dimanche 14 novembre 2010

Les cours d'hébreu au CSP...

Cela faisait longtemps que je souhaitais un cours d'hébreu au Centre Saint Paul. Et puis cette année, le frère Thierry qui a des antennes me propose un nom. Je prends contact avec Jean Marie Elie, un personnage formidable, qui littéralement vit du Christ... et qui n'oublie pas qu'il n'y a de véritable vie spirituelle que dans la mesure où l'intellect fournit la matière de notre transformation quotidienne. Le Curé d'Ars, qui a tellement bûché ses auteurs et qui était devenu spécialiste des Pères de l'Eglise en savait quelque chose. Si l'on ne forme pas la tête, on ne restaure pas le coeur, car toute vraie croissance (comme l'exprime la parabole du Grain de sénevé) vient de l'intérieur. Le coeur a ses raisons que la raison ignore dit Pascal... Mais les raisons du coeurs sont souvent plus raisonnables et en tout cas plus constructives que les raisons de la raison. Gare à celui qui les méprise. Gare à celui qui les oublie, qui veut se faire "un coeur nouveau" sans chercher les "raisons nouvelles" qu'il apporte. Dans ce monde matérialisé, il nous faut retrouver les raisons de la méditation, les raisons de l'oraison. Petit détail du vocabulaire latin : Oratio signifie à la fois "discours" et "prière" dans le latin chrétien. On emploie uniquement Prex chez les païens et jamais Oratio. C'est que la prière chrétienne n'est pas seulement une "supplication" (prex), elle est cela mais elle est plus que cela : raison transcendante, parole reçue, parole donnée, germination, transformation intérieure.

En quoi cela a-t-il rapport au Cours d'hébreu ?

Je pense que la foi chrétienne, pour affermir en chacun de nous cette oratio dont la liturgie et le Culte public de l'Eglise donnent l'exemple, nous offre plusieurs langages, tous différents, mais en quelque sorte canonisés par l'histoire.

Il y a le langage liturgique, qu'il faut apprendre, mais qui est comme la langue maternelle de l'Eglise maîtresse des sacrements. Il y a le langage spirituel, on peut même dire qu'il existe plusieurs langages spirituels différents et qui ont chacun leur cohérence : n'essayez pas de comprendre le néantisme de la Montée au Carmel de saint Jean de la Croix, en dehors de la tradition carme, vous en feriez un soufi... Il y a le langage de la théologie spéculative, issu des grands conciles christologiques et marqué par des siècles de thomisme plus ou moins strict... Il y a le langage de la théologie biblique. Attention ! Ce n'est pas le langage des exégètes sur lequel on autrait tartiné quelques abstractions théologiques, non ! Le langage de la théologie biblique est celui des apôtres, saint Paul, saint Jean, saint Pierre. C'est ce langage de la théologie biblique qui doit nous aider à lire l'Ancien Testament comme les apôtres l'ont lu, sous l'impulsion du Saint Esprit. Si ensuite, on veut s'amuser à faire un peu d'exégèse structurale, pourquoi pas ? Mais sans être dupe du résultat, sans prendre le medium pour le message. J'ai été impressionné de la puissance que prend la parole des apôtres - Paul en particulier - lorsque on la restitue à son contexte hébraïque. Loin de s'éloigner de la théologie latine, on la rejoint par d'autres voies...

Il y a un autre langage, qui ne mène au Christ que par accident : le langage philosophique. Combien de rationalistes de la foi, qui réduisent la parole de Dieu à la philosophie.

Le drame que vit l'Eglise vient de la trop grande richesse des langages sur lesquelles elle s'est construite. J'en oubliai un, d'ailleurs, dont nous parlerons mardi prochain, le langage iconographique, qui lui aussi a ses constantes à travers l'histoire, comme nous le montrera Tatiana Dupin.

