samedi 2 octobre 2010

Newman, docteur de l’Eglise ?

Article repris de Monde et Vie n°832 - septembre 2010

Pourquoi rendre honneur au cardinal Newman ? Le pape a décidé de le béatifier lui-même, alors qu’il avait précédemment déclaré qu’il laisserait les béatifications aux responsables des Eglises locales. Signe qu’il attache une importance particulière à celle-là. Ne restera plus qu’à le proclamer saint. A moins qu’entre-temps – et c’est un bruit qui court – on n’en fasse un docteur de l’Eglise.

Si l’on en croit l’abbé Brémond, grand spécialiste de Newman au début du XXe siècle, pour comprendre Newman, personnage renfermé dans sa jeunesse, fragile dans son âge adulte, « il faut commencer par un exercice d’assouplissement, d’entraînement au mystère ». Mystère ? Qu’il ait cultivé des opinions aussi personnelles, qui l’ont conduit à une abjuration de l’anglicanisme, après un passage, entre quinze et vingt ans, par l’évangélisme. Et qu’il ait subi si profondément des influences successives, trouvant, à chaque étape de son itinéraire spirituel, une sorte de Mentor, pour ensuite se jeter seul dans le sein de l’Eglise romaine, à la surprise générale.

Ce furent Walter Mayers, son « gourou » évangélique, qu’il admira éperdument et qui lui montra l’urgence de la certitude, puis Richard Whately à Oxford, où il devient membre – par élection mais sur l’entremise de Wathely – du club très « select » des « noetics (tout un programme!). Puis, après sa rupture avec Whately, il y eut son amitié avec Richard Hurrel Froude. C’est lui qui « lui apprit à regarder avec admiration l’Eglise de Rome et par là même, à se détacher de la Réforme » comme il l’explique dans son Apologia. Après un refroidissement, il se lia avec John Keble, qui lui fit connaître la « low church » anglicane, mais qu’il ne soutint d’ailleurs pas jusqu’au bout à Oxford. C’est avec Froude, dont il admire l’ascétisme, qu’il quitte l’Angleterre en 1832 pour trouver le soleil, dans un voyage au long cours. Lui, le spécialiste des Pères de l’Eglise va faire escale dans les îles grecques, en Sicile, à Naples et même à Rome où il rencontre ce grand converti anglais qu’est Nicholas Wiseman, qui deviendra cardinal et sera son premier protecteur dans l’Eglise romaine. A chaque étape de sa vie, il y a ce « Maître » ou cet « ami » que, chaque fois, Newman quitte, sans oublier la leçon qu’il lui a fournie. Besoin dogmatique, avec l’évangélisme. Quête intellectuelle des origines chrétiennes avec Whately. Fierté anglicane avec John Keble. Philocatholicisme et ascétisme avec Froude. Il quittera tous ces amis pour se jeter dans les bras de l’Eglise romaine. Mais ce sera au terme d’un militantisme effréné, après s’être senti la mission de réformer l’anglicanisme. Durant cinq ans Newman rédige des tracts pour défendre l’idée que l’anglicanisme est la « via media » entre protestantisme et catholicisme, qui représente le véritable équilibre chrétien. Son cri de guerre est homérique : « Maintenant que me voici, on va voir la différence ». Mais il ne se trompe pas sur lui-même. Il écrit à Froude: «You and Keble are the philosophers. I am the rhetorician». Vous êtes les penseurs, je suis juste le haut-parleur. Mais le haut-parleur ira plus loin que ses maîtres… Il y a un détonateur à sa conversion, et c’est un problème qu’il n’a pas résolu.

Problème? Dans la chrétienté, les anglicans sont minoritaires. Il tombe un jour sur une phrase de saint Augustin, condamnant les donatistes, ces chrétiens principalement implantés en Afrique du Nord et qui, en un mot, faisaient du zèle: Securus judicat orbis terrarum. Le monde entier juge tranquillement ces Africains, comme aujourd’hui il juge tranquillement cette poignée d’Anglais cultivés qui, autour de Pusey et de ce que l’on va appeler le Mouvement d’Oxford, défendent une putative spécificité anglaise. Il est temps de découvrir l’Eglise universelle, l’Eglise catholique.

