mercredi 17 février 2016

L'homme par qui la réforme liturgique est arrivé

Yves Chiron vient de consacrer un livre à celui qui fut la cheville ouvrière de la réforme liturgique et en quelque sorte l’inventeur de la messe dite « de Paul VI », Mgr Annibale Bugnini. Une occasion de revenir sur ce qui a été une véritable révolution spirituelle au XXème siècle.
Cet article figure dans le dernier numéro du Magazine Monde et Vie.
A l’origine de tout, il y a un homme, un organisateur hors pair plus qu’un théologien, Mgr Bugnini. En 1949, alors qu’il est directeur de la revue Ephemerides liturgicae, il lance une grande enquête qu’il intitule « Pour une réforme liturgique générale ». Et il justifie son titre : « Ou la réforme liturgique sera générale ou elle finira par ne satisfaire personne parce qu’elle laissera les choses comme elles sont, avec leurs déficiences, leurs incongruités, et leurs difficultés ». Bugnini était un précurseur.

Le pape Pie XII avait lui-même lancé l’idée d’une réforme liturgique (il avait d’ailleurs caressé la possibilité d’organiser un Concile). Comme tout bon chef, il avait créé une Commission, qu’on appellera ensuite la Commissio piana : elle siègera sans grands enjeux, même après sa mort. Pourtant, le pape Pacelli avait fait œuvre de réformateur, en retraduisant entièrement le psautier de saint Jérôme, dont le latin n’était pas assez classique au goût des cicéroniens mitrés. Résultat ? La traduction Bea, partout imposé avec autorité, qui substituait un latin de fort en thème au latin poétique (parfois jusqu’à l’obscurité) utilisé par saint Jérôme au IVème siècle. Echec cinglant de cette première réforme ; personne ne voulut de ces nouvelles traductions. Mais cela ne découragea nullement les réformateurs en herbe, parmi lesquels Mgr Bugnini.

Il avait compris deux choses : dans ce temps - les années 60 du siècle vingtième -, le prurit du changement est très fort, ceux qui changent ont raison a priori. On peut toucher à tout, même au latin de saint Jérôme, on peut échouer, comme Pie XII a échoué avec la traduction Bea, mais il faut être avec le pape. Et surtout il faut savoir être prudent et ne prendre personne de front. « Remittatur quaestio post concilium » dit souvent le Rapporteur Bugnini : on verra après le Concile. Fin manœuvrier, notre homme montre son savoir-faire en organisant les réunions de préparation pour la première constitution conciliaire, qui porte justement sur la liturgie, Sacrosanctum concilium. C’est un texte qui ouvre beaucoup de portes et ne va au bout de rien, un texte prudent, qui, en cette qualité, a pu recueillir les signatures de la quasi-unanimité des Pères conciliaires. Alors qu’il est plutôt en marge du Concile lui-même, le Père Bugnini fait la rencontre qui va changer sa vie : le cardinal Montini, archevêque de Milan, prône un large recours aux langues vernaculaire. Bugnini a trouvé son homme. Quelques semaines plus tard, cet homme devient pape sous le nom de Paul VI, avec un mandat : continuer le Concile.

Mais comment réformer ? Fait unique dans l’histoire de l’Eglise, le pape Paul VI n’hésite pas à doubler l’administration officielle de l’Eglise. Il crée une structure qui s’appellera modestement Consilium, le Conseil, mais qui, directement issue du Concile, considèrera qu’elle a tous les pouvoirs. A sa tête le cardinal rouge, Lercaro, archevêque de Bologne. Le secrétariat est confié au Père Bugnini. C’est lui qui va créer de toutes pièces, en faisant appel à des évêques et à des experts du monde entier, une machine à pondre des textes, et cela dans tous les domaines, du martyrologe au Bréviaire, de la consécration des vierges aux exorcismes. Le sommet bien sûr : les nouvelles « prières eucharistiques » appelées à se substituer au Canon romain. Yves Chiron cite le théologien Louis Bouyer, racontant dans ses mémoires comment telle prière eucharistique fut écrite sur un coin de table dans une trattoria du Trastevere. Bugnini veillait au rythme de production de son Think-tank ! C’est à lui que l’on doit attribuer l’extraordinaire efficacité de la réforme romaine de la liturgie.