Pourquoi drame ? Parce que certains, déconcertés par tant de richesses, s'en détournent immédiatement au profit de purs ressentis. D'autres ne veulent plus voir la convergence des langues, qui est un grand argument en faveur de l'Evangile : hébreu, grec, latin, tout converge. Mais attention à ne pas tout mélanger pour autant. L'un des risques majeurs aujourd'hui chez les Pasteurs en herbe, c'est le mélange des genres, dans une teinture superficielle qui confond l'état d'âme et la réalité spirituelle.

La première manière de respecter l'Esprit saint, de ne pas éteindre son feu, c'est de respecter les différentes langues dans lesquelles il s'exprime, en travaillant chaque vecteur de signification dans le registre qu'il offre à notre méditation. Exemple ? Ne pas lire les Pères avec la grille du thomisme, mais pour eux mêmes. Ne pas confondre liturgie et catéchisme, iconographie et théologie etc. Sans un minimum de travail au sein d'un mode d'expression donné, il n'est pas possible d'accéder aux raisons du coeur, dans leur pureté native... Celui qui mélange les différentes raisons du coeurs, les différents vecteurs de la méditation me fait penser à ce jeune homme inexpérimenté (j'en ai croisé un récemment) qui parle à sa copine (en l'occurrence à sa femme) de la même façon qu'il s'exprime avec son meilleur pote. Les raisons du coeur exige des délicatesses auxquelles la Raison - parce qu'elle fonctionne comme les ordinateurs : en base 2 - ne nous a pas forcément habitué.

Ce qui m'a frappé chez Jean Marie Elie ? Il connaît parfaitement un vecteur d'expression de la parole, en l'occurrence la langue hébraïque. Il ne fait jamais de théologie spéculative, mais rejoint par et dans la langue hébraïque la théologie la plus spéculative ou la foi chrétienne la plus exigeante. Miraculeuse co-incidence des efforts méditatifs, qui ne peut manifester sa fécondité que dans une grande rigueur d'application au travail, sans jamais confondre les genres, sans utiliser les raccourcis que d'autres disciplines à travers lesquelles s'exprime aussi la Parole pourraient nous fournir.

Les raisons du coeur ? On veut oublier le travail, l'application, la rigueur qu'elles exigent...

jeudi 11 novembre 2010

C’est pour de vrai !

Texte repris de Monde&Vie n°831 - 28 août 2010

Quel curieux sujet de roman! On imagine un ancien élève de Supaéro, devenu ingénieur de l’armement, un civil parvenu au grade de colonel, un homme qui porte bien l’uniforme mais qui ne sait pas tirer. Jean Bastien Thiry a attiré l’oeil d’Alice Ferney. Elle le tutoie pendant 200 pages, en essayant de comprendre pourquoi il… n’avait pas voulu tuer de Gaulle. A travers cette figure noble, c’est toute une époque qui revit, une certaine idée de la France, oui, disons-le, qui prend chair. Nostalgie ? Admiration ? C’est un peu tout cela que l’on éprouve en pensant à Paul Donnadieu, le masque littéraire de Bastien Thiry dans ce livre. En face de lui, Alice Ferney a campé le général (Jean de Grandberger comme elle l’appelle), son grand corps disgracieux, ses oreilles en forme de nageoires et ses petites mains. J’ai un ami qui s’enthousiasme pour la manière dont la romancière tient la balance égale entre les deux personnages. C’est vrai qu’elle déploie, avec une véritable objectivité, un sens du détail digne de tous éloges. Mais enfin, chaque fois qu’elle tente d’expliquer le Général, il en sort un peu plus petit. Ce livre raconte un face à face inéquitable : d’un côté, un homme d’honneur, effrayé de voir la France tenir sa parole pour rien en laissant massacrer ceux qui lui avaient été fidèles ; de l’autre côté, un vieux politique machiavélien, qui dit ouvertement le contraire de ce qu’il pense. Le seul crédit que l’on puisse faire à Grandberger, vu par Alice Ferney, c’est d’avoir toujours pensé ce qu’il met en oeuvre avec le plus grand cynisme. Est-ce suffisant pour l’absoudre? Voilà une question que l’on ne pourra plus « passer sous silence » après avoir lu ce livre. « Les nouveaux maîtres se chargeaient de torturer les indigènes autrefois ralliés à l’Empire. Une culture s’effondrait dans l’enchantement violent de la victoire. Tout un passé était nié. Les vainqueurs dénonçaient les traîtres à la cause. Ils leur arrachaient les yeux. Ils leur arrachaient le sexe. Ils les éventraient, leur coupaient les oreilles, les brûlaient à l’huile bouillante. Ils les faisaient griller ». Que répondre à de telles images ? Il faut lire ce livre.

