mardi 25 août 2015

Un monde où la haine domine

C’était aujourd'hui, le jour de la saint Louis. Emmanuelle Cosse nouvelle présidente de Europe Ecologie Les Vers a expliqué que la France pouvait et devait accueillir encore beaucoup d’immigrés. Et elle fait une comparaison : le Liban en a accueilli jusqu’à la proportion de 25 % de sa population. Pourquoi pas nous ? Cet angélisme a quelque chose de renversant ! Le Liban, parce qu’il avait accueilli des centaines de milliers de Palestiniens dans un pays aux équilibres intercommunautaires difficiles, a vécu un quart de siècle de guerre civile et les plaies ne sont pas parfaitement refermées. Elles pourraient se rouvrir d’un moment à l’autre. Pour désigner ce phénomène de désordre latent et constant, on a créé un mot : libanisation. Mais Emmanuelle Cosse n’a pas peur de souhaiter à la France les mêmes pourcentages. Avec les mêmes effets ? Une libanisation de la France ?

On s’est habitué à ce que les Verts disent n’importe quoi. D’une certaine façon, il sont là pour ça… Mais quand ils parlent des migrants, ils disent tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. Après tout, plus il y a de consommateurs, plus les marchés sont juteux. Multiplions les Français de papier, qui ont tout à acheter dans leur nouveau pays, et l’on aura tout à y gagner. Le secret de la relance est peut-être dans ces migrants hâves et dépenaillés, qui vont faire, avec les subventions de l’Etat, d’excellents consommateurs.

La rhétorique charitable de l’ouverture à l’autre procède en réalité d’un  calcul sordide : les  Européens ne font plus d’enfants, il faut les remplacer. Il n’y aura même pas besoin d’aller chercher des remplaçants : ils viennent d’eux-mêmes. Ainsi M. Thomas de Maizière, ministre allemand de l’Intérieur, a revendiqué « plus de 800 000 demandes d’asiles pour 2015 ». Ce chiffre est plus important que celui des naissances dans ce pays :  en 2014, il y a eu en Allemagne 675 000 naissances ( et accessoirement 905 000 décès). L’Allemagne, pourtant en déficit démographique, ne pourra pas garder tout le monde insiste le ministre. L’Union Européenne propose carrément 6000 euros par personne « relocalisée », en attendant les sanctions pour ceux qui ne voudraient pas concourir à la relocalisation.

N’en déplaise à Emmanuelle Cosse, le raisonnement pro-migratoire n’est pas humanitaire, il est économique et démographique. D’où son succès et les subventions que proposent l’UE aux pays volontaires pour plus de migrants. Le problème c’est qu’il y a bien d’autres paramètres que l’économie dans une vie d’homme. Le spectre d’une libanisation de l’Europe n’est pas à exclure, oh ! non pas une guerre générale, mais le développement d’espaces où la sécurité intérieure sera de plus en plus difficile à établir et où l’identité culturelle et civilisationnelle aura brusquement muté. Peut-on refuser de recevoir des migrants ? « La Commission européenne doit agir contre les pays-membres qui n’assument pas leurs devoirs » a insisté Thomas de Maizière. Avis à Victor Orban, qui a élevé un mur pour empêcher les migrants, arrivant par hordes depuis les Balkans, de rentrer dans son Pays, la Hongrie.

Ce qui est clair c’est que nous entrons dans un monde nouveau, où les chiffres prouvent l'inutilité de la rhétorique antiraciste des années 80 et 2000 : hors sujet ! Ce n’est pas un problème de race ou de racisme qui se pose à l’Europe aujourd’hui, mais un problème de civilisation. La multiplication des attentats ou des tentatives d’attentats effectuées par des pieds nickelés est extrêmement inquiétante. Que se passe-t-il à Roye chez les Gens du voyage ? En tout cas, rien ne semble devoir arrêter les vocations de terroristes, même pas l’incompétence ! Ayoub El Khazzani, ce Marocain vivant en Espagne et qui se déplace si facilement dans l’Europe de Schengen, montant dans un train avec sa kalachnikov et ses neuf chargeurs, c'est un bleu ! Il est tombé sur des gens courageux (pas de Français ?). Mais, quel qu'ait été le résultat de l'attaque,  le fait montre que nos sociétés ne sont plus capables d’assurer leur sécurité, d’exclure la violence de leur sein, en proposant une vision commune du monde, un bien commun à partager. Il n’y a pas de partage possible, lorsque, pour des raisons géo-politiques et religieuses, la haine domine régulièrement par voie de fait.