Comment expliquer sa disgrâce et qu’il ait été brutalement envoyé comme nonce à Téhéran (après qu’on lui ait proposé l’Uruguay) ? Yves Chiron examine soigneusement l’hypothèse souvent avancée : on aurait découvert que Bugnini était franc-maçon. Dans Il faut que Rome soit détruite, Marc Dem racontait avec verve Bugnini oubliant sa serviette, avec des documents compromettants prouvant son affiliation. Nous sommes au temps de la splendeur de la Loge P2. Tout est possible.  Yves Chiron ne trouve pas de preuve à charge. Il ne cite pas Marc Dem, qui lui-même ne citait pas ses sources… Il semble que la véritable raison de la disgrâce pontificale tient plutôt dans la manière dont Bugnini, sûr de son pouvoir sur le pape, avait tenté de faire passer en force de nouvelles prières eucharistiques. Il fallait bien arrêter d’une manière ou d’une autre la machine à produire en chambre. On peut dire que l’Eglise ne s’est pas relevé de cette réforme à marche forcée, qui, loin de remplir les églises comme on pensait naïvement qu’elle le ferait, les a implacablement vidées dans le grand bazar des années 70.
Un livre à méditer. Une biographie qui sera demain un lieu théologique sur les origines de la nouvelle messe.

Yves Chiron, Annibale Bugnini, éd. Desclée de Brouwer 222 pp. 18, 90 euros

5 commentaires:

  1. Il est possible que les églises en Europe ont devenu vides,après CVII, mais en Amérique du Sud , elles restent pleines, en particulier dans les petites villes. Alors que les messes latines ont généralement vingt à cinquante personnes au maximum.
    Je pense que la messe en latin est ni meilleur ni pire que la messe en langue vernaculaire. Les gens ont leurs préférences et il est inutile une controverse à ce sujet. Les deux messes sont valables.
    Le problème est dans la tête des gens... qui aiment les polémiques , ou comme nous disons ici, de chercher “poils dans l´oeuf.” Après notre mort, j e suis sûr que Dieu ne nous demandera pas quel type de messe nous avons assisté.
    Dieu va nous poser des questions sur le bien ou le mal que nous avons fait!...
    Il ne vaut pas la peine de nous préoccuper avec les “formes”, ou “l´extérieur”, mais avec l´intérieur, le contenu. Christ a lui-même critiqué les pharisiens pour leur préoccupation excessive avec l ´extérieur...et entre outres choses, il les appelait “des sépulcres blanchis”, à cause de cela. Et à une autre ocasion, Christ a dit: “Les prostituées et les voleurs entreront dans le ciel devant vous.” C`est ça.
    N.N.

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  2. Il pourrait arriver que la silhouette de l’épouvantail Sarko décroisse dans l’univers des possibles jusqu’à dépasser la ligne d’horizon. Dans le même temps, comme un balancier bien réglé, surgirait du passé celle du patibulaire Juppé, ses bottes, son bordeaux, sa suffisance énarchique insupportable, le meilleur de Chirac. A ses côtés se tiendrait le Blayrou des montagnes, fidèle représentant du juste milieu.
    En face la belle Guyanaise semble s’être retirée des voitures. Alors Mélenchon parait, sérieux, costaud, crédible. Les deux, ensemble ou séparément sont capables de refaire le coup de 2002.
    Sauf coup de Jarnac (très socialiste Jarnac), Marine éliminée FN interdit, on s’achemine vers Juppé-Le Pen.
    Dans l’état intellectuel et moral actuel des Français comment imaginer que plus d’un sur deux se raviserait.
    Juppé quinquennat. Pour 2022 consulter le clodo merveilleux.
    La politique fiction c’est assez simple mais peu cocasse.

    La suppression de l’orthographe pourrait avoir une conséquence heureuse. Couplée avec celle du calcul mental et de l’arithmétique, déjà acquise par la mise sur le marché des calculettes et avec la prise en charge de l’Histoire-Géo-Sciences Nat par la télévision, on est en mesure de supprimer l’école primaire.
    Que faire des bâtiments ? En installant 20 châlits par classe on peut loger 5 millions de migrants.
    Que faire du million d’instits, des personnels administratifs y afférents, des syndicalistes, des mutualistes, les œuvres laïques ? Autant de fonctionnaires à virer.
    En échange de la petite indemnité qui leur serait allouée ils seraient chargés d’apprendre à ces nouveaux venus les valeurs de la République. C’est bien le moindre que l’on puisse attendre du corps des hussards noirs.
    Coup double. Ce serait priver GretchenMerken d’une armée de travailleurs qu’elle souhaitait accueillir en Germanie pour fabriquer des produits dont elle inonderait l’Europe.
    L’économie politique ce n’est pas toujours simple mais parfois efficace.

