samedi 9 août 2014

[Verbatim] «…un contentement de soi unanime et carnavalesque» - Philippe Muray / chronique de janvier 1998 [mis en ligne par RF]

[mis en ligne par RF] Philippe Muray a repris en les augmentant divers chroniques qu’il avait publiées dans La Revue des Deux Mondes. Il en a fait un livre magistral (Après l’histoire – 2000) où l’on lit ceci au détour de divers considérations:
«[…] On n’a pas eu tellement tort, l’été dernier, lors des Journées Mondiales de la Jeunesse, de parler de Catho Pride. Si l’Eglise et son histoire ont vraiment disparu, c’est peut-être durant cet épisode d’apparente euphorie. Tout cela s’est dissout dans la fierté d’être catholique, dans un contentement de soi unanime et carnavalesque, d’où le concret humain (le désaccord avec le monde donnée) s’était déjà retiré sans doute depuis longtemps. La messe s’est engloutie dans la kermesse ; et l’ancien catholicisme, comme tous les autres cultes, dans cette mystique des temps nouveaux qu’il faut désormais appeler panfestivisme. L’apparition de cette religion nouvelle se fait bien entendu aux dépens de toutes les autres, dont elle conserve d’ailleurs certains traits, tout en les privant de leur valeur essentielle (conflictuelle). A l’occasion de ces JMJ, l’Eglise n’a pas davantage renoué avec les masses qu’elle ne fait l’apprentissage des médias quand l’épiscopat décide de discuter d’internet avec l’académicien séraphique Michel Serres, dispensateur suprême de la cyber-pommade des temps multimédias. Dans l’un et l’autre cas, cette espèce d’aggiornamento n’est que l’acte d’allégeance d’une institution deux fois millénaire au nouveau maître hyperfestif. […]»
Et puis cet autre bref extrait, un peu au hasard car je voudrais vous en donner 1.000:
«Les gardiens de la nouvelle orthodoxie sont ceux-là mêmes qui ont mis à bas l’ancienne orthodoxie. Pas fous, ils tiennent à se poser en grands transgresseurs, en ennemis du ‘politiquement correct’ ou de la ‘pensée unique‘. Tout en diffusant le moralisme le plus hideux, chacun se veut immoral, libertin, héritier pétulant de Bataille, petit-fils de Sade, cousin des hurlements d’Artaud à la mode de Bretagne.»

6 commentaires:

  1. sur les JMJ : imprécations d'un vieux chnoque pour que forcément le passé est tellement mieux... mais Muray est bien incapable d'inventer le présent, sans parler du futur... et l'Eglise, elle, sait parler en tous temps à tout le monde... ça en défrise certains, ces intellectuels qui critiquent tout sans jamais rien proposer, qui restent dans l'entre-soi confortable d'arbitres auto-proclamés d'élégances surannées et dépassées. Il faut vivre dans le présent (c'est là qu'est Dieu qui ignore la fuite du temps), y apporter sa contribution, se relever les manches et mettre les mains dans le cambouis, bosser quoi... rester sur le bords et critiquer ceux qui agissent, c'est tellement facile... On sait pourtant ce que Dieu pense des inactifs et autres talents dormants.

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    1. Les textes de Muray sont denses et exigeants si l’on veut bien ne pas s’en tenir à la truculence des formules («Sois rebelle et tais-toi»… «les mutins de Panurge», etc). Je n'ai pas la prétention de retirer toute la moelle de ce que je lis, mais au moins d'en tirer quelques idées, peut-être qu'une clé émerge de cette lecture. L'une des thèses de Muray est que notre époque nous somme de ne plus exister en tant qu'individus, mais de rejoindre un flux collectif, visant au bonheur commun et présent… et obligatoire. Voila qui permet par exemple d’envisager sous un certain angle les changements subis par notre religion: non pas par la Sainte Eglise ni par la doctrine immuable, mais par sa perception dans notre société, y compris par quelques clercs;

      Dans cette optique, le catholicisme n’est plus compris comme le moyen de notre salut individuel, où chaque homme tente de sauver son âme. Mais au contraire, le catholicisme est dorénavant compris comme une réalisation locale d'un grand souffle pan-humaniste, visant au bonheur de l’espèce humaine.

      Attention! je ne fais pas de Muray un maître à penser. Je dis que ses analyses dépassent et de loin la simple ronchonnerie d'un Jean Dutourd (déjà plaisant à lire, et ce n'est pas rien). Il y a tellement de gens qui se fichent de l'au-delà... pour sa part c’est l'en-deçà que Muray a décidé de ne pas prendre trop au sérieux. La formule (au-delà / en-deçà) est de lui.