[Bonus track ajouté par le webmestre] En 1992, le politologue Patrick Timsit (Michou, dans La crise de Coline Serreau) répondait par avance à Emmanuelle Cosse, à Bernard-Henri Lévy, et à quelques autres humoristes. Extrait:

dimanche 9 août 2015

Qu'est-ce qu'une vie bonne, Judith Butler ?

C'est sous ce titre - Qu'est-ce qu'une vie bonne? - que Judith Butler, spécialiste mondiale des gender studies, a publié la leçon qu'elle a donnée à l'occasion de sa réception du Prix Adorno le 11 septembre 2012. Ce texte vient de paraître en français avec une longue préface du traducteur Martin Rueff. Il est effectivement intéressant de se demander ce qu'il reste de la morale quand on rejette toute idée de nature humaine, et jusqu'à l'idée d'une nature sexuée. Dans ce petit volume, dès les premières lignes de sa préface, Rueff cite Judith Butler : "Il me semble que pendant des années, j'ai résisté au questionnement éthique" avoue-t-elle d'abord. Elle le rejoint néanmoins depuis dix ans, ce questionnement, et elle s'en explique : "La question éthique me semblait une manière de fuir la politique ou de la rejeter, mais je ne vois plus aujourd'hui les choses de cette façon. Je pense que les situations de pouvoir donnent naissance à des problèmes éthiques et par conséquent je ne crois pas que la politique et l'éthique constituent des domaines radicalement hétérogènes".

On l'aura compris, pour Judith Butler, comme pour Aristote d'ailleurs et pour Hannah Arendt dans Condition de l'homme moderne, l'éthique et la politique sont deux faces d'une même question, que l'on formule de différente manière, mais qu'Aristote avait déjà identifiée en posant la question de la façon suivante : qu'est-ce qu'une vie bonne?

Il ne s'agit pas seulement de se demander : qu'est-ce qui est juste? en opposant comme John Rawls la justice que l'on peut découvrir au terme d'une démarche vraiment démocratique ou procédurale et le bien qui serait par hypothèse impossible à connaître pour les agnostiques métaphysiques d'aujourd'hui... Non : Judith Butler insiste contre Adorno d'ailleurs sur la nécessité de découvrir ce qu'est la vie bonne. Une vie qui ne peut pas être pleurée, une vie privée de deuil n'est pas une vie bonne, Butler ici n'hésite pas à invoquer Antigone! La vie bonne est une vie qui devient un modèle dans lequel la Société des hommes découvre des leçons, une manière d'être qui tient en respect le néant. "Si je demande comment mener une vie bonne, je suis à la recherche d'une vie qui serait bonne indépendamment du fait que ce serait moi ou un autre qui puisse la mener". Une vie à mettre dans un bocal ou à encadrer.

Judith Butler, comme Hannah Arendt d'ailleurs fait ici l'impasse sur deux mille ans de christianisme. Elle veut revenir non à Rousseau comme le pense un peu au hasard le préfacier, mais à Aristote soi-même, c'est-à-dire à une époque où la personne au sens chrétien du terme, la personne sujet libre et responsable, n'est pas encore sortie des limbes de la civilisation et du mystère de la Potentialité divine. La personne irremplaçable et toujours unique, la personne qui, comme le dit Bergson dans L'énergie spirituelle, est capable de se créer elle-même de façon absolument singulière, ne peut pas prendre les traits de ce Modèle éthique asexué et interchangeable qu'exalte Judith Butler. Tout ce qu'avait si bien compris Nietzsche, ce fils de Pasteur, Judith Butler l'oublie. Pour elle, le "type" remplace la personne et son aventure singulière dans l'existant. On est encore et toujours, malgré toutes les apparences, dans une forme de correctness à l'américaine, avec cette grande théoricienne du Queer. Le Queer, c'est cette idéologie sexuelle qui fait systématiquement abstraction des personnes, abstraction des corps même, se voulant uniquement capable de se situer à l'enseigne de l'Eclatez moi ça.

