vendredi 8 octobre 2010

Sarkozy et le programme politique des catholiques

Cet article est publié dans le numéro sous presse de la revue Monde et Vie, avec tout un petit dossier sur les catholiques et la politique. Alors que notre Président vient de rencontrer le pape, il me semble de circonstance sur ce Blog.

La Doctrine sociale de l’Eglise a longtemps été négligée dans l’Eglise de l’Après concile. Sous Benoît XVI, elle revient en force, avec les mêmes principes que ceux de Léon XIII, mais des contenus sensiblement différents, qui tendent à réunir la droite et la gauche chrétienne contre un néo-libéralisme incarné en France, volens nolens, par Nicolas Sarkozy.
 
Les Etats généraux du christianisme, qui ont eu lieu à Lille fin septembre à l’instigation de Jean-Pierre Denis, le talentueux directeur de La Vie, ont vu un embryon de réconciliation entre les catholiques. Gageons que l’évolution des problématiques politiques n’est pas pour rien dans cette ouverture qui permit à l’abbé Vincent Ribeton, supérieur en France de la Fraternité Saint Pierre, de prendre la parole au cours de cette manifestation organisée par ce que l’on a appelé autrefois la gauche chrétienne.
 
De la même façon que l’on peut se demander s’il existe encore une gauche, quand on voit ce grand cadavre idéologique à la renverse, on doit s’interroger sur le devenir de la «gauche chrétienne». Il semble que les habits neufs de cette gauche chrétienne, son message d’aujourd’hui soit essentiellement à chercher autour de l’antilibéralisme – et de ce qu’en France on appelle pour faire vite l’antisarkozisme. Mais l’antilibéralisme, c’est aussi un thème très ancien de ce que l’on appellera «la droite chrétienne» la plus intransigeante. Il me semble que sous cette bannière, il n’est pas impossible que les frères ennemis du catholicisme français finissent par se rapprocher, en réalisant qu’ils ont finalement gardé beaucoup de choses en commun.
 
Comment pourrait-on caractériser un programme commun des catholiques français, en quelques points ?
  • A droite et à gauche, les catholiques français ont conscience de défendre une culture de vie, fondée sur l’amour, sur la famille, sur l’accueil et le respect de la vie depuis sa conception.
  • A droite et à gauche, les catholiques français ont conscience de défendre ce que Pie XI a appelé le principe de subsidiarité : l’idée que contre le gigantisme financier il faut défendre l’initiative privée et les entreprises, que contre les délocalisations, il faut défendre nos industries, que contre le magma bruxellois que l’on appelle Union européenne, il faut défendre la responsabilité et la culture des nations, ces «grandes institutrices des peuples» dont l’identité est en péril.
  • A droite et à gauche, les catholiques français prennent une conscience toujours plus aiguë du devoir où nous sommes tous de respecter la nature, don de Dieu, en mettant des limites à la consommation effrénée, qui détourne les hommes des vraies valeurs – celles de l’esprit.
  • A droite et à gauche, les catholiques français prennent conscience des dangers d’une mondialisation sauvage, organisée par une petite «élite» au nom du «laisser faire, laisser passer», c’est-à-dire au nom d’une liberté devenue folle.
  • A droite et à gauche, les catholiques français prennent conscience du fait que la catholicité de leur Eglise est la seule réponse chrétienne adéquate à ce qu’Alain Minc appela «la mondialisation heureuse» ou «l’ivresse démocratique».
Il faut reconnaître que le pape Benoît XVI a fait beaucoup, en particulier dans son encyclique Caritas in veritate pour acclimater des thèmes nouveaux dans la réflexion des chrétiens en politique. Le moment est venu sans doute, en particulier à gauche, de reconnaître que la doctrine sociale est bien aujourd’hui ce qu’elle a été a toutes les époques : la synthèse antilibérale dont nous avons besoin pour ne pas perdre nos âmes. Parmi d’autres petits signes encourageant à une union alternative de la Pensée chrétienne sociale, la publication aux éditions de L ‘Homme nouveau du livre de Joseph Pearce, Small is toujours beautiful (sic), semble indiquer que l’union des catholiques ne se fera pas par le centre (comme le voudrait Sarkozy en bon politique électoraliste) mais par les deux ailes réconciliées dans un même refus des abus de la liberté sans règle. N’y aurait-il pas dans cette réflexion sur la nécessité croissante d’un antilibéralisme l’esquisse d’une conversation intéressante entre le principal promoteur de cette nouvelle vision, Benoît XVI, et son principal adversaire en France, Nicolas Sarkozy ?

