établit cette contradiction primordiale entre le Mal et la Femme.

La fête de l’Immaculée conception que nous avons le bonheur de célébrer ce 8 décembre nous transporte au cœur de ce mystère de la victoire de Marie, pure conception divine, immaculée conception, créature et seulement créature, mais créature parfaite, « sainte par nature » dit Maximilien Kolbe. Marie est essentielle dans le mystère de notre salut, car elle représente à elle seule le Oui inconditionnel de la créature à son Créateur. En elle est toute la liberté de l’humanité. En elle est donc toute la perfection de l’humanité.

Contrairement à ce que l’on dit souvent, cette fête n’a rien à voir avec la virginité de Marie. Elle signifie que Marie, que l’on nomme « pleine de grâce » dans la prière du Je vous salue Marie, n’a pas été marquée par le péché originel. Alors que pour tous les humains spontanément le mal est plus facile à faire que le bien et l’égoïsme ou l’égocentrisme plus évident que l’amour du prochain, pour Marie, qui doit devenir le réceptacle du Messie, le péché n’a pas de prise sur elle. Elle est pure par nature et pas seulement par éducation ou par un effort personnel. Cette pureté du cœur vient en elle d’une familiarité particulière qu’elle a avec Dieu. Elle médite l’Ecriture, comme le montrent les nombreuses citations de son Cantique, le Magnificat, et elle est particulièrement lucide sur les exigences de la parole de Dieu. Saint Augustin explique en ce sens qu’avant d’avoir conçu Jésus dans son corps, elle l’avait conçu dans son cœur.

C’est ainsi que dans le Livre de la Genèse déjà, Marie est annoncée comme la Femme qui tient tête au Serpent diabolique. « Je mettrai une inimitié entre toi et la femme » dit Dieu au Serpent. Lorsque Jésus veut rappeler à Marie sa Mission, il l’appelle justement « Femme » comme dans le Livre de la Genèse : « Femme, qu’y a-t-il entre toi et moi ? »  au deuxième chapitre de saint Jean. Marie est depuis toujours celle qui fait échec au Mal, non seulement en elle-même, par son Immaculée conception, mais  dans le monde.

Contempler la perfection de Marie « mère de Dieu », doit nous conduire à méditer sur notre propre imperfection. En voyant tout ce qui nous manque, nous aurons un désir plus grand de réussir notre vie, en vivant dans l’ordre voulu par Dieu, dans la beauté que Dieu donne à ceux qui l’aiment comme Il l’a donnée à Marie. Il nous faut faire de notre vie un destin qui survit à la mort, et pas seulement une suite de bonnes fortunes et d’occasions à saisir sur le moment.

samedi 6 décembre 2014

Les Sept contre Babylone - une tragédie contemporaine [par l'abbé de Tanoüarn]

Voici un article paru dans le n°900 de Monde et Vie. En l'écrivant je pensais très fort à la pièce tragique d'Eschyle Les sept contre Thèbes. 407 avant Jésus-Christ : ca ne nous rajeunit pas. 
Je placerais ici en exergue une belle déclaration d'Antigone, qui, dans cette pièce, se prépare à ensevelir son frère Polynice, malgré l'interdiction du roi Créon. Voici Antigone, son courage et sa manière de laisser parler "ses entrailles" :
Et moi pourtant, je le déclare au sénat des Cadméens : si personne ne veut m'aider à l'ensevelir, je l'ensevelirai moi seule ; j'en courrai le danger. Pour donner la sépulture à un frère, je ne rougis point de désobéir aux ordres de la cité. Elles ont une voix puissante, ces entrailles où nous avons pris la vie, enfants d'une mère infortunée, d'un père malheureux. Partage volontairement, ô mon âme ! son malheur involontaire ; vivante, gardons pour le mort des sentiments fraternels. Non, des loups au ventre affamé ne se repaîtront point de ses chairs; non, n'en croyez rien! Moi-même, faible femme, je creuserai la fosse, j'élèverai le tombeau ; moi-même, dans les plis de ma robe de lin, je porterai la terre, j'en couvrirai le cadavre. Que nul ne s'oppose à mon dessein : la ruse, l'activité, seconderont au besoin mon audace.
Le 26 novembre, on a célébré le quarantième anniversaire de la loi Veil sur l’interruption volontaire de grossesse en faisant voter une loi qui fait de l’avortement « un droit fondamental ». Un droit de l’homme et, en l’occurrence surtout, un droit de la femme, car dans les faits ce droit la rend seul juge de la vie ou de la mort du petit être qui a nidé dans son ventre. Je pense à ce futur père éploré, qui est venu me voir récemment, n’ayant pas réussi à raisonner la femme, enceinte de ses œuvres comme on dit, et qui ne souhaitait pas que « cela » vienne interrompre le cours tranquille de son existence de bourgeoise friquée, intermittente de la Fac. Oh ! Je ne suis pas un champion de la condition masculine ! Je sais bien que souvent les pressions peuvent venir de l’homme justement pour que la femme « fasse passer » le petit être qui, inconsciemment, avait fait d’elle son refuge.

Je sais aussi que le temps des aiguilles à tricoter est terminé, que maintenant, entre l’aspirateur et la simple pilule du lendemain, nous avons des moyens de plus en plus perfectionnés pour interrompre une grossesse. Je sais que l’objectif des scientifiques qui travaillent à créer des utérus artificiels, c’est de débarrasser les femmes du fardeau de leur grossesse. Viendra sans doute un temps où « on » leur interdira d’être grosses.

Dans cette affaire, c’est le cas de l’écrire, nous ne luttons pas contre la chair et le sang mais contre les puissances et les dominations de ce monde de ténèbres… Contre le Progrès majusculaire, contre la Technique qui envahit tout, même le plus intime, contre les lobbies de l’individualisme triomphant, contre le sens de l’histoire, contre la loi (celle de 1974) et maintenant contre… « le droit ».

Les députés français ont tous compris l’ampleur de la bataille. Courage fuyons ! Ce 27 novembre, ils étaient sept – sept en tout et pour tout dans l’hémicycle – qui ont refusé de faire de l’avortement un droit fondamental. Il faut citer ces sept héros du cœur et de l’esprit, sept contre Babylone : Jean-Frédéric Poisson, Jacques Bompard, Yannick Moreau, Xavier Breton, Olivier Marleix, Nicolas Dhuicq et Jean-Christophe Fromantin. On peut compter les absents, remarquer que la propagande est telle que parmi ces opposants au droit à l’avortement, il n’y a pas une seule femme  et souligner que le seul membre de la Démocratie chrétienne (UDI), parmi ces sept héros, Jean-Christophe Fromantin, s’est vu prier de démissionner par certains de ses collègues qui sont pourtant « de la même sensibilité ».

- Démissionner ? dites-vous. - C’est que l’avortement devient un droit de l’homme, un droit « fondamental ». Qui le refuse sort du jeu politique par le fait même. Une loi, on peut toujours voter contre. Mais une loi républicaine représente l’unanimité des citoyens, comme l’a très bien expliqué Jean-Jacques Rousseau : une fois votée, il est interdit de s’y opposer. Et maintenant, cette loi, après 40 ans d’expérience, devient un droit : qui s’y opposera d’une façon ou d’une autre (ne serait-ce qu’en essayant de décourager une femme qui est tentée d’avorter) risque de le payer très cher, jusqu’à être frappé d’indignité civique.

