vendredi 29 août 2014

Pas la bonne page [par RF]

[par RF] Chers visiteurs, vous le savez: les messages de ce MetaBlog sont ouverts aux commentaires, parfois même très critiques. Cependant j’en ai zappé deux aujourd’hui. Il y a celui qui sans même écrire le mot «juifs», explique benoîtement qu’ils gouvernent la France en sous-main... Et celui qui suggère que venant de la banque Rothschild, notre nouveau ministre de l’économie est forcément inféodé à des intérêts communautaires, etc.

Merci, mais il est tout à fait inutile d’espérer acclimater ce type de querelles sur ce blog. Vous n’êtes pas ici à la bonne page si vous venez y alimenter votre judéomanie. Il y a des sites et des forums pour cela. Allez-y, et de préférence restez-y. Vous en tirerez les conclusions que vous voudrez, qui éventuellement vous feront plaisir.

Il n’est pas inintéressant de connaître l’histoire des différentes communautés qui se surajoutent au vieux substrat français, ni d’étudier le rôle que jouent les origines sur les comportements. Mais le sujet est glissant, et propice à toutes les provocations. Certains connaissent peut-être «Biedermann et les incendiaires», de Max Frisch: c’est l’histoire d’un type que accepte d’héberger un inconnu, parce qu’il ne veut pas passer pour timoré et soupçonneux. Disons que je vois très mal ce blog dans le rôle de la maison des Biedermann.

Dé/baptême de la France [par RF]

[par RF] La France baptise de moins en moins ses enfants : 71% de baptêmes en 1980, 47% en 2000, et 32% l’an passé. On a beau le savoir, ça laisse une impression bizarre quand tombent les chiffres, chaque année plus mauvais que l’année précédente. Le journal La Croix a établi une carte interactive intéressante que j'insère ci-dessous: posez-y le curseur de votre souris et jouez avec la molette. On y observe la disparité qu’il y a entre le diocèse de St-Flour par exemple (75% d’enfants baptisés) et celui de St Denis (9%). On a là à peu de choses la carte d'une France encore ancrée dans ses traditions, par opposition à une France… d’après. 

La chute étant approximativement linéaire, on peut situer chaque diocèse dans le temps. Celui d’Angers (46%) est un peu en retard sur la dégringolade générale, sa situation est celle de la France de 2001 ; à Chalons (61%) on est encore à la fin des années 1980. A contrario Toulouse (25%) est en avance et préfigure les années 2020, tandis que Créteil (16%) nous parle des années 2030. 

Par contrecoup, les baptêmes d’adultes se font chaque année plus nombreux (6.100 en 1980 / 27.000 en 2011), cela ne compense pas la chute globale, mais par effet de ciseau (moins des uns, plus des autres) les adultes représentent déjà plus du dixième des baptêmes annuels.

jeudi 28 août 2014

Saint Augustin : mais c'est sa fête aujourd'hui

Je continue, pour sa fête, l'éloge de saint Augustin que j'ai entrepris. J'ai parlé de la forme merveilleuse de sa parole, qui à elle seule nous découvre tout ce qui est en nous et qui échappe à notre conscience représentative. Ce matin encore, je m'escrimais sur la première page des Confessions : Fecisti nos ad te, Tu nous a créés tournés vers Toi et notre coeur est inquiet tant qu'il ne trouve pas en toi sa quiétude... Saint Augustin se préoccupe de la quiétude (et de l'inquiétude) de chaque âme. Il fait de la vie intérieure, par le miracle de sa plume, un spectacle vivant et vibrant, qui comme l'explique Pierre de la Coste a ébranlé le monde au XVIème et au XVIIème siècle.

Mais on assiste, au fil des années, jusqu'à sa mort en 430 dans Hippone assiégée par les Barbares, à l'extension constante du domaine de sa recherche. Lorsqu'il aborde son grand Oeuvre, La Cité de Dieu, il montre l'ampleur de sa recherche, entre philosophie des religions, éthique, sociologie, politique, psychologie, phénoménologie ou théologie spirituelle. Il rapproche les disciplines avec audace, sonnant sans le savoir le rendez-vous de l'Universitas médiévale et donnant le branle au progrès des savoirs enlacés. Quel domaine dans les sciences de son temps lui sera resté fermé ?

Mais l'audace n'est pas tout, il y a encore le talent du pédagogue. Il suffit de lire un de ses Sermons, tiens le Sermon 9 sur le Décacorde (qui est le Décalogue, extraordinaire, divin facteur d'harmonie auquel il ne doit pas manquer une corde) : on sent le professeur qui a donné des cours et qui veut qu'on l'entende. Il sait se faire comprendre, quitte à se répéter. Il cherche toujours l'exposition la plus claire et la plus convaincante des arcanes de la Divinité où il a osé aventurer sa plume...

