mercredi 29 décembre 2021

Christ

Le nom Christ correspond à l'hébreu machiah qui signifie le messie, à la fois l'ambassadeur de Dieu auprès des hommes et le roi promis à Israël. Pour le philosophe juif Maïmonide, qui écrit quelque douze siècle après la naissance du Christ, et qui croit qu'il n'est pas encore advenu, "le roi Machiah se lèvera un jour pour rétablir la royauté de David en son état, comme lors de son institution, et il reconstruira le Temple, et il rassemblera les exilés d’Israël".

On le voit, pour les juifs l'appellation de "messie" est très politique. En ce sens, elle ne convient pas à la mission de Jésus. C'est pourtant ainsi que le voyaient ses propres apôtres après sa résurrection, juste avant son ascension. "Seigneur, est-ce maintenant que tu vas rétablir la royauté en Israël ?" (Ac. 1, 6). Un millénaire plus tard, Maïmonide utilise la même formule : "Le roi Massiah se lèvera un jour pour rétablir la royauté de David". Maïmonide ajoute au rétablissement de la Royauté, la reconstruction du Temple, détruit en 70.  Quant aux "exilés d'Israël", on parle déjà, dans un sens assez proche, dans saint Luc au chapitre 2, de ceux qui "attendent la consolation d'Israël" : ce sont les exilés de l'intérieur en quelque sorte. Le théologico-politique juif, ce nationalisme religieux, a défié les siècles. La venue du Messie Jésus n'a rien changé à cette mentalité messianique, la même dont il est question dans les Actes des apôtres, la même qui tombe sous la plume de Maïmonide.

Le grand historien protestant des origines chrétiennes, Oscar Cullmann,  note que, lorsque Jésus parle de lui-même, il n'emploie pas le nom de messie, mais l'expression "Fils de l'homme" parce que celle-ci n'est pas politique. Elle désigne cet homme assis à la droite de Dieu que prophétisa Daniel le Prophète (7, 14). Et Cullmann de préciser : "Le Christ n'a, il est vrai, jamais refusé le titre de messie, mais il a toujours montré une réserve catégorique quand on le désignait ainsi. Il ne voulait pas qu'on en parlât et dès qu'on l'appelait ainsi, il imposait le silence" (Dieu et César 1956, p. 29).

L'expressions fils de l'homme ne présente pas cet inconvénient de la politisation. Elle représente une messianité spirituelle. La voici développée par le prophète Daniel, à la suite du prophète Ezéchiel : "Je considérais ces choses dans une vision de la nuit et je vis comme le Fils de l'homme qui venait avec les nuées du ciel et qui s'avança jusqu'à l'Ancien des jours [c'est un nom de Dieu]. Ils le présentèrent devant lui et il lui donna la puissance, l'honneur et le Royaume et tous les peuples. Et toutes les tribus et tous les peuples le serviront" (Dan. 7, 13 sq). 

On peut faire deux remarque : le fils de l'homme n'est plus le terreux, le poussiéreux, Adam fait de la poussière du sol. Il est un être qui vient du ciel et - deuxième remarque - c'est de cette origine céleste qu'il reçoit toute gloire, et le royaume, et les peuples nations et tribus de la terre. Tout comme le messie, le fils de l'homme est roi, mais sa royauté ne s'étend pas seulement sur Israël. Parce qu'elle est du ciel, elle s'étend sur le monde, ce que les juifs ne peuvent simplement pas imaginer, alors que leur nationalisme de l'époque est déjà pour eux comme une religion terrestre.

Cette inadéquation entre la conscience spirituelle que le Christ a de lui-même et l'attente politique que représente le messie pour le peuple juif est à l'origine de bien des incompréhensions. Le malentendu culmine en ce jour des Rameaux où le peuple de Jérusalem acclame à Jérusalem celui qu'il croit être son libérateur politique, alors que Jésus, volontairement fait son entrée monté sur un âne. Mais pourquoi un âne ? Comme pour ridiculiser cette attente trop politique, trop nationaliste dont le Messie est l'objet. 

On comprend que le thème du messie judaïque n'ait pas de suite dans les livres chrétiens. On utilise, c'est vrai, de plus en plus le mot messie aujourd'hui, mais c'est à contre histoire. Normalement les chrétiens n'utilisent que l'équivalent grec "christos", que l'on traduit par "oint". Que signifie cette onction christique ? Que le Christ est "descendant de David en ligne directe par les hommes", comme en atteste la double généalogie du Messie chez Matthieu et chez Luc. Ce fils de David est le chef d'un peuple nouveau dans un règne qui n'a pas de fin, comme l'explique l'ange Gabriel à Marie dans la droite ligne du prophète Daniel (Lc 1, 30). 

Le Christ porte ce nom grec non traduit pour justifier que son messianisme n'est pas celui du peuple juif mais celui d'un nouveau germe d'espérance pour le monde entier.

Voilà ce que signifie christos : roi et oint. Non pas roi de rencontre. Non pas roi suite à je ne sais quel bras de fer. Non pas Roi dans un seul pays. Roi parce qu'il en a reçu le droit d'en haut, c'est ce que signifie l'onction que le Christ porte dans son nom même.  Non pas roi d'un seul peuple, le peuple juif, mais roi de tous les peuples, parce que c'est l'humanité nouvelle que dirige le nouvel Adam, celui qui ne s'appelle pas pour rien le fils de l'homme puisque son ministère concerne toute l'humanité.

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