Marcel Aymé n’a rien d’un auteur chrétien dans le sens où l’étaient Mauriac, Green ou Bernanos. Mais son œuvre abondante met en scène tout ce qui faisait son époque: aussi bien le bistrot que l’usine, les questions sociales, les jeux des enfants, etc, et donc la religion également. Ami lecteur qui souvent n’est pas ici par hasard, tu ne seras pas dépaysé par les passages qui suivent, que je tire de La Vouivre (1941) et que Marcel Aymé situe plutôt dans les années 1920. Mais tes voisins, tes collègues, tes compatriotes de 2014: ont-ils encore le background nécessaire pour les lire autrement que d’assez loin? Poser la question, c’est y répondre, et mesurer l’effondrement par pans entiers de ce qui fut notre culture commune.
«Dans l’ombre de son réduit, le curé haussa les épaules. Il n’était pas de ces curés affranchis de la lettre du dogme, de ces prêtres mondains qui considèrent les vérités de l’Eglise comme des symboles ou comme une introduction à la vie spirituelle et ne voient dans le rituel catholique que les gestes d’une discipline morale. Il ignorait jusqu’à l’existence de ces louches serviteurs de la religion. Fermement, il croyait à la Sainte-Trinité, à la Vierge, au paradis et aux saints comme au diable et à l’enfer. Mais pratiquement, il ne croyait pas aux incarnations du diable. L’expérience acquise durant les quarante années de son ministère ne lui laissait aucun doute sur ce point et quand Adeline Bourdelon venait lui dire qu’un diable cornu l’avait assaillie au grenier, il faisait autant de cas de sa confession que de celle de sa servante affirmant que saint François-Xavier était venu dans sa cuisine lui dire des horreurs et lui faire des propositions révoltantes. Ayant eu un jour l’occasion d’en entretenir Mgr de la Jaille, évêque de Saint-Clause, le prélat était tombé d’accord avec lui qu’il s’agissait dans tous les cas de mythomanie ou de visions hallucinatoires et avait ajouté qu’il convenait de ne pas prendre ces confessions à la légère, le diable ayant nécessairement part à ces imaginations comme à toutes les mauvaises pensées.» (chapitre 6)
«Le curé répondit que le démon pouvait revêtir n’importe quelle apparence et aussi bien celle d’un personnage de légende. En fait, il s’y risquait bien rarement. Ayant la faculté de s’introduire dans les êtres et d’agir ainsi secrètement à l’intérieur des âmes, il n’avait aucun intérêt à se manifester sous des espèces matérielles, car celui que le témoignage de ses sens aura convaincu de l’existence du diable sera bien près de croire, ou alors c’est un âne, en Dieu et en Notre-Seigneur. Toutefois, le peu probable est encore du possible. De grosses gouttes de sueur emperlaient le front de Voiturier. C’étaient les sueurs horrible d’un brave homme de radical, antibondieusard, anticlérical, bon ouvrier de la laïcité, qui voyait tout à coups le diable entrer dans sa vie, dans le beau grand domaine de sa raison, et y faire le chemin à Dieu le Père et à son Fils.» (chapitre 8)
«Derrière les bancs des fillettes, les quatre hommes qui composaient le chœur chantaient, la tête haute, les paupières presque closes pour lire dans les gros livres ouverts sur le pupitre : Sicut erat in principio, et nunc et semper… plus loin, dans la nef, était le gros du troupeau, les âmes lourdes et perméables, dont le diable ferait peut-être une masse de manœuvre et qu’il faudrait lui disputer.» (chapitre 13)
«Mais lui, adossé à l'enfer, se jurait de lutter contre Dieu pour la République laïque et démocratique aux côtés de son député radical. Comme tous les héros, il connaissait des moments de détresse et de défaillance. Souvent, il avait soif de Jésus, de la Sainte Vierge, et enfourchait sa bécane pour aller se jeter aux pieds du Sauveur, baiser la robe de Sainte Philomène ou les sandales de Saint François-Xavier. Mais sur le chemin, il se reprenait en pensant au triomphe insolent de la clique réactionnaire, au désarroi de ses fidèles électeurs et à sa propre confusion en face de son député qui le regarderait tristement en caressant sa barbe noire. Se résignant à un compromis, il allait faire son signe de croix derrière un buisson et se rafraîchissait d'un Ave murmuré les mains jointes, parfois même se recommandant à Dieu en plaidant une cause qu'il savait désespérée. ’Mon Dieu, disait-il, ce que j'en fais, c'est pour la Justice.’» (chapitre 13)
Eh oui, la culture chrétienne existait en France au point que ce texte était compréhensible au plus grand nombre , à quelques exceptions prés. Il n'est que de voir les films des années trente quarante voire cinquante où les églises , les curés , les fidèles font partie du paysage.
RépondreSupprimerLe basculement qui viendra par la suite n'a pas fini de poser des questions et d'engendrer chez les générations actuelles étonnement et incompréhensions.
Arte a diffusé récemment " Ma nuit chez Maud" un film d'Eric Roehmer de 1964 qui donne l'impression d"avoir pour sujet une histoire d'une planète inconnue.
Qu'est-ce que c'est le"background"? Moi pas comprendre!
RépondreSupprimerCordialement.
Je n'ai pas lu ce titre de Marcel Aymé ; je m'en vais de ce pas le commander. Merci.
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