dimanche 31 janvier 2010

Dans la messe de Paul VI, Nicolas Senèze voit celle de Jean XXIII

[Un séminariste diocésain, lecteur critique du Metablog, nous écrit au sujet de l'article que l'encyclopédie Wikipedia consacre à la messe. Voici  le courrier de notre lecteur séminariste (nous saluons son fair-play),  suivi juste après par un retour sur les raisons de cet échange.]

Partie n°1 - "Les exemples sont multiples et montrent à l'envi que Wikipedia décrit la forme ordinaire..."

«[...] Il n'y a pas lieu d'opposer les éditions successives du missel romain! Il faut les comprendre comme s'inscrivant dans la continuité liturgique, et non dans je ne sais quelle logique de rupture. Wikipedia illustre bien cette harmonie, en replaçant chaque élément de la messe dans son évolution organique. Parler comme Nicolas Senèze d'«ancien rite» est une commodité de langage malheureuse, il n'y a qu'un rite latin avec une forme extraordinaire et surtout une forme ordinaire. [...] Quoiqu'il en soit, c'est bien cette forme ordinaire qui forme l'ossature de l'article, avec des explications de l'origine des cérémonies, ce qui renvoie sans surprise vers les éditions précédentes du missel et les autres rites rites catholiques (que ce soient le missel romain tridentin, le missel romain de 1962, le missel ambrosien entre autres). Voici des exemples tellement simples qu'ils n'échapperont à aucun catholique pratiquant. Je relève dans l'article de Wikipedia des phrases qui ne peuvent s'appliquer au rite de 1962: 
On commence par dire dès la première phrase : "La messe est une cérémonie liturgique au cours de laquelle le ou les prêtres officiants célèbrent..."

Ensuite: "La dernière Présentation générale du Missel romain, publiée en 2002, rappelle l'importance de cet aspect sacrificiel tout en invitant à mettre en valeur d'autres aspects moins développés jusqu'alors : Ce faisant, une plus grande attention est ainsi prêtée à des aspects de la célébration qui avaient été négligés parfois au cours des siècles."

"La forme extraordinaire du rite romain, forme du rite romain avant la réforme de 1969, commence par les prières au bas de l'Autel. Ces prières datent du Xe siècle. Elles se disaient auparavant à la sacristie. Saint Pie V les a rendues obligatoires et uniformes pour toute l'Église latine au XVIe siècle, et les a incorporées à la Messe. Elles ont été remplacées par la préparation pénitentielle de la messe de Paul VI."

"La préparation pénitentielle actuelle dérive des prières au bas de l'autel, initialement réservées au prêtre et à ses ministres..." (Suit la description des formules au choix proposées seulement depuis le nouveau missel.)

"Le concile de Vatican II a complètement refondu les textes du lectionnaire de la messe." (Ce qui est inexact, le concile n'a pas touché à la messe.)

"À présent, tous les jours de l'année ont leur messe propre, et le cycle des lectures dominicales s'étend sur trois années (A, B et C)."

"Jusqu'au IVe siècle, le psaume associé au graduel était chanté en entier. La réforme liturgique de Vatican II a conduit à rétablir cet usage, les antiennes associées au psaume étant simplifiées en conséquence."

"Seconde lecture (épitre)" (en effet le texte de wikipedia mentionne deux lectures avant l'Evangile).

"L'édition 2002 du missel romain la place (la séquence) avant l'alléluia."

"La réforme liturgique d'après Vatican II a voulu rendre sa spécificité à l'offertoire en formulant de façon plus synthétique les prières silencieuses du prêtre, en supprimant la prière Suscipe sancta Trinitas considérée comme un doublet de la première partie du Canon romain (prière eucharistique I) mais sans équivalent dans les autres prières eucharistiques, en instaurant un dialogue avec l'assemblée, sans équivalent dans les liturgies antérieures, en vue d'une participation plus active de l'assemblée."

"La prière sur les offrandes était encore dite à voix basse dans le rite de Saint Pie V. Elle est dite à voix haute depuis la réforme liturgique de Paul VI."

"Le missel de Paul VI, tout en conservant les préfaces traditionnelles, en a considérablement étendu le nombre."

"Avec les œuvres baroques, souvent très longues, le chœur ne chantait que la première partie du Sanctus jusqu'à la consécration, puis chantait la phrase qui commence par Benedíctus après la consécration. Cet usage n'a plus lieu d'être depuis que la messe de Paul VI a établi que le canon devait être entendu par tous et donc récité à voix haute."

"Contrairement à la tradition occidentale romaine qui ne connaissait que le canon romain[réf. nécessaire], la réforme liturgique de Paul VI a introduit trois autres prières eucharistiques."

"La réforme liturgique de 1969 a rétabli la faculté de le dire (le canon) à haute voix, sans en faire une obligation." (Je ne connaissais pas ce caractère facultatif ce qui est en opposition avec la phrase plus haut).

"L'incise paulienne (« ceci est mon corps livré pour vous », d'après 1Co 11, 24) a été introduite par la réforme de Paul VI, comme rappel du caractère sacrificiel de la Passion, et de la messe qui en est le mémorial."

"Primitivement insérée (incise mysterium fidei) au milieu la consécration du vin, elle a été déplacée à la fin de la consécration par la réforme de Paul VI, et complétée par l'acclamation."

"Elle est suivie (l'oraison pour la paix) de la doxologie, une courte prière à la gloire de Dieu (« car c'est à Toi appartiennent le règne, la puissance et la gloire, pour les siècles des siècles »). En usage dans de nombreuses liturgies, cette prière n'est pas de tradition romaine, on suppose qu'elle est un vestige de l'époque apostolique. C'est à tort qu'elle est récitée par certains après le Pater entraînant l'omission de la prière pour la paix. Selon la présentation générale du Missel Romain de 2002[4] : Le prêtre prononce l'invitation à la prière, tous les fidèles disent celle-ci avec le prêtre, et le prêtre seul ajoute l'embolisme que le peuple conclut par la doxologie."

"La réforme liturgique de Vatican II en a rétabli l'usage (du baiser de paix) pour tous."

"L'invocation de la paix (à l'Agnus Dei), qui subsistait de ce rite, a été replacée en début du rite de la paix par la réforme liturgique de Paul VI (qui a regroupé l'ensemble, et rétabli l'échange d'un signe de paix)."

"L'usage de se frapper la poitrine à chaque invocation remonte au XVe siècle. Il n'est plus mentionné par la réforme liturgique de Paul VI."

"Avant la réforme liturgique, la communion décrite dans le Missel se limitait à celle du prêtre." etc.

"...le dialogue de la postcommunion a été supprimé par la réforme liturgique de 1969."

"Elle (l'oraison super populum) avait disparu lors de l'établissement du missel de saint Pie V, puis réinstauré par le rituel de Paul VI en certaines occasions."

"Elle (la bénédiction finale) a été placée avant le renvoi par la réforme liturgique de Vatican II."
Les exemples sont multiples et montrent à l'envi que Wikipedia décrit la forme ordinaire. Voir la messe de Jean XXIII dans celle de Paul VI, comme Nicolas Senèze le fait, est au fond un bel hommage à la continuité liturgique. [...]»

Partie n°2 - Mais pourquoi un tel courrier?

L’affaire se déroule par étapes: le 25 janvier Nicolas Senèze écrit dans La Croix que «Wikipédia consacre presque entièrement son article 'Messe' à la liturgie dite 'traditionnelle'». Le 27 janvier, PTK dit sur le Forum Catholique qu’il y a erreur, que Wikipedia «déroule simplement la Sainte Messe et précise lorsqu'il y lieu les différences entre les deux formes du rite romain». S'ensuit un échange sur le MetaBlog, entre Aymeric qui estime que la confusion de Nicolas Senèze illustre la baisse de culture religieuse des journalistes... et Nicolas Senèze, qui persiste et signe. Enfin (et cela devrait rendre la polémique inutile) un séminariste diocésain nous adresse le 31 janvier son analyse de l'article de Wikipedia - nous vous la donnons plus haut, en première partie.

... et ci-dessous: le point de vue des uns et des autres.

25 janvier - "Internet au service de la liturgie" - Nicolas Senèze, La Croix
«En matière de liturgie, il faut constater la très large place de la forme extraordinaire du rite romain sur Internet. Même l’encyclopédie participative en ligne Wikipédia consacre presque entièrement son article « Messe » à la liturgie dite «traditionnelle», plutôt qu’à sa forme rénovée après Vatican II en vigueur dans la plupart des paroisses. [...]»

27 janvier - "Nicolas Senèze se trompe" - ptk, Le Forum Catholique
«L'article de Wikipedia n'est pas consacré à la Messe traditionnelle. Il déroule simplement la Sainte Messe et précise lorsqu'il y lieu les différences entre les deux formes du rite romain. Mais bien évidemment, si Nicolas Senèze ne connait que la "forme rénovée après Vatican II en vigueur dans la plupart des paroisses" françaises, on peut comprendre qu'il n'y reconnaisse rien. Le franc et grotesque désordre qui y a été substitué aux rites catholiques ne laisse en effet pas subsister grand chose de cette admirable ordonnance du Saint Sacrifice que même la regrettable réforme des années soixante n'avait pu totalement occulter.»

27 janvier - "On a parfois des surprises..." - Aymeric, Metablog
«[...] De fait, ce que le texte de Wikipédia dit de la messe s’applique aussi bien au missel de Paul VI. Nicolas Sénèze lit cette description, et peut-être habitué à ce que PTK nomme «le franc et grotesque désordre», il ne comprend seulement pas que c’est y compris de la messe de Paul VI qu’il s’agit. C’est… énorme! [...]»

28 janvier - "un article ... consacré presque entièrement à décrire la Messe dans l’ancien rite" - Nicolas Senèze, Metablog
[...] C’est justement le contraire ! [L'article de Wikipedia] décrit le déroulé de la Messe selon le Missel de Jean XXIII précisant, quand cela est nécessaire les différences avec le Missel de Paul VI (qui encore une fois est le plus utilisé dans le monde. [...] Je pense avoir assisté à suffisamment de messes dans cette forme (j’ai même écrit un livre sur le sujet) pour savoir de quoi je parle. [...]»

28 janvier - "La question est de savoir si... wikipedia traite essentiellement de la liturgie dite traditionnelle" - Aymeric, Metablog
«[...] avez-vous assisté à des messes selon la forme ordinaire du rite, telle que codifié dans le missel de Paul VI? Je connais un certain Denis Crouan dont c'est le dada. Denis constate (il le regrette) qu'il n'y a pour ainsi dire pas en France de messes s'en tenant strictement au missel de 1969 (sans 'enrichissements' ni 'adaptations' locales, donc). C'est bien dommage! Si ces messes existaient vous pourriez y assister. Vous verriez alors que le texte de Wikipedia, effectivement, correspond bien au déroulé de la Sainte Messe, qu'elle soit célébrée dans une forme ou dans l'autre. [...]»

samedi 30 janvier 2010

Eric Rohmer et Pascal

Je ne suis pas encore un connaisseur de l'oeuvre de Rohmer et n'ai vu que quelques uns de ses nombreux films. Mais il me semble que je suis rentré dans son oeuvre lorsque j'ai découvert dans Ma nuit chez Maud et dans Conte d'hiver cette merveilleuse référence à Pascal et au pari. Le jansénisme de Rohmer, qui fut, j'allais dire par ailleurs, catholique et royaliste comme le souligne Michel Marmin dans le dernier numéro de Monde et Vie, ce jansénisme est admirable ! Il est humain. Il est aussi profondément aristocratique. J'ajouterais : il peut être chrétien mais ne l'est pas nécessairement. C'est que, parmi les chrétiens, beaucoup sont plus jésuites (atticistes disait Eugène Green dans le même sens) que jansénistes.