Joël Prieur


Alice Ferney, Passé sous silence, éd. Actes sud, 208 pp. 2010, 18 euros

mercredi 10 novembre 2010

Notre ambition : servir le Christ dans les formes traditionnelles de la liturgie romaine

Lettre à nos Amis n°18 - Novembre 2010

Chers Amis, notre rentrée s’est effectuée sans difficulté majeure. Vous avez [sur le site du Centre St Paul] une idée de nos différentes propositions. Notre ambition, après cinq ans, reste la même : servir le Christ dans les formes traditionnelles de la liturgie romaine. Quelle joie sans cesse renouvelée pour les prêtres ! Quelle invitation à une intériorité toujours nouvelle, pour nous qui portons le poids du jour, des occupations et des sollicitations de toutes sortes ! Venez refaire vos forces à l’une de nos cinq messes dominicales ou assistez avec cœur à l’une de nos trois messes quotidiennes. Cette petite flamme de la tradition tranquillement intégrale dans la fidélité à l’Eglise et à nos pasteurs, elle brille dans nos cœurs et nous unit. Nous mettons l’accent cette année non seulement sur les cours – dont vous avez une petite idée [sur le site du Centre St Paul] – mais sur la défense et l’illustration d’un thomisme intellectuel sereinement revendiqué. Avec des étudiants de haut niveau, nous nous plongeons dans la quête de ce qui nous reste du théologico-politique chrétien (un jeudi par mois) ou dans la polémique sur le désir naturel de voir Dieu (un samedi par mois), en espérant vous offrir des actes sur papier de ces deux séminaires. En vous remerciant de votre intérêt pour notre œuvre de culture chré­tienne, je me permets à nouveau de tendre la main vous assurant que nous ne vivons que de votre générosité – celle qui vient de la Charité dans laquelle nous communions tous
in Christo,
Abbé Guillaume de Tanoüarn +

Abécédaire d’un monde disparu

Article repris de Minute du 10 novembre 2010

Ghislain de Diesbach professe avoir « le goût d’autrui », un goût particulièrement prononcé quand il s’agit des « silhouettes éphémères » d’un monde parisien qu’il connaît par coeur. Il y a des noms connus, Marie-Laure de Noailles, « qui pratiquait avec virtuosité la méchanceté gratuite », ou Paul Morand, « un mariage heureux, des liaisons délicieuses et suffisamment variées pour ne pas devenir monotones », Jean-Louis Bory – « bouffon du gauchisme », ou Monseigneur Ducaud-Bourget, « auquel il manqua pour être mieux apprécié de sa hiérarchie de ne pas croire en Dieu ». Il y a ceux dont on ne se souvient pas, le colonel Henry d’Anglejan, « popotier du Jockey » ou la baronne Blixen, « momie rapportée d’Egypte par un savant orientaliste ».

En toute liberté, Ghislain de Diesbach cultive le sens de la formule et dit, avec élégance, ce qu’il pense des uns et des autres. Mais surtout, pour épingler tel ou tel personnage dans son herbier de luxe, il raconte quelques-unes de ces anecdotes qui font tout le charme de la « conversation ». Juste une, concernant Elie de Rothschild: « Celui-ci avait parfois de curieuses réactions tout à son honneur, mais inattendues de sa part. Un jour, par exemple, un de ses invités s’était permis une plaisanterie de mauvais goût sur la sainte Vierge, il s’était levé, déclarant à son invité, trop surpris pour protester: “Je vais vous raccompagner.” Et il l’avait poussé dehors. Revenu dans le salon, il avait déclaré: “Il ne faut pas oublier que la sainte Vierge était juive. Il faut se soutenir entre soi.” »

Tel est le monde de Ghislain de Diesbach, jamais si aimable que lorsqu’il sort des conventions dans lesquelles il s’ordonne. L’oeil aigu du vieux jeune homme jamais blasé sait remarquer le burlesque ou l’étonnant et le souligner d’un trait de son crayon, en pratiquant cette méchanceté qui, parce qu’elle est française, reste toujours légère, pardonnable parce que pardonnante.