Et pourtant ce droit à l’IVG semble naturellement opposé au droit naturel le plus imprescriptible, qui est le droit à la vie de tout être vivant que l’on peut qualifier d’humain. Mais qu’importe le droit à la vie dans une culture de mort !  Celui-là d’ailleurs, si évident soit-il, n’a jamais pu être voté. Il n’aura jamais cette sacralité-là.

jeudi 4 décembre 2014

«Nous ne sommes plus dans les années 1980» - Il n'y aura pas de ‘Génération François’ (suite) [par Hector]

[par Hector]
Cette contribution d’Hector vient après un premier volet écrit par RF. On ne s’étonnera pas de trouver des idées, voir des expressions similaires, les deux textes étant issus d’une discussion préalable entre les auteurs des deux textes.
La popularité du pape François, y compris auprès de publics éloignés de l’Église, est un phénomène massif et constant. Un pape qui fait l’objet de plusieurs couvertures de journaux à portée mondiale ; un pape qui suscite l’intérêt de personnalités éloignées de l’Église; etc. Certains hurleraient, d’autres s’en réjouiraient. Mais ce n’est pas la question. Et je crains que les discussions sur le pontificat bergoglien n’oublient certaines choses, à commencer par l’état précaire du catholicisme dans un pays comme la France, qui se vérifie dans tout l’occident sécularisé (de Los Angeles à Berlin ou de Stockholm à Barcelone). On raisonne encore comme si les jeunes de France et de Navarre étaient en contact permanent avec l’Église, comme si celle-ci continuait à drainer massivement les jeunes par ses aumôneries et son catéchisme… Nous ne sommes plus dans les années 1950, on en conviendra. Mais nous ne sommes plus non plus dans les années 1980: cela, on tend à l’oublier, tant chez les catholiques dits traditionnels que chez ceux qui ne le sont pas.

Permettez-moi une petite séquence rétro. Je ne vais pas vous parler de l’état de l’Église avant le concile, ou même de celui des dernières années pacelliennes ou même du bref intermède roncallien, mais bien de la situation des années 1980. Au cours de ces années, un nombre non négligeable d’enfants allaient au catéchisme et suivaient un parcours sacramentel complet, allant du baptême à la confirmation. Évidemment, ils allaient au catéchisme qui avait, pour ainsi dire, pignon sur rue, au point de susciter la curiosité de leurs collègues. Certes, les jeunes n’allaient pas à la messe tridentine, pas plus qu’ils ne suivaient un catéchisme sous forme de questions-réponses (le manuel Pierres vivantes existait) ; mais dans ces années 1980, le catholicisme existait encore dans l’espace public. Le catéchisme des enfants était un phénomène social. Malgré toutes les controverses relatives aux méthodes catéchétiques et au contenu enseigné aux enfants, il existait encore une jeunesse touchée par l’Église. Après la bourrasque des années 1960 et 1970, il y eut une relative accalmie. Ainsi, mes camarades d’école primaire (précisons qu’il s’agit de l’école laïque) ou de colonie de vacances allaient au catéchisme. En classe de neige (CM1), les animateurs qui nous suivaient avaient même accompagné des jeunes à la messe du dimanche. De telles situations semblent impensables aujourd’hui : outre les éventuels cris d’orfraie poussés si l’on apprenait que des agents publics aident les jeunes à accomplir leur devoir dominical, il serait tout simplement inimaginable de voir des jeunes aller à la messe… Les jeunes catholiques existaient et cela se savait dans leur entourage. C’est sur cette jeunesse qu’a pu se greffer l’action de Jean-Paul II.

Aujourd’hui, la situation est toute autre. Outre le fait que de moins en moins de parents font baptiser leurs enfants (sauf pour faire plaisir aux grands-, voire aux arrière-grands-parents), il y a moins de monde au catéchisme. De même, le parcours sacramentel se limite à la portion congrue : baptême jamais suivi de première communion, encore moins d’une confirmation ou de confession.. Ah, oui, j’oubliais : il va de soi qu’il n’y a plus de catéchisme donc plus de formation religieuse, même rudimentaire. Le gamin des années 1980 pouvait encore savoir qui était Jésus, qu’il existait un Ancien et un Nouveau testament ou qu’à la messe on écoutait les paroles de consécration : je ne suis pas sûr que son camarade d’aujourd’hui sache qu’un curé est forcément un prêtre ou ce qu’est une messe… Le décrochage parasite la perception par le grand public de ce que fait l’Eglise : par exemple du débat sur la communion aux divorcés remariés. Vu de l’extérieur, communier est un simple rite social, la marque d’adhésion à une communauté, qui ne communie jamais qu’à elle-même : un peu comme on se sert la main, en d’autres groupes ou d’autres occasions. Ce malentendu n’est pas nouveau – mais la petite minorité ignorante qu’il concernait est devenue majoritaire.

Il n’y aura pas de «génération François» non parce que le pape ne le mérite pas ou parce qu’il n’en est pas digne -ce n’est pas la question- mais tout simplement parce qu’il n’existe pas, en soi, de génération. On peut dire qu’il existe des générations marquées par l’Église préconciliaire, des générations conciliaires, marquées par les réformes s’inscrivant dans le sillage de Vatican II : je crains qu’on ne puisse parler de génération franciscaine si ce n’est pour constater son inexistence. Et c’est bien le problème d’un discours papal qui s’adresse à un public en filigrane, un peu comme il existe des comédiens sans public. Je ne sais pas en quoi consistera l’exhortation post-synodale à venir, mais je crains qu’elle ne rate son coup en s’adressant à un public de vieilles dames, dont les questions matrimoniales apparaissent avec moins d’acuité…

lundi 1 décembre 2014

Ce que je pense d'Eric Zemmour [par l'abbé de Tanoüarn]

L'un d'entre vous me fait le reproche amical de n'avoir pas parlé d'Eric Zemmour sur ce Blog.. Voici ce que j'ai publié dans Monde et Vie, il y a deux mois, au moment de la sortie de l'ouvrage Le suicide français. 
Le Zemmour nouveau (Le suicide français) n’est pas seulement un événement politique et littéraire de première grandeur. C’est un symptôme de la droitisation constante des esprits et des problèmes. Ceux qui autrefois étaient passionnés d’égalité sont inquiets aujourd’hui de leur identité. Et ceux qui guettaient le grand soir semblent se résigner à la fin d’un monde… 
« Il y a une zemmourisation de la société française aujourd’hui ». Celui qui parle ainsi est un vieil habitué de la dialectique, un trotskiste qui a pris un coup de vieux, Jean-Christophe Cambadélis, actuel patron du PS. Et il intervient non pas dans un fanzine de quatrième zone, mais sur la chaîne du Parlement (LCP) Il a compris que les arguments d’Eric Zemmour étaient trop forts, trop fortement agencés, trop convergents, trop étayés pour que l’on puisse les traiter par le mépris (comme la Gauche le fait si facilement avec toute pensée de droite). Il a senti qu’il ne pouvait plus diaboliser leur inventeur en le traitant de « fâchiste ». Il a dû se rendre compte surtout que la situation de la France ne permettait plus à personne d’être honnêtement de gauche, parce que la gauche dépense l’argent gagné par la droite, parce que les Révolutions sont le fait de gosses de riches insouciants et qu’aujourd’hui même les gosses de riches ont des soucis à se faire. Le 14 juin 2014, Manuel Valls, tirant tout haut la leçon du malaise, l’avait dit lui-même devant le Conseil du PS : la gauche peut mourir. Elle peut mourir, dit Zemmour, parce qu’elle aura tout tué. Nous en sommes bien au suicide de la France. 
Le plus drôle ou le plus sinistre, c’est qu’au fond personne ne conteste cette thèse fondamentale, ni Ruth El Krief, qui trouve le livre de Zemmour « intéressant » ni même son meilleur ennemi sur I Télé, Nicolas Domenach. Si l’on veut chercher en quoi consiste la zemmourisation des esprits, elle est là : on lui donne raison d’un peu partout, parce qu’obscurément plus personne ne croit en la France. La stratégie de Zemmour est dans cette manière de surfer avec brio sur le déclinisme ambiant. Si tout est f…, comprenez-vous, rien n’est grave. Nous assistons au suicide de la France. En direct. Reste à prédire le désastre. Cassandre est célèbre jusqu’à nos jours pour l’avoir fait à Troie. Zemmour est notre Cassandre. Même quand Patrick Modiano remporte le prix Nobel de littérature, il veut absolument (voir : Ca se dispute) que ce soit la France d’hier qui l’ait emporté, pas celle d’aujourd’hui. Ce pessimisme est une posture. Ne nous y laissons pas prendre. La France est en piteux état ? Elle l’a été plusieurs fois au court de son histoire. Il suffit de quelqu’un qui sache la réveiller… Avant qu’il ne soit vraiment trop tard…
Le Zemmour tel qu’il le parle : des diagnostics