C'est toute la problématique de Ma nuit chez Maud, vaste discussion philosophique dans la ruelle d'une précieuse moderne (Françoise Fabian au sommet de sa beauté). D'un côté le chrétien (Jean Louis Trintignant, mais oui !), auquel au fond son christianisme donne tous les droits - le droit d'aimer qui et quand il veut du moment que cela ne l'engage pas trop et qu'il puisse se confesser - et auquel son christianisme donne aussi et avec le droit, l'assurance d'une vie, au final bien rangée, avec mariage et affinités, enfants et vie sociale. De l'autre côté, le marxiste qui se définit comme puritain, qui sacrifie sa vie et ses amours au marxisme, c'est-à-dire (dans une version laïcisée de Pascal) à la possibilité qu'advienne l'absolu. Possibilité que Vidal (le camarade de lycée de Jean-Louis prof de philo et devenu marxiste convaincu de catho qu'il était) ne tient absolument pas pour certaine (en 1969, date du film, la foi communiste s'écaille) mais possibilité qu'il prétend néanmoins meilleure que le "réalisme" auquel l'amènerait son doute ou son incertitude si Vidal suivait la déclivité qu'ils lui indiquent. Maud partage la foi sans foi de Vidal, mais alors à l'instinct, sans l'avoir théorisée, en en vivant, simplement. Elle cherche l'absolu dans ses amours, elle l'a trouvé mais il est mort (évidemment) et elle ne pourra vivre désormais que de cette quête, ou même simplement d'aviver cette quête chez les autres. Précieuse ou nonne laïque, c'est un peu la même chose, elle dira toujours non.

Il n'y a que dans Conte d'hiver que ce "non" au banal se transforme en "oui", sans doute parce qu'il s'agit d'un conte, et que tout est possible dans un conte, même la rencontre la plus improbable de celui qui, assis devant soi dans le bus, est justement cet homme absolu pour lequel elle finit toujours par dire non aux autres hommes qui la courtisent.

Dans sa version atticiste (je reprends ce mot à Eugène Green, qui me semble tellement proche de Rohmer, au moins dans son jansénisme - voir le post que j'ai consacré à sa Religieuse portugaise), l'absolu permet d'organiser l'existence et de s'y créer, à travers des principes solides, une véritable sécurité existentielle. C'est sans doute ce calcul qui a fait naguère ouvrir aux jésuites le collège de Clermont et beaucoup d'autres à travers la France et le monde.

Dans sa version janséniste (je parle du jansénisme première manière), l'absolu permet d'affronter le risque maximum, en entretenant l'espérance. Le janséniste est l'homme du pari pascalien, celui qui est prêt à tout perdre pour tout gagner. Il parle comme Saint Cyran et répète : aller où Dieu mène et ne rien faire lâchement.

On prend les jansénistes pour des rigoristes, alors que ce sont souvent les jésuites qui enseignent la rigueur parce qu'elle est plus sécurisante. Quant aux jansénistes, avouons que ces risque-tout ne sont pas facile à caser, dans l'exacte mesure où ils veulent toujours être meilleurs. Ils ne croient pas que la vie est un dû, mais ils la reçoivent comme une sorte de miracle permanent, dans lequel, comme dirait le cardinal Lustiger dont ce fut la devise épiscopale et qui, à cause de cette devise, devait être un drôle de janséniste, "tout est possible à Dieu".

Dans l'Eglise les deux tempéraments et les deux vocations ont toujours cohabité. Ils ne deviennent haïssables ou condamnables que lorsqu'ils se mettent en tête les uns ou les autres, de constituer un parti exclusif... car l'Eglise n'est jamais un parti... Merci à Rohmer pour la bonté de son regard. Il ne nous force pas à choisir entre Jean-Louis et Maud, mais nous met en demeure d'être vrais et de ne pas nous raconter d'histoire à nous-mêmes. On le comprend mieux encore Rohmer, lorsque dans Ma nuit chez Maud, on regarde le bonus du DVD: un dialogue fantastique (au sens étymologique de ce terme) entre Brice Parrain et le Père Dominique Dubarle, Brice l'agnostique défendant Pascal et Dominique le religieux l'attaquant, avec chacun leurs raisons.

vendredi 29 janvier 2010

L'abbé Berche cet après-midi...

je l'ai trouvé très présent dans son sommeil, beaucoup plus "lui" que précédemment. Je dis dans son sommeil car, par précaution, il a été resédaté pour trois semaines (environ), au terme desquelles on procèdera enfin à l'examen cérébral...

Comme son coma va durer encore quelque temps, j'ai tenu à remettre à sa maman de votre part les mots que vous avez écrits en les envoyant sur la boîte courriel d'Anne Cécile (annececilefoubert@yahoo.fr), ainsi que des photos où son fils la bénit lors de sa première messe. Elle en a été touchée et heureuse. Je voudrais vous remercier du caractère très personnel de beaucoup de vos messages.

Vous pouvez continuer à envoyer des messages !

Je voudrais vous faire profiter...

... d'une très belle lettre de Henri, que j'ai reçu en privé, mais qui ne contient rien que de public et que je me fais donc un plaisir de relayer. Objet ? Le n°2 de Respublica Christiana sur Les catholiques et la Shoah. Je crois que la seule manière de ne pas donner raison au bourreau en laissant à la mort le dernier mot, c'est d'entrer dans une compréhension "messianique" (comme dirait Agamben dans son magnifique Le temps qui reste) ou chrétienne (comme je dirais moi) de la Shoah. Je crois que cette idée - messianique et chrétienne - de la Shoah comme apocalypse de la modernité va finir par faire son chemin. Voici le très beau texte d'Henri, qui se trouve comme renforcé et concrétisé par l'étrange rencontre dont il nous fait part :

Bravo pour votre dossier dans Respublicana Christiana sur les catholiques et la Shoah. Oui bravo d’avoir pris le problème à bras le corps et de nous délivrer d’une attitude compassée et gênée. Il me semble comme je l’ai déjà dit que : Le bourreau en tuant l’autre, en l’anéantissant, n’est ce pas son image d’enfant de Dieu qu’il veut anéantir au fond d’un désespoir absolu ? Perdre la foi en Dieu suite à la Shoah ne serait-ce pas l’ultime victoire e du bourreau ? En ce sens la Shoah et sa monstruosité ont bien été aussi prévues par les « Démons » de Dostoievski. L’assassinat de Chatov soude les conjurés dans un désespoir commun (même le sain athée Kirilloff y participe à sa manière en fournissant malgré lui un alibi aux x conjurés par son suicide effrayant) .

Il suffisait d’étendre l’échelle par une métaphysique hostile à toute spiritualité, pour réduire l’homme à un numéro , celui des camps ou celui de nos sociétés codifiés [c'est ce que dit magnifiquement Imre Kertesz, à propos de la société bloqué de la Hongrie socialiste derrière le Rideau de fer. GT]

La Shoah nous pose en tant que chrétiens et particulièrement en tant que catholique la nécessité de nous accorder avec nos frères juifs sur une vision du mal dit ce dossier. . Oui, et de relire Girard.. Oui.

Je vous signale que c’est au bout de 15 secondes de discussion quand j’avais fait connaissance avec un voisin avenue de Ségur (en jetant des bouteilles dans un conteneur), suite à son refus avoué de croire vraiment en Dieu, en raison des malheurs de sa famille polonaise pendant la guerre, et devinant alors qu’il était juif, je lui avais tenu de but en blanc les propos que j’ai soulignés au début (que m’avait inspiré Dostoïevski) Il a été étonné et il a tenu à me revoir souvent et nous avons amorcé un dialogue qui s’est poursuivi. L’ai-je rendu à la foi, celle de ses pères ou une autre ? En tous cas la question se pose. Pour nous deux…

Bien à vous et cordialement
Henri

mardi 26 janvier 2010

[conf'] Mardi 26 Janvier 2010 à 20 heures - « La chair, présence esthétique de Dieu » par Maxence CARON

Conférence au Centre Saint Paul (IBP à Paris) - Mardi 26 Janvier 2010 à 20 heures - « La chair, présence esthétique de Dieu » par Maxence CARON - Participation aux frais: 5 euros, 2 euros pour les étudiants - La conférence est suivie d’un verre de l’amitié.

lundi 25 janvier 2010

Des nouvelles de l'abbé Berche

Notre Alexandre a surmonté l'infection et la petite embolie pulmonaire qu'il avait contractées semble-t-il à cause du respirateur artificiel. Il est très suivi. Le projet actuel est de le désédater progressivement pour que l'on puisse enfin faire un bilan de son état cérébral.

Il faut donc redoubler de prières chers amis. Il sera bientôt en état d'entendre vos messages. La messe de demain mardi à 19 H au Centre Saint Paul sera spécialement consacrée à prier pour lui. Je crois que s'il sort de là notre Alexandre sera non seulement le bon prêtre qu'il est déjà pour ceux qui l'ont approché et qui connaissent sa charité, mais il sera un prêtre exceptionnel, revenu de l'abîme pour nous guider avec plus de force vers la Lumière.

Avec les orthodoxes sous le signe de Dostoievski

Dimanche dernier, comme pour conclure la Semaine de l'unité, j'ai été invité à l'église de Saint Séraphim de Sarov, Rue Lecourbe, pour parler de Dostoievski. Accueil très chaleureux du Père Cernokrak, responsable de cette communauté et doyen de l'Institut Saint Serge, foyer historique de l'intelligence orthodoxe à Paris. Occasion de parler de ma vieille admiration pour Dostoievski. En parler à des gens dont c'est le patrimoine spirituel... En parler à plusieurs spécialistes présents, alors qu'on n'est soi-même qu'un amateur. Notre Frère Thierry a insisté, jouant avec succès les intermédiaires ; notre ami Henri Peter, dostoievskien de toujours, a bien voulu venir pour jouer un peu le rôle de jocker catholique de ma science défaillante. Mais je ne croyais pas trop à la fortune de cette entreprise.

Eh bien ! J'avais tort. Quelle chaleur ! Quelle amitié spirituelle spontanée entre ces fidèles de la divine liturgie de Jean Chrysostome et le passionné de la forme traditionnelle du rite romain que je suis. Faut-il faire l'unité ? Je crois plutôt qu'il faut respecter nos différences, qui sont nos richesses aux uns et aux autres. Richesse des formulations doctrinales, richesse des spiritualités, richesse des liturgies différentes, en cherchant le fond commun en profondeur, au lieu de s'essayer à construire des dispositifs humains trop humains...

Quant à l'unité, parce qu'elle est de Dieu, elle existe déjà. Il suffirait de la rendre un peu plus visible peut-être, si la Providence le permet. Il suffirait en tout cas dans l'immédiat de ne pas faire bêtement de nos différences des oppositions, en reconnaissant la Tradition profonde qui unit les traditions d'Orient et d'Occident.