On ne sort pas si facilement de cet abécédaire, tant le dépaysement est garanti! Avec ces soixante-dix portraits, voilà un cadeau tout trouvé.

Joël Prieur
Ghislain de Diesbach, Le Goût d’autrui, éd. Via romana, 378 pp., 25 euros port compris. Commande à Minute, 15 rue d’Estrées, 75007 Paris.

mardi 9 novembre 2010

[conf'] "La décroissance, pour ou contre" par Kostas Mavrakis

Mardi 9 novembre 2010 à 20H00 au Centre Saint Paul (12 rue Saint Joseph - 75002 Paris) - "La décroissance, pour ou contre" par Kostas Mavrakis - PAF 5€, tarif réduit à 2€ (étudiants, chômeurs, membres du clergé) - La conférence est suivie d’un verre de l’amitié.

lundi 8 novembre 2010

Réponse à Henry que je ne connais pas sur la foi humaine...

Merci de ces deux précisions (voir commentaires au post précédent). Elles me sont très utiles.

Je disais pour faire vite que la foi humaine est un cercle carré dans le contexte où l'on oblige des religieuses au nom de leur foi à signer un Formulaire dans lequel elles doivent non seulement condamner des erreurs mais se prononcer sur le fait : se trouvent-elles ou non dans Jansenius. L'immense majorité des Port-royalistes, le grand Arnauld en tête, distingue le droit et le fait. Je n'ai vu qu'un certain Guillaume Leroy qui refusait cette distinction et défendait les cinq propositions comme augustiniennes, malgré les condamnations romaines réitérées. Au nom de quoi peut-on obliger des religieuses ignorantes à signer ? Péréfixe n'est pas un aigle, tout le monde le dit. Il popose cette distinction de la foi divine pour le fond de la condamnation (par exemple : cinquième proposition : le Christ est vraiment mort pour tous les hommes) et la foi "seulement humaine" pour le fait de savoir si ces propositions condamnées se trouvent ou non dans les 1300 pages de l'ouvrages de Jansenius. Arnauld et Nicole firent un Opuscule sur la foi humaine en montrant en substance que si les évêques en sont à rendre obligatoire (au nom de la foi humaine) leurs opinions théologiques, l'Eglise n'en finira plus de se diviser. Quand on réfléchit posément à la crise post-conciliaire, on a comme ça des tas d'évêques qui, au nom de leur presbyterium ou des traditions de leurs diocèses, rendent obligatoire ce qui devrait être facultatif. Le concept de foi ecclésiastique est plus tardif... et pas de foi... Notre foi, la seule, la vraie, la salutaire, on l'appelle dans les textes "la foi divine et catholique". Admirable précision des adjectifs ! Si nous sommes obligés de croire, si nous offrons l'obsequium intellectus, l'offrande de notre esprit comme dit saint Paul à cette foi, c'est uniquement parce qu'elle est divine. Toute autre raison serait une faiblesse. Faiblesse de croire comme soupirait Michel de Certeau. Croire c'est croire en la Parole de Dieu, rien de plus rien de moins. Croire vraiment, c'est toujours croire de foi divine.

Quant à la foi humaine, c'est un concept philosophique (voyez la fin de la Logique de Port Royal par exemple): je ne suis jamais allé sur la lune, mais je crois de foi humaine ce que l'on me rapporte sur l'apesanteur qui y règne et je n'imagine pas (comme certains allumés) que les images de la fusée Apollo et du débarquement sur la lune sont "made in Hollywood". Il est très important de cultiver un minimum de foi humaine, ne serait-ce que pour garder la raison...

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