Et surtout, Augustin, c'est l'homme de l'ordre, avec un paradoxe : l'ordre pour lui n'est pas tant l'ordre du monde (qui frappa tant un Aristote par exemple) que l'ordre de l'esprit, celui qui se donne à croire dans une forme d'évidence forcément intelligente. Cet ordre de l'esprit souverain, lui permet d'observer en lui-même la profondeur de l'Infini : intimior intimo meo, plus intime que mon intime et plus élevé que ce qu'il y a de plus élevé en moi. Cet ordre de l'esprit propose une sorte de prophylaxie :  à quelles conditions l'esprit est-il capable, non de se dégrader dans ce qui fera sa honte, mais de se respecter lui-même ? C'est la première question qu'Augustin pose dans ses Confessions. Le respect que l'esprit doit éprouver pour lui-même s'objective dans la foi en Dieu

mardi 26 août 2014

Libres réflexions sur un crash politique

Arnaud Montebourg, dont on connaît les sorties fracassantes et qui vient d'annoncer sa sortie fracassée du Gouvernement de l'échec, a commenté son départ en citant saint Augustin, sinon littéralement, au moins dans l'esprit : "Il ne faut pas craindre de perdre ce que l'on a pour être ce que l'on est"... Ca ne l'empêchera pas de toucher sa solde de ministre. Au moins peut-il, fidèle à Gabriel Marcel plus encore qu'à saint Augustin, nous refairte le coup de l'être et de l'avoir. Cela pose la grande question (non polémique) : comment peut-on être de gauche aujourd'hui ? On peut parler de gauche. Mais quelle politique suivre ?

Benoît Hamon et Aurélie Filippetti (l'un à l'Education nationale, l'autre à la Culture) ont été plus explicites. "La rigueur budgétaire ne peut pas être un but en politique" a déclaré le Ministre de l'Education nationale. Evidemment. Surtout pour un ministre de gauche dont le but en politique est d'arroser ses "clients" électoraux de toutes sortes de subventions étatiques. Aurélie la Cultureuse vend carrément la mèche en déclarant avec fracas : "On a encore le droit d'être de gauche". Encore ? Mais pour combien de temps ? Le Pays est ruiné, au bord de la déflation et de la décroissance. Les Français n'en peuvent plus d'un impôt qui tend à devenir confiscatoire, au point qu'aujourd'hui même les socialistes répètent sentencieusement : "Trop d'impôt tue l'impôt". Il faut prendre des décisions qui sont avant tout de gestion mais le ministre de la Culture se préoccupe, elle, de sa virginité idéologique : comment être et rester de gauche quand on est concrètement au service d'un Etat Titanique ? Le principe de réalité rattrapera-t-il le principe de plaisir ? Pas pour tout le monde en tout cas. Certains, à gauche, revendiquent le droit de n'être pas des gestionnaires. Panache et culte de l'inutilité. Ils ont décidément la haine... du réel : "On a encore le droit d'être de gauche".

La perspective de Benoît Hamon et celle d'Arnaud Montebourg ne sont pourtant pas tout à fait de la même eau que celle, adolescente presque, d'Aurélie la Cultureuse. Pour eux c'est la France qui va mal, c'est la France qu'il faut soigner. Pas en la saignant avec des mesures de rigueur, mais en lui assignant des buts, en réfléchissant à des objectifs nouveau, en pratiquant, face à la Finance internationale et à l'impérialisme économique allemand,  un sain nationalisme économique (oh ! ils ne l'appelleraient sans doute pas ainsi, c'est égal). Le retrait de Benoît Hamon et d'Arnaud Montebourg signifie moins la volonté, affichée envers et contre tous, de rester de gauche que le désir de conserver une politique économique à la France. C'est l'obsolescence de la Gauche idéologique et partisane comme de la gauche libérale au service de l'Internationale financière ("ce grand cadavre à la renverse comme disait BHL en d'autres temps) qu'ils manifestent dans leur indépendance d'esprit vis à vis du PS et du Gouvernement de M. Valls.

Pour un tel pavé dans la marre aux canards, Montebourg a raison, saint Augustin n'était sans doute pas de trop.

lundi 25 août 2014

Augustin... Qu'est-ce qu'on y trouve de si exceptionnel ?

Ce n'est pas tout à fait un hasard si on redécouvre Augustin Au fond, il exauce le désir que la phénoménologie, qui l'a fait surgir, me paraît incapable de satisfaire : désir de considérer la vie intérieure non comme un ensemble assez nébuleux de courants d'air en sens contraires, mais comme un ensemble de faits, observables, et qui, quel que soit le signe qu'ils portent, qu'ils paraissent plutôt positifs ou plutôt négatifs, disent tous la même chose au fond - ce qui donne forme et vérité à la quête augustinienne. Husserl avait noté l'importance d'Augustin dans son cours sur la conscience du temps. Mais la conscience du temps est un cas particulier (au livre XI des Confessions) qui certes permet de constater la perspicacité d'Augustin, mais qui ne nous dévoile qu'une partie de son génie... Augustin n'a pas son pareil comme analyste de notre vie intérieure, et il sait dire cette analyse, dans une langue pétrie d'images et de néologismes, à la fois précise et paradoxale, qui nous représente efficacement l'insaisissable.

La forme a une grande importance chez Augustin. Je me hasarderais à dire qu'elle fait tout son prix. C'est un peu la même chose chez saint Thomas d'Aquin, ce génie de la langue latine, qui a la sobriété, qui a l'économie de paroles des vrais professeurs. Il y a tant de théologiens qui écrivent mal, et qui, disant des choses matériellement passionnantes, les disent en prêchant dans le désert. Augustin, lui, cherche avec élégance et trouve avec éloquence. Attention : c'est un diesel : il lui faut du temps ou plutôt de l'espace pour se livrer à cet exercice d'invention ou de découverte des perles précieuses de la théologie. Mais quand il a trouvé, quelle jubilation ! Il vous emporte. Vous n'avez pas le temps de protester : vous êtes à lui. Il vous comble. Mais le pire c'est que, satisfait, lui, il ne l'est pas. il remet sans cesse son ouvrage sur le métier, toujours en recherche d'une plus ardente formulation, c'est-à-dire d'une expérience plus justement, plus fermement exprimée.