Quant à Dostoievski, j'ai organisé ma conférence comme une défense de son christianisme viscéral contre les imputations d'Alain Besançon, qui l'accuse d'être l'un des artisans russes de la falsification du bien dans le livre, paru en 1985, qui porte ce titre. Pour faire bonne mesure, Besançon dans une Conférence de 2003 à l'Académie des Sciences morales reprend un texte de Claudel, d'ordinaire mieux inspiré, qui accuse Dostoievski de soumettre ses personnages à un polymorphisme psychologique qui leur fait perdre toute cohérence, en les mettant aux limites de la folie (schizophrénie dédoublement etc.).

Face à cette critique que je qualifierai de "classiciste", j'ai essayé de dire deux choses.

1- Certes comme dit Berdiaev dans un essai célèbre sur l'esprit de D. cet auteur est le plus grand philosophe russe, mais sa philosophie ne se déroule jamais de manière abstraite, elle est une expérience, l'expérience que Dostoievski fait avec chacun de ses personnages en le confrontant toujours à l'essentiel, en essayant de savoir quel est son Absolu personnel. Dostoievski philosophe in vivo, pendant que tant d'autre se contentent d'assembler des concepts. Ses personnages sont des forces avant d'être des formes (type du personnage fabriqué : le Julien Sorel de Stendhal). Et ces forces jouissent d'une sorte d'autonomie face à leur créateur. La mort du Prince Muychkine n'est pas voulue par D., le personnage la portait en lui elle s'est imposé tardivement à l'écrivain. Dans les nouvelles (v.g. Le songe d'un homme ridicule : 30 pages. Chers amis liseurs, lisez cela), cette force nous saute à la figure et l'écrivain semble nous laisser à nous lecteurs le soin d'interpréter l'explosion qu'il a produite. Mais cette force n'est pas l'énergie brute des Romantiques, dont il faudrait faire une oeuvre. Chez Dostoievski, elle est toujours gouvernée par une idée (ou un idéal), je dirais un logos. Et le roman est l'espace dans lequel chaque personnage trouve son logos. Non pas sa nature, mais sa vocation personnelle, qui lui fraye un chemin de vie parmi les événements terribles qui cachent et révèlent en même temps la sagesse de Dieu à l'oeuvre dans nos vies.

2- C'est l'expérience de la puissance du mal autour de soi mais aussi en soi qui fait aimer le bien auquel on aspire non comme à une abstraction philosophique mais comme une manifestation de la puissance de Dieu dans le concret de chaque existence. Loin de confondre le bien et le mal, Dostoievski en a une approche beaucoup plus théologique que philosophique.

samedi 23 janvier 2010

Le numéro 2 de Respublica christiana : les catholiques et la Shoah

Voici, en exclusivité pour ce Blog, un papier de présentation du n°2 de notre revue sur Les catholiques et la Shoah... Je crois que le sujet - la Shoah - valait d'être abordé du point de vue des catholiques. Nous ouvrirons bientôt sur ce site un Blog spécial Respublica christiana, où vous pourrez vous exprimer à loisir. Le silence des catholiques devant un tel événement est simplement impossible.

Les catholiques et la Shoah

Certains s’étonneront sans doute que des catholiques osent aborder le problème de la Shoah. Je crois que le long silence des catholiques sur ce sujet – silence rompu solennellement par Jean Paul II – est beaucoup plus difficile à expliquer que cette prise de parole. Ce silence a créé une sorte de quiproquo avec la Communauté juive, qui est très dommageable pour l’avenir. Où est le temps où la fameuse pièce de Rolf Hochhuth Le Vicaire, critiquant le prétendu silence de Pie XII pendant la IIème Guerre, fut interdite en Israël, par respect pour l’action de l’Eglise à ce moment-là ?

Et comment se fait-il que cette pièce ait eu un tel succès (jusqu’à son adaptation toute récente au cinéma par Costa Gavras sous le titre Amen) ? Quand on sait que la deuxième pièce de Rolf Hochhuth s’en prenait à Churchill avec la plus grande légèreté… Et quand on se souvient que Rolf Hochhuth est l’ami intime de David Irving, le célèbre négationniste anglais… on est surpris du succès de la légende qu’il a mise en circulation. Voici, juste à titre de documentation, la curieuse défense d’Irving par celui qui, en mars 1964, avait osé attaquer la mémoire de Pie XII, en l’accusant de silence complaisant sur le génocide. Cette fois, nous sommes en mars 2005. Au cours d’un entretien donné à l'hebdomadaire l'allemand Junge Freiheit, Hochhuth déclare qu’Irving était un historien très sérieux et juge que les accusations de négationnisme portées contre lui sont « idiotes []». Confronté aux déclarations d'Ivring, selon lesquelles « il y avait moins de personnes mortes pendant l'Holocauste que sur le siège arrière de la voiture d'Edward Kennedy » et qu’« il n'y avait aucune chambre à gaz à Auschwitz », le génial scribouillard a considéré que tout cela était de l'humour noir, probablement en réponse à une provocation []. Le président du Conseil central juif d'Allemagne, Paul Spiegel, a estimé pour sa part qu'avec de telles déclarations, Hochhuth se plaçait lui-même dans les rangs des négationnistes. Après des semaines de scandale, l’auteur de la pièce Le Vicaire a finalement fait ses excuses du bout des lèvres… En attendant – ironie de l’histoire – c’est lui qui a fabriqué la légende d’une Eglise antisémite et complaisante face au génocide juif.

Je ne suis pas non plus, de l’autre côté, de ceux qui cherchent à baptiser les juifs malgré eux, à en faire des chrétiens qui s’ignorent. Rafaël Drai, dans une célèbre Lettre ouverte au cardinal Lustiger, a parlé à ce sujet d’un « nouveau révisionnisme ». Dieu nous en garde ! Mais il faut bien reconnaître la solidarité particulière qui, au cours de la IIème Guerre mondiale, a uni les chrétiens aux juifs. Combien d’entre eux ont été sauvés par de faux certificats de baptême, donnés en toute connaissance de cause ? Combien ont été cachés par des prêtres, accueillis par des familles, acceptant l’éventualité de terribles représailles, pour protéger leurs frères juifs ?… Comment oublier cette mémoire-là ? comment bafouer le souvenir de ceux qui ont risqué leur vie pour sauver des juifs ?

Qu’est-ce que les catholiques apportent en particulier sur la question de la Shoah ? Un éclairage sur le problème du mal, dont les tentatives génocidaires qui ont jalonné le XXème siècle (jusqu’au génocide tutsi en 1994) constituent une figure terrifiante et dont les six millions de juifs exterminés pendant la IIème guerre mondiale représentent l’image la plus présente dans notre culture.

Pour répondre à cette question, je voudrais laisser la parole à Eugène Green. Dans le roman qu’il vient de faire paraître chez Gallimard, La bataille de Roncevaux, il évoque Imre Kertesz, qui passe comme une ombre terrible dans la conversation de deux amis basques Ur et Gotson:

« Je regarde le livre qui est sur sa table de travail, avec un marque page. C'est une traduction française d'Etre sans destin d'Imre Kertesz- Qu'est ce que c'est que tu lis demandais-je à Ur. Je n'ai jamais entendu parler de cet auteur.- C'est un Hongrois, et le livre est le récit de sa déportation dans les camps.Il est revenu auprès de moi, avec une bouteille d'armagnac et des verres- As tu jamais lu Primo Levi ? - Oui, Si c'est un homme - Kertesz est encore plus insoutenable - Mais tu le lis - Il y a toute une étagère de ma bibliothèque avec rien que des livres sur les exterminations nazies. - Comment peux-tu supporter de lire tout cela ? - Je ressens le besoin de me confronter au mal, dans ses plus profonds abîmes, pour croire en Dieu ».

Je souhaiterais simplement prolonger cette réflexion paradoxale de Green avec une phrase du Christ, lue le Premier dimanche de l’Avent dans la forme extraordinaire du rite romain : « Les étoiles tomberont du ciel, les Puissances des cieux seront ébranlées. Lorsque vous verrez arriver tout cela, levez vous, redressez la tête, car elle approche votre délivrance ».

A Auschwitz, les étoiles de notre monde moral sont tombées du ciel, mais, "levez-vous, redressez la tête", cet événement doit constituer un signe de notre délivrance, au sens biblique de ce terme.

Vous pouvez commander le n°2 de Respublica, 144 pp. 15 euros, port offert à Centre Saint Paul, 12 rue Saint Joseph 75 002 Paris

jeudi 21 janvier 2010

Nora, Fatima et tous les autres

Hier, nous avons eu une conférence un peu exceptionnelle au Centre Saint Paul sur les femmes converties de l'islam. Deux jeunes femmes, Nora et Fatima ont très sobrement porté leur témoignage, expliqué comment elles se sont convertis et surtout montré comment elles entendaient faire partager leur expérience. Avec passion.

Ces deux femmes sont évangéliques et non catholiques. Un moment, sans agressivité mais de manière appuyée, elles ont souligné toutes les deux que l'Eglise catholique avait tendance parfois à décourager certaines démarches vers le baptême. Jean Luc de Carbuccia, le patron bien connu des éditions de Paris qui édite le livre de Fatima (Fatima Oujibou, Converties de l'islam, aux éditions de Paris, 18 euros, que vous ne regretterez pas) et qui travaille beaucoup dans son île d'origine, la Corse, pour y convertir les musulmans, a souligné qu'il avait rencontré le cas d'un prêtre traditionaliste, disant à une femme qui souhaitait se convertir : "Va d'abord demander ce qu'il en pense à ton mari"...


Nous avons beau être en pleine semaine de l'Unité, on peut quand même se dire que ce n'est pas forcément toujours aux autres de faire le boulot, et se demander : mais pourquoi l'Eglise catholique est-elle en retard sur ce terrain aussi, alors que dans chaque village en Kabylie, il y a aujourd'hui une communauté chrétienne.

On peut mettre en cause des structures pesantes, des idéologies post-conciliaires suicidaires. On peut, comme jadis Léon Bloy tonner contre la tiédeur des clercs ("Tu n'es ni froid ni chaud, je te vomis de ma bouche" dit l'Apocalypse).

Il me semble qu'il y a aussi un point important, c'est le manque de simplicité du message que l'on porte aux gens. Beaucoup de prêtres très bien intentionnés souffrent de ce manque de simplicité. Non pas du manque de simplicité de leur discours, non ! Ils se mettent à la portée de leurs fidèles sans problème, cela fait partie du métier du prêtre. Mais c'est le message en lui-même qui a perdu sa simplicité. On a l'impression parfois qu'il y a des chapitres qui se suivent, comme dans les catéchismes pour adultes d'aujourd'hui, chapitres bien construits et présentant les éléments de la foi de manière parfaitement correcte. Mais on se dit : il manque quelque chose à ce discours trop clair. Il manque le ressort. Il manque l'intention. il manque la hiérarchie entre le but à atteindre (qui est le salut, que je sache) et les moyens pour l'atteindre.

Et parce que le message est présenté comme compliqué, il perd ipso facto tout caractère d'urgence. Il n'y a plus l'urgence du salut "à faire avec crainte et tremblement" comme disait saint Paul, ni même "l'urgence de la charité" dont il parle également. Et s'il n'y a pas urgence... les vertus théologales ne peuvent pas prendre dans les coeurs. Tant que l'on peut dire "demain", dans l'ordre spirituel cela signifie en pratique "jamais".

Comment résumer le message divin que nous porte le Christ ? Comment porter le kérygme ? Question à laquelle j'ai souvent réfléchi.