Grave : « Mai 68 aura été à la République gaullienne ce que 1789 fut à la Monarchie capétienne : le grand dissolvant »

Futile : « Aujourd’hui le public dédaigne la plupart des films français, alourdis par un politiquement correct de plomb. Mais il fait un triomphe aux rares audacieux qui exaltent les valeurs aristocratiques d’hier (Les Visiteurs), le Paris d’hier (Amélie Poulain), l’école d’hier (Les Choristes), la classe ouvrière d’hier (les Ch’tis), la solidarité d’hier (Intouchable) et l’intégration d’hier (Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ?). A chaque fois, la presse de gauche crie au scandale, à la ringardise, à la xénophobie, au racisme, à la France rance ; mais prêche dans le désert. A chaque fois les salles sont remplies par des spectateurs enthousiastes qui viennent voir sur pellicule une France qui n’existe plus, la France d’avant ».

Équitable : « La Droite trahit la France au nom de la mondialisation. La Gauche trahit la France au nom de la République. La Droite a abandonné l’Etat au nom du libéralisme. La Gauche a abandonné la nation au nom de l’universalisme. La Droite a trahi le peuple au nom du CAC 40. La Gauche a trahi le peuple au nom des minorités. La Droite a trahi le peuple au nom de la Liberté, cette liberté mal comprise qui opprime le faible et renforce le fort.  Cette liberté dévoyée qui contraint la laïcité à se parer de l’épithète positive pour se rendre acceptable aux yeux de tous le lobbies communautaires. La Gauche a trahi le peuple au nom de l’égalité. L’égalité entre les parents et les enfants qui tue l’éducation ; entre les professeurs et les élèves qui tue l’école ; l’égalité entre Français et Etrangers qui tue la nation ».

Sexuel :  « La rencontre entre l’homosexualité et le capitalisme est le non-dit des années 1970. Entre un mouvement gay, qui arbore un drapeau arc-en-ciel et un capitalisme qui découvre les joies et les profits de l’internationalisme, il y a un commun mépris des limites. Entre la fascination homosexuelle pour l’éphèbe et une société capitaliste qui promet la jeunesse éternelle, l’entente est parfaite. Le rejet haineux du père est sans doute le point commun entre une homosexualité narcissique qui transgresse sexuellement les lois du père et un capitalisme qui détruit toutes les limites et les contraintes érigées par le nom du père autour de la cellule familiale, pour mieux enchaîner les femmes et les enfants – et les hommes transformés à la fois en enfants et en femme – à sa machine consumériste »

Maurrassien : « Notre passion immodérée pour la Révolution nous a aveuglés et pervertis. On nous a inculqué que la France était née en 1789, alors qu’elle avait déjà plus de mille ans derrière elle. On ne cesse de nous répéter depuis 40 ans que Mai 68 fut une révolution manquée, alors qu’elle a vaincu. (…) Maurras exalta jadis les quarante rois qui ont fait la France. Il nous faut maintenant conter les quarante années qui ont défait la France. Il est temps de déconstruire les déconstructeurs »

vendredi 28 novembre 2014

Emile Poulat : parti avec son secret [par l'abbé de Tanoüarn]

« Nous venons d’un temps où l’homme
vivait à la grâce de Dieu. Nous sommes
entrés dans un temps ou Dieu est à
la discrétion de l’homme » Emile Poulat
Emile Poulat est mort à l’âge de 94 ans, le 20 novembre dernier. Sans doute beaucoup d’entre vous ne savent pas ou ne savent plus situer ce personnage, qui avait une science infinie de l’histoire de l’Eglise au XXème siècle. Il avait travaillé d’abord sur les prêtres ouvriers, ayant été l’un des leurs. Il avait publié « le dossier » sur ce sujet. Puis il avait abordé le modernisme, l’historique, celui qui florissait à l’époque du pape Pie X, au début du XXème siècle, celui de l’abbé Loisy. Et il avait été frappé de la différence d’ambiance entre les deux mouvements : le modernisme au début du siècle est un mouvement bourgeois, qui transpire la mauvaise conscience chrétienne. Le progressisme à la fin du XXème siècle est lui un mouvement enthousiaste, nostalgique de la chrétienté, beaucoup moins « de gauche », beaucoup plus en prise avec une droite intégraliste, qui a compris la dimension sociale du christianisme. Armé de cette distinction, Emile Poulat abordera aussi l’intégrisme de Monseigneur Benigni, fondateur, avec la bénédiction de Pie X au début du XXème siècle, d’une Fraternité Saint Pie V, qui se nommera, en latin, Sodalitium Pianum ou Sapinière.. Pour lui, ce sont ces trois courants qu’il faut distinguer dans l’histoire récente de l’Eglise. Il les a observé tous les trois avec la même sympathie. La même empathie, comme si rien de ce qui était d’Eglise ne pouvait lui demeurer étranger. Dans son appartement de la Rue de Bièvre (longtemps voisin d’un certain François Mitterrand), il recevait facilement qui souhaitait profiter de ses conseils. Il gardait, quel que soit son interlocuteur, le même sourire, la même patience et une volonté de transmettre quelque chose de son immense savoir. La première fois que je composai les codes qui me permirent d’arriver jusqu’à lui, je fus comme aimanté par son immense bibliothèque, d’autant que le premier livre que je distinguai, sacré cœur rouge en couverture, ce fut l’ouvrage du Père Barruel contre la maçonnerie : Mémoire pour servir à l’histoire du jacobinisme. A propos de ce livre, beaucoup se hâteront de parler de complotisme sans l’avoir lu. Mais le Maître des lieux s’intéressait à tout sans exclusive, en particulier à l’antimaçonnisme catholique, et ce livre resta à la même place, bien mis en valeur dans sa bibliothèque, à chaque visite que je lui fis.

Chez ce Lyonnais viscéralement chrétien, mais dont nul ne savait s’il était réconcilié avec l’Eglise ou s’il demeurait prêtre défroqué comme il y en eut tant dans sa jeunesse, y avait-il une nostalgie de l’Eglise d’avant, sûre de sa foi et de sa doctrine ? Je l’ai souvent pensé. Y avait-il chez cet ancien prêtre ouvrier une solidarité envers tous les dissidents, crossés par la hiérarchie pour une raison ou pour une autre ? C’est certain. Qui était Emile Poulat ? Dieu le sait. Pour ce que l’on en apercevait, c’était d’abord une rationalité toujours en quête, sans idéologie, une science sans autres frontières, que celles de son objet - avant tout : l’Eglise au XXème siècle et l’ère post-chrétienne (selon le titre de l’un de ses ouvrages) dans laquelle nous entrons. Dans la Solution laïque et ses problèmes, il avait eu ce mot qui résume le climat de sa recherche : « Nous venons d’un temps où l’homme vivait à la grâce de Dieu. Nous sommes entrés dans un temps ou Dieu est à la discrétion de l’homme ». Il ne condamnait rien, ayant lui-même trop souffert d’avoir été condamné, mais il voyait et il écrivait ce qu’il voyait…

Abbé G. de Tanoüarn

mardi 25 novembre 2014

Il n'y aura pas de "Génération François" [par RF]


[par RF] Étrange visite que celle du Saint Père, aujourd’hui au Parlement Européen et au Conseil de Strasbourg. Arrivé à 10H00, François a redécollé un peu moins de quatre heures après. Des journalistes étaient là, tout de même plus nombreux que pour les femen qui la veille s’étaient invitées à la cathédrale de Strasbourg. Les rues étaient vides, personne ou presque sur le trajet; à en juger par les mises à jour du site des Dernières Nouvelles d’Alsace, la ville semblait surtout s’intéresser à l’impact (somme toute très modeste) du dispositif de sécurité sur la circulation. Etrange visite également quand Marie-Georges Buffet (communiste) recommande la lecture des textes de François, en réponse à Jean-Luc Mélenchon (socialiste de gauche) qui estimait que la place d’un pape serait plutôt à la cathédrale. Les autorités civiles avaient tout de même prévu quelques gestes protocolaires, un lever des couleurs par exemple – sans elles la visite tenait en une heure.