Je prendrais un exemple, qui m'occupe en ce moment : le premier chapitre du Livre III des Confessions de saint Augustin. L'abbé Laguérie m'a demandé cette année de prêcher la retraite des prêtres de l'IBP. Je les entretiens donc - en bon monomaniaque ou pour mutualiser l'effort, comme vous voudrez - de saint Augustin. Non pas dans l'abstrait, en essayant de reconstituer ses grandes idées dans une sorte de digest, qui serait en l'espèce fort indigeste. Non : en prenant son texte à bras le corps, en écoutant le rhéteur, en essayant de faire toucher du doigt les oscillations de son analyse, le rythme de sa pensée. A ce rythme, direz-vous, on n'avance pas très vite ? Qu'importe ! L'ensemble de l'oeuvre, dans son intentionnalité profonde, peut tenir en quelques lignes. Ainsi en est-il de ce chapitre, où l'on a l'impression de... toucher le fond.

Pour qualifier l'intensité de son idéal spirituel, avant même qu'il ne soit parvenu jusqu'aux rives de la foi, saint Augustin à cette formule célèbre : "Je n'aimais pas encore, mais j'aimais aimer". "Je cherchais sur quoi faire porter mon amour dans mon amour de l'amour et je haïssais la sécurité [securitatem oderam] et les chemins sans souricière. Car il y a une faim en moi, dans mon intime pour une nourriture intérieure. Mais hélas cette faim n'excitait pas mon appétit. Je n'avais aucun désir des nourritures spirituelles. Ce n'est pas que j'en étais saturé, mais plus j'étais à jeun, plus j'étais écoeuré"...

La qualité que saint Augustin se reconnaît à lui-même ? Au moins, ce n'est pas un fonctionnaire de Dieu. Cet amour de l'amour qui le travaille est une sorte de prédisposition (une prédestination ?) aux choses grandes que Dieu lui fera faire. Au moins peut-il dire, et, oui... il s'en vante presque : "Je haïssais la sécurité et les chemins sans souricière". Pascal dira, comme en écho à cet Augustin-là, l'importance du risque, la nécessité du Pari dans la vie spirituelle. Avec Dieu, on gagne à tous les coups, on le sent, mais on ne le sait qu'après.

"Il y a une faim de Dieu, mais cette faim n'excitait pas mon appétit". J'ai un vieil ami qui a coutume de dire : "Je n'ai pas faim mais je mange de bon appétit". Mais ca ca fait juste du lard... Ce n'est pas sain. Saint Augustin ici dit le contraire en opposant à fames [la faim] le verbe esurire [avoir de l'appétit]. Pour Dieu, il y a en nous une vraie faim : nous sommes tellement vide que nous ne pouvons pas ne pas désirer la Plénitude. Mais nous n'en avons pas conscience, parce que nous manquons d'appétit... Voilà ce qu'il faut répondre à tous ceux qui tiennent la théorie du désir naturel de voir Dieu : oui il y a en nous une faim de Dieu, mais nous ne la connaissons pas et donc nous ne l'éprouvons pas.

La connaître, la reconnaître en soi, cette faim de Dieu, c'est se préparer à l'éprouver à l'Infini. Sans jamais saturer. Si je sature spirituellement, c'est le trop peu qui m'écoeure, note opportunément Augustin dans le texte que nous venons de citer. Le trop peu : celui qui ne connaît pas les richesses de l'esprit n'éprouve pas les consolations de l'esprit, et - ajoute le Christ dans l'Evangile d'aujourd'hui (saint Louis) : "à celui qui n'a pas on enlèvera même ce qu'il a". La pénurie spirituelle s'autoreproduit, comme la satisfaction pulsionnelle appelle une autre satisfaction pulsionnelle. Moins on possède spirituellement, plus on est écoeuré de ce que l'on possède. Qui a eu le courage de poser cette évidence permettant si bien de cerner la fragilité de notre nature ? Augustin seul. Il n'a pas son pareil.

dimanche 24 août 2014

Carcan [par RF]

[par RF] Le maire de Béziers a permis que la feria traditionnelle soit précédée d'une messe. En protestation, des voix se sont élevées, des cheveux se sont dressés, etc. Cela indique assez le poids du carcan qui nous enserre, du gauchisme culturel qui nous étouffe. Je ne développerai pas, la plupart d’entre nous trouveront 1.000 exemples de la chose, pour peu qu’on veuille bien faire la différence entre «la gauche»… et «le gauchisme» dont se plaignaient déjà Lénine ou Duclos. Je veux juste vous faire part de trois intuitions que j’ai à ce sujet:

D’abord que ce carcan tombera peut-être… ou peut-être pas, mais qu’enfin rien n’est gravé. Il est possible qu’il s’alourdisse sans cesse, mais ce n’est pas inéluctable. Rien n’est pas gravé, et si improbables que soient certains événements: il arrive qu’ils arrivent. On aurait dit à nos ancêtres de 1847 qu’un Bonaparte (re)monterait sur le trône, ils auraient haussé les épaules. Il y a peu de chance que vous gagniez à la loterie, pourtant quelqu’un gagnera, c’est certain, et en sera le premier surpris.

