jeudi 10 mars 2022

Est ressuscité des morts

 Comment commenter cette sublime résurrection d'entre les morts ? Le mot qui désigne cette réalité n'existe ni dans l'hébreu biblique ni dans la langue grecque. Imitant le Christ lui-même qui annonce sa résurrection, en utilisant le verbe "se relever", on a fait de ce mot très général un terme propre pour désigner la résurrection. On utilise aussi le mot "se réveiller". Il n'y a pas de mot pour dire que qui a perdu la vie la retrouve.

Il y a trace de ce terme déjà, dans une mystérieuse prophétie du livre de Job. Texte pas assez cité ! Texte capital ! On connaît l'histoire de celui que Dieu n'appelle que "mon serviteur Job". Il fait tout pour le mieux et pourtant Dieu permet qu'il soit en quelque sorte livré à Satan, que sa fidélité soit éprouvée, que toutes sortes de malheur viennent l'assaillir et que cet homme brillant et chanceux devienne une opprobre pour son entourage, qui  voyant tous ses malheurs, les attribuera à un jugement de Dieu contre lui, Job. Ce dernier n'est pas loin de penser que Dieu le hait : "Le Seigneur m'a détruit de tous côtés et je péris ; il m'a ôté toute espérance comme à un arbre qui est arraché" (Job 19, 10). Ce qu'il va dire en prenant conscience de ses malheurs affreux, est d'une importance capitale : "Qui m'accordera que ces paroles soient écrites ? Qui me donnera qu'elles soient tracées dans un livre ?" (19, 17). 

Et voici les paroles décisives de Job, prophète, qui a expérimenté l'absurdité du mal et qui le dépasse par la foi : "Je sais que mon racheteur est vivant et que le dernier, il se relèvera de la poussière" (poussière : en hébreu le même mot que lorsque Dieu crée l'homme "de la poussière du sol"). Qui est le racheteur ? Dieu est racheteur : c'est lui le premier et dernier (Cf. Is. 44, 6), "l'alpha et l'oméga" (Apoc. 1, 8). Le Père Dhorme dans son monumental commentaire de Job, explique avec force : "Quels que soient les événements il aura le dernier mot" (p. 257) pour juger Job et le sauver de ces malheurs. Déjà en 16, 19, Job avait fait allusion à un mystérieux témoin, capable de plaider sa cause, de le défendre efficacement devant Dieu. "Ce témoin doit descendre du Ciel sur la terre" commente le Père Dhorme au vu de cet autre texte : "Le témoin de mon innocence est dans le ciel et celui qui connaît le fond de mon coeur réside en ces lieux sublimes". S'il descend du ciel, c'est pour libérer Job et ses semblables. Le ciel est son lieu naturel. Mais quel est cette libération ? A l'image du goël, une libération de la mort, qui donne à Job une nouvelle destinée. Comment la décrit-il ? "Derrière ma chair je me tiendrai debout et de ma chair je verrai Dieu". "Je le verrai visage à visage" ajoute saint Paul ; face à face (cf. I Co 13). Job précise encore : "Que je le verrai, dis-je, moi même et que je le contemplerai de mes propres yeux. C'est l'espérance que j''ai et qui reposera toujours dans mes reins" (v. 26).

Ce texte de Job montre bien que la création n'est pas finie, que le mal vient de cet inachèvement de la perspective, que l'espérance de la résurrection, - qui existe depuis des millénaires note étrangement Cajétan, dans son commentaire de ce passage de Job -, est au fond la grande justification de Dieu face à la puissance du mal, ce que Leibniz appellera sa théodicée. Ce texte marque deux choses à la fois : le goël, le racheteur demeurera en dernier : en se relevant de la poussière il aura, seul, le dernier mot : il n'y aura plus de morts que volontaires. Job subit la mort sur son tas de fumier, mais il la refuse de tout son être malgré le prêchi-prêcha de ses (faux) amis. Et si Job participe de cette victoire contre la mort qui est celle du racheteur, s'il peut se vanter de voir Dieu un jour visage à visage, nous même nous pouvons prétendre communier dans la même espérance de la résurrection. Le racheteur, debout au dessus de la poussière, est le second Adam, qui aboutit l'oeuvre commencé avec le premier, qui réalise sa destinée "super pulverem",  au dessus de la poussière, note encore Cajétan en revenant au sens littéral hébraïque et qui, en même temps fait aboutir la nôtre.

S'il est quelqu'un qui a compris l'importance existentielle et la dimension cosmique de la résurrection, par laquelle s'achève la création de l'homme, c'est bien saint Paul, chronologiquement le premier auteur du nouveau Testament. "Si le Christ n'est pas ressuscité, notre foi est vide" (I Co. 15). Qu'est-ce que la foi ? La capacité à recevoir intégralement la Parole de Dieu . Mais cela pourquoi ? Pour vivre une vie essentiellement personnelle, mais qui provient de la vie du Ressuscité et qui seule répond au grand "A quoi bon ?" qui nous saisit dans la perspective de la mort.

L'Univers tout entier est en attente de ce dépassement. Saint Paul, encore lui ! l'explique magnifiquement dans l'épître aux Romains ; Les créatures attendent avec grand désir la manifestation des enfants de Dieu (...). Nous savons que jusqu'à maintenant toutes les créatures soupirent et sont dans un travail d'enfantement" (Rom. 8, 19 et 22). La résurrection n'est pas un phénomène purement humain, mais elle concerne tous les êtres qui sont dans ce travail d'enfantement, dans cette métamorphose, dans cette lente genèse dans laquelle le Père Teilhard de Chardin a vu l'Evolution biologique et un accomplissement moral de l'humanité.

C'est la grande beauté de la résurrection : elle doit être vue à la fois comme la résultante d'une démarche individuelle de chacun, dont la clé est la foi. "Sans la foi, il est impossible de plaire à Dieu" dit l'épître aux Hébreux (11, 6), qui continue: "Pour s'approcher de Dieu, il faut croire premièrement qu'il y a un Dieu, et qu'il récompensera ceux qui le cherchent". Chacun doit s'examiner : de quelle foi est-il capable ? La foi en Jésus ressuscité est la foi en notre propre résurrection.

Mais en même temps qu'un acte personnel, la résurrection de Jésus est un signal donné à l'univers, la seule hypothèse tenable face à la puissance du mal. La résurrection  du fils de Dieu est le signal d'une résurrection qui touche l'univers tout entier ; Dieu n'a pas créé le monde en vain. La beauté du monde est sauvée par la résurrection du Fils de Dieu, qui indique à tout individu droit, que pour la première fois, la vie l'emporte sur la mort, elle cesse d'être une combinaison extrêmement hasardeuse, elle devient le destin du monde.


 

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