Le parcours très composite de Newman fait tout son charme comme théologien et comme prédicateur. Il s’adapte merveilleusement à un auditoire. « Pour tout résumer d’un mot, écrit Brémond qui s’y connaît, des trois partis qui se disputent aujourd’hui la direction de la pensée chrétienne, des intransigeants, des avancés et des hommes qui cherchent un compromis entre les tendances extrêmes, je n’en sache pas qui puisse, et logiquement, se réclamer de Newman ».

Ce qui frappe chez Newman, c’est avant tout la qualité de sa foi personnelle. Exemple : «L’Eglise se déclare bâtie sur des faits, non des opinions. Sur des vérités objectives, non des sentiments inconstants. Sur le témoignage séculaire, non sur l’opinion personnelle. Sur la conviction ou l’expérience non sur le raisonnement». On peut penser que le dogmatisme de Walter Mayers ne l’a jamais quitté ! Par ce biais, il s’avère proche des intransigeants. Mais en même temps qu’il cherche à vanter l’objectivité de la foi, il n’hésite pas à écrire dans sa Grammaire de l’assentiment : « L’égotisme [le culte du moi] est la véritable modestie ». Et dans les premières pages de l’Apologia pro vita sua : « Pendant que je me regardais comme prédestiné au salut éternel, je m’isolais de la contemplation des autres hommes et je ne me disais pas que d’autres étaient prédestinés à la mort éternelle. Je ne pensais qu’à la miséricorde dont j’étais moimême l’objet ». On voit qu’en lui le calvinisme a la vie dure et surtout que l’objectivité de sa démarche ne doit pas cacher l’extraordinaire subjectivité du personnage…

On comprend l’ambiguïté du futur cardinal, contre lequel, du reste, s’éleva un autre converti de l’anglicanisme, le cardinal Manning, allant jusqu’à le faire poursuivre à Rome pour hérésie. Lorsque Newman écrivait dans ses Sermons d’Oxford que « la conscience est dans notre esprit le principe essentiel et la sanction de la religion », il passe tout près de la condamnation que lance le pape Pie IX dans la proposition 15 du Syllabus : «Il est libre à chaque homme d’embrasser la religion qu’il aura réputée vraie selon les lumières de sa raison».

Au fond, le cardinal Newman, esprit libre, ne parvient pas toujours à opérer la synthèse des diverses influences qu’il a subies. Profondément sincère, catholique par toute sa vie, vivant près de Dieu dans sa petite maison de Birmingham, c’est avant tout un mystique, qui, dans La grammaire de l’assentiment ou dans L’essai sur le développement du dogme, n’a pas forcément les moyens philosophiques de sa hardiesse théologique. Père de l’Eglise ? Mais alors d’une Eglise à son image : inquiète.

Joël Prieur

[session] journée sur les chrétiens d’Orient dans un cycle de Géopolitique du christianisme aujourd’hui

Samedi 2 octobre au Centre Saint Paul (12 rue Saint Joseph - 75002 Paris) : Session sur les chrétiens d’Orient dans un cycle de Géopolitique du christianisme aujourd’hui - Avec la participation de Pierre Périer, d’Antoine Assaf, d’Annie Laurent et de plusieurs évêques chrétiens d’Orient qui nous présenteront le destin de leur communauté. - Rendez-vous à 9H00. Repas oriental assuré sur place - Inscription : 15 euros - Renseignements: appeler Micheline au 06 10 27 53 16.

jeudi 30 septembre 2010

Rentrée 2011: le catechisme va trinquer

Je vous annonce un net recul de la fréquentation du catéchisme, en France, à compter de la rentrée 2011. Non, je ne lis pas dans le marc de café! C’est tellement plus simple: La loi de 1885 prévoit «un jour par semaine, en outre du dimanche, afin de permettre aux parents de faire donner, s’ils le désirent, l’instruction religieuse». Typiquement, le catéchisme a donc lieu le mercredi, qui a succédé au jeudi au début des années 70. Pourquoi pas le samedi? La Croix explique que «mettre le caté le samedi matin pose le problème des départs en week-end, et des gardes alternées pour les familles monoparentales». J’ajoute que pour mettre ses enfants au catéchisme il faut se lever, chose que beaucoup de gens font moins rapidement le samedi qu’en semaine.