Nora et Fatima, lorsqu'elles s'adressent à leurs frères et à leurs soeurs nés dans l'islam, expliquent qu'il y a quatre lois. La première ? "Jésus t'aime", tu es aimé de Dieu, tu as de la valeur, ta décision dans l'ordre spirituel n'est pas indifférente. La seconde : tu es un pécheur. Ta vie n'est pas à la hauteur, tu as du mal à te regarder en face tel que tu es. La troisième : tu peux remettre les compteurs à zéros. Tu peux te débarrasser de ce qui te pèse. Tu peux recevoir le pardon de Dieu. La quatrième : Dieu intervient dans ta vie, tu dois le reconnaître, et l'ayant reconnu, le servir.

Ces quatre lois évangéliques m'ont fait penser aux retraites de Saint Ignace selon la bonne vieille méthode du Père Vallet : simples et efficaces. Merci au Père Marziac, prédicateur infatigable. L'amour de Dieu, le péché, la grâce et le discernement de la vie chrétienne. J'ai pensé aussi à une conversation que j'ai eue, à Notre Dame de Bonne Nouvelle, la paroisse voisine du Centre Saint Paul (la paroisse sur le territoire de laquelle nous nous trouvons). Beaucoup sur cette paroisse suivent la méthode du Chemin néocatéchuménal. Et cette méthode (avec me semble-t-il quelques excentricités notamment liturgiques) retrouve ces "lois" qui sont... le christianisme tout simplement.

On peut trouver que cette méthode n'est pas assez doctrinale, pas assez théologique. Il ne faut pas oublier que la vérité chrétienne est avant tout pratique : "Celui qui fait la vérité vient à la lumière" dit le Christ au chapitre 3 de saint Jean. Dans cette sentence, le mot important est le verbe "faire".

On peut supposer tout de même que nos contemporains, je pense surtout aux "hommes blancs", pourris de raffinement et de civilisation et perdus par deux siècles et demi d'antichristianisme systématique, ont besoin de plus que cette praxis. C'est vrai ! Je crois pouvoir dire qu'à Paris par exemple une prédication trop simple, trop basique, est facilement snobée. Je n'ai pas connu cette difficulté en Afrique, où l'apostolat rencontre si facilement ce que l'Africain Tertullien appelait "le témoignage de l'âme naturellement chrétienne". Mais plus le niveau culturel général est élevé, plus, aujourd'hui en tout cas, dans la culture antichrétienne d'aujourd'hui, ce témoignage naturel semble assourdi.

Je crois que pour toucher l'homme occidental, il faut lui montrer que la prétention du christianisme non pas seulement à faire l'histoire mais à être l'histoire de l'humanité, cette prétention n'a pas fini de résonner aux oreilles de tous les hommes de bonne volonté. L'homme religieux est en crise ? Qu'importe ! Reste la vérité nue. reste l'histoire. c'est sur ce terrain qu'a lieu la grande confrontation du christianisme avec l'islam. Lorsque l'islam se prétend "le sceau de la prophétie", - c'est je crois le moteur caché d'un Tarek Ramadan - il revendique d'être l'histoire. Il prétend représenter la synthèse de toutes les religions antérieures et il continuera (pense Tarek ou dit Karim que j'ai rencontré avant hier dans un café) à déployer, au fil des interprétations, ce pouvoir de synthèse.

Et le christianisme ? se réduit-il à l'expérience personnelle du péché, de la grâce et de l'amour de Dieu ? Non.

Vatican II a bien vu la nécessité pour le christianisme de retrouver l'histoire. Mais la plupart sur le moment ont interprété ce retour à l'histoire comme un ralliement, le ralliement à l'histoire telle qu'elle se fait en dehors de nous... On a confondu le ralliement, l'idéologie du ralliement avec la théologie du Royaume de Dieu qui est le coeur non négociable de l'Évangile. Qu'est-ce que le Royaume de Dieu aujourd'hui pour des chrétiens ? Une ambition et pas une repentance. Le Royaume de Dieu aujourd'hui (la royauté sociale du Christ aujourd'hui), c'est cette ambition (folle et nécessaire : voyez encore Tertullien : "On nous croit peu de chose et nous sommes partout") qu'ont les chrétiens de faire l'histoire. Pas de la suivre. De la faire.

J'ai été très ému par la dédicace que mon ami viêt-namien, Louis, que j'ai baptisé il y a maintenant quelques années, a jugé bon d'inscrire à mon intention en m'offrant son dernier livre : 'A l'abbé GT qui m'a rendu l'optimisme et qui m'a convaincu que le christianisme sera finalement victorieux'. Pétri de culture occidentale, scientifique, Louis n'est sans doute pas un "homme religieux". Il a retrouvé la foi, qui l'avait comme effleuré dans son enfance, parce qu'il a vu lucidement que l'espérance humaine est du côté du Christ et que dans l'histoire, la victoire du Christ (le Royaume de Dieu) est possible. Je crois qu'il faut que Louis nous communique son ambition, son optimisme (voir son livre : Minh Dung Louis Nghiem, Les démons de l'archaïsme et le développement humain, éd. Via romana 2009). A cet égard, on ne peut pas ne pas souligner l'importance de René Girard, qui a bâti toute son oeuvre autour de cette conviction centrale : c'est le christianisme qui fait l'histoire. Combien de personnes aujourd'hui, qui osent se dire chrétiens parce qu'ils ont lu ou parce qu'ils lisent René Girard ! Lui, il nous rend l'optimisme et nous convainc que le christianisme sera finalement victorieux.

On peut se demander : comment aurais-je la foi ? Telle qu'elle est posée la question est sans solution, car la foi est un don de Dieu. Plus concrètement, on peut se demander : comment le christianisme est la matrice de notre histoire ? Répondre à cette question, c'est réunir toutes les conditions objectives pour recevoir, quand Dieu voudra, le don de la foi.

Dans les Actes des apôtres au chapitre 6, le diacre Philippe demande à l'eunuque de la Reine Candace : "Crois tu que Jésus est le Fils de Dieu ?" Sur sa réponse positive, ils descendent tous les deux dans le Jourdain et Philippe baptise l'eunuque.

Je crois que cette petite histoire, au-delà de toutes les méthodes d'"apostolat, nous indique quel est le kérygme, quel est ce résumé efficace et urgent que nous cherchions tout à l'heure et quelle est, par conséquent, la matrice de l'histoire humaine.

La matrice de l'histoire humaine, c'est Jésus Christ Fils de Dieu, "le premier né d'une multitude de frères" comme dit saint Paul. La matrice de l'histoire humaine, c'est la divino-humanité de notre Sauveur. Dieu s'est fait homme afin que l'homme devienne Dieu répète les Pères de l'Eglise. Voilà le résumé de tout. voilà l'urgence ! Nous étions des animaux plus ou moins raisonnables. Nous devenons fils et filles de Dieu. Comme dit saint jean dans son Prologue de manière encore plus forte : "Il nous a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu". En grec : exousia. Les philosophes grecs se sont préoccupés de l'ousia (la substance) ; les théologiens chrétiens présentent à l'homme une capacité de métamorphose : exousia. Une liberté inconcevable ! Une liberté que nous recevons toute du Christ. Une liberté qui, depuis qu'elle a été donnée, fait l'histoire humaine.

Le drame, comme dirait Henri de Lubac ? Au lieu d'être fidèles à cette liberté, les hommes se la sont appropriée. L'espérance ? Cette liberté, qui est l'autre nom de la modernité, il suffit de la rendre au Christ pour que soit conjurés les périls qu'elles déchaîne sur nos têtes. Je crois que c'est cela la victoire du Christ aujourd'hui.

L'islam ambitionne d'être le sceau de la Prophétie grâce à la virtuosité de ses juristes, toujours capables de proposer une universelle reductio ad Mahometum. Le christianisme nourrit la même ambition, parce qu'il est convaincu que "seul le Christ sait ce qu'il y a dans l'homme". L'empire islamique est celui de la loi, au dessus de la nature et de la grâce. L'empire chrétien est celui de la nature divinisée par la grâce. L'un s'établit dans le Livre. L'autre se réalise dans l'homme lui-même, car c'est l'homme qu'il s'agit de comprendre et de transformer et que seul Dieu peut accomplir ce miracle, en donnant, à chacun selon sa demande, l'exousia, la liberté de devenir enfants de Dieu.

Notre Alexandre...

Je sais que beaucoup fréquentent ce Blog en ce moment pour avoir des nouvelles de notre abbé Berche, je remercie le pompier qui a fait partie des sauveteurs de son témoignage, surtout je remercie sa soeur de son message et lui dis que je serai heureux de la rencontrer comme j'ai été heureux l'autre soir de parler longtemps avec sa mère, qui nous fait comprendre sans paroles que quelque chose d'aussi fort qu'une vocation sacerdotale n'est jamais de l'ordre de la génération spontanée!
 
Certes les nouvelles d'Alexandre ne sont pas dramatiques, mais, quelle que soient la qualité des soins et la disponibilité du personnel soignant (tout à fait étonnante et admirable : j'ai pu vérifier cela à n'importe quelle heure du jour... ou de la nuit), il y a quand même, eh oui, (faute, semble-t-il, au respirateur artificiel que nécessite son hématome au poumon)... une maladie nosocomiale, il y a de la fièvre (jusqu'à 39, 5) et un nouveau front sur lequel se battre... Il est manifestement très bien suivi, et je n'ai d'ailleurs pas pu le voir hier, à cause des soins qui lui sont administrés. Il a été resédaté pour qu'il puisse, lui aussi, ne se battre que sur un front à la fois et lutter avant tout contre l'infection. La fièvre a baissé (37 aujourd'hui me dit l'abbé Laguérie). Il faut continuer à prier, "prier sans cesse et ne jamais se lasser". Nous avons été avertis dès le début que le coma risquait d'être long (le père d'Alexandre m'avait tout de suite parlé d'un mois).
 
N'hésitez pas, chers amis de l'abbé Alexandre, à envoyer des messages. Cela encourage tout le monde ! Et ces messages, laissés sur le net, lui seront lus. Lorsqu'il a été, un moment, sorti du coma artificiel, on sentait bien qu'il nous entendait. Dès que l'infection aura disparu et qu'il aura été désédaté, Anne-Cécile, que je connais bien et qui connaît bien notre Abbé, s'est proposée pour lui faire cette lecture. Ceux qui souhaitent exprimer quelque chose de plus personnel peuvent lui envoyer directement à l'adresse suivante : annececilefoubert@yahoo.fr.

mardi 19 janvier 2010

[conf'] Mardi 19 Janvier 2010 à 20 heures - « Ces femmes converties de l’islam » par Fatima OUJIBOU avec Jean-Luc de CARBUCCIA

Conférence au Centre Saint Paul (IBP à Paris) - Mardi 19 Janvier 2010 à 20 heures - « Ces femmes converties de l’islam » par Fatima OUJIBOU avec Jean-Luc de CARBUCCIA - Participation aux frais: 5 euros, 2 euros pour les étudiants - La conférence est suivie d’un verre de l’amitié.

samedi 16 janvier 2010

Riposte laïque, Bloc identitaire, Centre Saint-Paul : un libre débat sur l’identité

Article repris de Novopresse - Écouter l'émission

Hier, le Libre Journal de l’Identité, sur Radio Courtoisie, animé par Bruno Larebière, fut le théâtre d’un débat inédit. Durant près d’une heure et demie, trois hommes – et trois organisations – qui ne s’étaient jamais rencontrés ont débattu de l’identité nationale : le philosophe français d’origine roumaine Radu Stoenescu, membre du bureau de Riposte laïque ; l’abbé Guillaume de Tanoüarn, directeur du Centre Saint-Paul, membre de l’Institut du Bon Pasteur (IBP)  et responsable de la revue Respublica Christiana ; et Jacques Cordonnier, membre du bureau exécutif du Bloc identitaire et président d’Alsace d’Abord. (1)

On pouvait se demander si un militant de la laïcité, un prêtre et un cadre identitaire pouvaient vraiment se comprendre. S’ils allaient pouvoir débattre sans que cela ne tourne au pugilat. Deux questions, une seule réponse : oui.

