vendredi 19 novembre 2010

Je mens si je dis la vérité pour moi...

Sans doute me trouvez vous trop rare sur metablog. C'est que je tente désespérément d'en finir avec mon livre sur La foi de Pascal et la nôtre. Et j'ai, en chemin, de grandes tentations. Avez-vous jamais ouvert les trois tomes en Pléiade du Port Royal de Sainte-Beuve. C'est simplement sublime. J'avais eu l'occasion d'en commencer la lecture au Gabon il y a vingt ans parce que le premier tome traînait, on ne sait pourquoi, dans la bibliothèque (de même qu'il y avait un exemplaire fort défraichi de Mes idées politiques (Maurras) dédicacé à un vieux missionnaire au Gabon par son frère resté en Métropole et du même auteur un exemplaire de son Mistral. Curieuses lectures des héros de l'apostolat que sont les missionnaires de l'ancien temps ! J'avais décidé de lire tout Sainte-Beuve et m'étais arrêté à la moitié du premier volume. J'ai repris cette lecture récemment avec... ravissement. Quel esprit ! Et quelle précision en même temps!

Voici, extrait du livre V, à la fin du troisième tome (P. 930), une magnifique formule de Pierre Nicole (que l'on ne cite plus guère, mais qui a tout de même sa rue à Paris, sur la paroisse Saint Jacques du Haut Pas sur le territoire de laquelle il vécut, quand il n'était pas en exil). Il nous entretient de quelque chose pour quoi il a combattu toute sa vie : la vérité. C'est extrait de l'un de ses Petits Traités de morale, dont le titre est à lui seul tout un programme : Qu'il y a beaucoup à craindre dans les contestations pour ceux mêmes qui ont raison.

Voici : "On peut blesser la vérité en diverses manières et il n'est pas juste que ceux qui la blessent d'une manière parlent durement de ceux qui la blessent en une autre. On blesse la vérité en la combattant, en lui résistant, en ne lui cédant pas, en inspirant aux autres la fausseté, cela est vrai. Mais on ne la blesse pas moins en s'en glorifiant et en l'employant à nos intérêts et à notre vanité".

Grande idée augustinienne et pascalienne : "la vérité qui ne se tourne pas à la charité est une idole". La vérité au service de l'ego, c'est une contradiction dans les termes. il est au moins aussi grave de se servir de la vérité du Christ pour affirmer ou affermir son ego vacillant que de lutter contre elle dit Nicole. On comprend qu'au tournant des années 1670, il ait souhaité en finir avec les polémiques, auxquelles toute sa vie son grand ami Antoine Arnauld resta assidu. Mais comme il est difficile de servir la vérité sans s'en servir.

4 commentaires:

  1. Peux-t-on dire à l'inverse que la charité sans la vérité est aussi une idole? Autrement dit que l'humanisme-humanitarisme de notre modernité, "vertu chrétienne devenue folle", est vide et vain parceque découplé de toute transcendance?

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  2. Effectivement, vous avez raison Monsieur L'Abbé.
    Se trouve siuvent ce danger d'orgueil dans cette défense de la vérité objective.
    Le but dans un tel combat n'est pas de s'en orgueillir en montrant que nous avons raison mais plutôt de prouver que notre recherche représente la réalité des choses. Dans la recherche objective de la Vérité se cache cette tentation d'une supériorité de l'intelligence devant l'adversaire. Or il en est rien puisque la recherche de la Vérité est une grâce qu'il nous faut demander pour enfin la partager après la trouvaille.. Il nous faut bien prier pour l'humilité et le discernement.

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  3. Monsieur l'Abbé,

    On devrait vous canoniser tout vivant car il en faut du courage pour lire l'intégralité des oeuvres de Sainte-Beuve. Je ne connais personne (même les profs de Sorbonne ou du Collège de France) qui y soit parvenu.

    L'histoire de Port-Royal c'est quand même bien c...

    Pour moi Sainte-Beuve c'est une rue de Paris.

    Je serais votre mèdecin, je vous prescrirai un (long) repos avec une cure de Simenon ou de Tintin.

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  4. Je me réjouis, Monsieur l'abbé, que, si vous êtes sociologiquement classé parmi les "intransigeants", vous n'oubliiez jamais "la vérité contraire" afin de ne pas devenir un hérésiarque et que vous vous sentiez par conséquent plus proche de Pierre Nicole que d'antoine arnauld. Jeudi soir dernier, j'ai assisté à une conférence où le professeur Jacky guëtschel, très imprégné d'emmanuel Lévinas, disait au cercle d'"amitiés judéochrétiennes" dont je fais partie que, pour les rabbins, Dieu avait créé le monde dans dix intentions (le nombre dix est très important pour les exégètes de la Bible hébraïque): le shabbat, le monde créé pour l'homme et pour la réalisation du type humain abrahamique accomplie dans sa perfection par le "fils de l'Homme" (advenu ou à venir), enfin les grands transcendantaux grecs comme la vérité, la justice, la paix, mais à cette différence près que ces valeurs ne seraient pas considérées comme des transcendantaux ou des absolus, Dieu Seul, l'Unique Etant un absolu: une réfutation par avance de la lecture kantienne qui rejoint bien celle que claude Tresmontant a cru pouvoir déduire de sa fréquentation des Ecritures avec sa connaissance de l'Hébreu. Et le conférencier d'ajouter que, si une de ces valeurs se mettait à l'emporter sur les autres, elle deviendrait une idole. "L'idole, c'est la confiscation du regard": ce n'est pas l'idole qui pervertit le regard, c'est le regard qui pervertit en idole cette catégorie du désirable sur laquelle il se pose exclusivement pour en faire l'unique objet de son désir. Ici, c'est la vérité, pour la défense de laquelle on n'entreprendrait pas une "recherche objective", mais on entrerait dans une appropriation idolâtre, où la vérité deviendrait notre bien propre, que nous pourrions asséner à d'autres en croyant leur partager notre bien.

    Je suis toujours resté perplexe devant cette primauté de la vérité réaffirmée depuis la fin des années 90 et du pontificat de Jean-Paul II. Je l'ai vue, non seulement adopter ce ton défensif -comment la vérité pourrait-elle être sur la défensive?- Mais encore avais-je l'impression que ce primat de la vérité s'affirmait, non seulement au détriment de la charité dans l'ordre des vertus vécues, mais philosophiquement au détriment de la liberté qui peut-être était mon idole. Mais une chose n'en reste pas moins vraie (si je puis dire en parlant de la vérité): c'est que celui qui met de la liberté dans sa vie y met plus de charité que celui qui ne croit vivre que pour la vérité. La Vérité n'est pas un but: le Christ Est la vérité, mais Il est aussi le chemin. Il est le Chemin et Il est aussi la Vie, non seulement dans le sens où celle-ci a ses "lois" naturelles auxquelles on ne peut déroger, mais au sens où la vie bouleverse toutes les petites ou grandes idées que nous nous faisons sur tout. Prenons le Chemin de la Vérité en aimant la vie qui nous a donné la vie, la Vie qui nous traverse, nous bouleverse et ne cesse de nous dérouter, au pint qu'il ne saurait y avoir d'hommes que pécheurs et de prêtres que pour les pécheurs!

    J. WEINZAEPFLEN

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