      Quant à vivre dans le présent, c'est que nous faisons tous, nécessairement. Muray (prématurément disparu) a vécu dans son présent – comment aurait-il autrement pu en comprendre le ridicule et la vacuité? En atteste entre mille ce passage d'un de ses poèmes:

      «Librairie-bar à vin anticonsumériste
      Où l'on trouve des tee-shirts vraiment non conformistes
      Aux slogans drolatiques parmi lesquels voisinent
      Dans un joyeux fatras Bourdieu et Bakounine»

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  2. Je crois que cette citation ne peut prendre son sens que dans la vision de l’auteur sur notre époque. En effet celui-ci pense que nous avons dépassé la fin de l’histoire et que nous en sommes à une « réanimalisation de l’espèce humaine » : L’homo « festivus » en passe de « devenir insecte » ou « essaim » (car il faut abolir les différences) où toute vie intérieure est tuée dans l’œuf. Il fait la constatation de notre univers mental « clochardisé » et infantilisé ou l’imposture sentimentale remplace l’action et l’esprit critique, et implique le dressage des masses. « Le festivisme est une épuration et une réanimalisation, bien plus encore qu'un programme continu et minutieux de divertissement » (Après l’histoire). C’est dans ce contexte qu’il analyse les JMJ. Il y voit la fête, la « disneysation » qui viendrait remplacer une démarche spirituelle et individuelle. L’empire du « Bien » qui nous est imposé par la nouvelle idéologie post historique serait « une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure ». Il est vrai qu’à l’aune de cette analyse la kermesse des JMJ ne vaut pas une messe…Mais la question est de savoir si le phénomène catholique d’évangélisation est réductible à l’apparence qu’il en donne. Dans cette perspective il ne serait plus rien en effet, ce que je me refuse à croire. N’ayons pas nous non plus, une pensée totalisante car Dieu n’emprunte ni nos voies ni notre pensée…

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  3. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

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  4. Bien sûr que l'Eglise catholique ne s'est pas dissoute dans le festivisme! Mais tout se passe comme si Philippe Murey décrivait deux générations dans une seule chronique. La "génération des JMJistes" de Paris est bien celle que Murey décrit dans le premier passage que vous nous donnez. Une génération et quelques manifestations plus tard est apparue la génération morale, nullement festiviste, mais réactionnaire (au bon sens du terme), c'est-à-dire qu'elle réagit à ce qui se passe sans tolérer ce qu'on veut lui faire passer.

    Je dois témoigner en outre, pour m'en être aperçu depuis peu en faisant une plus sérieuse immertion dans le milieu traditionaliste en deux occasions, l'une amicale et l'autre grégorienne, que ce moralisme est rarement personnellement inconséquent et transgressif, mais respecte heureusement l'immoralité des personnes. Je ne sache pas beaucoup de familles traditionalistes qui ne recevraient plus leur progéniture ou des amis concubinaires, ou qui refuseraient de fraterniser avec un protestant.

    Mais pourquoi est-ce la morale qui doit sauver la foi? Le judaïsme dit être investi d'une responsabilité et d'un patrimoine éthique, on n'en voit pas tellement la couleur en Israël! L'islam est légaliste, et son légalisme ne constituerait pas une éthique. Le christianisme a dépassé l'éthique, mais il s'y cramponne, et ce respect des règles morales élémentaires semble lui faire retrouver la Foi. Je ne comprends pas bien la connexion entre morale et foi, mais je constate et apprécie le phénomène, car si je peux manquer d'espérance ou de charité, j'ai une Foi à transporter les montagnes.

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  5. Regardant mon commentaire je m'aperçois que j'avais laissé - pressé par la famille - un très grand nombre de faute.
    Je le redonne un peu corrigé et je remercie aussi Julien du sien.

    Je crois que Philippe e Murray se trompe car il voit ce phénomène avec les yeux des médias effectivement aveugles ou ceux de participants superficiels qui veulent se voir à la télé.
    Les JMJ ne sont pas un phénomène de masse mais de conversion intérieure, de cet appel lancé à chacun de nous. Bien sûr l’écume de notre temps voudrait dissoudre les JMJ dans l’insignifiance d’une catholique Pride ; C’est un contre sens, à mon avis, que d’en rester à l’apparence.
    D’ailleurs les JMJ ont permis l’éclosion de nombreuses vocations enracinées dans la tradition, et à beaucoup de participants de se sentir concrètement concernés,, de toucher du doigt combien la prière de chacun nous porte et nous fait vivre. , celle d’aujourd’hui comme celle d’hier, réactualisant la communion des saints, trop souvent noyée dans les Eglises locales occidentales dans un prêchi -prêcha complaisant.
    Les vrais participants des JMJ comme ceux qui sont allés à Reims et à Paray le Monial gardent dans leur cœur ce chemin d’initiation et ils savent devoir le continuer. Ils ne contribuent pas à la mousse médiatique à laquelle e il est vrai certains clercs locaux par leur componction ont pu parfois contribuer ;
    Finalement si brillant soit –il, Philippe Murray, n’est il pas dans ce cas prisonnier de son propre système, de sa grille d’analyse. Il ne suffit de dénoncer la société festive, d’en montrer l’inanité, il faut aussi lutter pour ne pas être rouage l’histoire, mais acteur. Les plus silencieux et attentifs des JMJ le sont aujourd’hui et merci à eux, dans l’Eglise de France ils se sont engagés.
    A nous de suivre aussi leur trace…

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