Hier, nous avons eu une conférence un peu exceptionnelle au Centre Saint Paul sur les femmes converties de l'islam. Deux jeunes femmes, Nora et Fatima ont très sobrement porté leur témoignage, expliqué comment elles se sont convertis et surtout montré comment elles entendaient faire partager leur expérience. Avec passion.
Ces deux femmes sont évangéliques et non catholiques. Un moment, sans agressivité mais de manière appuyée, elles ont souligné toutes les deux que l'Eglise catholique avait tendance parfois à décourager certaines démarches vers le baptême. Jean Luc de Carbuccia, le patron bien connu des éditions de Paris qui édite le livre de Fatima (Fatima Oujibou, Converties de l'islam, aux éditions de Paris, 18 euros, que vous ne regretterez pas) et qui travaille beaucoup dans son île d'origine, la Corse, pour y convertir les musulmans, a souligné qu'il avait rencontré le cas d'un prêtre traditionaliste, disant à une femme qui souhaitait se convertir : "Va d'abord demander ce qu'il en pense à ton mari"...
Nous avons beau être en pleine semaine de l'Unité, on peut quand même se dire que ce n'est pas forcément toujours aux autres de faire le boulot, et se demander : mais pourquoi l'Eglise catholique est-elle en retard sur ce terrain aussi, alors que dans chaque village en Kabylie, il y a aujourd'hui une communauté chrétienne.
On peut mettre en cause des structures pesantes, des idéologies post-conciliaires suicidaires. On peut, comme jadis Léon Bloy tonner contre la tiédeur des clercs ("Tu n'es ni froid ni chaud, je te vomis de ma bouche" dit l'Apocalypse).
Il me semble qu'il y a aussi un point important, c'est le manque de simplicité du message que l'on porte aux gens. Beaucoup de prêtres très bien intentionnés souffrent de ce manque de simplicité. Non pas du manque de simplicité de leur discours, non ! Ils se mettent à la portée de leurs fidèles sans problème, cela fait partie du métier du prêtre. Mais c'est le message en lui-même qui a perdu sa simplicité. On a l'impression parfois qu'il y a des chapitres qui se suivent, comme dans les catéchismes pour adultes d'aujourd'hui, chapitres bien construits et présentant les éléments de la foi de manière parfaitement correcte. Mais on se dit : il manque quelque chose à ce discours trop clair. Il manque le ressort. Il manque l'intention. il manque la hiérarchie entre le but à atteindre (qui est le salut, que je sache) et les moyens pour l'atteindre.
Et parce que le message est présenté comme compliqué, il perd ipso facto tout caractère d'urgence. Il n'y a plus l'urgence du salut "à faire avec crainte et tremblement" comme disait saint Paul, ni même "l'urgence de la charité" dont il parle également. Et s'il n'y a pas urgence... les vertus théologales ne peuvent pas prendre dans les coeurs. Tant que l'on peut dire "demain", dans l'ordre spirituel cela signifie en pratique "jamais".
Comment résumer le message divin que nous porte le Christ ? Comment porter le kérygme ? Question à laquelle j'ai souvent réfléchi.
Nora et Fatima, lorsqu'elles s'adressent à leurs frères et à leurs soeurs nés dans l'islam, expliquent qu'il y a quatre lois. La première ? "Jésus t'aime", tu es aimé de Dieu, tu as de la valeur, ta décision dans l'ordre spirituel n'est pas indifférente. La seconde : tu es un pécheur. Ta vie n'est pas à la hauteur, tu as du mal à te regarder en face tel que tu es. La troisième : tu peux remettre les compteurs à zéros. Tu peux te débarrasser de ce qui te pèse. Tu peux recevoir le pardon de Dieu. La quatrième : Dieu intervient dans ta vie, tu dois le reconnaître, et l'ayant reconnu, le servir.
Ces quatre lois évangéliques m'ont fait penser aux retraites de Saint Ignace selon la bonne vieille méthode du Père Vallet : simples et efficaces. Merci au Père Marziac, prédicateur infatigable. L'amour de Dieu, le péché, la grâce et le discernement de la vie chrétienne. J'ai pensé aussi à une conversation que j'ai eue, à Notre Dame de Bonne Nouvelle, la paroisse voisine du Centre Saint Paul (la paroisse sur le territoire de laquelle nous nous trouvons). Beaucoup sur cette paroisse suivent la méthode du Chemin néocatéchuménal. Et cette méthode (avec me semble-t-il quelques excentricités notamment liturgiques) retrouve ces "lois" qui sont... le christianisme tout simplement.