Ce fut parfois vif – notamment sur le sens précis de la fameuse conférence d’Ernest Renan, « Qu’est-ce qu’une nation ? », notamment aussi sur l’importance du lien charnel entre l’homme et sa terre – mais toujours courtois. Et, surprises : c’est le représentant de Riposte laïque qui cita à deux reprises Jésus ! Et c’est le prêtre qui prononça la plus belle tirade identitaire !

Un débat de haute tenue qui n’a pas épuisé le sujet de l’identité nationale, mais qui a montré qu’il est possible – et souhaitable – de se parler pour mieux se comprendre et lever de toute part les a priori que les uns et les autres peuvent avoir.

1. Fabrice Robert, président du Bloc identitaire, initialement prévu, a été contraint de se décommander. Même si son absence ne lui est pas imputable mais est due à un arrêt en rase campagne de plusieurs heures du train qui était supposé l’amener à Paris, il prie les lecteurs de Novopress et les auditeurs de Radio Courtoisie qui avaient été informés de sa participation au débat de bien vouloir l’en excuser.

Pie XII vénérable - Les significations d’un geste inattendu

Texte paru dans Monde&Vie du 9 janvier 2010

Est-ce l’effet répétitif des gros titres, sans le moindre texte, avec toujours les mêmes photos ? Est-ce le message que l’on retrouve, identique, au mot près, ici et là ? La campagne anti-Pie XII s’essouffle. On peut penser que c’est pour cela qu’après officiellement deux ans de tergiversations, Benoît XVI, prenant à contre-pied tous les experts, reconnaît l’héroïcité des vertus d’Eugenio Pacelli, pape de 1939 à 1958.

Dans cette affaire, il ne faut pas se tromper, l’actuel souverain pontife n’est pas la blanche colombe victime des médias, c’est Benoît XVI qui attaque la bien-pensance. De façon délibérée. Réfléchie. En choisissant l’heure et la manière.

On ne peut pas dire, pourtant, que Josef Ratzinger nourrisse une admiration personnelle pour le pape qui a fait planer un soupçon durable sur les représentants de l’Ecole théologique dont il est lui-même issu. Nul doute qu’à titre personnel, il préfère les développements du Drame de l’humanisme athée du Père Henri de Lubac (paru en 1944) aux condamnations très enveloppées que contient l’encyclique Humani generis, synthèse antimoderne, publiée par Pie XII en 1950. Quels sont les mobiles de Benoît XVI ? Pourquoi s’engage-t-il ainsi envers «le Pasteur angélique» ? Il me semble que l’on peut donner trois raisons importantes à son attitude.

La première et la plus importante pour cet intellectuel exigeant, c’est tout simplement la vérité. Lorsque le 8 mai 2007, la Congrégation pour la cause des saints, unanime, concluant un dossier ouvert par Paul VI en 1967, recommande la béatification de Pie XII, c’est un tollé. Les esprits ne sont pas préparés à un tel coup de théâtre. Benoît XVI réagit en intellectuel qu’il est. Il confie à une personnalité dont il est sûr, Andrea Tornielli, la mission de faire toute la lumière sur Pie XII pendant la Deuxième Guerre mondiale en ouvrant les archives que le défunt Père Blet avait déjà largement exploitées. Le livre d’Andrea Tornielli est paru au début de l’année et il a été immédiatement traduit de l’italien en français par les éditions Tempora. Deuxième réaction : le pape souhaite organiser un colloque universitaire, réunissant juifs et chrétiens à Yad Vashem, le sanctuaire de la mémoire juive de la Shoah, pour évaluer le rôle de Pie XII pendant la guerre. Ce colloque a lieu en marge du voyage du pape en Israël les 8 et 9 mars 2009. A l’époque, presque seul dans la presse catholique, Monde et Vie avait rendu compte de ce Colloque, en précisant qu’Avner Shalev, président du Comité de direction du Mémorial, avait alors parlé de changer la légende de la photo de Pie XII exposée à Yad Vashem. Notons au passage que le même Avner Shalev avait déjà promis ce changement en 2007 et qu’il n’a toujours pas eu lieu à ce jour.

Entre temps, le 19 juin 2009, c’est une déclaration maladroite de Peter Gumpel, le postulateur officiel de la cause de Pie XII qui a rassuré le monde médiatique, en expliquant à l’Agence de presse Ansa que le pape ne souhaitait pas «se mettre mal» avec la Communauté juive en béatifiant Pie XII. Gumpel a été officiellement rappelé à l’ordre par le Père Lombardi, responsable de la Salle de presse et jésuite comme lui, qui a rappelé qu’«il appartenait au pape seul de prendre une telle décision». Mais ce rappel à l’ordre a été mal évalué à l’époque et chacun était resté sur l’idée que Benoît XVI ne ferait rien.

Ceux qui connaissent un peu le pape savent pourtant qu’il fonctionne, en pur mental, à rebours de tout calcul des risques à court terme. La vérité sur Pie XII se manifeste de plus en plus. Des voix autorisées dans la communauté juive le reconnaissent, Avner Shalev mais aussi l’Américain David Dallin dont le livre a fait grand bruit, toujours dans le sens de la défense de Pie XII. Que reste-t-il à l’attaque ? Du côté des historiens, il y a bien un pamphlétaire, le Britannique John Cornwell, qui dans un pamphlet dont la traduction française est parue en 1999 chez Albin Michel, déclarait : «Eugenio Pacelli est le pape idéal pour la solution finale des nazis». Mais dix ans après la publication en fanfare de son livre Le pape de Hitler, il finit par se trouver très seul.

Le risque aujourd’hui pour la communauté juive est au contraire de paraître cultiver, avec une sorte de délectation morose, une ingratitude envers le pape qui a activement et efficacement protégé tant de juifs, en les sauvant de la mort. C’est ce que perçoit bien une personnalité comme Serge Klarsfeld, lorsqu’il déclare qu’une telle «reconnaissance des vertus héroïques» du pape est «une affaire interne à l’Eglise catholique». Il faut se souvenir par exemple, que le Grand rabbin de Rome Israel Zoller, qui s’est converti au catholicisme, déclarait dans ses Mémoires publiées en 1954 : «La rayonnante charité du pape, penché sur toutes les misères engendrées par la guerre, sa bonté pour mes coreligionnaires traqués, furent pour moi l’ouragan qui balaya mes scrupules à me faire catholique ».

Je ne peux pas m’empêcher de penser que le deuxième mobile du pape Benoît XVI, vénérabilisant Pie XII, est un motif de politique ecclésiastique bien entendue. On est bien obligé de constater qu’il existe un décalage entre l’avis des scientifiques, qui n’hésitent pas aujourd’hui, quelle que soit leur origine, à reconnaître l’efficacité de l’action de Pie XII pendant la Deuxième Guerre mondiale et le psittacisme de la classe médiatique, qui s’en tient à la légende noire. Même le journal La Croix, le 21 décembre dernier a encore titré sur «Pie XII, pape controversé». L’adjectif est très commode, comme le remarquait le webmestre du «metablog» de l’abbé de Tanoüarn. Il évite de se prononcer sur le fond. On se contente de constater la controverse… et l’on s’éloigne avec horreur. Le webmestre note que «controversé» est l’adjectif fétiche des dernières polémiques. L’Alsace, Le Point, Le Monde, L’Express, Le Parisien, tous ils ont employé ce même terme de «controversé». «On connaît les «self fulfilling prophecies», écrit-il, ces prophéties auto-réalisantes : il suffit qu’un certain nombre de gens pensent que le sucre va manquer pour qu’ils se précipitent en acheter, créant ainsi la pénurie qui donnera raison à leur crainte. Eh bien le terme « controversé » tient du «self fulfilling reproach», c’est un reproche auto-réalisant ». Dans cette perspective, il était impossible au pape de garder le silence sur le silence de Pie XII. Il aurait collaboré à la légende noire en cours de construction et en auto-production s’il n’avait rien dit. Il aurait été le pape du silence sur le silence de Pie XII. Avec cette vénérabilisation au contraire, personne ne pourra soutenir que Benoît XVI n’a rien fait et n’a rien dit pour défendre l’institution pontificale injustement attaquée. Et on peut penser que cet acte officiel représente même un coup d’arrêt dans le développement de la légende noire car personne ne peut plus ignorer la position officielle et étayée du Souverain Pontife, qui ne pratique pas la repentance (c’est le moins que l’on puisse dire) sur ce sujet.

Une affaire interne à l'Eglise catholique

Dans le numéro que Marianne vient de consacrer à cet événement, le recul des intellectuels est significatif. Jean Louis Schlegel, intellectuel patenté puisqu’il est membre du Comité de rédaction de la revue Esprit, explique dans son article que «la question morale de l’attitude de Pie XII ne peut être tranchée par l’histoire» (comprenez : l’histoire ne va pas dans le sens dans lequel je voudrais pouvoir trancher).

Il ajoute, au nom de ce que Max Weber appelait l’éthique de conviction : «Mais Pie XII a bien failli devant la seule décision juste possible : s’opposer, résister au prix de son sang et de sa vie. Le pape aurait dû être héroïque, mais il ne l’a pas été». Là on se trouve, soixante ans après, non pas dans l’histoire mais dans la fiction : le pape aurait dû… le pape aurait pu. Qu’est-ce qu’il aurait pu ou dû faire ? «résister au prix de son sang et de sa vie». Pas moins. Jean-Louis Schlegel ne se demande pas jusqu’où la folie de Hitler aurait repoussé les bornes des limites. Il ne se demande pas si le martyre du pape aurait été favorable au sort des populations juives et chrétiennes. Il se contente de dire : le pape aurait dû mourir martyr de la Shoah. Avec de tels arguments, il faut bien reconnaître que Pie XII n’a rien à craindre de la postérité. Mais cela n’empêche pas le journal de publier, en une, une photo de Pie XII dans l’ombre de Hitler. Le décalage est clair entre la rédaction, qui accuse toujours Pie XII, à travers cette photo, d’être le pape de Hitler et l’intellectuel de service, qui n’ose plus soutenir explicitement la thèse de Cornwell (Pie XII, pape de Hitler) et qui reproche simplement au pape… de n’être pas mort martyr !

Je crois qu’à travers ce recul emblématique de Jean-Louis Schlegel, on doit reconnaître l’efficacité de la politique de Benoît XVI, qui entend bien sortir officiellement la papauté de son silence sur le pseudo-silence de Pie XII. Loin d’obérer les relations entre juifs et chrétiens, une telle décision contribuera certainement à les rendre plus saines. On peut contester la politique de Pie XII et préférer un mode prophétique au mode diplomatique qui était celui d’Eugenio Pacelli par toute sa formation à l’école des nonces. Mais on ne peut pas nier l’efficacité de cette politique sur le terrain. Il faut souligner que c’est souvent sur un ordre personnel du pape (comme on vient d’en retrouver la trace écrite chez les Sœurs du Couvent des Quatre couronnés à Rome) que les communautés religieuses de la Ville ont ouvert leurs portes aux juifs persécutés dès la fin de 1943. Autant de gestes concrets et salvateurs, qui n’auraient pas pu avoir lieu si le pape était mort martyr ainsi que le souhaite Schlegel 60 ans après, et si l’Eglise avait dû subir la mainmise de Hitler sur ses infrastructures.