jeudi 7 octobre 2010

L'abbé Berche est très heureux de recevoir...

[Suite à son très grave accident, en janvier 2010] la communication par Internet avec l'abbé Berche est impossible. Par contre, il est très heureux de recevoir des cartes postales ou des lettres (et remercie mille fois ceux et celles qui lui en envoient - il en décore sa chambre), mais ne peut pas encore y répondre. Idem pour les courriels qu'il lit, sur papier, avec grand plaisir. On peut lui téléphoner. Il fait de beaux progrès en kiné : à vélo, il atteint maintenant 5 km ; aidé par les barres parallèles, il peut faire quelques petits pas ; son bras gauche (il est gaucher) remue un peu, mais il ne peut pas encore s'en servir, et son épaule reste très douloureuse. Il progresse lentement mais sûrement, ne se plaint jamais, mais c'est long (surtout les journées sans visite). Il se confie toujours à vos prières.

Et au sujet des visites, en voici ses horaires:
Du lundi au vendredi : de 16H30 à 20H00 ;
le samedi : de 17H00 à 20H00 ;
le dimanche : de 13H30 à 20H00.

Son n° tél. direct : 01 81 80 38 80 ou 06 12 61 12 73 avant 11H00 ou après 16H30..
Adresse : Hôpital Raymond Poincaré, 104 boulevard R. Poincaré à Garches (92380), Pavillon Netter, porte 416 (1er étage, chambre 106).
En voiture, facile de se garer dans l'hôpital.

Si vous allez à Garches par métro + bus, prendre la ligne n° 10 et descendre à la station Pont de Saint-Cloud. Puis, prendre le bus n° 460 jusqu'à l'arrêt "Hôpital de Garches" (en face de l'hôpital).

Depuis la Gare Saint-Lazare : prendre la direction Saint-Nom La Bretèche (toujours à gauche quand on est face aux quais) et descendre à Garches-Marne la Coquette (20 min. de train environ). En face de la gare, arrêt des bus 360 ou 460 qui mènent à l'hôpital en 5 min.

Le bus 360 part de l'Arche de La Défense jusqu'à l'Hôpital de Garches (terminus).

Horaires du bus 460 du Pont de Saint-Cloud à "Hôpital de Garches" (env. 15 min) :
- du Lundi au Vendredi : 15H27, 15H52, 16H20, 16H48,17H18, 17H44, 17H59 ; 18H24, 18H44 ; 19H09...
- le Samedi : 16H47 ; 17H15, 17H35 ; 18H07, 18H40, 19H00....
- le Dimanche : 14H14 ; 17H24 ; 20H34.

Horaires du bus 460 de l'"Hôpital de Garches" au Pont de Saint-Cloud :
- du Lundi au Vendredi : 16H35 ; 17H00, 17H15, 17H39 ; 18H04, 18H29 ; 19H00, 19H34, 19H49.
- le Samedi : 16H29, 16H54, 17H29, 18H04, 18H24 ; 19H00, 19H30, 20H07.
- le Dimanche : 13H42, 16H52, 20H02.

mardi 5 octobre 2010

[conf'] "L'Eglise et la République" par Philippe Prévost

Mardi 5 octobre 2010 à 20H00 au Centre Saint Paul (12 rue Saint Joseph - 75002 Paris) - "L'Eglise et la République" par Philippe Prévost - PAF 5€, tarif réduit à 2€ (étudiants, chômeurs, membres du clergé) - La conférence est suivie d’un verre de l’amitié.