On peut trouver que cette méthode n'est pas assez doctrinale, pas assez théologique. Il ne faut pas oublier que la vérité chrétienne est avant tout pratique : "Celui qui fait la vérité vient à la lumière" dit le Christ au chapitre 3 de saint Jean. Dans cette sentence, le mot important est le verbe "faire".
On peut supposer tout de même que nos contemporains, je pense surtout aux "hommes blancs", pourris de raffinement et de civilisation et perdus par deux siècles et demi d'antichristianisme systématique, ont besoin de plus que cette praxis. C'est vrai ! Je crois pouvoir dire qu'à Paris par exemple une prédication trop simple, trop basique, est facilement snobée. Je n'ai pas connu cette difficulté en Afrique, où l'apostolat rencontre si facilement ce que l'Africain Tertullien appelait "le témoignage de l'âme naturellement chrétienne". Mais plus le niveau culturel général est élevé, plus, aujourd'hui en tout cas, dans la culture antichrétienne d'aujourd'hui, ce témoignage naturel semble assourdi.
Je crois que pour toucher l'homme occidental, il faut lui montrer que la prétention du christianisme non pas seulement à faire l'histoire mais à être l'histoire de l'humanité, cette prétention n'a pas fini de résonner aux oreilles de tous les hommes de bonne volonté. L'homme religieux est en crise ? Qu'importe ! Reste la vérité nue. reste l'histoire. c'est sur ce terrain qu'a lieu la grande confrontation du christianisme avec l'islam. Lorsque l'islam se prétend "le sceau de la prophétie", - c'est je crois le moteur caché d'un Tarek Ramadan - il revendique d'être l'histoire. Il prétend représenter la synthèse de toutes les religions antérieures et il continuera (pense Tarek ou dit Karim que j'ai rencontré avant hier dans un café) à déployer, au fil des interprétations, ce pouvoir de synthèse.
Et le christianisme ? se réduit-il à l'expérience personnelle du péché, de la grâce et de l'amour de Dieu ? Non.
Vatican II a bien vu la nécessité pour le christianisme de retrouver l'histoire. Mais la plupart sur le moment ont interprété ce retour à l'histoire comme un ralliement, le ralliement à l'histoire telle qu'elle se fait en dehors de nous... On a confondu le ralliement, l'idéologie du ralliement avec la théologie du Royaume de Dieu qui est le coeur non négociable de l'Évangile. Qu'est-ce que le Royaume de Dieu aujourd'hui pour des chrétiens ? Une ambition et pas une repentance. Le Royaume de Dieu aujourd'hui (la royauté sociale du Christ aujourd'hui), c'est cette ambition (folle et nécessaire : voyez encore Tertullien : "On nous croit peu de chose et nous sommes partout") qu'ont les chrétiens de faire l'histoire. Pas de la suivre. De la faire.
J'ai été très ému par la dédicace que mon ami viêt-namien, Louis, que j'ai baptisé il y a maintenant quelques années, a jugé bon d'inscrire à mon intention en m'offrant son dernier livre : 'A l'abbé GT qui m'a rendu l'optimisme et qui m'a convaincu que le christianisme sera finalement victorieux'. Pétri de culture occidentale, scientifique, Louis n'est sans doute pas un "homme religieux". Il a retrouvé la foi, qui l'avait comme effleuré dans son enfance, parce qu'il a vu lucidement que l'espérance humaine est du côté du Christ et que dans l'histoire, la victoire du Christ (le Royaume de Dieu) est possible. Je crois qu'il faut que Louis nous communique son ambition, son optimisme (voir son livre : Minh Dung Louis Nghiem, Les démons de l'archaïsme et le développement humain, éd. Via romana 2009). A cet égard, on ne peut pas ne pas souligner l'importance de René Girard, qui a bâti toute son oeuvre autour de cette conviction centrale : c'est le christianisme qui fait l'histoire. Combien de personnes aujourd'hui, qui osent se dire chrétiens parce qu'ils ont lu ou parce qu'ils lisent René Girard ! Lui, il nous rend l'optimisme et nous convainc que le christianisme sera finalement victorieux.