Joël Prieur

La dernière raison de Benoît XVI

En présentant, couplées, la vénérabilisation de Pie XII et celle de Jean Paul II, Benoît XVI ne cherche pas à faire passer l’une par l’autre, ainsi qu’on l’a souvent dit. Il aurait pu retirer un très grand bénéfice de popularité personnelle en déclarant uniquement les vertus héroïques de Jean Paul II et il renonce en quelque sorte à ce bénéfice pour Pie XII. Pourquoi ajoute-t-il Pie XII à Jean Paul II ? Parce que Pie XII est le dernier pape d’avant le Concile et Jean Paul II le pape le plus brillant de l’Après-concile. La pression populaire étant telle, Santo Subito ! on se souvient de ce cri qui n’avait pas forcément plu au collaborateur n°1 du «saint» en question, Benoît XVI ne voulait laisser à personne le soin de béatifier Jean Paul II, mais il ne tenait pas du tout à faire en sorte que cette béatification soit interprétée comme un satisfecit donné au Concile Vatican II dans sa dimension de rupture avec le passé. Depuis le 22 décembre 2005, date d’un célèbre discours à la Curie, le pape actuel fait tous ses efforts pour retisser les fils qui unissent le passé et le présent de l’Eglise. Quelle meilleure manière de montrer que l’on ne peut pas plus séparer l’avant et l’après-concile que de béatifier ensemble le symbole de l’Avant-concile Pie XII et le symbole de l’Après-concile Jean Paul II. Pour Henri Tincq, dans Marianne, c’est clair : «Cette campagne s’inscrit dans un ensemble d’initiatives qui visent à réduire l’influence du concile Vatican II». Il faut avoir été journaliste religieux au Monde depuis trente ans pour manifester une telle acuité. Attacher ensemble Pie XII et Jean Paul II, ce n’est pas seulement permettre à Pie XII de «passer la rampe», comme on le répète trop vite ici et là, c’est surtout donner une image de Jean Paul II, qui ressemblerait plus à Pie XII qu’au pape “Peace and Love” que les médias ont voulu encenser post mortem (ce qui ne les empêchait pas d’ailleurs de cracher sur lui et sur sa maladie de Parkinson lorsqu’il était encore de ce monde).

J.P.

Quelques retours sur mon Cajétan

Mon gros bouquin sur le plus grand des disciples de Thomas d'Aquin [Cajétan ou le personnalisme intégral, éd. du Cerf, sept. 2009, 59 euros] n'a pas suscité, pour l'instant, une masse de commentaires. Je m'honore néanmoins d'une recension dans Etudes, la célèbre "revue de culture contemporaine" animée par les Pères jésuites, qui se réjouit de cette "forte synthèse". Je suis par ailleurs la victime d'une charge dans Disputationes catholicae dont je vous reparlerai, où l'auteur pseudonyme, qui doit être (si je ne m'abuse) un de mes anciens étudiants (on n'est jamais trahi que par les siens) voit en moi (il n'ose pas dire en Cajétan) un gnostique panthéiste, et ce, alors que la démarche de Cajétan - et la mienne plus modestement - se situent métaphysiquement à l'exact opposé de toutes formes d'univocité et donc aux antipodes de tout panenthéisme.

Mais brisons là.

Vient de m'arriver un très beau texte, publié dans la revue Eléments et signé AB. En cet AB, les initiés reconnaissent tout de suite Alain de Benoist. Je me permets de reproduire ici sa présentation, car cet agnostique proclamé a exactement saisi les soubassements métaphysiques de la théologie de Cajétan. Il les résume en quelques formules bien frappées, sous le titre Scolastique baroque :
Scolastique baroque

"Surtout connu pour être violemment opposé à Luther en tant que légat du pape, le cardinal Thomas de Vio (1469-1534), dit Cajetanus ou Cajétan (l'homme de Gaète) fut aussi un théologien de premier plan, assez oublié il faut bien le dire, dont Guillaume de Tanoüarn a entrepris de retracer la doctrine avec autant de savoir que d'intelligence. Dominicain, aristotélicien, brillant représentant de la Via thomistica, Cajétan s'était proposé de renouveler la scolastique, en développant une métaphysique de l'analogie (De nominum analogia 1498) que l'auteur interprète comme un "personnalisme intégral". L'analogie dont il est ici question n'est pas l'analogie d'attribution, qui se rapporte à un principe unique, mais l'analogie de proportionnalité, c'est-à-dire le lien immanent qu'entretiennent des substances qu'apparie, sans entretenir de relation réelle, un même rapport à l'Etre. Cette diversité analogique que Cajétan nommait alietas, et qui est, chez lui, un moyen de connaissance en même temps que la clé de son pluralisme métaphysique, retiendra l'attention de Heidegger qui, à l'époque de Sein und Zeit, critiquera à partir d'elle l'ontologie de Descartes. Répondant à la fois au réalisme et au nominalisme, Cajétan affirmait que la pensée n'a plus rien à craindre des formes de multiplicités radicales, car la différence n'implique pas la dissémination : il existe toujours une structure du divers. Il était donc l'ennemi déclaré de l'univocité, c'est-à-dire du conformisme (ce qui explique peut-être qu'il fut condamné aussi bien par Maurice Blondel que par Etienne Gilson ou Henri de Lubac). Soucieux de concilier foi chrétienne et esprit de la Renaissance, il n'hésitait pas à s'appuyer sur l'humanisme d'Erasme pour mieux répondre au protestantisme naissant. C'était en fin de compte un théologien baroque, ce qui n'a pas manqué de séduire Guillaume de Tanoüarn. Il n'est en tout cas pas nécessaire d'approuver les fondements de la Scolastique pour apprécier ce travail, dont l'auteur se révèle d'emblée un philosophe à l'exacte hauteur de son sujet"
Merci à Alain de Benoist de cette finesse de compréhension... Cher Alain, permettez moi de vous taquiner juste sur un point : au sens historique du terme, la Scolastique baroque, massivement espagnole, n'est pas vraiment marrante. Melchior Cano (1509-1560) fait la théorie du traditionalisme catholique, en prenant à témoin assez théâtralement, tous les ancêtres, alors que Cajétan se bat lui au nom de la "raison rendue" (reddita ratio)... Est-il baroque ? Il y a dans l'Age baroque un parti pris d'irrationalité au coeur du monde (voir les disputes sur la prédestination), alors que Cajétan veut pousser la raison aux limites de ses possibilités.

Mais, vous avez raison, l'analogie, dans son fonctionnement comme moyen de connaissance, a quelque chose de... prodigieux, qui en fait un instrument merveilleusement baroque. Non pas au sens étroitement historique ou culturel de ce terme. Mais du point de vue du geste et de la figure que ce geste donne à voir : le cajétanisme est une théorie de la métamorphose chrétienne (que l'on appelle aussi le salut). Quoi de plus baroque en vérité que la métamorphose?

mardi 12 janvier 2010

Le Concile ? Parlons-en...

L'exemple vient de haut. Le Carême de Notre Dame, cette année, est consacré au Concile Vatican II. Je crois que c'est une belle chose. Vatican II était devenu un tabou à force d'avoir servi de totem, une référence vidée de son sens, à force d'avoir été invoquée.

Benoît XVI, dès la première année de son pontificat, précisément le 22 décembre 2005, est revenu avec toute son autorité sur le sujet, devant la Curie romaine au complet, en nous exhortant à choisir, à propos du Concile, entre une herméneutique de rupture et une herméneutique de continuité. Le cardinal Vingt-Trois entend mettre en œuvre cette lecture du Concile, dans l'esprit du pape.

Nous voudrions contribuer pour notre part, à identifier l'herméneutique de rupture et à faire triompher la continuité de la Tradition catholique dans la lecture de ce Concile, ainsi que le stipulait, dès le 8 septembre 2006, le décret d'érection de l'Institut du Bon Pasteur.

Voici, pour le Carême 2010 au Centre Saint Paul, un programme de réflexion et de méditation. Les thèmes proposés sont volontairement très proches du programme proposé par le diocèse de Paris. Si Vatican II est une boussole de la réflexion théologique aujourd'hui, ainsi que je l'indiquais déjà dans mon ouvrage Vatican II et l'Evangile (disponible en lecture sur ce site), c'est substance parce qu'il soumet à la réflexion théologique les thèmes essentiels autour desquels tournent l'à venir de l'Eglise catholique.

Nous considérons ces thèmes comme autant de boussoles nécessaires à l'orientation du théologien. La théologie, en effet, n'est pas une science purement déductive. Comme l'expliquait déjà, avec sa pénétration ordinaire le Père Guérard des Lauriers, la théologie a aussi un "statut inductif". N'est-ce pas ce que nous enseignait le Christ : "Tout scribe instruit dans le Royaume des Cieux tire de son trésor du neuf avec du vieux".

La nouveauté, nova, comme dit le Christ ? Ce sont les questions que la modernité pose à la conscience chrétienne qui ne peut pas se dérober et doit y répondre, même si les prêtres ne trouvent rien dans leurs manuels de théologie sur les sujets évoqués.

Vetera, la Tradition dans sa continuité ? Ce sont les réponses que l'Église apporte, provenant toujours, non de l'esprit du monde, mais de la parole de Dieu, et en particulier de l'Écriture sainte, "âme de la théologie" - de l'Evangile, charte de notre salut.

Voici, dans cet esprit, le programme de notre Carême, au Centre Saint Paul :

Vatican II : quelle boussole?
Herméneutique de rupture et herméneutique de continuité


Dimanche 21 février : Vatican II ou la nouveauté comme programme
Le monde d'aujourd'hui et celui des années 60

Dimanche 28 février : Vatican II et les sources de la foi
Où trouver la Parole de Dieu ?

Dimanche 7 mars : Vatican II : d'une histoire à l'autre
Légende dorée, légende noire et révolution chrétienne : quelle repentance ? quelle Eglise ?

Dimanche 14 mars : Vatican II, le culte chrétien de l'expérience humaine à l'exigence christique
Deux notions clés, un choix nécessaire d'orientation

Dimanche 21 mars : Vatican II et les religions du Livre
Les chrétiens, leurs frères aînés et leurs cousins : comment dépasser les drames familiaux ?

Dimanche 28 mars : L'œcuménisme, de Vatican II à Benoît XVI
Histoire d'une histoire, sans jugements de valeurs

Les conférences auront lieu à 18H00, 12 rue Saint Joseph 75002 Paris

[conf'] Mardi 12 Janvier 2010 à 20 heures - « Regards sur la troisième école de psychothérapie viennoise» par Francis MOUHOT, psychologue, parlera de Viktor Frankl et la logothérapie

Conférence au Centre Saint Paul (IBP à Paris) - Mardi 12 Janvier 2010 à 20 heures - « Regards sur la troisième école de psychothérapie viennoise » par Francis MOUHOT, psychologue, parlera de Viktor Frankl et la logothérapie - Participation aux frais: 5 euros, 2 euros pour les étudiants - La conférence est suivie d’un verre de l’amitié.

samedi 9 janvier 2010

Existe-t-il une spécificité de l'IBP?