Mais il y a surtout plus triste: alors qu’un enfant sur quatre suit le catéchisme, il n’y en a qu’un sur trente qui assiste à la messe. Comme si le catéchisme représentait pour certaines familles un mode de garde intéressant (et gratuit), le mercredi, quand elles travaillent. Or le mercredi va sauter, en tout cas le mercredi matin, à l’école primaire. Ce n’est pour le moment annoncé que comme «une option», qui fera l’objet d’un «débat», ce qui signifie en clair que la décision est prise pour 2011, à l’extrême limite pour 2012. Le mercredi est le jour des activités non scolaires: foot, orthodontie, musique, catéchisme, danse, escrime. Puisqu'on supprime le matin (c’est la moitié du créneau), ces activités vont entrer en concurrence les unes avec les autres. Le catéchisme va trinquer, je vous l’annonce. Évidemment, les catholiques continueront à y envoyer leurs enfants, quel que soit le jour et l’heure. C’est pour les autres que c’est dommage, ceux pour qui le c'était le seul lien avec l’Eglise, leur dernière chance d’entendre parler de Jésus.

mardi 28 septembre 2010

[conf'] L'Église et l'immigration - par l’abbé G. de Tanoüarn

Mardi 28 septembre 2010 à 20H00 au Centre Saint Paul (12 rue Saint Joseph - 75002 Paris) - L'Église et l'immigration - par l’abbé G. de Tanoüarn - PAF 5€, tarif réduit à 2€ (étudiants, chômeurs, membres du clergé) - La conférence est suivie d’un verre de l’amitié.

dimanche 26 septembre 2010

Conférence aux Bernardins - "les dangers d'internet"

Je me suis rendu mardi à une intéressante conférence au Collège des Bernardins, trois intervenants y parlaient des dangers d’internet. Vaste sujet, que les 52 minutes d’exposé (suivie d'autant d'échanges) n’ont pas suffit à épuiser, à peine à esquisser, tant le sujet est vaste et multiforme. Les dangers sont aussi bien de se faire piquer son numéro de carte bancaire, de tomber sur des images… inappropriées, de se dissiper (le divertissement est à un clic de distance), de se prendre au jeu des réseaux sociaux quelle qu’en soit la forme. Il y a les addictions, les espions, les terroristes, les pédophiles, les publicitaires… rien de nouveau au fond si ce n’est qu’internet est une formidable contraction du temps et de l’espace. Face à cette complexité, des réponses tout aussi multiples – dont aucune ne semble évidente à mettre en place. Une coopération internationale ? mais sur quelle base ? des propos qui tombent sous le coup de la loi dans un pays sont légaux voir encouragés dans un autre pays (1). Le contrôle parental? plus d’un adulte doit faire appel à ses enfants pour l’installer. La discrète et bienveillance de ce que regardent vos petits? eux aussi savent ce que vous regardez. L’éducation? des millions d’ados téléchargent des centaines de millions de morceaux de musique, il faudra plus pour les convaincre de payer les «artistes» qu’une campagne ciblée «djeunz», qu'ils trouveront ringarde, par définition de l’adolescence. Des firewalls, des antivirus, et d’autres filtres? certes, mais c’est la course du voleur et du gendarme, chacun essaye d’avoir un coup d’avance. Ajoutez à tout cela que dans ce domaine, on est toujours à la fois le néophyte de quelqu’un et l’expert d’un autre. – Une conférence aussi ouverte que son sujet donc, le public est sans doute reparti avec plus de questions en tête qu’il n’en avait en venant, et c’est très bien ainsi.

Conférences des «Mardis des Bernardins» - 20 rue de Poissy, 75005 Paris – 5€
(1) Se pose aussi la question de la territorialité. On considère généralement que prévaut la loi du pays où le site est hébergé. Encore faut-il le connaitre. Si l'on prend ne serait-ce que le MétaBlog, qui est un site très identifiable et très revendiqué: Où sommes-nous hébergés? Sur les serveurs de Blogger. Qui sont situés… en plusieurs lieux. Quand vous lisez cette page, aussi bien, le texte vient du Texas et sa mise en page vient d’Europe, tandis que l’image vient d’Asie. Quand vous le relirez demain, si ça se trouve, ça aura changé.

Hip, cool, buzz… Vers la culture fric?

Article repris de Minute du 22 septembre 2010
Frédéric Martel publie chez Flammarion une « enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde ». Une occasion de mesurer les progrès de la mondialisation, non seulement en Europe mais dans le monde entier, et de découvrir les moyens dont dispose le Soft Power pour amuser l’univers en lui imposant une Culture dominante, celle que le marché aura plébiscitée, au nom du fric.