On peut se demander : comment aurais-je la foi ? Telle qu'elle est posée la question est sans solution, car la foi est un don de Dieu. Plus concrètement, on peut se demander : comment le christianisme est la matrice de notre histoire ? Répondre à cette question, c'est réunir toutes les conditions objectives pour recevoir, quand Dieu voudra, le don de la foi.
Dans les Actes des apôtres au chapitre 6, le diacre Philippe demande à l'eunuque de la Reine Candace : "Crois tu que Jésus est le Fils de Dieu ?" Sur sa réponse positive, ils descendent tous les deux dans le Jourdain et Philippe baptise l'eunuque.
Je crois que cette petite histoire, au-delà de toutes les méthodes d'"apostolat, nous indique quel est le kérygme, quel est ce résumé efficace et urgent que nous cherchions tout à l'heure et quelle est, par conséquent, la matrice de l'histoire humaine.
La matrice de l'histoire humaine, c'est Jésus Christ Fils de Dieu, "le premier né d'une multitude de frères" comme dit saint Paul. La matrice de l'histoire humaine, c'est la divino-humanité de notre Sauveur. Dieu s'est fait homme afin que l'homme devienne Dieu répète les Pères de l'Eglise. Voilà le résumé de tout. voilà l'urgence ! Nous étions des animaux plus ou moins raisonnables. Nous devenons fils et filles de Dieu. Comme dit saint jean dans son Prologue de manière encore plus forte : "Il nous a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu". En grec : exousia. Les philosophes grecs se sont préoccupés de l'ousia (la substance) ; les théologiens chrétiens présentent à l'homme une capacité de métamorphose : exousia. Une liberté inconcevable ! Une liberté que nous recevons toute du Christ. Une liberté qui, depuis qu'elle a été donnée, fait l'histoire humaine.
Le drame, comme dirait Henri de Lubac ? Au lieu d'être fidèles à cette liberté, les hommes se la sont appropriée. L'espérance ? Cette liberté, qui est l'autre nom de la modernité, il suffit de la rendre au Christ pour que soit conjurés les périls qu'elles déchaîne sur nos têtes. Je crois que c'est cela la victoire du Christ aujourd'hui.
L'islam ambitionne d'être le sceau de la Prophétie grâce à la virtuosité de ses juristes, toujours capables de proposer une universelle reductio ad Mahometum. Le christianisme nourrit la même ambition, parce qu'il est convaincu que "seul le Christ sait ce qu'il y a dans l'homme". L'empire islamique est celui de la loi, au dessus de la nature et de la grâce. L'empire chrétien est celui de la nature divinisée par la grâce. L'un s'établit dans le Livre. L'autre se réalise dans l'homme lui-même, car c'est l'homme qu'il s'agit de comprendre et de transformer et que seul Dieu peut accomplir ce miracle, en donnant, à chacun selon sa demande, l'exousia, la liberté de devenir enfants de Dieu.
Voilà un esprit clair! Maintenant, cher Monsieur l'Abbé, il faut revenir dans les paroisses et les faire bénéficier de cette clarté et de cette charité!
RépondreSupprimerEn banlieue, on est encore bien souvent abandonnés. Heureusement, petit à petit, de jeunes prêtres saisis par l'urgence, commencent à arriver aux "commandes" mais les anciens continuent à leur faire barrage autant qu'ils peuvent. Oh mon Dieu! nous sommes exsangues.
Priez pour que nous ayions tout-de-même UNE adoration dans l'année (c'est tout un "foin" de l'organiser: il faut être une "équipe"; il faut qu'il y ait "de la demande" etc.) Viens Esprit-Saint!
Il faut bien voir que l'Islam se base sur un livre (le Coran), l'Evangélisme se basse sur un autre livre (la Bible), passer d'une religion à l'autre c'est changer de livre. Devenir catholique (la messe, les sacrements, le clergé... tout ça quoi) c'est mentalement un peu plus difficile.
RépondreSupprimerQuand on lit les propos d'un certain Wiliamson
RépondreSupprimersur la "soumission de la femme" (cf tradinews de janvier 2010; et cela sans citer ses insultes des célibataires ="moins que zéro", car pas le sujet ici), on n'est pas étonné qu'un prêtre tradi renvoie une jeune musulmane désireuse de recevoir le baptême vers son mari à qui elle "doit" être "soumise" (càd qui décide pour elle !) et qui donc pour ainsi dire passe avant le Christ !!