Nuit blanche

En rentrant de Rome, assez tard samedi soir, j'ai dû prendre un taxi, qui m'a expliqué précautionneux, qu'il ne rentrait pas dans Paris, "à cause de la nuit blanche" et qu'il ferait le tour par le périphérique. Nous rentrons rue Frémicourt par la Porte de Vanves... Rue Castagnary déjà une animation inhabituelle règnait ; nous croisions quelques soulographes sympathiques mais rarement égarés en ces parages à cette heure. Boulevard Pasteur, c'était la fête partout. Manifestement, dans les bistrots ouverts, l'alcool coulait à flot. je ne suis pas un partisan de la prohibition, que l'on se rassure. Mais cette manière de se saoûler la gueule "tous ensemble, tous ensemble" comme dirait Ségolène dans ses trips fraternitaires, ça vous a quelque chose de profondément déprimant.

J'en parlai récemment avec une pensionnaire de Normale Sup qui m'expliquait que même Rue d'Ulm les "Clubs d'orgie" sont à la mode, avec pour objectif : "pcppc", comprenez : "prendre chair pour pas cher". Le défi de ces grands intellectuels fruit de la sélection républicaine? Se bourrer la gueule pour 25 centimes. Un sport comme un autre. J'allais dire : une bourre en vaut une autre.

La Nuit blanche est-elle autre chose qu'un gigantesque débordement à un million et demi de personnes ? Dès dimanche, le Maire de Paris insistait plutôt sur la dimension culturelle de cette manifestation parisienne annuelle, ouverte à l'art contemporain. il semble qu'il y ait eu de joyeux fêtards sur les trottoirs de la Capitale, mais aussi des intellectuels qui avaient décidé de visiter tel ou tel musée (art contemporain uniquement). En nocturne.

Voici la déclaration de M. Delanoë datée du 3 octobre. Elle me paraît atteindre à une portée vraiment universelle puisqu'elle a pour objet... le beau : cette Nuit Blanche, "c'est la fête de la beauté mais il faut que la beauté soit du plaisir, pas quelque chose d'immobile, de froid et qui ne provoque rien sur le plan de la satisfaction" a lancé le maire de Paris.

Je ne suis absolument pas contre le fait que la beauté soit du plaisir : id quod visum placet, ce qui plaît à voir comme dit saint Thomas, dans une réponse à une objection au détour de son Traité de Dieu. La beauté plaît. Les artistes nous émeuvent parce qu'ils se font plaisir, c'est l'évidence même. On peut dire que l'art est le véhicule qu'utilise l'émotion pour avoir accès à une forme d'absolu ou d'infini. Le plaisir est un moteur. Mais quel moteur ?

C'est la dernière partie de la phrase de M. Delanoë qui me chagrine : la beauté selon lui doit à chaque fois "provoquer quelque chose sur le plan de la satisfaction". Une chose me semble-t-il est d'être ému par la beauté, autre chose d'y chercher une satisfaction. Parce que la satisfaction, c'est le vocabulaire de la consommation. Utiliser ce terme, c'est renvoyer à l'idée que nous sommes des consommateurs de la beauté. Or consommer c'est consumer. On consomme et après on jette. Comme si la beauté était jetable !