Bref, on est loin, très loin des voyages de Jean-Paul II ou de Benoît XVI: François tient à être banal dans sa forme et il y réussit assez bien. Or on se mobilise mal autour de la banalité; et puis il y a le contexte, la perte de poids continue du catholicisme dans la société française. Il y a encore trente ans, le gros du pays conservait comme l’écho de ce qui avait été sa religion. Les prélats bénéficiaient encore de certains égards, auprès des représentants de l’Etat et des médias; certains d’entre eux récusaient ces privilèges que peu de gens songeraient aujourd’hui à leur reconnaître. Les mots de notre foi étaient peut-être mal compris, mais ils restaient connus du grand public. Tout cela s’efface. Faites demain le test de demander à dix passants le nom de leur évêque, c’est... édifiant.

Il y a eu une génération Jean-Paul II, et Benoît XVI ; il n’y aura probablement pas de génération François: non pas par manque de ‘François’, mais par manque de ‘génération’. François a surpris et désarçonné plus d’un fidèle depuis 20 mois qu’il est pape. Sans doute veut-il remettre en cause des certitudes trop faciles, des habitudes trop confortables, pour ouvrir son troupeau à la périphérie? Il ne m’appartient pas d’en juger. Mais dans la France de 2014, il n’y a plus trop de brebis en-dessous de 40 voire 50 ans. Les rares qui restent sont régulièrement dans une opération survie de leur foi, déjà mise à mal par le monde tel qu’il va, et qui n’a certes pas besoin d’être bousculée. François est comme ces politiciens atypiques, qui séduisent surtout hors de leur camp, des gens qui les trouvent sympathiques mais ne vont pas jusqu'à les rejoindre.

samedi 22 novembre 2014

Beaucoup de questions sur le pape... [par l'abbé de Tanoüarn]

Je dois dire que je ne peux pas discuter avec tel ou tel sans que finisse par sortir la question : mais ce pape alors ? Qu'allait-il faire dans ce synode ? Ou en est-il ? Que veut-il ? Ou plus profondément encore : qui est-il ?Tout à l'heure encore, on parlait avec des amis de choses et d'autres, du Brésil, de l'Argentine et... du pape. Avec une sorte de tristesse. Les cathos, tradis ou pas tradis, en ont déjà pris tellement sur la calebasse qu'ils sont tout de suite très pessimistes. Pensez : un pape qui s'intéresse particulièrement aux homosexuels dans leur homosexualité ("don pour l'Eglise") et surtout, comme disait la première mouture du Rapport final, rédigée par huit amis du pape, qui s'intéresse particulièrement aux enfants nés de couples de même sexe... Un pape qui assiste... Qui fait communier les divorcés remariés, du moment qu'ils ont exprimé une repentance etc. Un pape qui fait dans le Care plutôt que dans le clair... Il est vrai que d'ores et déjà son image est brouillée et ce n'est pas forcément sa popularité médiatique qui suffira à l'éclaircir.

Je voudrais dire deux choses à ce sujet.

La première c'est que les pressions sur le Vatican pour qu'il change sa morale et qu'il adopte enfin celle de l'ONU sont constantes depuis quelques années. Il me semble qu'elles expliquent déjà, au moins en partie, la démission précipitée du pape Benoît. Souvenez-vous : la Banque du Vatican, sous le prétexte d'un manque de transparence, s'était vue couper les vivres. Il n'y avait plus un euros dans les distributeurs et l'on visitait le Musée du Vatican à condition de payer sa place en liquide. Le système des cartes bleues avait été mis hors service. Le jour de la démission du pape Benoît tout s'est remis à fonctionner. Oh ! C'est sans doute un pur hasard. Mais on ne peut pas m'empêcher de penser que le hasard parfois fait... trop bien les choses. François est donc le pape qui se présente comme tentant de faire évoluer la morale de l'Eglise, pour faire de l'Eglise "un hôpital de campagne" comme il a dit le jour de son élection. Une sorte de vaste ONG où ni le dogme ni la loi ne sont une gêne... On ne les supprime pas, mais cela vient après la pastorale.

Cela me rappelle une très vieille discussion que nous avions au Séminaire pour savoir s'il y avait deux ou trois pouvoirs du pape. Tenant l'adage odiosa sunt restringenda (les choses pénibles, parmi lesquelles l'autorité, doivent être restreintes autant que faire se peut) je tenais personnellement pour deux, avec les théologiens les plus anciens : il y a un pouvoir magistériel du pape, seul ou à la tête d'un Concile, ou encore comme docteur du magistère ordinaire, c'est le Munus docendi, le pouvoir d'enseigner ; et il y a un pouvoir ministériel, le Munus sanctificandi (le pouvoir de sanctifier). Selon moi, le troisième pouvoir, le pouvoir de régir, était issu des deux autres. Issu en particulier du Pouvoir d'enseigner. En y réfléchissant, je n'ai pas changé d'avis : c'est au nom de son enseignement de la foi qui sauve que le pape a le pouvoir de régir le troupeau. De même que le Christ est roi par sa doctrine (Augustin dans le Commentaire du Psaume 59), de même le pape est chef en vertu de son Pouvoir d'enseigner la vérité.

Il faut bien reconnaître que cette vieille doctrine des deux ou trois pouvoirs du pape, tout le monde semble l'avoir oubliée. Tout le monde semble avoir oublié que le pape est essentiellement un docteur. Son rôle est de dire la foi et c'est en tant qu'il dit la foi qu'il a aussi une autorité pastorale et qu'il est Princeps pastorum selon l'expression de l'Epître de Pierre. Il est (seul ou avec les évêques qui lui sont unis) l'Eglise enseignante et nous sommes tous, prêtres et fidèles, l'Eglise enseignée. En revanche, la pastorale concerne les pasteurs de la base, ceux qui ont... j'allais dire les mains dedans.

Le rôle du pape est-il immédiatement pastoral ? Je n'en suis pas sûr. La pastorale disait ce grand pape que fut Grégoire le Grand est "ars artium", l'art des arts. Elle est donc, comme tout art, immédiatement pratique, avec la part de pragmatisme que cela suppose. Comment le grand chef pourrait-il ainsi descendre dans le détail ? Il ne serait pas efficace car son pouvoir ne serait pas proportionné. Dans une situation exceptionnelle, une situation de crise, Jean-Paul II a été une sorte de curé du monde. Mais cela ne peut pas durer.

