lundi 8 décembre 2014

Le signe de la femme [par l'abbé de Tanoüarn]

Les catholiques connaissent bien le texte du chapitre 3 de la Genèse, insolite tant il est catégorique : « Je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre ta descendance et sa descendance. Tu la mordras au talon, mais elle t’écrasera la tête » (Gen, 3, 15). Ce verset est connu sous le nom de « protévangile », c’est un Evangile d’avant l’Evangile ; c’est la première bonne nouvelle, immédiatement après la Chute : le Serpent n’imposera pas ses pensées serpentines, il sera écrasé. Ecrasé ? On nous parle de sa tête écrasée, sans doute pour montrer que ce sont les pensées du Serpent qui seront subjuguées par l’élan de pensées nouvelles et d’événements nouveaux obscurément aperçus au Commencement de ce Livre. Ce qui est décrit justement, naissant d’un grand collapsus (le péché originel), ce sont des pensées et des événements à venir. Ces pensées et ces événements sont comme l’horizon de l’histoire. Ils constituent la seule Révolution décisive dans le monde, la seule aussi qui dure depuis 2000 ans, la Révolution chrétienne, qui fait face au Serpent. Comme en écho au Protévangile du Livre de la Genèse, c’est, à la fin du Livre, l’Apocalypse de Jean qui nous montre cela de façon imagée : le Père, l’Agneau et l’Esprit, Trinité béatifique, font face à la Trinité négative, constituée du Serpent ou du Dragon (il en est question dans la Genèse et le revoilà dans l’Apocalypse) et des deux Bêtes de la Mer et de la Terre (cf. Apoc. 13).

Dans ce contexte de guerre à mort entre Trinité béatifique et triade maléfique, comment interpréter le signe de la Femme victorieuse du Serpent (Apoc. 12, 1 ssq.) ? Quel sens donner à « l’inimitié » posée à l’origine entre la femme et le Serpent ? Comment comprendre cette vision de Jean : « Un signe, un grand, apparut dans le ciel : une femme enveloppée du soleil, et la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles, et enceinte (…) Et le Dragon [« l’antique Serpent »] se tient debout en face de la Femme, celle qui est sur le point d’enfanter » (trad. Delebecque). On conçoit bien que les deux textes, au commencement et à la fin du Livre, dans la Genèse et dans l’Apocalypse, vont ensemble. Ils s’éclairent l’un par l’autre.

Il n’y a vraiment qu’une seule interprétation satisfaisante de ces deux textes pris ensemble, celle qui consiste à y voir l’annonce d’une maternité, triomphante du mal et de la mort et finissant par vaincre le Serpent. Depuis saint Irénée, le plus grand des Pères apostolique, tous les théologiens lisent ainsi le début de la Genèse, et l’appliquent à la Vierge Marie. Comment le comprendrait-on autrement ?  L’inimitié est le fait de Dieu : « Je poserai ». C’est Dieu qui établit cette contradiction primordiale entre le Mal et la Femme.

La fête de l’Immaculée conception que nous avons le bonheur de célébrer ce 8 décembre nous transporte au cœur de ce mystère de la victoire de Marie, pure conception divine, immaculée conception, créature et seulement créature, mais créature parfaite, « sainte par nature » dit Maximilien Kolbe. Marie est essentielle dans le mystère de notre salut, car elle représente à elle seule le Oui inconditionnel de la créature à son Créateur. En elle est toute la liberté de l’humanité. En elle est donc toute la perfection de l’humanité.

Contrairement à ce que l’on dit souvent, cette fête n’a rien à voir avec la virginité de Marie. Elle signifie que Marie, que l’on nomme « pleine de grâce » dans la prière du Je vous salue Marie, n’a pas été marquée par le péché originel. Alors que pour tous les humains spontanément le mal est plus facile à faire que le bien et l’égoïsme ou l’égocentrisme plus évident que l’amour du prochain, pour Marie, qui doit devenir le réceptacle du Messie, le péché n’a pas de prise sur elle. Elle est pure par nature et pas seulement par éducation ou par un effort personnel. Cette pureté du cœur vient en elle d’une familiarité particulière qu’elle a avec Dieu. Elle médite l’Ecriture, comme le montrent les nombreuses citations de son Cantique, le Magnificat, et elle est particulièrement lucide sur les exigences de la parole de Dieu. Saint Augustin explique en ce sens qu’avant d’avoir conçu Jésus dans son corps, elle l’avait conçu dans son cœur.

C’est ainsi que dans le Livre de la Genèse déjà, Marie est annoncée comme la Femme qui tient tête au Serpent diabolique. « Je mettrai une inimitié entre toi et la femme » dit Dieu au Serpent. Lorsque Jésus veut rappeler à Marie sa Mission, il l’appelle justement « Femme » comme dans le Livre de la Genèse : « Femme, qu’y a-t-il entre toi et moi ? »  au deuxième chapitre de saint Jean. Marie est depuis toujours celle qui fait échec au Mal, non seulement en elle-même, par son Immaculée conception, mais  dans le monde.