Ensuite, que quand le carcan tombera, ce sera par pans entiers. Telle chose est impossible? mais voilà qu’elle advient, et tout ce qui s’y rattache vient avec. J’apprends par exemple qu’il y a à Béziers un aumônier des arènes. L’an prochain la messe semblera toute naturelle, et qui sait si dans deux ans l’évêque, qui est celui de Montpellier, ne s’y fera pas représenter. Quand les digues pètent, ça coule rarement au goutte-à-goutte – voyez le mur de Berlin.

Enfin j’ai l’intuition que le vernis pourrait craquer non pas dans la hargne et l’aigreur mais dans une bonne humeur printanière. J’ai été frappé récemment lors d’une élection partielle. S’opposaient au second tour le ‘jeune’ (20 ans et quelques) soutenu par le FN, et le ‘vieux’ (l’âge d’être son oncle) soutenu par tous les autres (de l’UMP au PCF). L’air grave, le ‘vieux’ invoque l’amour sacré de la patrie républicaine, la nécessité de… mais à ce moment, le ‘jeune’ rit. Son rire n’est pas méprisant, ni agressif, ni forcé – juste joyeux. Il rit comme on rit à la fin du repas, quand le tonton pince-sans-rire s'essaye à un sketch: presqu’avec connivence. C’était… destructeur.

En gros, je crois possible que disparaissent du paysage les censeurs et les pions, les Bernard Henri-Levy, les Benjamin Biolay et les Aymeric Caron, non quand on aura retoqué point par point leur morale, mais quand on s'autorisera à répondre d'un grand éclat de rire.

samedi 23 août 2014

Une année Augustin au Centre Saint Paul

Non, il n'y a en 2014 ou en 2015 aucun anniversaire particulier, qui permette de célébrer la vie et l'oeuvre de saint Augustin. Rien de commémoratif dans notre "année Augustin". Simplement je crois qu'il y a urgence. Pour nos âmes. Il faut nous mettre ou nous remettre à le lire. Il faut le méditer. Il faut le suivre.

Saint Augustin a eu longtemps mauvaise réputation. Pour les chrétiens d'Orient par exemple, parmi lesquels ce converti à l'orthodoxie qu'est Patrick Ranson, il représente une sorte d'ennemi, champion de la catholicité, hérault d'un Ordre que Ranson lui reproche (bien vainement) d'avoir emprunté aux païens. Pour les catholiques romains d'aujourd'hui, il est aussi suspect, suspect doublement : ne serait-il pas l'auteur ultime, au XVIème siècle, du schisme luthérien et de l'erreur calvinienne ? Et d'autre part, au siècle suivant, n'est-il pas à l'origine de la contestation janséniste et du moralisme dont on l'affuble habituellement ? Malheur à Augustin ! Pour les rationalistes chrétiens, enfin, dont Leibniz reste l'emblème, il est le défenseur d'une religion fondée sur l'autorité, qui laisse penser par exemple que Dieu peut damner les enfants morts sans baptême... Scandaleux Augustin !

Il semble pourtant qu'après une longue éclipse qui aura duré deux siècles, on le redécouvre lentement. Les Etudes augustiniennes représentent un travail considérable, qui dure depuis cinq décennies. Loin des images simplificatrices, hors de sa légende noire, dans la beauté de sa quête à perdre haleine de la vérité surhumaine, il s'impose comme le patron (tellement créatif) de tous les chercheurs de Dieu. C'est un fascinant synthétiseur de la vérité qu'il appelle lui-même catholique, dont l'universalité servira de matrice aux siècles suivants jusqu'à la grande remise en cause des Lumières.

Qu'est-ce qui fascine, aujourd'hui dans la quête augustinienne ? (à suivre)

vendredi 22 août 2014

A la fin Marie triomphera...


Le 22 août correspond à l’Octave de l’Assomption, qui a toujours existé comme fête de la Vierge. C’est le pape Pie XII, qui, en 1944, érigea cette fête et consacra le monde au Coeur immaculé de Marie, comme pour chercher auprès d’elle un secours, alors que l’obscurité et l’horreur semblaient l’avoir emporté sur la lumière dans le monde. Il avait en mémoire la prophétie de Fatima au Portugal, où la Vierge avait déclaré aux trois enfants : « A la fin mon Cœur immaculé triomphera ». On sait que, dans le troisième secret, il était question d’une consécration de la Russie au Cœur immaculé de Marie. Pie XII n’osa pas consacrer la Russie (ou l’URSS). D’une manière assez jésuite, comme dans une sorte de marchandage, il consacra « le monde entier » (et donc la Russie) au Cœur de Marie.

Pourquoi la Vierge, à Fatima, s’est-elle présentée avec son cœur ? On oublie trop souvent cette dimension cordiale de Fatima. On évoque le grand miracle du soleil, qui a dansé devant 30 000 personnes, chrétiennes ou non. Mais toutes les apparitions tournent autour du salut des pécheurs. Et les petits voyants, en particulier François et Jacinthe, dont Lucie nous conte la vie dans ses Mémoires, sont tout de suite obsédés par cet enjeux absolu. François prie pour consoler Jésus, qui a de la peine à cause des pécheurs. Jacinthe prie pour le salut des âmes, pour que personne ne se perde en enfer. Le 13 juillet 1917, les trois voyants (comme plusieurs siècles auparavant une Thérèse d’Avila) ont eu une vision de l’enfer, qui les a évidemment beaucoup marqués et qui les a décidés à se consacrer au salut des âmes. C’est lors de l’apparition suivante, le 19 août (et non le 13 à cause des persécutions gouvernementales), que la Vierge livra ce qui est sans doute le cœur spirituel des apparitions de Fatima : « Priez, priez beaucoup et faites des sacrifices pour les pécheurs. Car il y a beaucoup d’âmes qui vont en enfer, parce qu’il n’y a personne pour se sacrifier et prier pour elle ».