L'attitude du pape François montre bien qu'il a compris que le rôle du pape n'était pas de s'engager directement dans des choix pastoraux particulier qu'il devrait imposer à toute l'Eglise. Il a voulu laisser le Synode libre de donner un conseil plus proche du terrain que n'aurait pu être le sien. Et... sur les questions sensibles des divorcés remariés accédant à la communion et des homosexuels à accueillir comme tels, il faut bien reconnaître qu'un accord massif n'a pas eu lieu. L'échec est là. On ne gouverne pas l'Eglise comme un Etat, à la majorité simple. Le consensus est nécessaire, il l'a toujours été, même dans l'Eglise de Pie IX, qui est pourtant le pape de l'Infaillibilité pontificale.

Exemple plus récent : les texte de Vatican II ont été votés à une quasi unanimité, ce qui a fait la légitimité de ce Concile, par ailleurs controversé sur la question de son contenu véritable. Ainsi, la constitution doctrinale Lumen gentium sur l'Eglise, l'un des textes les plus importants, à été votée par tous les 2000 participants. Seuls cinq Pères conciliaires l'ont refusée, et pour des raisons qui pouvaient être de droite ou de gauche, sanctionnant finalement un texte pas assez conservateur ou pas assez avancé. L'opposition rencontrée au Synode est énorme et décidée. Je ne vois pas que l'Organisateur puisse passer en force, sans menacer sa propre légitimité de pape.

Mais je crois que, jusqu'à l'année prochaine, il est nécessaire de parler du Synode, en attendant le suivant. Pour montrer que sur un tel sujet l'unanimité ne peut pas se faire et que seul un pape docteur de la foi est unanimement reçu par les membres de la Catholique. C'est ce que nous ferons d'ailleurs dans Monde et Vie, où la semaine prochaine, s'exprimeront en toute liberté sur le sujet Christophe Geffroy et Jeanne Smits. Il s'agit de montrer que la liberté des enfants de Dieu n'est pas seulement un mot. Qu'elle provient de notre foi et qu'elle l'exprime.

samedi 15 novembre 2014

Faire-part ou manifeste [par l'abbé de Tanoüarn]

Je suis heureux de voir que mon nouveau job ne laisse pas tout le monde indifférent. Accepter la rédaction en chef de Monde et Vie, c'est quelque chose que je fais avec entièreté, parce que je crois que le jeu en vaut la chandelle. Je ne me cache pas derrière mon petit doigt. Je m'expose donc à être jugé... C'est le jeu justement et je l'accepte. Ce que je souhaite, c'est être jugé sur pièce. N'hésitez pas à vous abonner, ne serait-ce qu'en prenant un abonnement découverte (voir sur le site)

Mon topo sur l'identité chrétienne de la France (ma manière à moi de recevoir la doctrine papale des racines chrétiennes de l'Europe) n'a pas eu l'heur de plaire à certains de mes meilleurs adversaires sur ce Metablog. J'en suis désolé. Me justifier ? Ce n'est pas exactement cela : qui s'excuse s'accuse, et vraiment je ne vois pas quel genre d'excuse je devrais porter à ce sujet.

Je voudrais d'abord rassurer Julien : je n'ai aucune intention de lâcher Metablog, même si, c'est vrai, mes posts s'étaient un peu raréfiés ces dernières semaines. Quant à Monde et Vie, on prépare depuis quelques semaines un site tout neuf, auquel vous aurez accès, peut-être à partir de celui-ci, pourquoi pas ?

Je suis surpris de l'intervention de G2S qui ne supporte pas l'identité au motif que la revendiquer consisterait naturellement à vouloir annexer ceux qui ne la partagent pas. Absurde ! Faut-il s'excuser d'exister pour en recevoir le droit ? Celui qui ne veut pas s'identifier aux patries de ce que Jean Paul II appelait la vieille Europe que lui reste-t-il ? La nature a horreur du vide : il reste le mondialisme consumérisme ou l'impérialisme vert au nom d'Allah akbar... Obligés de choisir !

mercredi 12 novembre 2014

Comme un faire-part... [par l'abbé de Tanoüarn]

Ceci est la reprise d'un article-programme du dernier numéro du magazine Monde & Vie

Monde & Vie : le magazine de l’identité chrétienne 

Jean-Marie Molitor, qui dirige la publication, m’a demandé de prendre en charge la rédaction en chef du magazine Monde & Vie qu’il assurait depuis quelques mois. 

Comment conjuguer christianisme et politique ? C’est la question récurrente. Le christianisme n’est pas et ne sera jamais un communautarisme. Mais c’est le levain dans la pâte humaine dont parle l’Evangile, un levain qui manifeste toujours, chez ceux qui l’ont laissé agir en eux, une liberté d’esprit et de cœur.

Notre christianisme ne nous transforme pas en brebis dociles de chapelles putatives. Nous continuerons à nourrir une critique sereine de toutes les pseudo-modernisations du christianisme. Le vin nouveau du Seigneur ne doit pas être mélangé dans de vieilles outres trop humaines avec des préoccupations stratégiques souvent myopes et périmées. Par ailleurs, notre ambition est de travailler pour un bien vraiment commun et de dépasser les conflits entre les catholiques, qui ne sont guère de saison. Il faut montrer la vigueur de la nouvelle génération, qui a manifesté sa force de conviction dans les grandes manifestations contre le mariage homosexuel, et qui cherche à s’engager, à se former sur tous les plans, à vivre de sa Foi, selon une expression souvent reprise par saint Paul. 

Face au déchaînement consensuel des clichés de la Pensée unique, nous discernons un ennemi – non pas une personne ni un groupe de personnes, mais un esprit : l’esprit libéralo-libertaire. De Léon XIII à Jean-Paul II combien de grands papes ont averti qu’ils voyaient dans le libéralisme non pas seulement un principe régulateur des engrenages économiques mais une constante anthropologique globale, que l’on retrouve aussi bien dans le refus a priori des traditions religieuses, dans la lutte politiquement programmée contre toutes les formes de la loi naturelle, dans la pseudo-foi en une Tolérance majusculaire qui interdit toute affirmation de valeurs transcendantes. 

La force de Monde & Vie, c’est la liberté avec laquelle nous disons et redisons notre conviction : entre l’individualisme opaque et le mondialisme idyllique (deux faces de la même médaille), l’attachement de l’Occident aux nations qui l’ont animé est une nécessité vitale. « Les nations disait Jean-Paul II à l’UNESCO en 1980 sont les grandes institutrices des peuples ». Les peuples qui ont perdu ces institutrices irremplaçables sont condamnés à régresser dans l’histoire humaine et à devenir des peuples de sauvageons.

Face à la perspective d’un suicide français, nous parions pour la mémoire collective, pour cette identité historique qui est inscrite dans notre langue, dans nos paysages et dans nos monuments. Nous pensons qu’en France, le sursaut est possible, que les Français vont à nouveau s’aimer eux-mêmes et s’aimer entre eux, pour se redécouvrir tels qu’ils sont : viscéralement catholiques. 

Nous défendons l’Eglise pour la France, mais aussi la France pour l’Eglise.

On vous dit que cette position est ringarde ? Nous sommes persuadés que c’est la seule attitude qui ménage un avenir à nos enfants. Et un vrai devenir à notre pays !

Abbé G. de Tanoüarn
Rédacteur en chef

lundi 27 octobre 2014

Le Synode de tous les dangers : la clé sous la porte? [par l'abbé de Tanoüarn]

« Nous ne nous soumettrons pas à la politique séculariste. Nous ne nous effondrons pas. Nous n’avons nullement l’intention de suivre ces éléments radicaux présents dans toutes les Eglises chrétiennes, y compris certaines Eglises catholiques dans un ou deux pays, ni de mettre la clef sous la porte » Cardinal George Pell
Voici un extrait du dossier paru dans Monde et Vie la semaine dernière à l'occasion de la clôture du Synode. Pour avoir les textes complets immédiatement à parution, il suffit de s'abonner - 62 euros pour un an - à envoyer au 14bis rue Edmond-Valentin, 75 007 Paris. 