Bergson, juif et tellement chrétien, pour illustrer cette "aventure vitale" qui caractérise l'être devenu libre, parlait de "création de soi par soi", d'"agrandissement de la personnalité"... Tout cela n'existe que dans la singularité absolue d'un sujet et n'a rien à voir avec l'universalité froide d'un modèle. Tout cela ne peut être que terriblement concret, foncièrement personnel et différencié. Cette dimension manque à la post-modernité, Michel Foucault s'en était finalement rendu compte. Et c'est parce que cette dimension personnelle manque que Judith Butler confond, nous l'avons vu en commençant, éthique et politique.

Elle mène très loin cette confusion dans le texte sur la vie bonne que nous étudions - jusqu'à s'interdire à elle-même toute réflexion sur une contestation et une résistance politiques, qui sous sa plume, sont littéralement sacralisées. Recevant le Prix Adorno, elle entreprend de démonter une formule d'Adorno, qui envisageait, pour mieux résister, la nécessité de "résister à ces parties de nous qui sont tentées de jouer le jeu du monde tel qu'il est". Merveilleuse invitation du grand Ponte de l'Ecole de Francfort à un examen de conscience, dont tout chrétien, sommé par sa foi de ne pas se conformer à ce siècle, peut prendre sa part. Pour la papesse des Gender studies, cette invitation est inaudible : elle conduit à "s'isoler soi-même en soi-même", bref, selon Judith, Adorno réintroduirait l'idée d'une morale indépendante de  la politique, dont l'exigence gît au plus profond de chaque personne. Pour elle, cette distinction entre morale et politique sent trop son christianisme, relevant d'un personnalisme, tout simplement insupportables: "Dans de tels moments, s'écrie-t-elle, Adorno semble exclure l'idée d'une résistance populaire [car le populo est bien incapable de cet examen de conscience] et des types de critiques qui prendraient la forme de corps amassés dans la rue [en français courant : des manifs] pour s'opposer aux régimes contemporains du pouvoir".

Confondant morale et politique, refusant par principe tout examen de conscience comme élitiste, Judith Butler apparaît finalement telle une forcenée de la Révolution en marche, qui est pour elle la seule image possible de la vie bonne. Contestation, résistance, voilà le bien. Examiner la qualité personnelle de sa résistance, c'est déjà s'écarter de la Révolution et se réfugier dans la morale.

Où l'on saisit la vraie nature de toute Révolution que ce soit la révolution sexuelle de Judith Butler ou la révolution islamiste de Daech : il s'agit d'une manière ou d'une autre de sacraliser le Politique et de lui sacrifier la morale. Tu ne tueras pas? Pour un militant de Daech, cette injonction morale n'existe pas en tant que morale. Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain? Pour la féministe militante qu'est Judith Butler, éduquée par un rabbin libéral David Silver, ce commandement n'existe pas parce qu'il est un commandement moral, s'adressant à des personnes libres et non à un corps politique. Le seul impératif existant pour elle, la seule règle morale est de lutter contre toutes les formes de vulnérabilité de l'humain, une belle intention qui va avec une absence calculée de morale personnelle ou de réalisme politique. Nous sommes bien dans cette "temporalisation du Royaume de Dieu" dont parlait Jacques Maritain et qui est à l'origine des idéologies et de leurs massacres.

mardi 4 août 2015

Monde et vie : la presse écrite a toujours quelque chose à dire

Dans la perspective de l'enquête d’été mené par Présent sur les divers médias, quelques questions m'ont été posées sur mon rôle de nouveau rédacteur en chef de Monde et Vie. L'entretien, dirigé par ma complice courtoise Anne Le Pape, est paru le 11 juillet dernier. Il n'a pas vieilli.