Ces mots ont pu étonner même certains théologiens : comment est-il possible que le salut des uns dépende de l’offrande et de la prière des autres ? Dans l’encyclique Mystici corporis, à propos de la communion des saints, le pape Pie XII explique dans le même sens : « Mystère redoutable, certes, et qu'on ne méditera jamais assez: le salut d'un grand nombre d'âmes dépend des prières et des mortifications volontaires, supportées à cette fin, par les membres du Corps mystique de Jésus-Christ et ce salut dépend du travail de collaboration que les Pasteurs et les fidèles, spécialement les pères et mères de famille, doivent apporter à notre divin Sauveur ». Ceux qui sont chrétiens ont donc devant Dieu une responsabilité vis-à-vis de ceux qui ne le sont pas, non seulement par l’exemple qu’ils donnent ou qu’ils ne donnent pas, mais par les prières et les sacrifices qu’ils jettent ou qu’ils ne jettent pas dans le cœur de Marie pour les pécheurs.

Moi même en écrivant cela, je me dis que je ne connaissais pas cette doctrine, qu’elle est à la fois terrible et consolante : elle exige au fond que l’Eglise « ne soit qu’un cœur » attentif à tous les hommes et que chaque chrétien ait à cœur le salut de son voisin, du plus proche comme aussi du plus lointain. La fête du Cœur immaculé de Marie doit être considérée en même temps comme la fête du cœur de l’Eglise. Dans ses Méditations sur l’Eglise, le cardinal de Lubac termine sur l’idée que l’Eglise est mère, qu’il y a une maternité effective de l’Eglise vis-à-vis de chaque homme et de tous les hommes et qu’il y a une charité active de chacun des membres de l’Eglise (commençons au moins par là) vis-à-vis du prochain. Que le cœur de Marie soit le cœur de l’Eglise, cela ne doit pas nous surprendre, puisque dans l’Apocalypse, la femme revêtue du soleil est à la fois Marie et l’Eglise (cf. 15 août). Marie première chrétienne est le premier cœur chrétien sur la terre et ce cœur, au ciel, demeure ouvert à tous les pécheurs. Marie exerce la maternité de l’Eglise, même quand l’Eglise peine à l’exercer elle-même. Elle éprouve douleur et angoisse pour « le reste de sa descendance » (Apoc. 12, 17), « ceux qui gardent les commandements et possèdent le témoignage de Jésus » (Ibid.).

Le pape Pie XII, dans son encyclique, explique la raison profonde de cette responsabilité de l’ensemble du Corps mystique vis-à-vis de l’humanité : « Tandis qu'en mourant sur la croix, Jésus a communiqué à son Eglise, sans aucune collaboration de sa part, le trésor sans limite de sa Rédemption, quand il s'agit de distribuer ce trésor, non seulement il partage avec son Epouse immaculée l'œuvre de la sanctification des âmes, mais il veut encore que celle-ci naisse pour ainsi dire de son travail ». Que la sanctification des âmes naisse du travail de l’Eglise, que l’absence de sanctification des âmes soit due au mauvais travail de l’Eglise, à la charité imparfaite qui y règne, ce point est important. Il est constitutif de la communion des saints. Il n’enlève rien à la souveraineté absolue de la grâce de Dieu, qu’il donne quand il veut où il veut et à qui il veut… Il faut « tenir ensemble les deux bouts de la chaîne » comme dirait Bossuet et ne pas sacrifier une vérité à la vérité contraire.

Comment, à la fin, triomphera le Cœur de Marie qui est le cœur de l’Eglise ? Comme triomphe l’amour, dans une sorte d’évidence universelle, calme et paisible.

dimanche 17 août 2014

[Echos Littéraires] «Il n’était pas de ces curés affranchis de la lettre du dogme...» (Marcel Aymé) [posté par RF]

Marcel Aymé n’a rien d’un auteur chrétien dans le sens où l’étaient Mauriac, Green ou Bernanos. Mais son œuvre abondante met en scène tout ce qui faisait son époque: aussi bien le bistrot que l’usine, les questions sociales, les jeux des enfants, etc, et donc la religion également. Ami lecteur qui souvent n’est pas ici par hasard, tu ne seras pas dépaysé par les passages qui suivent, que je tire de La Vouivre (1941) et que Marcel Aymé situe plutôt dans les années 1920. Mais tes voisins, tes collègues, tes compatriotes de 2014: ont-ils encore le background nécessaire pour les lire autrement que d’assez loin? Poser la question, c’est y répondre, et mesurer l’effondrement par pans entiers de ce qui fut notre culture commune.
«Dans l’ombre de son réduit, le curé haussa les épaules. Il n’était pas de ces curés affranchis de la lettre du dogme, de ces prêtres mondains qui considèrent les vérités de l’Eglise comme des symboles ou comme une introduction à la vie spirituelle et ne voient dans le rituel catholique que les gestes d’une discipline morale. Il ignorait jusqu’à l’existence de ces louches serviteurs de la religion. Fermement, il croyait à la Sainte-Trinité, à la Vierge, au paradis et aux saints comme au diable et à l’enfer. Mais pratiquement, il ne croyait pas aux incarnations du diable. L’expérience acquise durant les quarante années de son ministère ne lui laissait aucun doute sur ce point et quand Adeline Bourdelon venait lui dire qu’un diable cornu l’avait assaillie au grenier, il faisait autant de cas de sa confession que de celle de sa servante affirmant que saint François-Xavier était venu dans sa cuisine lui dire des horreurs et lui faire des propositions révoltantes. Ayant eu un jour l’occasion d’en entretenir Mgr de la Jaille, évêque de Saint-Clause, le prélat était tombé d’accord avec lui qu’il s’agissait dans tous les cas de mythomanie ou de visions hallucinatoires et avait ajouté qu’il convenait de ne pas prendre ces confessions à la légère, le diable ayant nécessairement part à ces imaginations comme à toutes les mauvaises pensées.» (chapitre 6)