Il semble que l'Eglise institutionnel risque de connaître quelques turbulences... Nous suivrons avec attention la crise interne ouverte par ce synode sans précédent. Il est vrai que la langue de buis n'est pas notre fort, mais qui peut s'en plaindre ?

 Le pape François, qui aura 78 ans à la fin de l’année et fait déjà courir lui-même le bruit de sa démission à 80 ans, a voulu aller vite. Très vite. Son objectif ? Mettre l’Eglise à l’heure de ce que les Américains appellent le « care ». « L’Eglise est un hôpital de campagne » avait-il déclaré au moment de son élection. Dans cette perspective, le premier devoir de l’Eglise n'est pas de dire la Parole de Dieu, mais de prendre soin de ses fidèles, de les accompagner et d’être comme une grande « soeur en humanité pour tous les hommes ». C’est dans cette vaste perspective qu’il fallait, sans supprimer la Loi de Dieu (à laquelle les hommes ne peuvent pas toucher) assurer les familles en décomposition ou en recomposition de la sympathie, de la proximité et de l’amour efficace de l’Eglise. Il fallait affirmer que les personnes homosexuelles constituent « un grand don pour l’Eglise » et que les lois de l’Eglise sur l’indissolubilité du mariage étaient susceptible d’un assouplissement, au point que l’on pourrait désormais considérer certains couples de divorcés remariés cicilement comme des couples ayant accès à la communion.
Bugs et re-bugs dans l’organisation
Point commun de ces deux nouvelles approches sur les divorcés remariés et sur les homosexuels : la notion de péché semble oubliée, l’indissolubilité du mariage est mise en cause sans que cela paraisse gêner quiconque dans le camp des réformateurs, ni le cardinal Kasper auteur d’une première réflexion sur le sujet, dans laquelle le mot « péché » n’est pas prononcé, ni le théologien Bruno Forte qui paya de sa personne dans l’élaboration du document Post disceptationem à mi-synode.

Le projet du synode est de grande envergure. Pour montrer qu’il en attend un changement décisif, le pape a annoncé qu’il aurait lieu deux ans de suite sur le même sujet, sentant très vite que quinze jours de discussions ne suffiraient pas. C’est évidemment lui qui a été la cheville ouvrière de ce synode, c’est lui qui en a conçu le fonctionnement, qui a choisi les acteurs, qui a encouragé son porte-parole le cardinal Kasper en soulignant que ce progressiste avéré faisait de la théologie « à genoux » ; c’est lui qui a tenté de faire taire l’opposition lorsque elle a voulu s’exprimer avant le Synode, explique Sandro Magister sans donner les noms ; c’est lui qui a inventé ce document de mi-Synode (post disceptationem), qui ne correspondait pas aux discussions, en couvrant le théologien progressiste Bruno Forte face au cardinal hongrois Erdö, secrétaire officiellement nommé qui avoua aux journalistes qui l’interrogeaient n’être même pas au courant du contenu de ce « premier rapport » (en particulier du texte qu’il contenait sur les homosexuels). C’est le pape encore qui, au dernier moment, voyant que le Rapport final risquait d’être controversé, a nommé, en dehors du fonctionnement normal de l’institution synodale, une commission de six théologiens et cardinaux tous progressistes et souvent liés à sa personne, qu’il a chargés de rédiger le Rapport final.
Le pape veut-il passer en force ?
Samedi 18 octobre, pour la fin du Synode, il y eut d’abord un message (nuntius) qui se tient soigneusement loin de toutes polémiques, se contentant de féliciter les familles unies. Néanmoins, Jean-Marie Guénois, responsable de l’information religieuse au Figaro, a tweeté de Rome les scores du vote pour le Rapport final. Pour trois paragraphes, un sur les homosexuels (n°55) et deux sur les divorcés remariés (n°52 et 53), la commission créée spécialement par le pape, qui avait déclaré pourtant qu’elle avait tenu compte des oppositions qui se sont faites jour durant le Synode, a vu sa rédaction rejetée. Une majorité des deux tiers était nécessaire pour que le texte soit voté, elle n’est pas atteinte[1] mais le temps manque pour voter un texte de substitution, les Excellences et les Eminences devant rentrer chez elles. Apparemment on avait même pas imaginé qu’un vote puisse être négatif. Le pape a donc décidé de publier quand même les paragraphes retoqués (qui ont obtenu la majorité simple). 

Il est clair que nous sommes dans une situation absolument inédite, une sorte de Révolution par le haut. Cela va prendre du temps, mais François semble bien décidé à passer en force. C’est en tout cas ce que l’on peut retirer de la remarque du Père Lombardi, son grand communicateur : « Ces trois paragraphes (52, 53 et 55) n’ont pas eu la majorité qualifiée des deux tiers mais ils ont eu la majorité simple. On ne peut donc pas les considérer comme l'expression d'un consensus du synode mais la discussion va continuer. Il y a encore beaucoup de chemins à parcourir. Le fait que le pape ait voulu que soient publiés, et le texte, et les résultats des votes paragraphe par paragraphe - ce qui est une première - démontre qu'il veut que tous comprennent exactement où en est la discussion et sur quels points il va falloir continuer le travail du synode ». 
Continuer le travail ? En tout cas, la route est tracée, elle l’est de la main du Maître pape, il s’agira de ne pas s’en écarter.
Mène-t-elle quelque part ? Pas sûr.
La dialectique d’un chef en difficulté
Dans le discours de clôture du pape François d’ailleurs, on entend un autre ton, celui du chef qui reprend sa place au centre après avoir été batifoler à gauche.
Le pape a très (trop ?) habilement conclu le Synode en renvoyant dos à dos progressistes et conservateurs. Quelle différence avec son lointain prédécesseur Benoît XV, qui ne voulait entendre parler ni d'"intégristes" ni de "modernistes" mais de catholiques tout court !

François discerne cinq tentations qui ont assailli l’Assemblée synodale. Nous en retiendrons deux, les plus caractéristiques : D’abord « la tentation du raidissement hostile, c’est-à-dire de vouloir s’enfermer dans la lettre, à l’intérieur de la loi, dans la certitude de ce que nous connaissons et non de ce que nous devons encore apprendre et atteindre. Du temps de Jésus, c’est la tentation des zélotes, des scrupuleux, des empressés et aujourd'hui de ceux qu’on appelle des "traditionalistes" ou aussi des "intellectualistes"". 
Deuxième tentation : « La tentation d’un angélisme destructeur, qui au nom d’une miséricorde traîtresse met un pansement sur les blessures sans d’abord les soigner, qui traite les symptômes et non les causes et les racines. C’est la tentation des timorés, et aussi de ceux qu’on nomme les progressistes et les libéraux. » 
Le problème est que l’on met facilement des noms sur les « traditionalistes » qu’il décrit : le cardinal Burke, la cardinal Muller et quelques autres, qui ont réagi très fort durant le Synode. On voit moins qui sont les « timorés libéraux », se reconnaissant dans une « miséricorde traîtresse », sauf à considérer que ce sont, avec le cardinal Kasper et le Père Bruno Forte, ceux justement sur lesquels le pape a voulu s’appuyer lors de ce synode.
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[1] D’après Jean-Marie Guénois, du Figaro, dont voici les chiffres : « Paragraphe sur homosexualité : 118 pour ; 62 contre ; 2 paragraphes sur les divorcés remariés :104 et 112 pour ; 74 et 64 contre ». La majorité des deux tiers était à 123.

dimanche 19 octobre 2014

[Claire Thomas / Monde et Vie] Mgr Pontier, le 1er octobre: quelle morgue !

