vendredi 1 juillet 2022

La communion des saints

 Une autre oeuvre du Saint Esprit sur la terre - après l'Eglise - est ce que l'on nomme dans le Credo la communion des saints. Attention : la communion des saints n'a rien à voir avec la communion eucharistique. Elle ne concerne pas directement le corps eucharistique de Jésus, mais bien d'avantage son corps mystique, selon l'expression de saint Paul. Mais qu'est-ce que le corps mystique ? Le récit par saint Luc dans les Actes des apôtres de la conversion de Saul nous aide à le comprendre.

Au chapitre 9 de cet ouvrage, saint Paul lui-même raconte sa conversion au Christ sur le Chemin de Damas. Il est venu dans cette ville pour livrer ceux qu'il appelle les partisans de la Voie (les chrétiens) à la Justice du Sanhédrin, lequel Sanhédrin  a fait de lui Saül, son représentant avec droit de vie et de mort sur ces juifs déviants que l'on n'appelle pas encore les chrétiens, et sur lesquels il pourrait mettre la main. Il est à cheval, en route vers Damas, quand une grande lumière le jette à terre et le prive de l'usage de la vue ; il entend une voix lui dire : "Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? - Qui es-tu Seigneur ? - Je suis Jésus que tu persécutes". C'est de ce bref dialogue entre Saul et la lumière qu'est née la théologie du corps mystique dans les épîtres de Paul. ET c'est l'origine du dogme de la communion des saints.

Qu'appelle-t-on corps mystique du Christ ? Le jeune Saul, qui a dû croiser Jésus dans les rues de Jérusalem un ou deux ans auparavant, n'a jamais persécuté Jésus. Il se tenait à distance, c'est tout. Mais, après ces événements tragiques de Jérusalem, malgré le supplice déshonorant infligé au Christ, le nombre de ceux qui suivent sa voie ne fait qu'augmenter. Pour Saul, juif militant, il fallait que ça cesse, et vite. il a donc souhaité persécuter non pas le Christ, mais ceux qui suivent son enseignement. Eh bien ! Alors qu'il s'apprête à jouer les persécuteurs dans la capitale voisine de Damas, voilà que lui apparaît le Christ ressuscité, vivant, pour lui dire : les persécuter, ces fidèles qui suivent ma voie, c'est me persécuter. Au fond, eux et moi, c'est pareil. Voilà où commence la communion des saints : "Tous ce que vous ferez au plus petit d'entre les miens, c'est à moi que vous le ferez". "Celui qui vous aura donné à boire un verre d'eau, parce que vous êtes au Christ, celui-là ne perdra pas sa récompense" (Mc 9, 41). Incroyable attrape-tout de la communion des saints ! Il suffit de donner quelque chose à un chrétien pour le devenir.

Vous me direz : en toute orthodoxie, pour devenir chrétien, il faut la foi. Oui, mais quelle foi ? L'exemple de Gamaliel, le maître de Paul (cf. Ac. 22, 3), est éclairant. Ce dernier, sans doute impressionné par la Parole de Jésus, avait solennellement dit de laisser les chrétiens tranquilles (Ac. 5, 38-39) : "Si ce qu'il dit vient des hommes, cela ne tiendra pas. Si ce qu'il dit vient de Dieu, nul ne pourra le détruire. Ne prenez donc pas le risque de faire la guerre à Dieu". Façon de dire, comme Tertullien plus tard : le christianisme est tellement fou que s'il vient des hommes, cet enseignement ne tiendra pas. Je crois parce que c'est fou, credo quia ineptum est, c'est inepte et ça tient : ça vient de Dieu. Tel est le premier raisonnement qui vous inclut dans la communion des saints. Comme dit le Christ lui-même : "Ceux qui ne sont pas contre nous sont pour nous" (Mc 9, 40). 

On peut parler de communion des saints non pas seulement à propos des saints ou de ceux qui prétendent l'être. La communion des saints - nous verrons comment tout à l'heure - fait devenir saints ceux qui ne le sont pas. Elle s'exerce aussi à l'égard de tous ces demi-chrétiens, qui  ne peuvent pas ne pas sympathiser avec le Christ : comme Gamaliel, ou encore comme Nicodème qui vient voir le Christ de nuit et qui se plaît à cette demie-lumière, restant à distance.. C'est une histoire de verres à moitié vides ? Il faut les voir à moitié pleins, voilà la première règle de la communion des saints.   Comme le dit le Christ lui-même : "Ceux qui ne sont pas contre nous sont pour nous".

Après ce premier détour par Gamaliel, Nicodème et tous les mal-croyants, dont nous faisons tous partie à un moment ou à un autre, revenons à saint Paul. Que nous dit sa doctrine du corps mystique du Christ ? Nous sommes attachés à Jésus, et si, chrétiens,nous sommes solidaires les uns des autres, c'est d'abord parce que nous sommes tous le Corps mystique du Christ. Ainsi solidarisés les uns avec les autres dans le même esprit, nous pouvons prier les uns pour les autres, mériter les uns pour les autres, nous sacrifier les uns pour les autres. Nous pouvons faire en sorte que les vivants prient pour les morts et les morts pour les vivants. Membres en bonne santé ou membres malades, nous sommes un seul corps dans le Christ.