L’auteur de ce livre raconte l’entretien qu’il a eu avec Samuel Huntington, l’auteur à succès du best-seller mondial qui a lancé le concept de «choc des civilisations». Et il explique comment ce vieux monsieur distingué, pur produit des vieilles universités de la Côte Est, s’est tout simplement… endormi devant son interlocuteur avant la fin du repas. Le détail est cruel. Tout le monde sait que la vieillesse est un naufrage… Mais en l’occurrence, cet assoupissement, succédant assez naturellement à l’incompréhension, a valeur de symbole. Huntington imagine le monde d’il y a un demi-siècle et il y projette la situation actuelle pour prédire à son aise le fameux «clash» inévitable entre les grandes entités culturelles mondiales. Frédéric Martel fait l’inverse. Il se penche sur les grandes mutations des flux de «produits culturels» pour prédire une sorte d’harmonisation mondiale des contenus, avec, par exemple, l’Indien Bollywood en réponse à l’américain Hollywood. C’est exactement le scénario inverse, par rapport au choc annoncé: le mixage, le mélange, avec des dosages, respectueux de ce qui restera de l’identité de chacun.

«Des produits “universels”, formatés pour plaire à tout le monde»

Américanisation du monde? Pas seulement. Pas exclusivement. «La priorité des studios et des majors ne consiste pas seulement à imposer leur cinéma ou leur musique et à défendre un impérialisme culturel. Ce qu’ils veulent, c’est multiplier et élargir leur marché, ce qui est très différent. S’ils peuvent le faire avec des produits “américains”, tant mieux. Sinon, ils le font avec des produits “universels”, formatés pour plaire à tout le monde partout dans le monde, et n’ont pas de scrupule à en atténuer l’américanité. Et si cela ne suffit pas, ils n’hésitent pas non plus à financer et à réaliser des produits locaux, en les fabriquant à Hong Kong, à Mumbaï, à Rio ou à Paris.»

Ce nouveau conformisme est particulièrement pervers au sens où il ne s’agit pas d’une idéologie préfabriquée, fût-elle «soft», mais d’une perpétuelle adéquation de produits culturels manufacturés à la demande du moment. Dans cette nouvelle culture mondiale, il n’y a qu’un seul impératif, une seule géopolitique: le fric. Tel est le fond de la démonstration de Frédéric Martel. Elle fait mouche, lorsqu’on voit l’auteur sur toutes les chaînes de télé nous vanter les mérites de l’«entertainment» à l’américaine. Mais elle ne convainc pas lorsqu’il insiste sur le prodigieux retard européen dans le «mainstream» («le courant dominant») mondial.

Faut-il céder au chantage du marché mondial de la culture ou s’organiser en « contre-cultures » (un mot employé par Benoît XVI à Malte), résistant à l’unanimité consumériste? Poser la question, c’est y ré pondre. Et ne serait-ce pas le rôle, à nouveau pilote, de l’Europe que de développer cette contre-culture de la liberté, face au formatage mondialisé? L’avenir le dira. En tout cas, si la culture n’est qu’un produit parmi d’autres, ou un en semble de produits, alors l’homme lui-même, qui est forcément perfectionné par sa culture, va devenir une marchandise, dans un nouvel esclavage généralisé.

Ne nous croyons pas si démunis que cela dans la résistance spirituelle face à la marchandisation de l’esprit: le progrès des techniques de la communication a du bon. Il est de plus en plus facile d’éditer un livre. Cela devient un jeu d’enfant d’animer un blog sur Internet. Et pourquoi pas de réaliser, pour les diffuser via dailymotion ou youtube, ses propres clips, ses propres émissions?

Quoi qu’en pense Frédéric Martel, c’est la culture de masse qui est ringarde. Les contre-cultures, qui se multiplient, en particulier en Europe, semblent aujourd’hui, face au mainstream, porter déjà toutes les couleurs de l’avenir… Cela pourrait bien faire le jeu des extrêmes? Eh bien! Tant pis, notre liberté est à ce prix.

Joël Prieur


Frédéric Martel, Mainstream, Enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde, éd. Flammarion, 469 pp. 27,50 euros port compris. Sur commande à : Minute, 15 rue d’Estrées, 75007 Paris