samedi 16 octobre 2021

Tout-puissant

Le Tout-puissant dit-on; Cette toute-puissance est le propre de Dieu. Elle le désigne. Mais qu'entend-on par toute-puissance ? Deux choses précisément : la puissance créatrice, que nous étudierons dans la prochaine méditation ; et puis  la puissance surnaturelle ou sur-créatrice, qui comporte elle-même deux manifestations principales : d'une part, le don des miracles, ces actes qui dépassent la nature des choses, actes qui sont possibles parce que Dieu, nous le verrons, n'est pas tenu à la règle ou aux règles qu'il a directement instaurées. Il y a d'autre part et finalement le don de la grâce divine par lequel Dieu partage avec nous, qui ne sommes que des animaux plus ou moins raisonnables, son éternité. 

Disons d'abord que la toute-puissance de Dieu n'est pas seulement créatrice mais sur-créatrice : elle peut produire des miracles. On sait combien, à notre époque, l'idée même de miracle est disqualifiée et disqualifiante. Ernest Renan, dans la préface de la 13ème édition de sa fameuse Vie de Jésus dit : "Je ne crois pas au miracle pour la même raison que je ne crois pas aux hippocentaures et cette raison est qu'on n'en a jamais vu" Au moment où il écrivait cela, la Vierge Marie apparaissait à Lourdes où les miracles se multipliaient. Il aurait suffi qu'Ernest Renan prenne le tout nouveau chemin de fer pour se rendre à Lourdes. Un peu plus tard, le docteur Alexis Carrel, venu à Lourdes par le chemin de fer pour expertiser ce qu'il pensait être une illusion assista contre toute attente à un miracle en direct, ce qui fit de lui un défenseur des Apparitions, même s'il mettra dix ans à retrouver la foi.

L'opposition culturelle aux miracles ne vient pas de ce qu'il n'y en ait pas de constatable mais d'un préjugé scientiste et rationaliste universellement partagé au XIXème siècle. La physique est soumise à des lois invariables qui ne changent jamais, Les mouvements astraux par exemple, sauf comètes, sont calculables, ils ne changent jamais. Mais alors, comment est-il possible que le 13 août 1917 à Fatima, quelque 20 000 personnes ont pu témoigner de la danse du soleil dont la Vierge avait fait le miracle qui attesterait la vérité de ses propos ? Cette gigantesque illusion d'optique, qui touche croyants et incroyants, est-elle explicable sans que Dieu ne s'en soit mêlé d'une manière ou d'une autre ?

Il y a deux grands types de miracles : ceux qui présentent l'accélération d'un processus naturel. C'est à ce type de miracle qu'a assisté Alexis Carrel : une plaie a cicatrisé sous ses yeux. Et, plus grands, ceux qui semblent contredire les lois de la nature, comme ce malade qui voit sans nerf optique, miracle de Lourdes parfaitement documenté. Le miracle de Lanciano en Italie constitue un miracle eucharistique permanent. Au IXème siècle, l'hostie se transforme en chair de façon réelle. On a aujourd'hui analysé ce morceau de chair qui constitue une partie du muscle cardiaque. Chaque fois qu'il est analysé, ce morceau de chair appartient à un homme qui vient de mourir. C'est comme cela depuis le IXème siècle. Les savants du XXème siècle ont pu expérimenter et identifier ce miracle qui dure depuis plus de dix siècles. Mais pas l'expliquer. Ce miracle ne représente pas l'accélération d'un processus naturel mais la suspension sans que l'on sache combien de temps cela durera, de ce processus naturel de pourrissement qui touche toute chair. Dans le même ordre de suspension du processus biologique, il y a, nous l'avons dit déjà, cet aveugle qui, à Lourdes, s'est mis à voir sans nerf optique.