«Le curé répondit que le démon pouvait revêtir n’importe quelle apparence et aussi bien celle d’un personnage de légende. En fait, il s’y risquait bien rarement. Ayant la faculté de s’introduire dans les êtres et d’agir ainsi secrètement à l’intérieur des âmes, il n’avait aucun intérêt à se manifester sous des espèces matérielles, car celui que le témoignage de ses sens aura convaincu de l’existence du diable sera bien près de croire, ou alors c’est un âne, en Dieu et en Notre-Seigneur. Toutefois, le peu probable est encore du possible. De grosses gouttes de sueur emperlaient le front de Voiturier. C’étaient les sueurs horrible d’un brave homme de radical, antibondieusard, anticlérical, bon ouvrier de la laïcité, qui voyait tout à coups le diable entrer dans sa vie, dans le beau grand domaine de sa raison, et y faire le chemin à Dieu le Père et à son Fils.» (chapitre 8)

«Derrière les bancs des fillettes, les quatre hommes qui composaient le chœur chantaient, la tête haute, les paupières presque closes pour lire dans les gros livres ouverts sur le pupitre : Sicut erat in principio, et nunc et semper… plus loin, dans la nef, était le gros du troupeau, les âmes lourdes et perméables, dont le diable ferait peut-être une masse de manœuvre et qu’il faudrait lui disputer.» (chapitre 13)

«Mais lui, adossé à l'enfer, se jurait de lutter contre Dieu pour la République laïque et démocratique aux côtés de son député radical. Comme tous les héros, il connaissait des moments de détresse et de défaillance. Souvent, il avait soif de Jésus, de la Sainte Vierge, et enfourchait sa bécane pour aller se jeter aux pieds du Sauveur, baiser la robe de Sainte Philomène ou les sandales de Saint François-Xavier. Mais sur le chemin, il se reprenait en pensant au triomphe insolent de la clique réactionnaire, au désarroi de ses fidèles électeurs et à sa propre confusion en face de son député qui le regarderait tristement en caressant sa barbe noire. Se résignant à un compromis, il allait faire son signe de croix derrière un buisson et se rafraîchissait d'un Ave murmuré les mains jointes, parfois même se recommandant à Dieu en plaidant une cause qu'il savait désespérée. ’Mon Dieu, disait-il, ce que j'en fais, c'est pour la Justice.’» (chapitre 13)

vendredi 15 août 2014

Une méditation pour le 15 août

«Un grand signe est apparu dans le Ciel : une femme vêtue du soleil» Apoc. 12 (Introït de la fête de l’Assomption) 
Grande et belle fête de l’Assomption ; nous célébrons la Vierge, montée au ciel avec son corps et qui n’a pas connu la corruption du tombeau. Chez les orthodoxes, il est question aussi de la dormition : Marie n’aurait pas vraiment connu la mort avant son Assomption. Chez les catholiques, on accepte que Marie ait pu mourir mais elle monte au Ciel, rayonnante de la gloire que Dieu accorde à sa sainteté hors normes. Chez les orthodoxes comme chez les catholiques, Marie est hors-normes. Marie est un monde à elle toute seule disait le cardinal de Bérulle. Elle vit selon des lois qui lui sont propres. Elle domine les éléments du monde, qui sont à son service et mettent en valeurs sa beauté unique. Ainsi Jean, le voyant de Patmos, chez qui elle a trouvé refuge (cf. Jean 18) la voit-il non comme une femme parmi d’autres, non comme une sainte parmi d’autres, mais « bénie entre toutes les femmes », plus belle que toutes les femmes, « revêtue du soleil, la lune sous les pieds et une couronne de douze étoiles sur la tête ». Ainsi, nous aussi, nous après lui, pouvons-nous voir, au-delà de toutes les limites du visible, celle que nous avons reconnue comme la Nouvelle Eve et comme l’Epouse du Saint-Esprit. Marie mère du Ressuscité, vit selon ses propres lois, dans une incroyable intimité avec Dieu ; et elle meurt d’une manière qui n’appartient qu’à elle, suspendant Thanatos, la loi d’airain qui nous tient tous sous sa coupe.

Mais, demanderez-vous peut-être, comment sommes-nous sûrs que cette Femme que chante l’Apocalypse, c’est la Vierge Marie ? Et les plus instruits parmi mes lecteurs me demanderont sans doute : n’est-ce pas plutôt l’Eglise ?