    Tout n’est pas mauvais outre-Atlantique. Telle cette saynète du savoureux « Margin Call ».
    Le couple en question est divorcé. Normal, c’est un film actuel.
    La femme a gardé la maison. Normal, on est aux US.
    Le mari a gardé le chien. Normal, l’épouse n’était pas intéressée.
    Le chien meurt d’un cancer au cerveau. Normal, tout le monde mange Monsanto là-bas.
    Alors l’homme va enterrer son compagnon nuitamment dans la pelouse familiale.
    La femme alertée par le bruit de cet inconnu qui creuse un trou chez elle appelle la police. Normal, on est à NY.
    La police arrive immédiatement. Normal, on n’est pas dans une banlieue française.
    On s’explique correctement. Normal, le terrassier est blanc.
    Tout rentre dans l’ordre, c’est un ami du maire. Normal, nous sommes dans une démocratie.

    Après un récent voyage aux Amériques une lancinante question nous torture. Nous autres catholiques européens nous a-t-on bien regardés ? Nous a-t-on bien mesurés ?
    Pour gommer notre « fatigue, notre apathie, notre méfiance » on nous présente une première trilogie. Elle est bancale, la vanité n’étant que l’orgueil des imbéciles. Reste en lice richesse et orgueil.

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  3. Notre richesse, bien ou mal acquise, nous est arrachée chaque jour davantage, sans adhésion c'est-à-dire sans charité. Le pain de la sueur de notre front est largement consommé par « l’autre », multiple et vindicatif. Les biens « qui ont été donnés à tous » - donc aussi à nous – sont dégradés irréversiblement. Y compris ceux qui sont « productifs » de pain.
    Nous convenons volontiers qu’il y a pire. Mais est-ce raisonnable de culpabiliser ceux qui ne crèvent pas à même le sol sur les trottoirs de Calcutta, qui ne se prostituent pas dans les favelas de Rio, qui ne succombent pas dans les épidémies de l’Afrique profonde faute de soins ? Que peut-on attendre d’une telle problématique ? La richesse comme « spoliation du pain de tous, appropriation illégitime de biens », c’est absurde.

    Notre orgueil. Il y a dans l’histoire de l’humanité des moments rares au cours desquels une civilisation, avant de disparaître, subie des avanies telles qu’elle hâte elle-même sa fin. Convaincue que sa culture, son art de vivre, ses traditions sont abjectes, elle prête la main aux destructeurs. L’Europe vit ce moment.
    A ceux qui, chaque matin constatent de nouvelles dégradations devant leur porte, matérielles, intellectuelles, esthétiques et morales, est-il judicieux, dans la profonde affliction où ils sont plongés, s’apprêtant à s’y noyer, de venir leur évoquer l’orgueil ? Méchanceté, inconscience ?

    La seconde trilogie qui nous est proposée est plus homogène. Contrairement à la précédente, qui est tripode, celle-ci, tout d’un bloc, se réduit aisément à l’unité. « L’argent, la gloire, le pouvoir ». Trois pans d’un même monticule, intriqués deux par deux, se rejoignant au sommet dans toute l’acception du terme. L’argent, c’est le pouvoir, qui donne la gloire, qui donne le pouvoir, qui donne l’argent.

    L’argent. Notre richesse, celle que nous avons, nous sert à remplacer un appareil quand celui que l’on utilise est hors d‘usage. Pas plus. Nous confessons humblement que nous avons un toit pour abriter notre famille du froid, de la pluie, des regards indiscrets, que nous nous sustentons suffisamment chaque jour – pour le moment - que nous avons l’eau courante, l’électricité. Notre économie est purement domestique.
    Ceux qui possèdent des milliards de dollars, des entreprises, des actions, de l’or, des diamants, des terres, des plantations, des mines, des îles, ce n’est pas nous, quelque soit la nature de la richesse. Nous ne saurions que faire de tout cela

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  4. La gloire. Qu’est-ce ? demanderait Falstaff. « Recherche exacerbée de cinq minutes de gloire ». La gloire : le mort à Sainte-Hélène, le lent pourrissement du cerveau syphilitique de la Place Rouge, les 40 poignards des fils de César, le Philippard fuyant avec ses tableaux et ses meubles ?

    Le pouvoir. Le pouvoir c’est tout, c’est le tout. Nous ne l’avons pas. Nous ne connaissons personne qui en a. Où est-il ? Y en a-t-il dans notre pays ? Monsieur Hôland lui-même en a-t-il vraiment ? On ne sait. C’est mystérieux le pouvoir, le véritable se cache. Peut-être que c’est mieux ainsi, qu’il est trop dégueulasse pour se montrer.
    Adjoindre l’argent et la gloire au pouvoir c’est une faute, une démarche démobilisatrice, une tentative trompeuse. Ce qui importe c’est réfléchir sur sa nature objective.
    Nous sommes coupables parce que nous ne sommes pas responsables. Détruire l’Europe ne sauvera pas l’Afrique, ni l’Amérique Latine, ni personne.