Freud au début de Métapsychologie a parfaitement analysé le fonctionnement du désir ordinaire, du désir qui nous agite sans renvoyer en rien à ce que Thomas d'Aquin (Contra Gentes III, circ. 50) appelle le désir de vérité. Il a parfaitement analysé le "malaise dans la civilisation" que représente le passage d'une société de subsistance à une société de consommation. Le désir du consommateur (le désir sexuel pris dans sa forme brut avec tous les autres désirs) doit être satisfait. Certains précisent même : satisfait ou remboursé. Mais qu'est-ce que cette satisfaction ? Freud l'explique bien : c'est la disparition de l'excitation. Le but de ce désir ordinaire, ce n'est pas tel ou tel objet, tel ou tel bien, telle ou telle vérité. Non : le but, c'est la disparition de l'excitation. Et le moyen, c'est l'objet consommé, corps, aliment, alcool, film, sport, danse, par défoulement ou décharge d'excitation en tous genres.

Attention, je ne suis pas en train de dire que le plaisir est interdit. Mais ce plaisir qui n'a pour but que ce que M. Delanoë appelle "la satisfaction" est un plaisir vide et profondément nihiliste. Dire que l'art doit provoquer une satisfaction, c'est considérer que l'oeuvre d'art est un produit de consommation comme un autre. A propos de l'art, Freud parlait encore de sublimation, pour souligner que tout ne rentrait pas dans le schéma primaire de ce qu'il a appelé le destin des pulsions. M. Delanoë, parlant de satisfaction par l'objet d'art, oublie la dimension mystérieuse de la sublimation et établit le règne universel de la consommation.

Je crois que la grande question que nous devrions nous poser, si nous prenons au mot le Maire de Paris, c'est : "qu'est-ce qui ne se consomme pas". Quel bien est capable de provoquer - plutôt que la satisfaction du consommateur qui sommeille en moi mais ne s'est jamais vraiment endormi - l'admiration, le dévouement, le partage ? C'est ce bien qui est vrai, c'est ce bien qui est vraiment bon, parce qu'il ne se laisse pas consumer à l'usage... C'est ce bien que nous gardons après l'avoir adopté, non pas un moyen de satisfaction, mais une véritable fin.

Pas de morale sans l'identification des finalités propres à chacun dit saint Thomas, comme nous l'avons vu en cours, ce soir. Il n'y a que dans les romans qu'il ne faut pas aller voir la fin. Dans la vraie vie, il importe de toujours considérer d'abord la fin - ce qui résiste à la consommation, ce qui reste après toute les satisfactions. C'est sans doute ce que voulaient dire les Rolling Stones avec leur curieux : I can't get no satisfaction. Comment obtenir ce qui seul nous satisfait au-delà de la satisfaction consommatrice ?

lundi 4 octobre 2010

Beaucoup d'annonces pour cette rentrée au CSP...

J'en ajoute une : après avoir exposé la Première Partie de la Somme théologique l'an dernier, je vais passer à la première partie de la deuxième partie sur les principes de la vie morale. Et d'abord le bonheur. Non pas comme idée (il y a tellement d'idées du bonheur) mais comme réalité, c'est-à-dire comme cause finale réelle dans la vie réelle.

Ce soir à 20H00, au CSP, la question 1 article 1, en m'appuyant sur le Commentaire de Cajétan, qui propose une distinction géniale entre la réalité de la fin (ratio finis) et la condition à travers laquelle cette fin est ressentie actuellement (ou n'est pas ressentie) comme une fin. Avec à la clé un petit jeu entre saint Thomas et Averroès et l'exemple du hammam. C'est puissant... et ça aide concrètement !

dimanche 3 octobre 2010

Enfin vous retrouver...

Il a suffi d'une panne malencontreuse (un filtre haut débit à changer) et d'un voyage à Rome pour que je perde contact avec vous chers lecteurs anonymes, chers amis, qui me dites, au gré des rencontres, que vous lisez ce metablog. Bossuet aurait dit : "chers chrétiens", et mon mauvais esprit - allié à ma culture internautique - rajoute en hommage au Père Rahner : chers chrétiens anonymes ou pas...