Marie est la première chrétienne comme disait Luther dans son Commentaire du Magnificat. Par conséquent, elle représente l’Eglise à elle toute seule. Elle représente l’Egliuse dans son FIAT dans son Oui résolu à l’ange Gabriel ; elle représente à ce moment-là, à elle toute seule, la liberté de l’humanité tout entière, liberté qui dit Oui à la grâce, Oui au salut, Oui à Jésus-Christ. Elle EST l’Eglise, dans sa lutte contre le Serpent, et cela justement parce qu’elle est la nouvelle Eve, premier melmbre de l’Eglise. Dans l’Apocalypse, le personnage de la femme (que l’on revoit à la fin du livre) est en même temps Marie et l’Eglise.

Attention : mon argumentation peut vous paraître un peu ramasse-tout. Elle n’est pas spécieuse, mais rigoureuse. Au chapitre 12, il faut d’ailleurs dire que la Femme entrevue par le Voyant est d’abord Marie. Preuve ? Le verset 5 de ce chapitre 12, qui est très clair sur l’identité de cette Femme : « elle est enceinte » et « elle donnera le jour à un enfant mâle, celui qui doit mener toutes les nations avec un gourdin ferré. Mais l’Enfant fut enlevé auprès de Dieu et de son trône et la Femme s’enfuit au désert ». Quel enfant fut « enlevé auprès de Dieu », sinon Jésus-Christ ? Quel enfant doit « mener toutes les nations avec un gourdin ferré » ? Cette expression est une citation du Psaume 2, qui est un psaume messianique. Ce dominateur universel, c’est le Messie. Et la Mère du Messie, ce n’est pas l’Eglise, que je sache (on irait là à l’absurde). La Mère du Messie, c’est bien la Vierge Marie, littéralement visée dans ce texte, comme la femme annoncée dans le livre de la Genèse, celle qui entretient une « inimité avec le Serpent ». Ici, c’est vrai on parle du diable ou du dragon. Mais saint Jean prend le soin de nous préciser : « L’énorme Dragon est l’antique Serpent que l’on appelle diable et Satan. C’est le séducteur du monde entier ». Tout est clair, me semble-t-il, sur les protagonistes de cette vision. Ce qui est admirable, c’est que la prophétie voilée de Genèse 3, 15 est explicitée le plus clairement possible à la fin du Livre. La boucle est bouclée. Dieu avait annoncé que la Femme aurait un rôle particulier dans la lutte contre le Serpent. Jean le Voyant comprend que cette femme, c’est celle qu’il a prise chez lui, celle qu’il a été obligé de cacher au Désert, celle qu’il va révéler au long de cet extraordinaire chapitre 12, en la montrant à tous comme les artistes, désormais, aimeront la voir : glorieuse, vêtue du soleil, libre en Dieu, libre des éléments du monde, libre de la mort même, avec le Ressuscité, son Fils, libre pour le combat contre l’antique Serpent de la Genèse, disponible pour que nous fassions alliance avec elle, dans la seule bataille qui tienne, celle qui est décrit dans ce chapitre : « Michel et ses anges luttaient contre le Dragon et le Dragon, avec ses anges, combattit, mais ils ne furent pas les plus forts ».

Parmi les noms de la Vierge, nous répétons qu’elle est « forte comme une armée rangée en bataille ». Le côté apparemment militariste de cette invocation plaît moins aujourd’hui qu’autrefois. Mais on a tort. La bataille dont il s’agit n’est pas une bataille nationaliste ni une bataille idéologique. Ce n’est pas une bataille qui fait des morts, car sans bataille nous sommes déjà tous morts. C’est une bataille qui fait des vivants. La bataille dont il s’agit est la bataille contre le mal et la mort, la seule qui vaille d’être menée, mais alors jusqu’au bout. Jusqu’au bout ? « Maintenant et à l’heure de notre mort », avec la Vierge Marie, qui, à elle toute seule, ainsi que nous l’a montré ce chapitre de l’Apocalypse, est « forte comme une armée rangée en bataille » : sicut acies ordinata !

jeudi 14 août 2014

Bulle/s [2] [par RF]

Vous êtes identifié comme ‘bleu’? vous n’aurez pas
toute l’info bleu... mais vous n’aurez plus qu’elle!
[par RF]
Ce post fait suite à Bulle/s [1] posté hier.
J’échange quelques mots sur FB avec Bruno, il s’étonne de ce qu’une information marquante passe inaperçue sur internet (il s’agissait en l’occurrence du communiqué par lequel la Grande Mosquée de Paris exprime sa solidarité avec les chrétiens irakiens, et condamne le mauvais sort qui leur est fait). Alors que tournent en boucle les images, les récits, et les interrogations («pourquoi un tel silence?»), voila qu’un élément majeur reste largement ignoré. 

Peut-être s’agit-il d’un banal phénomène de «bulle de filtres», pour reprendre le titre du livre du journaliste Eli Pariser. De quoi s’agit-il? L’information que nous consommons passe par des systèmes (google news, twitter, facebook, etc) qui la filtrent et nous fournissent ce qu'ils ont déterminé que nous voulons consommer. On cite fréquemment l’exemple de la recherche sur EXXON: un étudiant va tomber directement sur les méfaits environnementaux de cette société pétrolière tandis que son père (c’est une histoire américaine) tombera sur les cours de l’action. Ce qui enferme chacun un peu plus dans sa bulle. 

Autrement dit, si vous êtes gauchiste, vous serez nourri et abreuvé d’images de textes et de commentaires qui alimenteront votre gauchisme…. ou votre droitisme si vous êtes de droitiste, votre progressisme si vous êtes progressiste, etc. Et cela selon une boucle qui se nourrit et se renforce d’elle-même. Un classique phénomène de milieu auto-référent, de bocal hermétique, aggravé par l’illusion de bénéficier désormais de ‘toute l’info’. 