    Reste à examiner la formule « Transformant l’arbre tombé eu bois de chauffage » particulièrement obscure. On pense à une objection écologique ou à une allusion à un ouvrage du pitre Malraux. Nous espérons humblement que notre abbé nous ouvrira les portes théologiques, métaphysiques, vétérotestamentaires ou mythologiques de ce rébus.

    Le Pape qui aimait les femmes n’est pas le dernier film de Truffaut mais un documentaire de télévision, événement culturel de la semaine. Emoustillé par le titre pipole on le visionne, à l’affût des dérapages habituels. Rien de cela, on est ravi.
    Ce récit d’une relation épistolaire de 30 années entre Jean-Paul II et une jolie philosophe polonaise Anna Tereza Tymieniecka nous incite à réfléchir sur les voies de la Providence.
    Comment un petit garçon, privé très jeune de la présence maternelle, perdant un frère unique, orphelin à 20 ans, peut-il devenir le monument sans doute le plus imposant du XXème siècle, assurément un grand Saint.
    Poète à ses heures, acteur possédé par le théâtre, l’acquisition d’une sensibilité profonde, si nécessaire, ne peut faire l’impasse de la fréquentation d’une moitié des humains, celle en laquelle ces facultés sensitives sont les plus développées.
    Parallèlement son amour contemplatif de la nature, des montagnes de Pologne aux lacs de Mazurie, aiguisera cette sensibilité et, le temps du Pape venu, il méditera sur la splendeur de la création.
    Le jeune prêtre de Cracovie, mêlera les deux en entraînant des groupes de jeunes dans les forêts avec le secret désir d’en marier un grand nombre ; sa joie.
    Avec Anna Tereza la relation est intellectuelle, de philosophe à philosophe. Belle figure de femme polonaise elle a été un « ingrédient » affectif fort pour un compatriote, coupé de sa patrie, prisonnier dans le palais où l’on gère l’humanité.

    Le coup de pied de l’âne, la fausse note, est venue, comme d’habitude, du chroniqueur du Monde, l’imperturbable Tincq, avec ses sempiternelles questions d’une grande vulgarité.

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  5. "Le clodo merveilleux" a cet avantage sur "Charlie bedeau" qu'il essaie de rester dans le sujet des articles. Toutefois il tient à féliciter ce contributeur relativement récent et plus intarissable que lui d'avoir compris (et c'est l'essence du "moment Charlie") est que l'Europe s'effondre parce qu'elle a perdu le sens de la responsabilité. En cela, à moins de se ressaisir, elle ne mérite plus d'être une civilisation. Car la civilisation implique la responsabilité. Caïn, dont on fait le père réel ou mythique de la civilisation contre son frère Abel, le pasteur nomade, n'a jamais demandé à être dégagé de la culpabilité du fratricide qu'il avait commis. Nous ne cessons de faire le contraire et c'est ce qui précipite notre ruine.

    Mais pour réagir à l'article de notre abbé, vous reprochez au "carthaginois de la liturgie" d'avoir multiplié les proposition de prières eucharistiques en créant des "chambres de rédaction" qui pouvaient se réunir et gratter du papier sur un coin de table de café. On peut écrire partout (et dans tous les états) des choses saintes. Dieu ne s'arrête pas plus aux conditions extérieuresqu'aux apparences trompeuses.

    Est-ce que les prières eucharistiques sont indigentes par la qualité d'écriture? Elles sont souvent trop littéraires pour que, même prononcées en langue vernaculaire afin qu'un chacun les entende, le fidèle peu instruit puisse savoir ce qu'elles signifient. Le P. Daniel Ange, dont on a appris depuis qu'il célébrait toutes ses messes privées selon le rite non réformé de Saint-Pi V, a raconté au cours d'une conférence comment, devant célébrer la divine liturgie au sein d'un hôpital psychiatrique, il s'était livré à une traduction spontanée des phrases ampoulées du canon pour que son auditoire comprenne et puisse participer.

    Est-ce que "la prière eucharistique de toujours", ou est-ce que nos prières eucharistiques rénovées ont épuisé l'entièreté des besoins des hommes qu'il s'agit de présenter au Père en même temps qu'est renouvelé le sacrifice non sanglant de Son Fils? Cette question vaut d'être posée pour comprendre par quelle superstition vous faites reposer le rite sur la répétition des mêmes termes et ne souffrez pas qu'on en cherche des nouveaux. Il faut convenir que ces prières sont assez complètes. Mais le sont-elles au point de ne pas avoir à être complétées? Si c'est le seul péché dont vous êtes certain qu'Hannibal Bugnini soit convaincu, fallait-il que le traditionalisme catholique le voue à ce point aux gémonies depuis quarante-cinq ans?

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