Quand on va à Rome, on a besoin de penser l'universalité du christianisme (ou, dit en grec, sa catholicité). Comment le christianisme a-t-il osé se dire catholique (universel) par la bouche de saint Ignace d'Antioche, dès le Premier siècle. Ce mot est en quelque sorte depuis toujours pour l’Eglise une bannière, un étendard – qu’un saint Augustin reprendra avec conviction, en l’utilisant à de nombreuses reprises dans son sens propre : le Christ est universel, le Christ est pour tout l’univers. Et nous, avec ce mot, nous faisons exactement l'inverse : « catholique » ou pire « catholicisme », cela devient le symbole de la confessionnalisation du christianisme, la dénomination d'une confession... particulière parmi toutes les confessions chrétiennes. Bref l’inverse de l’universalité.

Il faut penser à l'universalité de l'Eglise... sous peine de n'être plus vraiment… catholique. Sous peine de transformer le catholicisme en une étiquette particulière, ce qui signifierait qu'on l'a vidé de sa vérité, qui est pour tous les temps et tous les lieux. Mais pour être capable de penser à l’universalité de l’Eglise, sans que cette pensée soit creuse et purement théorique, il faut aussi et d’abord PENSER L’UNIVERSALITE DE L’EGLISE aujourd’hui, la comprendre, non pas telle qu’on aimerait qu’elle sopit, mais telle qu’elle est pour chaque être humain.

J'en discutai profondément avec un séminariste, qui me fit part de son enthousiasme pour Tertullien et pour Moltmann...

Tertullien ? Il faudrait pouvoir le lire davantage. Son De carne Christi contient un magnifique éloge de la chair, ce qui est étonnant chez un ascète comme Tertullien. Son petit texte intitulé Témoignage de l’âme naturellement chrétienne nous permet de comprendre comment dès le début du christianisme, la foi, malgré son caractère in-ouïe (ineptum dit Tertullien) est en même temps une évidence pour chaque âme qui en rend témoignage. Tertullien, qui écrit vers 190, nous montre combien la foi est identique à elle-même et combien l’anthropologie qui en dépend est la même hier et aujourd’hui. L’antignosticisme musclé du Contre Marcion peut encore donner bien des idées aux apprentis philosophes sur les constantes de la philosophie chrétienne.

J'ai peu lu Moltmann. Mais je crois qu'il est à sa manière très représentatif de ce que le regretté Thomas Molnar appelait "la grande tentation de la pensée allemande" : concevoir le Royaume de Dieu, non pas comme une deuxième chance, non pas comme un salut venu d’ailleurs mais comme la réalité ontologique de ce monde. Et du coup, en faire une sorte de nécessité historique. Faire de l'histoire humaine une « théogonie », un avènement de Dieu. Imaginer un Dieu qui s'implique dans l’histoire humaine et dans ses échecs, au point de souffrir en tant que Dieu – comme si Dieu, infini, éternel, Tout puissant pouvait souffrir. Le rôle de Dieu, impliqué, intriqué même dans l’histoire humaine serait d’être au cœur de l’événement pour démentir les apparences de la victoire du Mal, en subissant lui-même le Mal et en le transmutant par le fait même qu’il le subit. De tout son être infini souffrant – ou plutôt présumé souffrant par Moltmann – Dieu sauve ainsi l’humanité sans faire de détails !

Dans cette histoire, il n’y a plus que Dieu. Dieu nous sauve qu’on le veuille ou non, qu’on l’ai souhaité ou non…

Comme si ce Royaume n'était pas avant tout une liberté personnelle, liberté du Christ d'abord, qui ne subit pas les conséquences avilissantes du péché. Liberté de chaque homme ensuite par et dans le Christ, se libérant petit à petit des addictions et des mensonges que le péché engendre.