Dans notre exemple, peut-être que l’information (la Grande Mosquée solidaire des Chrétiens irakiens) ne correspondait pas à ce qu’attend une partie de nous-mêmes, d’une fraction de notre sphère, prompte à récuser tout geste musulman qui ne conforterait pas une vision exclusivement noire de l’islam. 

La «bulle de filtres» technique (exposée plus haut) peut très facilement être amplifiée par notre propre choix, par nos ‘follows’ et de nos ‘likes’. Rien de mieux pour cela que de voir un ‘infiltré’, un ‘provocateur’ ou un ‘idiot utile’ derrière toute contribution que ne colle pas avec nos représentations. Rapidement on bénéficie du confort d’une pensée «ready made» (il y en a pour tous les goûts) à laquelle il n’y a plus qu’à contribuer. 

A contrario, on peut choisir d’enrayer la «bulle de filtres» si l’on accepte de ‘suivre’ ce que disent un Michel Onfray, un Jean Pierre Denis ou un Pierre-Henri Gouyon (exemples choisis au hasard, sans valeur prescriptive!). Il faut pour cela se faire à l’idée qu’il puisse y avoir des hommes de qualité(s) chez nos adversaires. C’est alors qu’il faut renoncer à lire le monde selon cet axe unique «eux/nous», où «eux» ne sont pertinents qu’à mesure qu’ils se rapprochent de «nous».

mercredi 13 août 2014

Bulle/s [1] [par RF]

Les chats de Pallas (du nom d’un zoologue)
ont les pupilles rondes – ce sont cependant
des félins non pas à part, mais bien à part entière.
[par RF] Je discute avec deux amis, que j’appellerais ici Pierre et Dominique, l’un catholique progressiste et l’autre traditionaliste. Les deux observent que sur tel ou tel sujet, mon opinion n’est pas nécessairement celle attendue d’un tradi. Ce qui ravit l’un inquiète l’autre, et réciproquement. Au final l’un pense que je blague, et l’autre que je cherche à provoquer, quand ce n’est pas le contraire. Je voudrais ici rassurer tous deux… à moins que je ne les inquiète plus encore : ce que je dis, je le pense, y compris les sottises que je professe éventuellement.

C’est pourtant simple : je n’ai pas acquis l’ensemble de la panoplie traditionaliste, qui comporte aussi bien un volet politique, sociétal, que religieux. Je n’ai pas ingéré l’ensemble du code. Pour avoir échangé avec pas mal de gens je crois même pouvoir dire que cette «panoplie» ne concerne dans sa version complète qu’une modeste fraction des traditionalistes.

Pour décrire un milieu ou un phénomène (quel qu’il soit) on cherche ses traits saillants, ses caractéristiques marquantes; on place très haut le curseur ‘contraste’ pour que l’image soit immédiatement lisible. Le danger, pour l’observateur externe comme en interne, est de croire ensuite que ce tableau à grosse brosse (ce ‘cliché’) rend compte des réalités individuelles. Pourtant un territoire ne correspond pas en chacun de ses points à la carte qui nécessairement le schématise.

samedi 9 août 2014

[Verbatim] «…un contentement de soi unanime et carnavalesque» - Philippe Muray / chronique de janvier 1998 [mis en ligne par RF]

[mis en ligne par RF] Philippe Muray a repris en les augmentant divers chroniques qu’il avait publiées dans La Revue des Deux Mondes. Il en a fait un livre magistral (Après l’histoire – 2000) où l’on lit ceci au détour de divers considérations:
«[…] On n’a pas eu tellement tort, l’été dernier, lors des Journées Mondiales de la Jeunesse, de parler de Catho Pride. Si l’Eglise et son histoire ont vraiment disparu, c’est peut-être durant cet épisode d’apparente euphorie. Tout cela s’est dissout dans la fierté d’être catholique, dans un contentement de soi unanime et carnavalesque, d’où le concret humain (le désaccord avec le monde donnée) s’était déjà retiré sans doute depuis longtemps. La messe s’est engloutie dans la kermesse ; et l’ancien catholicisme, comme tous les autres cultes, dans cette mystique des temps nouveaux qu’il faut désormais appeler panfestivisme. L’apparition de cette religion nouvelle se fait bien entendu aux dépens de toutes les autres, dont elle conserve d’ailleurs certains traits, tout en les privant de leur valeur essentielle (conflictuelle). A l’occasion de ces JMJ, l’Eglise n’a pas davantage renoué avec les masses qu’elle ne fait l’apprentissage des médias quand l’épiscopat décide de discuter d’internet avec l’académicien séraphique Michel Serres, dispensateur suprême de la cyber-pommade des temps multimédias. Dans l’un et l’autre cas, cette espèce d’aggiornamento n’est que l’acte d’allégeance d’une institution deux fois millénaire au nouveau maître hyperfestif. […]»
Et puis cet autre bref extrait, un peu au hasard car je voudrais vous en donner 1.000:
«Les gardiens de la nouvelle orthodoxie sont ceux-là mêmes qui ont mis à bas l’ancienne orthodoxie. Pas fous, ils tiennent à se poser en grands transgresseurs, en ennemis du ‘politiquement correct’ ou de la ‘pensée unique‘. Tout en diffusant le moralisme le plus hideux, chacun se veut immoral, libertin, héritier pétulant de Bataille, petit-fils de Sade, cousin des hurlements d’Artaud à la mode de Bretagne.»