A peu d'exceptions près (eg M.l'Abbé la plupart du temps), dans les esprits et mentalités le Tradiland c'est tout comme avec l'islam et le judaïsme du Sanhédrin. La LOI, rien que la loi. On a l'impression d'avoir affaire au peuple immature de l'Ancien Testament (dans ces débuts), à qui il faut tout apprendre, tout dicter, dans les moindres gestes de la vie.
Sur un autre plan, quelle bonne idée à l'IBP de faire témoigner deux converties évangéliques dans la semaine de l'Unité des chrétiens. Ces jeunes femmes sont venues vers le Christ, ont trouvé le Chemin, c'est essentiel. Après, la Lumière vers les sacrements fera son chemin...
Je ne suis pas entièrement d'acord sur l'argument de la simplicité. Certes, il y a un moment où le choix de se convertir se fonde sur des options simples, car réellement fondamentales, comme celles que vous avez citées. En revanche, avant d'en arriver là, il faut parfois détruire toute une carapace de raisonnements qui protègent les dogmes musulmans.
RépondreSupprimerIl est parfaitement contre-productif quand un musulman ou un chrétien sur le point de se convertir à l'islam pose des questions précises sur la rationalité de la Trinité ou de l'Incarnation ou bien s'interroge sur des difficultés bibliques de répondre que "l'important, c'est que Dieu est amour". C'est peut être l'important dans l'absolu, mais ce n'est pas cette question qui, à ce moment, bloque l'évolution spirituelle de cette personne.
C'est pourquoi, il faut aussi être présent pour répondre aux questions complexes. Et les protestants sont là, il n'y a qu'à voir le site answering islam. En revanche, rien de rien du côté catholique. Ah si, la revue Se comprendre du Secrétarait pour les relations avec l'islam a consacré quelques pages à regretter La Bible, le Coran et la science de Bucaille. Heureusement que personne ne la lit, ça aurait pu froisser les imams.
Donc, pour résumer, je comprends que ce soient finalement des grands choix existentiels qui emportent la décision de se convertir. Mais il est nécessaire d'être aussi présent sur le front de l'apologétique. Il n'y a aucune réponse catholique à l'apologétique musulmane, pourtant extrêmement violente (cf. le dieu qui n'exista jamais ou crucifixion ou crucifiction de Deedat) ; rien qu'en terme d'affichage, c'est déplorable.
« La virtuosité des juristes », dont vous parlez à propos de l’Islam, Monsieur l’abbé, on la retrouve portée à un point inégalé dans notre société moderne. Etrange parallèle ! Quoi de commun, en effet, entre les minarets et les tours vitrées des quartiers d’affaires. Pourtant, à bien y regarder, dans l’un et l’autre cas, la loi et ses experts sont nécessaires dès lors que la liberté véritable est écartée. Que cette dernière soit incompatible avec le principe même de l’Islam (qui signifie « soumission »), ou qu’elle ait fait l’objet d’une appropriation, d’une confiscation par rapport à sa source divine dans l’Occident moderne. On le sait, la liberté des Lumières ne tient qu’au prix d’un encadrement juridique toujours plus étroit de la vie quotidienne.
RépondreSupprimerLe recours à la norme n’est pas le fruit du hasard. Ni d’une évolution naturelle des sociétés. C’est une forme d’idolâtrie. « L’homme possède ou un Dieu ou une idole » disait le philosophe Max Scheler. Cette propension naturelle à se fabriquer des idoles, autrement dit du faux sacré, est vieille comme le monde. Mais aujourd’hui, le faux sacré moderne a pris, entre autres, cette forme impersonnelle qu’est l’omniprésence vigilante de la loi, si redoutable par ce mélange paradoxal de fluidité et de pesanteur. De ce point de vue, l’islam, avec son culte de la loi, avait une longueur d’avance sur notre modernité.
Ce faux sacré qui se recompose en permanence depuis des siècles sous des formes diverses (le pouvoir, l’or, la loi, etc.), c’est bien le christianisme qui peut seul en libérer l’humanité. Tresmontant aimait d’ailleurs souligner, à rebours de l’opinion commune, que le christianisme avait désacralisé le monde. Là réside la véritable émancipation apportée par le Christ. L’audace chrétienne est ainsi de vouloir libérer une humanité qui entretient, envers et contre tout, une certaine connivence avec ses propres chaînes. Saluons donc la foi de ces musulmanes qui ont su trouver le chemin le plus sûr, le Christ, pour échapper à l’empire des normes.
ne pas suivre l'histoire mais faire l'histoire
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