Ce papier de ma consoeur et néanmoins amie Claire Thomas devait paraître dans le prochain numéro de Monde et Vie. Il n'y paraîtra pas par manque de place... Synode oblige... J'ai pensé que Metablog pouvait l'accueillir avec fruits. 
Le papier de Claire Thomas ne cultive aucune polémique gratuite, mais autant que je le comprends tout au moins, il déplore le fossé que les évêques semblent creuser aux-mêmes entre eux et leur peuple... 
Tant que j'en suis au Synode, je vous signale que je ferai demain lundi 20 octobre 2014 à 20H15 une Conférence sur le Synode au Centre Saint Paul, 12 rue Saint Joseph 75.002 Paris 
GT
Dans un entretien donné à La Croix le 1er Octobre dernier, Mgr Pontier – une fois n’est pas coutume – a parlé sans détour de la légitimité des marcheurs de la Manif pour tous à contester la loi républicaine. Il était interrogé plus précisément sur la grande Manifestation qui aura lieu quatre jours plus tard, le 5 octobre, avec le succès que l’on sait. Soutient-il ? Ne soutient-il pas ? Voici sa réponse in extenso :
« La Manif pour tous n’étant pas un mouvement d’Église, il n’est pas de mon rôle de commenter leur choix politique de manifester dans les rues. La manifestation est l’une des formes de la liberté d’expression dans nos démocraties. Mais cela ne peut pas devenir le seul moyen. Nous, évêques, sommes davantage engagés dans un processus de réflexion, plutôt que dans un combat contre une loi future [en l’occurrence la loi sur la Gestation pour Autrui]. On ne se situe pas sur le plan politique mais sur le plan anthropologique, même si une loi a des conséquences anthropologiques ».
Soulignons d’abord la notion de « mouvement d’Eglise ». Le mouvement d’Eglise, c’est celui qui jouit de l’approbation explicite des évêques et qui peut porter le label de « catholique ». Ce label, la Manif pour tous ne l’a jamais demandé, parce que, par définition ce mouvement prépare un avenir pour tous ; il se bat dans l’intérêt de tous, pour le bien commun. Il n’exprime pas l’opinion d’un groupe ou d’une tribu, fût-elle catholique. Sa contestation porte sur ce que l’on fait subir par le moyen de lois à l’humanité de l’homme. L’enjeu est énorme. Comment les évêques peuvent-ils dire que cela ne les concerne pas parce que le mouvement n’a pas leur label ? Le motif est bien ténu.

Il faut sans doute chercher ailleurs la raison profonde de la timidité de l’évêque : dans la suite de son texte par exemple, dans laquelle il appert que, lui, évêque et patron des évêques, il ne veut pas agir mais réfléchir : « Nous sommes d’avantage engagés dans un processus de réflexion que dans un combat contre une loi ». Quand on pense aux grands Pontifes qui ont fait la France au Vème siècle en faisant face aux Barbares : eux n'ont pas eu peur de l'action… Cette prétention exclusive à l’intellectualité a quelque chose… d’absurde ! Mais puisqu’on est parti, il n’y a que le premier pas qui coûte : allons aux grands mots pour y trouver les grands remèdes : « On ne se situe pas sur le plan politique, continue Mgr Pontier, mais sur le plan anthropologique ». Anthropologique ! C’est parce que l’enjeu est anthropologique qu’il est indifférent de manifester ou de ne pas manifester, et que l’on peut se contenter de discuter ?

Dans ce dernier trait, il y a un double mépris : mépris envers les manifestants pour tous, qui sont présentés comme incapables de s’élever à cette hauteur de l’anthropologie, c’est-à-dire du discours sur l’homme. Qu’en pense François-Xavier Bellamy, manifestant pour tous et auteur d’un des best sellers de la Rentrée, un essai sur les Déshérités (chez Plon) - qui est une réflexion anthropologique, comme les évêques n'en ont pas encore produite ? Bonjour tristesse !

Je crois qu’il y a un autre mépris, plus caché, le mépris pour l’anthropologie justement. Lorsque l’on rencontre une problématique qui va jusqu’à mettre en cause l’anthropologie, on ne la prend pas à la légère, on n’exclut pas délibérément toute forme d’action, ou alors c’est que l’on s’enferme dans les prestiges faisandés d’une parole qui n’ordonne jamais l’action. Parole épiscopale ?

Reste, du point de vue pastoral (eh oui ! du point de vue de l’art du berger) une extraordinaire gaffe de l’évêque s’arrogeant le souci exclusif de « l’anthropologie » face à ses fidèles qui peuvent bien marcher... mais qu’il n’encouragera pas.
Claire Thomas

jeudi 16 octobre 2014

Saint Augustin fait recette [par l'abbé de Tanoüarn]

Beaucoup de monde ce soir au François Coppée pour la première séance "Saint Augustin". Le premier étage est trop petit. Nous envahissons le rez-de chaussée. J'ai admiré cette foule de gens attentifs sur des sujets pas très faciles. J'ai admiré cette volonté de savoir, ce désir de comprendre ce qui a pu mouvoir cet esprit si délié à se donner entièrement au Christ. J'ai conclu sur un extrait du Livre 8 des Confessions que j'aime beaucoup : "Les méditations, dit Augustin, les réflexions que je faisais sur toi, mon Dieu, ressemblaient aux efforts de ceux qui veulent s'éveiller et qui pourtant ne peuvent faire surface et sombrent à nouveau dans les profondeurs du sommeil" - en latin ne peuvent faire surface se dit : superati soporis altitudinis : vaincus par la profondeur du sommeil. Spirituellement nous sommes souvent vaincus par la profondeur de notre "sommeil dogmatique" (Kant dixit), par la force de nos habitudes, par le diktat de notre confort. Entrer dans la vie spirituelle, c'est comme accéder à l'action véritable, nous réveiller de notre sommeil (selon une image qui est aussi dans saint Paul) - vivre.

Facile ? voyez un peu plus loin dans le livre VIII : "L'esprit commande au corps, on lui obéit aussitôt. L'esprit se commande à lui-même : on lui résiste. Il commande - dis-je - de vouloir, lui qui ne commanderait pas s'il ne voulait pas : et il ne fait pas ce qu'il commande" Saint Augustin est l'homme qui a inventé la volonté comme concept philosophique, après que saint Paul l'ait évoqué comme réalité théologique. A quelles conditions pouvons-nous devenir des êtres volontaires ? Nous ne le pouvons pas sans la foi. En revanche, avec la foi (comme le remarque Descartes), on peut vouloir à l'infini, alors que l'intelligence humaine, elle, n'accèdera jamais à l'infini.

Ce n'est pas l'intelligence conceptuelle dont les représentations sont tellement limitées, c'est l'acte de la volonté, que l'on peut appeler la tendance intellectuelle, qui nous permet d'accéder à l'Absolu. Pour saint Augustin, le seul problème c'est de parvenir à aimer. "Notre coeur est inquiet jusqu'à ce qu'il trouve en Toi sa quiétude". "Mon amour est le poids qui m'entraîne".

lundi 13 octobre 2014

La vie spirituelle est d'abord un pouvoir [par l'abbé de Tanoüarn]

"Le peuple, voyant ce miracle, fut rempli de crainte et il  rendit gloire à Dieu de ce qu'il avait donné une telle puissance aux hommes" (Matth. 9, 8 dans la traduction fin XVIIème que m'a si gentiment offerte Eric qui se reconnaîtra). C'était la conclusion de l'Evangile de dimanche (XVIIIème dimanche après la Pentecôte), narrant la guérison du paralytique de Capharnaüm. Elle m'a toujours titillé. Mais ce soir, achevant mon sermon dominical, j'ai eu l'impression, le signe de croix achevé, que j'en avais enfin trouvé le sujet. J'avais parlé dix minutes pour chercher à exprimer quelque chose que j'essayais de formuler pendant la messe qui suivit.

