samedi 6 décembre 2014

Les Sept contre Babylone - une tragédie contemporaine [par l'abbé de Tanoüarn]

Voici un article paru dans le n°900 de Monde et Vie. En l'écrivant je pensais très fort à la pièce tragique d'Eschyle Les sept contre Thèbes. 407 avant Jésus-Christ : ca ne nous rajeunit pas. 
Je placerais ici en exergue une belle déclaration d'Antigone, qui, dans cette pièce, se prépare à ensevelir son frère Polynice, malgré l'interdiction du roi Créon. Voici Antigone, son courage et sa manière de laisser parler "ses entrailles" :
Et moi pourtant, je le déclare au sénat des Cadméens : si personne ne veut m'aider à l'ensevelir, je l'ensevelirai moi seule ; j'en courrai le danger. Pour donner la sépulture à un frère, je ne rougis point de désobéir aux ordres de la cité. Elles ont une voix puissante, ces entrailles où nous avons pris la vie, enfants d'une mère infortunée, d'un père malheureux. Partage volontairement, ô mon âme ! son malheur involontaire ; vivante, gardons pour le mort des sentiments fraternels. Non, des loups au ventre affamé ne se repaîtront point de ses chairs; non, n'en croyez rien! Moi-même, faible femme, je creuserai la fosse, j'élèverai le tombeau ; moi-même, dans les plis de ma robe de lin, je porterai la terre, j'en couvrirai le cadavre. Que nul ne s'oppose à mon dessein : la ruse, l'activité, seconderont au besoin mon audace.
Le 26 novembre, on a célébré le quarantième anniversaire de la loi Veil sur l’interruption volontaire de grossesse en faisant voter une loi qui fait de l’avortement « un droit fondamental ». Un droit de l’homme et, en l’occurrence surtout, un droit de la femme, car dans les faits ce droit la rend seul juge de la vie ou de la mort du petit être qui a nidé dans son ventre. Je pense à ce futur père éploré, qui est venu me voir récemment, n’ayant pas réussi à raisonner la femme, enceinte de ses œuvres comme on dit, et qui ne souhaitait pas que « cela » vienne interrompre le cours tranquille de son existence de bourgeoise friquée, intermittente de la Fac. Oh ! Je ne suis pas un champion de la condition masculine ! Je sais bien que souvent les pressions peuvent venir de l’homme justement pour que la femme « fasse passer » le petit être qui, inconsciemment, avait fait d’elle son refuge.

Je sais aussi que le temps des aiguilles à tricoter est terminé, que maintenant, entre l’aspirateur et la simple pilule du lendemain, nous avons des moyens de plus en plus perfectionnés pour interrompre une grossesse. Je sais que l’objectif des scientifiques qui travaillent à créer des utérus artificiels, c’est de débarrasser les femmes du fardeau de leur grossesse. Viendra sans doute un temps où « on » leur interdira d’être grosses.

Dans cette affaire, c’est le cas de l’écrire, nous ne luttons pas contre la chair et le sang mais contre les puissances et les dominations de ce monde de ténèbres… Contre le Progrès majusculaire, contre la Technique qui envahit tout, même le plus intime, contre les lobbies de l’individualisme triomphant, contre le sens de l’histoire, contre la loi (celle de 1974) et maintenant contre… « le droit ».

Les députés français ont tous compris l’ampleur de la bataille. Courage fuyons ! Ce 27 novembre, ils étaient sept – sept en tout et pour tout dans l’hémicycle – qui ont refusé de faire de l’avortement un droit fondamental. Il faut citer ces sept héros du cœur et de l’esprit, sept contre Babylone : Jean-Frédéric Poisson, Jacques Bompard, Yannick Moreau, Xavier Breton, Olivier Marleix, Nicolas Dhuicq et Jean-Christophe Fromantin. On peut compter les absents, remarquer que la propagande est telle que parmi ces opposants au droit à l’avortement, il n’y a pas une seule femme  et souligner que le seul membre de la Démocratie chrétienne (UDI), parmi ces sept héros, Jean-Christophe Fromantin, s’est vu prier de démissionner par certains de ses collègues qui sont pourtant « de la même sensibilité ».

- Démissionner ? dites-vous. - C’est que l’avortement devient un droit de l’homme, un droit « fondamental ». Qui le refuse sort du jeu politique par le fait même. Une loi, on peut toujours voter contre. Mais une loi républicaine représente l’unanimité des citoyens, comme l’a très bien expliqué Jean-Jacques Rousseau : une fois votée, il est interdit de s’y opposer. Et maintenant, cette loi, après 40 ans d’expérience, devient un droit : qui s’y opposera d’une façon ou d’une autre (ne serait-ce qu’en essayant de décourager une femme qui est tentée d’avorter) risque de le payer très cher, jusqu’à être frappé d’indignité civique.

Et pourtant ce droit à l’IVG semble naturellement opposé au droit naturel le plus imprescriptible, qui est le droit à la vie de tout être vivant que l’on peut qualifier d’humain. Mais qu’importe le droit à la vie dans une culture de mort !  Celui-là d’ailleurs, si évident soit-il, n’a jamais pu être voté. Il n’aura jamais cette sacralité-là.

2 commentaires:

  1. Entre vous et moi, Monsieur l'abbé, je ne suis pas le royaliste et pourtant vous ne dites pas le plus simple, le plus évident: c'est que ce droit à l'infanticide sacralisé comme "loi fondamentale" singe "les lois fondamentales" de l'ancien "royaume" de France. Et vous ne répondez pas à la question que se pose "le candide", "le simple d'esprit" que je suis en toute circonstance malgré mon style amphigourique: pourquoi? Pourquoi ce sacrilège? Pour faire un tour de potaches aux calotins ou pour lancer un clin d'oeil et un coup de pied de l'âne politique à une certaine royauté sociale? Une Royauté sociale que le démocrate que je suis récuse en pensant qu'un peuple comme un individu doit adhérer librement au dessein conçu à son sujet par la Providence. Mais ce que font ces républicains est un sacrilège dont le démocrate que je suis ne se rendrait jamais coupable. Donc il y a une différence entre eux et moi. Quelle est cette différence? En quoi suis-je près et en quoi suis-je loin du royaume auquel vous pensez? Et comment en rapprocher une société qui ne sait plus qu'elle veut se donner à Celui qui ne la décevra et ne la trahira pas?

    RépondreSupprimer
  2. il me semble que le texte voté en novembre dernier et contre lequel se sont élevés les sept députés est une "résolution", sorte de déclaration de principe qui n'a pas force de loi.

    par contre, il semble qu'une loi ait été votée antérieurement, le 23 juillet 2014, qui ne portait pas exclusivement sur l'avortement, mais qui "consacre" celui-ci comme un droit en effet : http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/root/bank/download/2014700DCccc_700dc.pdf

    il y avait eu alors plus de députés et sénateurs pour porter l'affaire devant le Conseil Constitutionnel. le fait qu'il n'y ait eu que 7 députés lors du dernier vote peut-il s'expliquer par le fait que l'affaire était déjà pliée ?

    RépondreSupprimer