vendredi 28 novembre 2014

Emile Poulat : parti avec son secret [par l'abbé de Tanoüarn]

« Nous venons d’un temps où l’homme
vivait à la grâce de Dieu. Nous sommes
entrés dans un temps ou Dieu est à
la discrétion de l’homme » Emile Poulat
Emile Poulat est mort à l’âge de 94 ans, le 20 novembre dernier. Sans doute beaucoup d’entre vous ne savent pas ou ne savent plus situer ce personnage, qui avait une science infinie de l’histoire de l’Eglise au XXème siècle. Il avait travaillé d’abord sur les prêtres ouvriers, ayant été l’un des leurs. Il avait publié « le dossier » sur ce sujet. Puis il avait abordé le modernisme, l’historique, celui qui florissait à l’époque du pape Pie X, au début du XXème siècle, celui de l’abbé Loisy. Et il avait été frappé de la différence d’ambiance entre les deux mouvements : le modernisme au début du siècle est un mouvement bourgeois, qui transpire la mauvaise conscience chrétienne. Le progressisme à la fin du XXème siècle est lui un mouvement enthousiaste, nostalgique de la chrétienté, beaucoup moins « de gauche », beaucoup plus en prise avec une droite intégraliste, qui a compris la dimension sociale du christianisme. Armé de cette distinction, Emile Poulat abordera aussi l’intégrisme de Monseigneur Benigni, fondateur, avec la bénédiction de Pie X au début du XXème siècle, d’une Fraternité Saint Pie V, qui se nommera, en latin, Sodalitium Pianum ou Sapinière.. Pour lui, ce sont ces trois courants qu’il faut distinguer dans l’histoire récente de l’Eglise. Il les a observé tous les trois avec la même sympathie. La même empathie, comme si rien de ce qui était d’Eglise ne pouvait lui demeurer étranger. Dans son appartement de la Rue de Bièvre (longtemps voisin d’un certain François Mitterrand), il recevait facilement qui souhaitait profiter de ses conseils. Il gardait, quel que soit son interlocuteur, le même sourire, la même patience et une volonté de transmettre quelque chose de son immense savoir. La première fois que je composai les codes qui me permirent d’arriver jusqu’à lui, je fus comme aimanté par son immense bibliothèque, d’autant que le premier livre que je distinguai, sacré cœur rouge en couverture, ce fut l’ouvrage du Père Barruel contre la maçonnerie : Mémoire pour servir à l’histoire du jacobinisme. A propos de ce livre, beaucoup se hâteront de parler de complotisme sans l’avoir lu. Mais le Maître des lieux s’intéressait à tout sans exclusive, en particulier à l’antimaçonnisme catholique, et ce livre resta à la même place, bien mis en valeur dans sa bibliothèque, à chaque visite que je lui fis.

Chez ce Lyonnais viscéralement chrétien, mais dont nul ne savait s’il était réconcilié avec l’Eglise ou s’il demeurait prêtre défroqué comme il y en eut tant dans sa jeunesse, y avait-il une nostalgie de l’Eglise d’avant, sûre de sa foi et de sa doctrine ? Je l’ai souvent pensé. Y avait-il chez cet ancien prêtre ouvrier une solidarité envers tous les dissidents, crossés par la hiérarchie pour une raison ou pour une autre ? C’est certain. Qui était Emile Poulat ? Dieu le sait. Pour ce que l’on en apercevait, c’était d’abord une rationalité toujours en quête, sans idéologie, une science sans autres frontières, que celles de son objet - avant tout : l’Eglise au XXème siècle et l’ère post-chrétienne (selon le titre de l’un de ses ouvrages) dans laquelle nous entrons. Dans la Solution laïque et ses problèmes, il avait eu ce mot qui résume le climat de sa recherche : « Nous venons d’un temps où l’homme vivait à la grâce de Dieu. Nous sommes entrés dans un temps ou Dieu est à la discrétion de l’homme ». Il ne condamnait rien, ayant lui-même trop souffert d’avoir été condamné, mais il voyait et il écrivait ce qu’il voyait…

Abbé G. de Tanoüarn

4 commentaires:

  1. Peut-être puis-je vous apporter LA REPONSE à votre recherche. Emile Poulat a avoué, après que je lui ai déclinée mon identité de fille de Fernand Morin, compagnon de cellule de Marcel Callo, écrivant l'histoire de ces martyrs chrétiens méconnus à partir des archives de mon père et des miennes : "A 93 ans, ces jeunes martyrs ont été depuis toujours la préoccupation de toute ma vie et le sont encore aujourd'hui".
    Nous nous serrâmes la main une dernière fois au printemps 2014, certains d' un "au revoir" , définitif, en se disant mutuellement : "c'est sensationnel".
    Il avait réussi à écrire la préface de mon livre " Résistances chrétiennes dans l'Allemagne nazie, Fernand Morin, compagnon de cellule de Marcel Callo", publié en avril 2014 aux éditions Karthala. D. Morin

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  2. Merci de ce magnifique témoignage qui décide du "secret"

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  3. Merci, Monsieur l'Abbé, merci vraiment pour cet hommage si sensible et si réfléchissant, cette fraternité du coeur et de l'esprit, envers l'une des plus profondes intelligences catholiques du siècle, et d'abord pour un homme d'une infinie délicatesse. J'ai eu la chance de le rencontrer (à Louvain: je travaillais sur Blondel). Comme vous, la fine rigueur de sa lecture des tours et détours du catholicisme (surtout français) des deux derniers siècles m'impressionnait. Ses publications, incessantes jusqu'il y a peu, ont toujours montré la même acuité.
    Et, comme vous le suggérez, il y a quelque chose d'admirable dans la capacité de ce "progressiste" réellement engagé ( prêtre ouvrier, ce n'est pas rien !) à considérer avec une objectivité sans faille l'histoire qu'il a soufferte dans sa chair... Je crois que cela témoigne d'un enracinement véritablement spirituel.
    Ceci dit, s'il je peux me permettre: suivez son exemple, et ne confondez pas son objectivité avec une sorte de neutralité, ne tentez pas d'en faire une espèce de tradi anonyme ! Le pamphlet n'était pas son genre, mais ses jugements sur l'intégrisme en général, sur le refus du principe de laïcité en particulier, et sur les théologies "extrinsécistes", selon la formule de Blondel (celle du séminaire français de Rome, par exemple) ont été trop nombreux et trop nets. Le commentaire qui précède celui-ci en témoigne bien: "son" catholicisme fut jusqu'au bout celui des vicaires jocistes, pas celui des évêques pétainistes .
    Bien à vous.

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  4. Je me permets d'ajouter cette référence à l'article de "La Croix" (http://www.la-croix.com/Religion/Actualite/Un-dernier-hommage-rendu-a-Emile-Poulat-2014-11-26-1270510): non seulement catho, mais membre de la communauté Sant'Egidio (dont le pape François est très proche). Je crois que cela répond à votre assez étonnante interrogation sur le "secret" d'Emile Poulat.

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