Je tire deux propositions de cet effort d'attention : d'abord le pouvoir ou la puissance du Christ sont potentiellement celui ou celle de tous les hommes. Le Christ est essentiellement celui qui se communique, qui se donne, jusqu'à extinction ou en tout cas jusqu'à la mort. Il nous suffit de le vouloir pour le recevoir.Nous ne recevons pas cette puissance en vertu d'une prédisposition naturelle qui serait la nôtre. Elle n'est donnée ni aux plus sages ni aux plus vertueux. C'est la Miséricorde de Dieu qui nous revêt de son Fils. En nous il n'y a ni puissance active ni puissance passive à recevoir la Miséricorde de Dieu. Juste une puissance obédientielle, une simple non-contradiction... Et le mystère de notre volonté graciée et donc libérée par le Christ. Nous sommes des volontaires du Royaume, au moins aussi inexpérimentés et aussi naïfs que les fameux volontaires de l'an II.

Ensuite et nonobstant, la vie spirituelle authentique est nécessairement une affaire de pouvoir ou de puissance : pouvoir sur soi-même ; puissance indicible sur le coeur de Dieu. C'est ce pouvoir, c'est cette puissance, contredisant le pouvoir de la violence et la puissance du vice, qui est donnée aux hommes dans le Christ. Non pas le pouvoir sur les autres (si facile à exercer du moment que le rapport des forces est en notre faveur). Mais le pouvoir sur soi, pouvoir sacrificiel, pouvoir oblatif, pouvoir dont nous sommes tous et le sujet et l'objet. La grâce nous donne la liberté dans la mesure où elle nous donne de jouir de ce pouvoir ou de cette puissance.

Il ne s'agit pas de prendre le Christ juste pour un sage et d'envisager le christianisme comme une sagesse. Saint Paul, dès le Chemin de Damas, a compris cela, il l'explique de manière saisissante aux Corinthiens : "La parole de la Croix est folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui se sauvent, c'est-à-dire pour nous elle est la vertu et la puissance de Dieu". Les habitants de Capharnaüm, "sa ville" dit l'Evangéliste en parlant du Christ, ne sont pas dupes. Ils ont perçu ce langage de la puissance : après le miracle, "il rendent grâce à Dieu qui a donné un tel pouvoir aux hommes".

Quel pouvoir ? Saint Jean l'explicite dès son Prologue : "A tous ceux qui l'ont reçu, Il a donné le pouvoir de devenir enfant de Dieu, lui qui n'est pas né du sang ni de la volonté de la chair ni de la volonté d'un homme mais de Dieu". Le Pouvoir qui nous est donné est celui du surnaturel. Pourquoi parler de pouvoir ? Il s'agit de dépasser l'homme qui est en nous et de découvrir un dynamisme (une puissance) supérieure - le monde de l'Esprit dans lequel notre baptême nous fait officiellement entrer. Les pouvoirs ministériels confiés à l'individu par l'Eglise dans le sacrement de l'Ordre sont essentiellement  celui de pardonner les péchés ou celui de "confectionner" le corps du Christ, selon la vieille formule théologique qui renvoie non pas à l'artificialité de la 'confection' mais à l'absolu d'une perfection (conficere perficere), qui n'est pas de la terre et qui pourtant a été donnée aux hommes.

lundi 6 octobre 2014

"Que l'Eglise ne s'occupe pas de mariage de couples et de lits"? [par l'abbé de Tanoüarn]

Noces de Cana, fresque de l'abbaye de
Keur Moussa au Sénégal
Adrien recommence à faire des siennes! Il nous sort sans honte le magnifique poncif qui sert de titre à ce post. A pas peur Adrien ! Plus c'est gros plus ça passe. L'Eglise s'est toujours occupé des amours humaines. Voyez le chapitre 7 de la Première épître aux Corinthiens, entièrement consacré aux conseils que saint Paul donne aux unes et aux autres. Et il 'est pas commode, le saint Paul ! En revanche, il n'est pas aussi misogyne qu'un vain peuple pense : les obligations sont les mêmes pour les hommes et pour les femmes. Et surtout il est tout près du Christ qui refuse clairement et la répudiation et le divorce lorsque il dit : "Que l'homme ne sépare pas ce que Dieu a uni" (Matth. 19).

Pourquoi le Christ s'est-il mêlé de donner son avis sur le divorce ? Et pourquoi l'Eglise doit-elle reprendre son enseignement ?

Je vous immédiatement deux raisons : la première c'est que l'amour divin ne peut pas rester étranger à l'amour humain. Le Christ nous prêcherait l'amour sans s'occuper de nos amours ? Mais de quoi aurait-il l'air ? D'un puceau qui ne connaît rien à la vie et s'enferme dans sa tour d'ivoire ? Mais personne ne connaît la vie, mieux que le Christ : "Il n'avait pas besoin qu'on lui rende témoignage de l'homme car il savait, lui, ce qu'il y a dans l'homme" (Jean 2). Il faut être le Père Jean Miguel Garrigue pour imaginer que Dieu est sans idée du mal, une sorte d'innocent à perpétuité, toujours trompé par des pécheurs décidément plus intelligents que lui... parce qu'ils en connaissent un rayon qui lui échappe.

L'amour humain est quelque chose de foncièrement ambigu ou ambivalent, Dieu le sait. Platon disait que l'amour n'est pas un dieu mais un demi-dieu, le fils de Poros et de Pénia, d'abondance et de pauvreté. Il le voyait non pas comme les Latins imaginaient Cupidon, son arc et ses flèches, mais plutôt comme une sorte de clochard, qui vient déranger tout le monde, qui est exigeant à contre temps, laxiste quand il ne faut pas l'être, bref, quelqu'un de pas sortable. Et Platon a raison : depuis le péché originel, l'amour n'est pas fréquentable. Il y a de tout dans ce personnage. L'amour peut être le sommet de l'égoïsme, de la cruauté, de la possession, de la manipulation etc.

Nous disons, nous chrétien non seulement que l'amour est un dieu, mais que l'Amour est Dieu. C'est "l'Amour qui meut le soleil et les autres étoiles" comme chante Dante. Mais pour pouvoir prétendre cela, il faut que nous ait été révélé un amour extra-ordinaire, un amour purifié, où ne se trouve nulle jalousie et nul amour propre, un amour qui donne et qui pardonne, un amour qui s'oublie et qui se communique lui-même, un amour qui accepte de mourir pour l'autre car "il n'y a pas de plus grand amour".

Le développement de la première raison a amené la seconde : l'amour est quelque chose dont l'homme a l'intuition, mais qui est plus grand que lui. Il ne sait pas et il ne peut pas aimer seul. Le Christ est venu nous révéler la vraie nature de l'amour et sa grâce nous en donne la capacité. C'est pour cela qu'existe le sacrement de mariage : les époux ne sont pas seuls, s'ils s'aiment c'est dans et par le Christ.

C'est la raison pour laquelle on peut dire avec Denis de Rougemont dans L'amour et l'Occident que c'est le christianisme qui a inventé l'amour humain. Dans d'autres cultures l'amour relève du Kamasoutra, des Mille et une nuits, ou chez les Poètes latins exclusivement de la bagatelle. Cette immense histoire d'amour que tente de raconter la littérature occidentale, ce récit qui utilise le sexuel pour dévoiler l'âme, il provient du christianisme, qui a divinisé l'amour... qui en a fait la pierre de touche de la réussite et le plus grand signe du Bien (un signe quasi sacramentel, réalisant ce qu'il signifie). Si l'Eglise ne s'était pas occupé du mariage (quitte à rentrer parfois c'est vrai dans des détails désagréables), il n'y aurait pas la culture occidentale, il n'y aurait pas de véritable supériorité de l'Occident, il n'y aurait pas l'actuelle occidentalisation (christianisation) du monde.