Contempler la perfection de Marie « mère de Dieu », doit nous conduire à méditer sur notre propre imperfection. En voyant tout ce qui nous manque, nous aurons un désir plus grand de réussir notre vie, en vivant dans l’ordre voulu par Dieu, dans la beauté que Dieu donne à ceux qui l’aiment comme Il l’a donnée à Marie. Il nous faut faire de notre vie un destin qui survit à la mort, et pas seulement une suite de bonnes fortunes et d’occasions à saisir sur le moment.

6 commentaires:

  1. Merci pour cette belle méditation !

    Elle nous rappelle ( si vous en êtes d'accord ?) que les évangélistes et les Pères de l'Eglise lisaient l'Ecriture (et non le catéchisme ou les encycliques ! ) dans une logique symbolique (au sens fort):" Marie, mère de Jésus", c' est la "figure" de l'humanité en sa vérité de fond. L'humanité, malgré tout son mal, n'est pas vicieuse en sa racine ( "immaculée conception"). Elle est par nature engagée dans une histoire qui est lutte contre le mal. Et elle n'est pas avant tout mortalité, mais vie éternelle ("assomption").
    Bien à vous.

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  2. Tout simplement merveilleux... Et enthousiasmant!
    Quel magnifique programme pour nous !
    On peut constater chaque jour que nous ne sommes pas de ce monde.
    J'apprenais hier que " les français" réclament des funérailles laïques!!!
    Le déchaînement contre Dieu est inouï. Ne nous laissons pas abattre!
    Benoît XVI rappelait que toute vie est une suite d'attentes,et que la grandeur de la vie chrétienne est l'attente du Ciel manifestée dans notre vie quotidienne par notre charité.
    Même programme superbe et joyeux.
    On aimerait que Dieu nous envoie une nouvelle Jeanne d'Arc, elle est dans notre cœur pour combattre et ne pas nous décourager! Avec la Sainte Vierge...fermement et avec douceur... Oui, tout un magnifique programme!
    Merci monsieur l'Abbé!

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  3. Méditation très riche à envoyer au journal "Elle" et cie .

    Voilà un vrai et très ancien "féminisme" .
    Mais il faut méditer sur la virginité ET la maternité de Marie et voir que la femme n'est ainsi pas "réduite" à une maternité charnelle .
    Elle est autrement féconde et elle est l'archétype , la première , de l'humanité sauvée , la première et la dernière Eglise qui croit , prie et évangélise , une Eglise non hiérarchique mais qui soutient la "hiérarchie" apostolique et le sacerdoce .

    Elle est vierge , elle est mère , elle est vierge , disait , je crois , St Augustin

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  4. Quelques sottises ou élucubrations (car je ne peux écrire que des sottises après Hermeneas, que je suis pourtant heureux de relire):

    1. "Tu la mordras au talon et elle t'écrasera la tête."Voilà pourquoi les femmes portent des talons et cela fait tourner la tête aux hommes!

    2. Le dragon guette l'enfant pour le dévorer dès sa naissance comme nos sociétés l'attendent pour consommer et un peu produire. Mais pourquoi l'Enfant est-il enlevé auprès de dieu tandis qu'une place est préparée pour la femme au désert? Combien de temps doit durer ce désert de la femme? Pourquoi est-ce du désert que Marie nous apparaissant ne nous annonce que des catastrophes, et pourquoi ne nous parle-t-elle presque jamais depuis la beauté de Dieu pour nous Le faire aimer? Pourquoi la femme se sent-elle si seule d'être mère un peu comme, en transposant, les mères regardent leurs enfants de la terre se faire manger par les dragons? Elles ne peuvent rien faire, mais on les accuse quand même d'être démissionnaires, et d'être responsables des dragonnades des enfants qui leur ont été enlevés. On les rend responsables du fait que leurs enfants sont devenus ce qui les a mangés.

    3. Ne faut-il pas craindre qu'une méditation comme la vôtre ne tombe dans le cliché de la femme-réceptacle?Vous faites bien de vous interroger sur la liberté de Marie. cela posé, cette liberté apparaît d'abord comme celle d'une femme de tête... cette liberté se présente beaucoup moins comme une faculté de choisir que comme une volonté de comprendre. Si Marie saisit les exigences de la Parole de Dieu, elle veut comprendre ce qui lui arrive.si Marie tient tête au serpent, elle tient tête aussi à l'ange Gabriel: "Comment cela va-til se faire?" Son "fiat" n'intervient qu'après l'explication de l'ange.