Si on remonte, de ces faits constatés, à leur explication éventuelle, il faut dire que le miracle, si rare soit-il (un seul suffirait) est possible si et seulement si l'on accepte que Dieu n'est pas uniquement la cause rationnelle de l'univers, qui ne peut pas agir autrement qu'il agit, selon une raison universelle implacable. Il est plutôt cause libre. Il crée par sa volonté, sans jamais avoir été obligé de créer ni les lois qu'il a posées ni les choses qu'il a pensées et sans qu'il  ait été obligé de donner l'être aux mille et une combinaisons possibles d'un esprit infini

C'est dans l'histoire humaine que l'on constate le mieux ce que j'aimerais appeler la fantaisie de ce monde créé par Dieu. "Le nez de Cléopâtre aurait été plus court, la face du monde en eût été changée" expliquait Pascal pour défendre la liberté de l'histoire humaine contre l'orgueilleuse nécessité rationnelle, seule prise en compte par son contemporain Spinoza. De ce dernier, on disait en guise d'oraison funèbre : "Il était vrai de toute éternité que Spinoza devait mourir à La Haye le 21 février 1677". Pour lui, le moindre événement empruntait au Principe toute sa nécessité. C'est ce culte de la nécessité qui permet au philosophe de se passer de Dieu : Dieu c'est la raison et la raison c'est tout.

Alors certes, le monde physique est infiniment moins libre que le monde moral, mais l'exception miraculeuse s'y trouve réalisée parfois, sous la forme du miracle clairement établi comme phénomène extra-ordinaire. Il nous appartient de voir comment cette exception, comment ce miracle est pensable. La métaphysique rationaliste qui voudrait que tout événement soit rationnellement explicable est aujourd'hui considérée comme insuffisante. Certes la Toute-puissance de Dieu ne saurait remettre en cause les principes élémentaires d'identité ou de non contradiction. Dieu lui-même ne saurait faire qu'une chose ne soit ce qu'elle est. Mais Dieu n'est pas l'esclave du monde qu'il a créé, nous le verrons dans la prochaine méditation sur l'idée de création.

La métaphysique chrétienne, comme l'avait bien perçu Descartes, est une métaphysique de la liberté. Mais à quoi servent ces considérations métaphysiques ? A comprendre la manière exceptionnelle dont Dieu agit avec nous pour note salut et comment il nous introduit dans le surnaturel, en lui finalement. Le salut éternel fait irruption dans nos vies comme un miracle, nous démontrant que l'homme ne se réduit pas à sa biologie, ni ne se limite aux aspirations contradictoires d'un animal raisonnable. Son désir n'est pas seulement l'obscur appétit charnel. Il ne le sait pas forcément, mais il naît sur la terre pour être divinisé dans le ciel. Par l'intervention inespérée du Christ, il peut échapper à son ignorance et au déterminisme de ses désirs qui ne sont que des besoins, pour découvrir, dans la lumière, un autre désir, le désir d'aimer, un nouvel élan, qui lui apparaît petit à petit comme celui qui le porte vers l'existence divine, en prenant son coeur tout entier. 

Le salut est une extraordinaire délocalisation qui commence sur la terre et se termine dans le ciel. Pascal encore l'avait bien compris : sur cette nouvelle création, il suffit de parier, et nous participerons de ce que l'on peut appeler après saint Paul la divine métamorphose, la métamorphose surnaturelle. La toute-puissance de Dieu lui fait envisager pour l'homme qu'il a créé à son image, une nouvelle création, dans laquelle par la foi nous devenons "participants de la nature divine" (II Pi. 1, 4). "L'homme passe infiniment l'homme" dit Pascal. Magnum miraculum est homo, l'homme est un grand miracle avait prononcé Pic de la Mirandole. Cette transformation de nos horizons de vie est le miracle moral capital, auquel nul n'échappe..
De la part du Père, ce miracle de la divinisation de l'homme est universel ; en intention, Dieu n'oublie jamais personne. Mais nous, nous sommes capables de négliger cette miraculeuse invitation, vrai fruit de la Toute-puissance aimante et libre de Dieu.

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