— Monsieur l’abbé, vous avez dirigé de nombreuses publications. Je me souviens notamment de Quark, qui doit être la première…
Quark, effectivement, fondée par Christophe Héry, que j’ai dirigée après son départ de Paris, devenue ensuite Certitudes, Pour une catholicité baroque, enfin La Nouvelle Revue Certitudes, avec plus de 50 numéros parus pour les deux titres. Il s’agissait d’une revue d’idées, mise sous le patronage de ce que Marc Fumaroli appelle l’âge baroque. Plus que d’une époque, il s’agissait d’une manière d’être catholique. L’abbé de Nantes parlait de la Contre-Réforme catholique, mon catholicisme baroque était de cette eau, en moins polémique. L’idée de la Contre-Réforme au XVIIème siècle était de réaliser une symbiose entre la foi et la culture, pour lutter efficacement contre le protestantisme. Il faut bien reconnaître qu’à ce jeu-là, les catholiques à l'époque ont gagné par KO debout!

A notre époque, où l’on veut enfermer le christianisme dans les sacristies, une telle ambition m’était apparue à la fois salutaire et nécessaire, avec la liberté d’esprit qu’elle suppose toujours.
— N’y a-t-il pas eu aussi Objections ?
— Toutes les revues sont mortelles. J’en ai créé deux autres : Objections et Respublica Christiana, un trimestriel dont j’ai publié quatre numéros.
L’ensemble offre une réflexion sans tabou sur la condition chrétienne et sur l’orthodoxie dans la société d’aujourd’hui. Mais, pour faire vivre ces revues qui étaient autant de danseuses, j’ai lancé Pacte, une feuille d’informations, dont il y eut 87 numéros. Pacte vivait bien, avant que l’informatique ne vienne rendre ce genre de presse caduc, car les informations brutes, on les trouve toujours plus vite sur internet. La presse, aujourd’hui, doit proposer et un esprit, et une analyse.
— Ces revues n’avaient pas une périodicité aussi soutenue que celle d’une parution toutes les trois semaines, comme Monde et Vie. Ce rythme n’est-il pas un peu lourd, en plus de votre activité de pasteur, l’organisation du centre Saint-Paul avec notamment les conférences hebdomadaires, l’animation de Metablog et je dois en oublier ?
Monde et Vie est avant tout une équipe et une amitié. C’est un travail collectif, avec un conseil de rédaction pour chaque numéro et une bonne complémentarité entre des rédacteurs jeunes et animés d’un même esprit.
— Quel esprit, précisément ?
— L’esprit de Monde et Vie a certainement évolué depuis sa création. Nous avons publié le 911e numéro (dont vous retrouverez des extraits sur monde-vie.com)… J’ai eu le bonheur de présider au 900e. Au départ, Le Monde et la Vie, fondé par André Giovanni (qui lancera plus tard Santé Magazine, avec le succès que l’on sait), était une sorte de Paris Match catholique de droite, avec le même format et, dans chaque numéro, le poids des photos. L’objet était de magnifier l’action du maréchal Pétain ou des héros de l’Algérie française. Un peu plus tard, Claude Giraud, qui a longtemps eu une émission sur Radio Courtoisie, récupère ce qui s’appelait déjà Monde et Vie et c’est elle, officiellement, qui fait du magazine le principal organe de presse du traditionalisme catholique, dans les années 1970, avant la naissance de Présent.