Comme si le Royaume n’était pas un événement historique. Non pas d’abord un avènement, non pas d’abord un nouvel âge, une nouvelle ère. Plutôt d’abord un fait, une vérité de fait, que l’on accepte ou que l’on refuse : « Il a souffetrt sous le Préfet Ponce Pilate » nous fait dire le Credo. La passion du Christ n’est pas une figure métaphysique ou un système imprégné de cette nécessité qu’aurait pu lui conférer un rationalisme supérieur. C’est un fait. Nu. A la portée de tous. A portée de main pour chacun, soit pour la foi soit pour le blasphème. Ce fait-vrai (verum factum dit Vico) n'a rien à voir avec les raisons de l'être parce qu’il procède d’une raison supérieure, une raison du coeur. Eh oui : le coeur aussi a ses raisons, je parle bien sûr du coeur de Dieu.
Ce Royaume qui est une liberté et un événement apparaît non comme l’ultime dimension de l’être en gestation de l’Absolu, mais, modestement, de manière fragile, comme un accomplissement aléatoire, au sens où « alea » signifie le dé. Pascal a parlé de pari, disons que c'est notre liberté qui offre "ce qui manque à la passion du Christ" (Col). Cette offrande nous met en jeu. Elle représente un risque, mais comme Platon en a eu l’intuition dans le Phédon, ce risque est gagnant.

On me dira que le christianisme de Moltmann, vaste dispositif ontologique dans lequel on voit Dieu s’impliquer dans l’histoire humaine au point de souffrir est bien plus universel (catholique) que le christianisme de Pascal, que je défends ici. et on accusera ce dernier de "jansénisme". Sans voir que le fameux Pari de Pascal, loin d'être un texte prédestinatianiste est une hymne splendide à la liberté de l'homme, une hymne à l'existence dans laquelle s'accomplit le salut, loin de tout déterminisme essentialiste. Il faut parier, même si, Pascal le précise, c'est toujours à coup sûr. Mais celui qui ne parie pas, celui qui ne met pas sa liberté dans la balance où chaque existence est pesée, celui là d'une manière ou d'une autre a perdu sa vie. Il a perdu le pari à ne pas vouloir parier.

Quelle est l'universalité de l'Eglise ? Non pas celle d'une grande loi ontologique qui s'acharnerait à faire du salut de l'humanité un événement intratrinitaire. Thomas d'Aquin s'est toujours refusé à une telle perspective. Pour Thomas, il est impossible de dire « Dieu souffre » et ce n'est pas pour rien. Le but ultime de saint Thomas est de sauver la liberté de chaque personne, qui est seule déterminante en l'occurrence. L’universalité de l’Eglise n’est pas une universalité notionnelle, mais une universalité analogique : celle qui naît de la liberté de chaque sujet. L’Eglise est une société de personnes. Dans l’Eglise il n’y a que des volontaires.
Son universalité est donc une universalité faite de la singularité de toutes les personnes. On peut dire que l’Eglise réalise une sorte de personnalisme intégral, toujours différencié, comme le souligne saint Paul aux Ephésiens, évoquant, en travail dans l’Eglise « la sagesse du Seigneur en sa riche diversité ».
Du point de vue épistémologique, l’universalité de l’Eglise renvoie à l'évidence chrétienne ("Tu aimeras...") accessible à tout homme "de bonne volonté" - si on reprend le grec de saint Luc : à tout homme qui fait le bon choix : celui du pari-à-coup-sûr que Pascal découvre au coeur de... nos fois.

Paradoxe ultime de cette évidence : elle n’est pas analytique, nous renvoyant à nous-mêmes. Elle est transformante, dans la mesure où elle est divine. Tertullien justement a bien compris cela : "On ne naît pas chrétiens" Non nascuntur christiani. La communauté chrétienne n'est pas issue de la naissance et fermée sur elle-même et sur sa sociologie. Elle est issue du pari, que tout homme – depuis Platon au moins - sait qu'il doit faire... Pour vivre. Ou plutôt : pour pouvoir, le moment venu, de toute la force de son vouloir christifié par la grâce, donner tort à la mort.