Texte paru dans «La Pastorale», le Bulletin de liaison des amis de l’Institut du Bon Pasteur.
Existe-t-il une spécificité de l'IBP? La question nous est souvent posée. Par de simples laïcs ou par des ecclésiastiques éminents. Qu'est-ce qui fait la singularité de l'Institut de Bon Pasteur dans l'Eglise, parmi toutes les Sociétés de Vie Apostoliques qu'elle compte en son sein? Quel est notre charisme propre? Notre caractère?

Il faut chercher ce caractère propre dans les circonstances de la fondation que reflète notre décret d'érection, dans la volonté des fondateurs, telle qu'elle apparaît au fil des statuts et, ce que nous ferons ici et maintenant, dans le patronage sous lequel nous nous sommes mis: celui du Bon Pasteur qui connaît ses brebis et les appelle chacune par leur nom.

Il faudra prendre garde cependant à ne pas réduire l'esprit du Bon Pasteur à une spiritualité sacerdotale à l'usage du clergé. Alors que nos sœurs, sous la houlette de M. l'abbé Forestier, entament leur deuxième année de formation, alors que les frères du Bon Pasteur viennent de naître dans le diocèse de Bourges sous la férule de l'abbé Spinoza, il apparaît que l'esprit du Bon Pasteur ne saurait être une simple spiritualité sacerdotale.

On ne peut pas, pour autant, d'un autre côté, ignorer la dimension sacerdotale du patronage sous lequel nous nous sommes placés avec enthousiasme, celui du Bon Pasteur.

Comment concilier ces deux dernières remarques? Peut-être faut-il, avec Cajétan, distinguer soigneusement l'office du prêtre (qui ne concerne que le clergé) et ce qu'il appelle la vertu sacerdotale. Cette vertu, note le Docteur thomiste, doit être cultivée par tous, prêtres et fidèles. C'est ainsi qu'il explique ce verset de l'Apocalypse: « Dieu a fait de nous un Royaume et des prêtres » (Apocalypse 1, 9). En esprit, en tant que chrétiens, membres du Christ, nous sommes tous prêtres...Nous devons cultiver la vertu sacerdotale, éminemment présente déjà dans le cœur de la Vierge Marie, qui n'est pas prêtre (au sens de l'officium), mais qui est reine des prêtres et plus prêtre que n'importe qui (au sens de la vertu sacerdotale).

Qu'est-ce donc que la vertu sacerdotale? Où nous mène-t-elle ? - A l'offrande. La vertu sacerdotale est la vertu de l'offrande. Chacun d'entre nous, si nous ne voulons pas arriver les mains vides devant notre Juge, nous sommes responsables de notre propre sacrifice spirituel. C'est cette responsabilité personnelle qui constitue cette société si particulière qu'est l'Eglise du Christ. Dans l'Eglise du Christ, il n'y a que des volontaires, des personnes qui, imprégnées de la vertu sacerdotale, se sentent responsables de ce qu'elles offrent.

Nous vivons dans une spiritualité laïque des droits de l'homme, où chacun est un petit dieu. Au rebours de cet esprit qui constitue la « modernité » spirituelle, nous souhaitons mettre de manière systématique l'offre avant la demande et l'offrande avant la revendication. Telle est la vertu sacerdotale à laquelle nous nous référons. Elle convient aussi bien à des prêtres, à des religieuses, à des frères qu'à des fidèles. Je montrerai une autre fois comment elle se décline de manière merveilleusement analogique, selon chaque état de vie ou chaque circonstance, en produisant ces vertus positives que nos statuts soulignent: l'optimisme, l'esprit d'entreprise, la joie et la confiance.

Disons simplement que cette vertu d'offrande doit aussi être prise en compte dans l'organisation présente de la paix de l'Eglise. Il ne s'agit pas seulement pour l'Eglise de répondre à des demandes de fidèles ici ou là, mais de créer une offre spirituelle de qualité, qui seule conjurera efficacement le fantôme de la désertification et la tentation de l'autodestruction de l'Eglise. Appuyés sur la Tradition, nous sommes convaincus que cette offre s'exprime pleinement dans la liturgie bimillénaire de l'Eglise latine, parce que c'est par excellence la liturgie de l'offre, la liturgie de l'offrande, la liturgie du sacrifice, comme acte spirituel sans cesse renouvelé, dans le seul sacrifice complet, dans le sacrifice qui complète tous nos sacrifices, celui qu'expose merveilleusement le Bon Pasteur lui-même, au chapitre 10 de l'Evangile de saint Jean: « Ma vie, personne ne la prend mais c'est moi qui la donne ».

Abbé Guillaume de Tanoüarn

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jeudi 7 janvier 2010

Thiberville, dans l’Eure : ce qu’en dit La Croix - mais pas Golias

[Ami lecteur, c'est dans la logique des blogs que de donner en haut de page les pages les plus récents. Celle-ci fait suite à une autre que tu trouveras avant, c'est à dire plus bas]

Ce qu’en dit Isabelle de Gaulmyn, dans La Croix


Elle a intitulé son article «L’évêque d’Évreux en conflit ouvert avec le curé d’une paroisse» mais c’est l’impression inverse qui en ressort: que le curé («récalcitrant») serait en conflit avec son évêque.

Dans un conflit, il y a deux parties. Voyons le Père Francis Michel («prêtre récalcitrant», donc), curé de Thiberville, qui est «devenu un symbole pour une certaine frange de l’Église». Extraordinaire emploi de ‘certaine’, qui permet de suggérer sans dire, et surtout sans dire quoi! Isabelle de Gaulmyn nous rappelle que tout prêtre, pourtant, «est lié par son ordination à un devoir d’obéissance à l’évêque». Lequel est «en droit de révoquer le prêtre» dans le cas d’une «désobéissance». Laquelle existe certainement (?), grave et avérée, puisque révoquer, c’est justement «ce que Mgr Nourrichard a fait». Aux côtés du Père Michel, «un comité» dont il a «obtenu» le soutien, et «des fidèles traditionalistes». Isabelle de Gaulmyn croit savoir que «voilà des semaines que les sites et journaux traditionalistes appelaient leurs lecteurs à être présents».
 
De l’autre côté: Mgr Nourrichard, évêque d’Evreux. L’article lui donne la parole: «Je suis tombé dans une embuscade». Et ce qu’il dit est la vérité, telle que livrée aux lecteurs de La Croix. Ce n’est pas «Mgr estime» ou «Mgr pense», c’est: «Mgr explique» ou «Mgr rappelle». Par exemple: «Il n’est plus concevable, explique Mgr Nourrichard, d’avoir un prêtre pour 5.000 habitants».
 
C’est sans doute la taille limitée de l’article, moins de 3.000 signes, qui a empêché Isabelle de Gaulmyn d’approfondir son sujet. Elle n'a pas eu la place pour dire que cette simple paroisse de Thiberville («cas classique d’un village qui perd ‘son’ curé») représente à elle seule presqu'un quart des 173 confirmands du diocèse. Pas la place, quand Monseigneur invoque «le manque de prêtres», pour demander en quoi se passer du ministère du Père Michel améliorera la situation. Et quand Monseigneur «rappelle» qu’il applique le Motu proprio «avec une célébration le dimanche», Isabelle de Gaulmyn n’a pas la place de préciser qu’il s’agit du 3ème dimanche de chaque mois.
 
Il y a tout de même encore un peu de place pour envisager l’avenir, et prévenir des sanctions encourues. Le Père Michel «n’est plus curé et ne peut plus célébrer mariages et baptêmes», et s’il passe outre, ces sacrements «seraient considérés comme illicites»  (à dire vrai, sans juridiction, un mariage n’est pas ‘illicite’, il est invalide ce qui est infiniment plus contrariant – soit La Croix n’a pas voulu en faire trop, soit nous sommes face au manque de culture religieuse que Bernard Lecomte déplore dans les médias français). Si cela ne suffit pas, «l’évêque pourrait demander à Rome la suspense». L’article se termine par une mise en garde: il ne faut pas oublier que «les évêques ont été nommés par le pape». Autrement dit, et quelle que soit la «légitimité romaine», rien ne se fera sur le terrain sans les évêques, et encore moins contre eux.
 
L’article de la revue Golias, maintenant.
 
Contrairement à La Croix, Golias n’a pas à ménager les évêques de France, qui ont pensé lui tordre le cou en se demandant officiellement, en 1998, «en quel sens cette revue peut prétendre au titre de catholique».
 
La fonction quasi revendiquée de Golias est de lutter, au sein de l’Eglise, contre le centralisme, le dogmatisme, et l’autoritarisme. D’être un «empêcheur de croire en rond» (la devise de Golias), et cela «pour l’honneur d’un Dieu défiguré et blasphémé par ceux qui, en son nom, se montrent intolérants, sectaires et inhumains» (cf : le manifeste de Golias). Bien sûr tout cela dans une vision ‘de gauche’, parfois déplorable, au résultat régulièrement outrancier. Tout de même: Golias sait épingler, et jusqu’à des évêques se pensant progressistes. Ce fut le cas pas plus tard qu’en novembre, avec deux articles : «Lourdes: quand l’évêque de Langres ‘taille’ ses confrères réacs» et quelques jours après : «L’évêque de Langres dément ses propos, sauf qu’il les a tenus!»
 
L’affaire de Thiberville devrait intéresser Golias. A Thiberville nous observons en effet:
- une décision imposée d’en haut, sans tenir compte de la réalité locale
- un évêque qui fédère contre lui toute une communauté
- un prêtre sanctionné pour insubordination à son supérieur
- et in fine, l’emploi par la hiérarchie de l’argument d’autorité
… la loi du plus fort étant comme chacun sait la plus faible des lois.
 
Il est donc étonnant (un peu décevant aussi) que l’article de Golias sur la crise de Thiberville… n’ait pas (pas encore?) été écrit.

mercredi 6 janvier 2010

Thiberville, dans l’Eure : ce qu’en disent La Vie, La Croix, et Golias

A Thiberville, le curé traditionalisant (Francis Michel) est viré par son évêque (Christian Nourrichard). Ca aurait pu se passer en catimini, mais non. «Ca» a commencé sur internet, puis France3 a fait un reportage pour son journal télévisé régional, puis la presse écrite est entrée dans le jeu. Paris-Normandie d’abord, avec un article forcément favorable aux paroissiens qui sont aussi ses lecteurs. Encore un articulet dans Le Parisien : le buzz était là. Et voici que La Vie, et voici que La Croix… nous vous en parlerons plus tard.

Thiberville, dans l’Eure : ce qu’en dit Jean Mercier dans La Vie

La Vie, magazine catholique indépendant, a dépêché à Thiberville Jean Mercier, son spécialiste ès-tradis. Son article au titre croquignole («Jacquerie catholique à Thiberville») commence très fort, en posant dès les premières lignes que le conflit passe entre d’une part «les autorités du diocèse d'Evreux», et d’autre part le Père Michel «soutenu par ses ouailles» (tout est là). Jean Mercier a assisté à la visite de l’évêque, venu « rendre compte de sa décision», à savoir : dissolution de la paroisse et révocation du curé. Ce qui n’a pas plus aux fidèles «entassés à plus de 400 dans l'église paroissiale», d’où «un violent affrontement», une «atmosphère d'émeute et des cris», «des huées et des insultes». Et quand «Mgr Nourrichard invite ceux qui le veulent à partir», et bien «l'église se vide dans la plus grande confusion». L’évêque tente de reprendre contact avec les fidèles en les suivant «dans le village voisin de Bournainville» où ils se sont repliés – en vain. Ses collaborateurs et lui «ne pourront pénétrer dans une église bondée par les fidèles de l'abbé Michel».