Plus tard encore, Olivier Pichon reprend notre magazine, avec une ambitieuse politique de développement et un vrai rajeunissement des cadres, dont le symbole est encore aujourd’hui, pour les pages femmes et famille, Gabrielle Cluzel. Monde et Vie, sous son impulsion, devient vraiment généraliste, s’intéressant aussi bien au théâtre, au cinéma en même temps qu’à l’actualité politique, sociale et religieuse. Lorsque Jean-Marie Molitor rachète Monde et Vie, il apporte une expertise de patron de presse, avec la volonté de conserver à ce magazine une dimension catholique militante. Eric Letty arrive comme rédacteur en chef, représentant, avec la pertinence et le style qu’on lui connaît, ce qui devient, sous son panache, la ligne du journal, à la fois catholique et maurrassien.

Je suis le modeste héritier de cette histoire mouvementée d’une résistance catholique et française, désormais bien ancrée dans le XXIe siècle. Monde et Vie veut être, en 32 pages, un magazine généraliste abordant sans complexe tous les sujets, dans une perspective résolument catholique et donc traditionnelle en même temps que nationale, et donc ouvertement anti-mondialiste. Le combat d’aujourd’hui est à la fois politique, social, religieux. Notre ennemi est le nihilisme contemporain dans tous ses états, la crise des valeurs, qui prend la forme d’une sorte de nomadisme obligatoire. Notre arme, face au terrorisme intellectuel, au pseudo grand récit progressiste et à tous les discours intimidants, c’est la netteté, avec l’ambition, dans tous les domaines, de servir la vérité.
— En tant que nouveau rédacteur en chef, quels sont vos projets pour Monde et vie ? Qu’envisagez-vous comme nouveautés ?
— Je ne crois pas nécessaire d’effectuer beaucoup de changements dans l’état actuel des choses. Nous avons une équipe rédactionnelle assez variée et qu’il faudra étendre encore. Nous avons depuis peu un site internet (monde-vie.com), qui est un bon relais pour le magazine. Il faut seulement être le plus attentif possible à l’actualité, pour faire en sorte que chaque numéro soit comme un premier numéro, sans jamais céder à la lassitude que peut entraîner forcément la périodicité quasi mensuelle qui est la nôtre.
— On remarque par exemple, dans les derniers numéros, un plus grand nombre d’entretiens, souvent animés par vous, d’ailleurs. Quelles sont les raisons de ce choix ? Trouvez-vous que cela correspond à un besoin actuel, « dans l’air du temps » ?
— Je fais avant tout ce que je sais faire à travers ces entretiens, qui ont l’avantage par ailleurs d’ouvrir le magazine à toutes sortes de talents, à toutes sortes d’expériences, donnant à Monde et Vie la diversité du monde et les couleurs qui sont celles de la vie.

Plus que jamais, avec internet, l’écrit est devenu le moyen de communication le plus universel. Dans ce contexte, la presse écrite demeure une référence, le lieu où s’expriment ceux qui, au-delà du déluge verbal des réseaux sociaux, ont vraiment quelque chose à dire. En 32 pages, nous offrons une synthèse qui se veut à la fois accessible et dense pour ceux qui n’ont pas de temps à perdre. Dans la confusion actuelle, si nous voulons garder un jugement clair sur les événements et sur les personnes, le support papier reste indispensable, en offrant à chacun la distance nécessaire pour ne pas être victime des mirages de l’immédiateté.
Propos recueillis par Anne Le Papeanne-le-pape@present.fr

lundi 3 août 2015

Le Fils, le Saint Esprit et notre vie intérieure

Dans le rite traditionnel, nous avons pu relire la parabole du pharisien et du publicain : tellement éloquente que d'une certaine façon, elle n'a pas besoin de commentaire. On le voit d'ici ce pharisien, toujours aussi actuel : "Tu es béni Seigneur de ce que je ne sois pas comme le reste des hommes, qui sont menteurs voleurs, adultères..." Et encore : "Moi je donne la dîme de tout ce que je gagne". Eloquent le bonhomme : pas la peine d"épiloguer. On voit très bien.