    4. La liberté de Marie est le visage d'un "oui" inconditionnel de la créature à son créateur. sous les réserves précédentes, cette liberté est à la fois la plus grande docilité et la plus grande aventure. La docilité de l'"inc'h Allah" qui fait aimer Myriam aux musulmans qui n'ont pas encore dit "mektoub". Et l'aventure d'une vie dont la surprise est dans le tournant, et dans la différence de ce qu'on en avait planifié et de l'imprévu que dieu a ménagé. La liberté inconditionnelle accordée au créateur, c'est l'abstention de juger cet imprévu, la préservation de la peur de l'inconnu, et cela va presque jusqu'au désaisissement surréaliste au magnétisme de la rencontre.

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    1. la OUI de Marie en France, le OUI lié au Créateur, se réalise avec merveille dans une Vallée des Merveilles et comme c'est la fête de l'épiphanie de l'adoration des Rois mages et de l'émerveillement des b ergers, je veux comme l'étoile de Bethleem, vous faire découvrir la beauté infinie de cette création qui accompagna la OUI de Marie pour preserver toute la nature de la blessure de la faute originelle. Au sujet de l'Immaculée Conception. Ce n'est pas une révélation du XIXe siècle avec Lourdes, comme je le crus très longtemps. Au Moyen Age, on y croyait déjà c'était l'objet de débats entre franciscains (Jean Duns Scot etc..) ; et un certain François de Meyronnes, originaire de Meyronnes nom de village dont le nom qui vient de "meyre", cabane de berger ( assonnance avec Mère) écrivit un 'Traité de l'Immaculée conception' au XIIIe siècle : et ce traité nous est parvenu. (Ce François de Meyronnes, est à l'origine d'une épreuve à la Sorbonne, comme le B ac, un certain temps de rester sans boire ni manger pour plancher sur un sujet et le soutenir.). Mais surtout je vous conseille les randonnées sans sa région natale, préservée de la pollution, dans la Vallée de l'Ubaye, dont les sources montagnardes issues des glaciers dépassent en beauté celles de Lourdes, vallée qui compte les ancêtres famille Grouès, ) bergers comme ceux de Giotto ou de saint Pascal Baylon et tant d'autres, du Christ, le premier berger du monde, ( d'un autre franciscain célèbre, l'Abbé Pierre qu'on pense originaire de parents soyeux des soieries de Lyon (Croix Rousse) pas du tout ce sont celles de Jausiers, Saint Paul sur Ubaye, et de la montagne. PLus loin, un hameau du nom de Matha rappellait autrefois que le saint de ce nom illustre en était originaire également. Une dévotion tenace à Notre Dame de Guadalupe, celle qui "écrase la tête du Serpent". parce que les habitants de Barcelonette partaient au Mexique. La flore est inoubliable (edelweiss, sapins , épiceas, mélèzes etc..) mais la géologie aussi. on y trouve là à côté de Saint Paul, sur Ubaye un certain marbre vert, serpentine appellé "vert maurin ", qui contribua à la construction de nombreux monuments et servit à faire des autels sans doute autrefois. et peut être le grand autel de Saint-Nicolas-du -Chardonnet... Au loin la Tête de Louis XVI, et le Chapeau du Gendame, le Col de Mary, sont trois beaux sommets entre ceux de la V allée.. avec la plus haute boite aux lettres de l a vallée . Mary ou Marie, nom marial. par excellence. Le col de Marie, est celui qui mène en Italie : no raconte qu'autrefois Hannibal passa par là avec ces éléphants avant de manquer de prendre Rome... de petites chapelles dédiées à Saint Antoine du Désert, etc... sont la présence de Dieu, si haut, si loin qu'on n'éntend que le bruit des chutes de montagne et le cri des marmottes : c'est le silence, le Grand silence. Bonne épiphanie à tous, suivez l'étoile.,du berger, c'est Marie et, ...elle conduit à Jésus...

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    2. Ce marbre vert si connu autrefois est une pure merveille. Cette pierre fait aussi comprendre finalement, pourquoi ' une filiation a été établie entre Vincent de Paul et l'abbé Pierre' ( Matthieu Baumier " Saint Vincent de Paul ) - l'autel, signe de la sainteté absolue de Dieu, du Christ, qui s'y immolait autrefois )
      puisque le mabre de l'autel de saint -Nicolas -du -Chardonnet en marbre vert est sans doute le marbre de maurin quoique ce soit à vérifier.. filiation paroissiale si j'ose dire, à Paris, entre le XVIIe puis le XIX et XX e siècle entre les deux grands défenseurs des pauvres et des forçats.. mais surtout que vos cœurs ne restent pas de pierre ni de marbre , faites que, comme l'hostie, ils se transubstantient en cœur de chair et de compassion, et, c'est ce que je vous, souhaite.. pour parler comme le curé d'Ars..

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