Je pense d'abord à Cajétan et à son travail théologique sur les indulgences, en réponse aux critiques de Martin Luther. A-t-il en tête le communisme des premiers chrétiens à Jérusalem, pratiquant le "Ce qui est à moi est à toi" ? Pour lui, en vis-à-vis de sa doctrine sociale dans les Opuscules philosophiques, dans lesquels il parle d'un Trésor public (aes publicum), qui doit être ouvert aux pauvres, il existe, dans le Royaume de Dieu, un trésor surnaturel, trésor de grâce, alimenté par les mérites du Christ, ceux de la Vierge Marie, en particulier au pied de la Croix (cf. son De Indulgentiis Q1), et ceux de tous les saints, qu'ils aient été répertoriés ou non, comme saints. En se le partageant, les élus ne font que l'augmenter, puisqu'il est substantiellement tout l'amour du monde et que qui partage l'amour en vérité en reçoit toujours plus encore qu'il en donne.

C'est au XIXème siècle que le dogme de la communion des saints (profondément agissant dans la religion populaire) a donné lieu aux plus longs développement depuis saint Paul et depuis Cajétan. Pour ces laïcs, poètes et penseurs chrétiens, les actions des justes forment un trésor de grâces dans le Christ, trésor fait pour être dépensé en faveur des pécheurs. Je pense à Joseph de Maistre et à sa doctrine de la réversibilité des mérites, je pense à Baudelaire, disciple caché de Maistre, et à son poème Réversibilité. Le nom de réversibilité a été inventé, dans son acception théologique, par Joseph de Maistre, pour désigner le fait que celui qui s'est trouvé gagner des mérites en ce monde peut les offrir à un autre dans l'autre monde. Le culte des morts, si important au XIXème siècle, s'est trouvé vivifié par cette doctrine, qui est l'application de la charité à l'urgence personnelle du salut. Baudelaire en fait un schème de l'amour passion dans l'extraordinaire poème auquel il a prêté ce nom abstrait : Réversibilité. L'homme amoureux trouve dans la femme aimée tout ce qui lui manque, au nom de l'amour. N'est-ce pas comme une application profane (non une profanation !) du christianisme ? : "Ange plein de bonheur, de joie et de lumière, / David mourant aurait demandé la santé / Aux émanations de ton corps enchanté ; / Mais de toi, je n'implore, ange, que tes prières / Ange plein de bonheur de joie et de lumière !". 

Je pense aussi, je pense enfin à cet ours mal léché qu'était Léon Bloy, le vaticinateur impénitent. Voici comment il s'exprime au sujet de la communion des saints :

Il y a une loi d'équilibre divin appelée la communion des Saints, en vertu de laquelle le mérite d'une âme, d'une seule âme est réversible sur le monde entier. Cette loi fait de nous des dieux et donne à la vie humaine des proportions du grandiose le plus ineffable. Le plus vil des goujats porte dans le creux de sa main des millions de coeurs et tient sous son pied des millions de têtes de serpents. Cela il le saura au dernier jour. Un homme qui ne prie pas fait un mal inexprimable en toute langue humaine ou angélique. Le silence des lèvres est bien autrement épouvantable que le silence des astres".

En effet, de par ce dogme de la communion des saints, on ne prie jamais pour soi seul. Et par conséquent ne pas prier, ce n'est pas seulement se faire du mal à soi-même, c'est manquer au choeur des voix polyphonique dans le cosmos avec qui et au nom de qui l'on prie, qui représentent l'humanité et constituent son offrande, venant de tous ceux qui veulent ce sacrifice augural et allant à tous ceux qui cherchent la rédemption en lui. La référence finale à la célèbre Pensée de Pascal que nous avons déjà cité sur le Silence éternel de ces espaces infinis, qui a quelque chose d'effrayant, est une magnifique trouvable : bien plus effrayant que les silences galactiques sont les silences mutiques, silence des lèvres qui devraient parler, silence des coeurs qui devraient proclamer ce qu'ils ont pu comprendre et qui se taisent. Nous sommes au temps des chiens muets.

Le dogme de la communion des saints, à travers la souffrance (celle du Christ sur la croix et de tous les offrants sur la terre), constitue la grande réponse au problème du mal, ou plutôt la grande entrée dans le mystère du mal.

Comme le dit simplement Maistre, dans sa Huitième Soirée de Saint-Pétersbourg, "le juste en souffrant volontairement, ne satisfait pas seulement pour lui, mais pour le coupable par voie de réversibilité. La communion des saints est cette pierre philosophale, qui transforme le mal en bien par le miracle de l'offrande. Je dis miracle car cette offrande des péchés de toute l'humanité appartient au Christ, qui seul la rend possible. Nous la pratiquons dans la communion des saints. A son imitation.




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