Aujourd'hui, j"avoue que c'est l'épître de saint Paul qui m'a donné à réfléchir. J'ai prêché quatre fois ce dimanche (vacances obligent) mais je crois que je n'ai pas dit, pas osé dire tout ce à quoi j'avais pu penser et il y a surtout ce sur quoi je continue à réfléchir ce soir. Saint Paul nous parle des dons de Dieu, des dons que Dieu fait "à qui il veut". Terrible mystère ! Quels dons ?

Il ajoute : "à l'un, par l'Esprit, une parole de sagesse, à un autre une parole de gnose selon le même Esprit, à un autre la foi dans le même Esprit". Un peu plus haut il y a ce critère : "A chacun selon ce qui lui convient (to sumpheron, c'est-à-dire mot à mot ce qui apporte : rien à voir directement avec le "bien commun" de certaines traductions). Dieu dans l'Esprit saint traite chacun comme il lui convient, selon l'utilité qu'il en a, non seulement quant aux charismes (charismata dans la langue de Paul les dons de guérison et de parler en langue), mais quant à la foi et quant aux paroles (grec logos, traduction latine timide : sermo) que l'Esprit saint nous procure, paroles de sagesse, pour dominer la confusion de notre existence ; paroles de science, paroles de gnose, pour pénétrer plus avant dans le Mystère et s'en nourrir, quand la foi seule ne nous suffirait pas.

Dieu nous traite comme cela nous convient...  Il ,ne nous laisse pas seul. il nous parle, il nous donne, outre la foi qui nous situe en Lui, qui nous permet d'expérimenter sa Bonté, des paroles de sagesse et de science qui nous font avancer vers lui avec plus de facilité alors que nous nous trouvons dans telle ou telle situation difficile. J'aime beaucoup ces deux emplois de logos par saint Paul. Dieu nous parle aujourd'hui par son Esprit. Il n'a pas dit son dernier mot en Jésus-Christ. Il continue de nous parler par l'Esprit saint.

Ces deux emplois de "logos" par saint Paul en un tel lieu me font penser à une phrase catégorique de saint Jean de la Croix, que, salva reverentia, j'ai toujours eu un peu de mal à encaisser, parce que je la trouvais théâtrale. Dans les Avis et Maximes, on trouve d'autres de ces phrases catégoriques... qui sont faites pour le rentre dedans. Saint Jean de la Croix, il ne faut pas l'oublier, est, outre un théologien thomiste hors pair, un écrivain, l'un des très grands écrivains espagnol du siècle d'or, un poète certes, mais qui maîtrise parfaitement sa prose aussi. Jean de la Croix écrit : "Dieu n'a dit qu'une seule Parole son Verbe et il l'a dite dans un silence éternel". Il me semble au contraire que Dieu n'a pas dit son dernier mot en Jésus Christ.

En Jésus-Christ, Dieu nous dit les paroles universelles (catholiques), qui font la beauté, qui donnent son évidence à l'Evangile. Mais à chacun de nous, selon que cela nous est utile, des paroles sont adressées, des grâces de lumière comme dit Malebranche, des paroles de sagesse ou des paroles de science (Jeanne d'Arc en eut beaucoup durant son procès au grand dam de l'évêque de Lisieux qui l'interrogeait). Sachons accueillir sans peur ces paroles nouvelles, qui nous sont adressées personnellement et qui peuvent, de façon lumineuse, dénouer un conflit ou apporter un éclairage auquel personne n'avait pensé. "Marchez dans la lumière, tant que vous avez la lumière" dit Jésus. N'ayez pas peur de la lumière que vous recevez dans le secret de votre coeur. J'aime beaucoup cet ordre que donne Malebranche à son lecteur : "Suivez votre lumière !". C'est sans doute ce que saint Paul veut dire, suivez votre lumière. Si Dieu n'a pas dit son dernier mot en Jésus Christ, cela signifie qu'à chacun d'entre nous il donne des paroles qui marquent particulièrement et qu'il faut prendre sur soi, prendre avec et pour soi. Pour mieux nous tourner vers les autres.

C'est l'audace qui nous manque. Le Saint Esprit nous la donne.