Je ne suis pas encore un connaisseur de l'oeuvre de Rohmer et n'ai vu que quelques uns de ses nombreux films. Mais il me semble que je suis rentré dans son oeuvre lorsque j'ai découvert dans Ma nuit chez Maud et dans Conte d'hiver cette merveilleuse référence à Pascal et au pari. Le jansénisme de Rohmer, qui fut, j'allais dire par ailleurs, catholique et royaliste comme le souligne Michel Marmin dans le dernier numéro de Monde et Vie, ce jansénisme est admirable ! Il est humain. Il est aussi profondément aristocratique. J'ajouterais : il peut être chrétien mais ne l'est pas nécessairement. C'est que, parmi les chrétiens, beaucoup sont plus jésuites (atticistes disait Eugène Green dans le même sens) que jansénistes.
C'est toute la problématique de Ma nuit chez Maud, vaste discussion philosophique dans la ruelle d'une précieuse moderne (Françoise Fabian au sommet de sa beauté). D'un côté le chrétien (Jean Louis Trintignant, mais oui !), auquel au fond son christianisme donne tous les droits - le droit d'aimer qui et quand il veut du moment que cela ne l'engage pas trop et qu'il puisse se confesser - et auquel son christianisme donne aussi et avec le droit, l'assurance d'une vie, au final bien rangée, avec mariage et affinités, enfants et vie sociale. De l'autre côté, le marxiste qui se définit comme puritain, qui sacrifie sa vie et ses amours au marxisme, c'est-à-dire (dans une version laïcisée de Pascal) à la possibilité qu'advienne l'absolu. Possibilité que Vidal (le camarade de lycée de Jean-Louis prof de philo et devenu marxiste convaincu de catho qu'il était) ne tient absolument pas pour certaine (en 1969, date du film, la foi communiste s'écaille) mais possibilité qu'il prétend néanmoins meilleure que le "réalisme" auquel l'amènerait son doute ou son incertitude si Vidal suivait la déclivité qu'ils lui indiquent. Maud partage la foi sans foi de Vidal, mais alors à l'instinct, sans l'avoir théorisée, en en vivant, simplement. Elle cherche l'absolu dans ses amours, elle l'a trouvé mais il est mort (évidemment) et elle ne pourra vivre désormais que de cette quête, ou même simplement d'aviver cette quête chez les autres. Précieuse ou nonne laïque, c'est un peu la même chose, elle dira toujours non.
Il n'y a que dans Conte d'hiver que ce "non" au banal se transforme en "oui", sans doute parce qu'il s'agit d'un conte, et que tout est possible dans un conte, même la rencontre la plus improbable de celui qui, assis devant soi dans le bus, est justement cet homme absolu pour lequel elle finit toujours par dire non aux autres hommes qui la courtisent.
Dans sa version atticiste (je reprends ce mot à Eugène Green, qui me semble tellement proche de Rohmer, au moins dans son jansénisme - voir le post que j'ai consacré à sa Religieuse portugaise), l'absolu permet d'organiser l'existence et de s'y créer, à travers des principes solides, une véritable sécurité existentielle. C'est sans doute ce calcul qui a fait naguère ouvrir aux jésuites le collège de Clermont et beaucoup d'autres à travers la France et le monde.
Dans sa version janséniste (je parle du jansénisme première manière), l'absolu permet d'affronter le risque maximum, en entretenant l'espérance. Le janséniste est l'homme du pari pascalien, celui qui est prêt à tout perdre pour tout gagner. Il parle comme Saint Cyran et répète : aller où Dieu mène et ne rien faire lâchement.
On prend les jansénistes pour des rigoristes, alors que ce sont souvent les jésuites qui enseignent la rigueur parce qu'elle est plus sécurisante. Quant aux jansénistes, avouons que ces risque-tout ne sont pas facile à caser, dans l'exacte mesure où ils veulent toujours être meilleurs. Ils ne croient pas que la vie est un dû, mais ils la reçoivent comme une sorte de miracle permanent, dans lequel, comme dirait le cardinal Lustiger dont ce fut la devise épiscopale et qui, à cause de cette devise, devait être un drôle de janséniste, "tout est possible à Dieu".
Dans l'Eglise les deux tempéraments et les deux vocations ont toujours cohabité. Ils ne deviennent haïssables ou condamnables que lorsqu'ils se mettent en tête les uns ou les autres, de constituer un parti exclusif... car l'Eglise n'est jamais un parti... Merci à Rohmer pour la bonté de son regard. Il ne nous force pas à choisir entre Jean-Louis et Maud, mais nous met en demeure d'être vrais et de ne pas nous raconter d'histoire à nous-mêmes. On le comprend mieux encore Rohmer, lorsque dans Ma nuit chez Maud, on regarde le bonus du DVD: un dialogue fantastique (au sens étymologique de ce terme) entre Brice Parrain et le Père Dominique Dubarle, Brice l'agnostique défendant Pascal et Dominique le religieux l'attaquant, avec chacun leurs raisons.
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