Et maintenant, l’analyse du conflit. Le diocèse reproche au Père Michel («et à ses fidèles») de fonctionner à l’ancienne : un village, une paroisse, un curé, alors que les « nouvelles règles de la réorganisation des paroisses » prévoient qu'«un clocher ne peut prétendre à disposer d'un prêtre en propre», et que les curés permutent. «Neuf ans au maximum » dans un paroisse – le Père Michel est en poste depuis 23 ans. Mais aussi le fait que «portant la soutane, le curé de Thiberville œuvre à un catholicisme traditionnel axé sur la piété fervente et la religion populaire». Cela, c’est La Vie qui l’écrit, en précisant (sans trop y croire?) que «Mgr Nourrichard, face aux paroissiens, a dûment expliqué que ce facteur était étranger à sa décision». A l’évidence, le Père Michel «répond à des besoins rituels traditionnels», il incarne «ce que les spécialistes en liturgie appellent la ‘Réforme de la Réforme’». Bref, il est peu en ligne avec son évêque. Autre constat : ça marche. «Ses messes attirent les foules, souvent venues de loin » ; il fait «quasiment l'unanimité chez ses ouailles, quelle que soit leur origine sociale, leur âge» ; il se montre «pragmatique face aux besoins spirituels des gens, doué d'un sens pastoral, bon prédicateur».

La Vie prévoit que le conflit « sera dur et probablement long ». D’un côté Mgr Nourrichard. Il a pour lui son épiscopat, et donc le droit de révoquer le curé et de dissoudre la paroisse.  Face à lui « la position du prêtre rebelle et de ses ouailles reste forte ». On note le «et de ses ouailles»: les paroissiens dissous vivent la révocation de leur curé «comme une humiliation collective», «comme une punition d'autant plus injuste que la paroisse est très vivante». Les élus le soutiennent, avec en premier lieu de maire de Thiberville «qui souhaite continuer à mettre le presbytère» à sa disposition, en même temps que les fidèles peuvent «décider de reporter leurs dons sur la personne de l'abbé Michel et de cesser de verser le denier du culte» - concrètement: que cette communauté vivante cesse de faire caisse commune avec le diocèse qui connaît un certain marasme financier. Enfin, et surtout : le Père Michel incarne «l'esprit voulu par Benoît XVI dans son Motu Proprio Summorum Pontificum de 2007». Le diocèse assure que le ‘débat’ (?) n’est pas «sur le terrain idéologique». Mais qu’en pensera Rome?

Thiberville, dans l’Eure : ce qu’en disent La Vie, La Croix, et Golias (à suivre)

mardi 5 janvier 2010

A propos de Patrick Besson

Je viens de terminer le gros roman de Patrick Besson Mais le fleuve tuera l'homme blanc (éd. Fayard), qui m'a passionné... Mes deux ans d'Afrique comme prêtre remontaient à la surface, en lisant cette prose si apparemment désinvolte et si redoutablement cruelle.

A travers divers personnages, des hommes, des femmes, des blancs, des noirs, un métis, Patrick Besson essaie de comprendre l'étrange, le merveilleux, le dangereux sortilège de l'Afrique. Il y réussit assez bien d'autant plus que l'histoire qu'il raconte se déroule entre Brazza et Kin (Brazzaville et Kinshasa), avec le voisinage obsèdent du Rwanda et des Tutsis puis des Hutus qui ont trouvé refuge dans ces pays.

En y réfléchissant je me suis dit : c'est justement parce qu'en Afrique (je veux dire dans cette Afrique-là, sur l'Equateur, dans la torpeur équatoriale, rien n'est grave... que tout devient toujours dramatique.

Prenons la morale sexuelle : rien n'est grave ? eh bien le tourisme devient le mode général sous lequel se vit la sexualité, il n'y a plus de famille et l'amour n'existe que comme un partenariat non exclusif. Quant à la prostitution, elle devient un mode de vie "normal" pour les femmes, une source ordinaire de revenus et un fantasme d'ascension sociale.

Prenons la violence : rien n'est grave ? Les Hutus partent "au boulot" comme ils disent pour "écraser les cafards" (les Tutsis). Et les Tutsis considèrent comme "normal" le service que leur "doivent" les Hutus depuis des générations. Résultat ? Lorsque le chaudron explose... le drame est absolu.

Cette philosophie bon enfant du "rien n'est grave" débouche trop souvent en réalité sur les pires formes de nihilisme. Sur ce plan du nihilisme, si l'on détruit l'homme religieux qui sommeille en chaque Africain, on risque de découvrir que non seulement l'Afrique n'est pas en retard, du point de vue éthique, sur l'Occident, mais qu'elle nous montre le chemin et qu'elle n'a aucune leçon d'individualisme à recevoir de nous...

Autre exemple : l'attitude par rapport au sida, la désinvolture dont on fait preuve, la facilité avec laquelle on contamine son voisin... en préférant ne rien lui dire, simplement histoire de tirer tranquillement... son coup, voilà me semble-t-il un bon exemple de ce que donne EN PRATIQUE la grande théorie du nihilisme. On trouve quelques allusions sur le sujet dans la fresque de Patrick Besson. J'avoue aussi que j'ai souvenir de confessions (en France) à la fois désespérées, cyniques et en quête d'une vengeance sur l'existence par la contamination délibérée du prochain, qui faisaient plutôt froid dans le dos. C'est pas grave, ça non plus ? Ce sont ceux qui disent que de telles attitudes sont excusables qui les font passer pour "normales", en contribuant volens nolens à les banaliser, à les diffuser...

Ce sont ceux qui disent que rien n'est grave qui préparent le drame et qui accoutument au pire. C'est sans doute en ce sens que l'on peut comprendre la dernière ligne de Achever Clausewitz, le dernier grand livre de René Girard, qui laisse froidement son lecteur sur cette formule qui m'a laissé sans voix : "Vouloir rassurer, c'est toujours contribuer au pire".

[conf'] Mardi 5 Janvier 2010 à 20 heures - « Les catholiques ont-ils leur place dans le débat sur l’identité » par l’Abbé Guillaume DE TANOÜARN

Conférence au Centre Saint Paul (IBP à Paris) -  Mardi 5 Janvier 2010 à 20 heures - « Les catholiques ont-ils leur place dans le débat sur l’identité » par l’Abbé Guillaume DE TANOÜARN - Participation aux frais: 5 euros, 2 euros pour les étudiants - La conférence est suivie d’un verre de l’amitié.

[Dessin repris de La Vie]

lundi 4 janvier 2010

Très belle année à tous...

Avec toutes mes excuses pour ces quelques jours de retard, je voudrais souhaiter à tous les liseurs et à tous les bloggueurs (c'est-à-dire à tous les liseurs qui participent par leurs commentaires à l'intérêt de Metablog) une très belle année 2010. J'ai beaucoup hésité sur le qualificatif : bonne ? C'est trop banal.

Le "bon" ne dit que ce que chacun veut bien y mettre. le bon, d'une manière ou d'une autre, c'est "bon pour moi", rien qui nous sorte du mécanisme de la consommation. Le "bon" ? Pas assez bon, pas suffisant. Comme dit saint Thomas en son latin, ne me demandez pas de traduire : qualis unusquisque est, talis finis videtur ei. En français : "Chacun voit toujours midi à sa porte". Je crois que l'on mérite tous mieux que le pas de sa propre porte... On aspire à ce bien qui nous dépasse et qui nous comble en même temps, pour lequel Platon n'hésitait pas à employer la métaphore de la lumière.

D'autres souhaitent une "sainte" année... ce souhait est chrétien et très louable dans l'intention. Mais enfin, qu'est-ce que la sainteté ? Un accomplissement personnel ? Non. Plutôt un don de Dieu, qui nous surprend toujours là où nous ne sommes pas. Peut-on souhaiter une sainteté à autrui ? Nous ne savons pas en quoi elle consiste. Notre souhait, si chrétien soit-il, apparaît alors comme un souhait vide. Laissons à Dieu la sainteté, c'est Lui et lui seul qui nous la donne. Comme il veut, quand il veut. N'en faisons pas l'objet vide (ou désespérément convenu) de nos souhaits.

Cette année, je me suis arrêté à l'adjectif "belle". Oui, très belle année à vous tous. La vie chrétienne, pour ce qui dépend de nous, est-ce autre chose que de souhaiter vivre en beauté ?

Mais en quoi le beau est-il différent du bien me direz-vous ? Et les plus thomistes parmi vous ajouteront sans doute : le beau et le bien sont des transcendantaux, qui sont dans une relation de totale réciprocité...

Mais ce qui m'intéresse justement, ce n'est pas la réciprocité, c'est la différence d'aspect, justement, que les philosophes à grosses machines spéculatives ne savent pas forcément peser, tant la légèreté de l'être leur échappe.

J'ouvre une parenthèse : cette légèreté de l'être, pour quelqu'un qui croit en Dieu, ne peut pas être "insoutenable", malgré le mot de Kundera qui est un mot en trop, elle est aérienne, elle nous soulève elle nous transporte, elle est le signe de la bonté d'un Dieu qui n'est ni le grand prédestinateur ni le grand damnateur, mais le grand facilitateur et comme dit Julien Green, le grand pardonneur.

Dans la lumière de ce Dieu de Noël, de ce Dieu qui sauve, Jésus Christ, on voit bien que seule compte la beauté. Non pas une bonté pour soi, une bonté que l'on trouverait à sa porte, mais une beauté qui s'impose à nous, qui nous captive, qui nous passionne, qui nous fait donner le meilleur de nous même. En un mot : qui nous aide à nous dépasser.

Pas toujours facile de savoir comment se dépasser. L'idéaliste, par exemple, est souvent habité par cette idée noble du dépassement de soi. je pense à Joseph Lagneau, ce philosophe français parfaitement agnostique, qui est mort en voulant sauver son prochain. Magnifique exemple ! Mais si Dieu n'est pas au bout de son acte, tragique issue.

Pour que notre année soit belle, il ne faut pas se contenter de suivre notre idée. Si belle puisse-t-elle nous apparaître, elle peut aussi être menteuse. Si nous voulons vivre en beauté, ce qu'il nous faut saisir ce n'est pas je ne sais quelle quintessence de l'idéal, mais plutôt ce que l'apôtre saint Paul appelle en grec le kairos, l'occasion favorable, celle que nous n'avons pas forcément créée nous mêmes, mais qui vient à nous de la part du Maître du temps. Comme disait Péguy, "les événements dit Dieu, c'est moi, c'est moi qui vous aime".

Il n'y aura pour nous de belle année que si nous saisissons au vol une circonstance, une opportunité, l'une de ces interstices dans l'opacité du temps qui provoque en nous, qui crée dans la meilleure partie de notre coeur, une raie de lumière parce qu'elle vient de Dieu, "le Père des lumières".

Combien d'entre nous, nous ne faisons rien parce que nous nous laissons bercer par la douce et vertueuse routine de notre existence... Il faut demander la grâce d'apercevoir les interstices et de savoir les faire rayonner en nous. Il faut demander la grâce de l'insatisfaction.