Je voudrais recommander vivement le dernier livre de Philippe Maxence. Le dynamique rédacteur en chef de L'Homme nouveau vient de commettre aux éditions Via romana un excellent dictionnaire raisonné de l'oeuvre du romancier essayiste et polémiste anglais GK Chesterton. Une excellente idée de cadeau de Noël (mais oui, il faut commencer à se prendre la tête pour y penser). Ce livre, L'univers de Chesterton, est fait pour tous ceux qui n'ont pas le temps de suivre dans les méandres de sa pensée capricieuse et exigeante (pléonasme dirait-il sans doute) le fantasque créateur de ce héros de polar qui est un petit prêtre à la vue basse Father Brown. GK disent ses amis affectueusement. On peut aimer ce rythme d'écriture que rien jamais ne presse. On peut aimer cette lenteur savoureuse, qui permet de jouir de toutes les surprises que nous apporte l'existence, qui permet surtout de découvrir les surprises là où elles sont vraiment, qui permet de suivre l'auteur dans ses enthousiasmes autant que dans sa dénonciation catégorique de toutes les fausses surprises et de toutes les daubes de l'existence. Il faut du temps pour aller avec lui, de façon quasi platonicienne, du réel au réellement réel. Il faut du temps pour traverser les apparences sans jamais s'emporter jusqu'à les nier. Il faut une véritable ascèse pour leur faire dire non pas ce que l'on veut qu'elles disent, mais simplement ce qu'elles disent. Chesterton est là dessus de la famille de saint François d'Assise, plus encore, quoi qu'il en dise lui même que de la famille des thomistes. Son thomisme (très gilsonien, très franciscain et assez peu dominicain) n'est pas une science mais une attitude. Vous voulez des preuves dans l'oeuvre de GK ? Consultons ce livre si bien fait (et si agréablement édité)ouvrons L'univers de GK Chesterton. Article thomisme (mais oui, il existe) : "Le thomiste avec tous ses frères humains, constate sous la chaude lumière du soleil que l'oeuf n'est pas une poule, ni un rêve, ni une idée pure mais une chose attestée par l'autorité des sens qui vient de Dieu". Voyez comme ce Thomas d'Aquin-là, ce Thomas qui chante la gloire des choses, a des traits commun avec saint François d'Assises. Je ne suis pas sûr que ce soit le vrai Thomas. Le vrai Thomas préfère dire quant à lui (et il a pour lui toutes les raisons de le dire) que la vérité n'est pas dans la chose mais "plus principalement" dans l'esprit qui la pense. Le grand admirateur des choses, c'est l'auteur du cantique des créatures, saint François d'Assises.
Il y a deux grandes voies en christianisme, deux voies qui mènent à Dieu, celle de l'intériorité, reconnue par saint Augustin et empruntée si souvent au Grand siècle (le XVIIème). Et celle des choses, de l'admiration qu'elles causent en nous, de l'émotion que leur beauté produit sur nous. Je crois que saint François d'Assises est, plus encore que saint Thomas si augustinien par tant de côtés, en est le libre explorateur. Chesterton s'est précipité à sa suite, avec un enthousiasme à nul autre pareil. Son paradoxe est là tout entier : il est contre les "doxae", il se méfie de toutes les opinions qui ne sont que des nuées purement intérieures et que le moindre souffle venu du dehors peut emporter. C'est ainsi que l'on doit comprendre cette fameuse phrase (que vous trouvez dans ce livre) sur le fou ("celui qui a tout perdu sauf la raison").Pour Chesterton, le Moi n'est pas cet insulaire, perdu corps et bien dès qu'il a quitté son île pour entrer dans le monde. On pourrait dire que c'est s'il accepte de se perdre dans le monde, dans le spectacle du monde, dans la contemplation (même naïve) des choses du monde que le Moi se sauve. In intimum redi, réclamait saint Augustin. Pascal renchérissait en nous disant que le malheur de l'homme tient au fait qu'il est incapable de rester une heure seul dans sa chambre. Chesterton nous demande de sortir de notre chambre, de regarder le monde (et de le chanter) sans craindre la distraction. Les réalités auxquelles nous nous heurtons, ces réalités que nous ne parvenons pas à ployer à notre merci et qui nous font face sont autant d'images de la réalité de Dieu.
C'est quand on a compris l'inanité de tout retrait, c'est lorqu'on a perçu (selon la formule de Pierre Hadot) que la juste intériorité se conçoit sans retrait, c'est alors que l'on est prêt pour ce que François d'Assises appelait la joie parfaite. Très certainement la grande leçon de Chesterton, sa leçon de vie, c'est cette joie simple. Ouvrons encore le livre merveilleux de Philippe Maxence. Article joie (il existe, comme l'article François d'Assises dans lequel - il n'y a pas de hasard - on retrouve un texte similaire). Qu'est-ce qu'on lit sur la joie dans Chesterton ou plutôt dans Philippe maxence festonnant Chesterton par ordre alphabétique de notion ? "La joie, qui fut la petite agitation extérieure du païen, est devenu le secret gigantesque du chrétien". Et GK de nous expliquer qu'à fréquenter le Christ dans les Evangiles, "on a parfois l'impression qu'il nous cache quelque chose" : "Il y avait une chose qui était trop grande pour que Dieu la montrât quand il marchait sur la terre et j'ai parfois imaginé que c'était sa joie".
A lire ce long concentré de Chesterton le franciscain, c'est une véritable jubilation qui s'empare de nos esprits. Procurez-vous d'urgence "L'univers de GK Chesterton" par Philippe Maxence, aux éditions Via romana;
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à visiter: le blog des amis de Chesterton
Magnifique, cette réflexion sur l'inanité de tout retrait pour atteindre la juste intériorité. Elle est particulièrement salutaire dans nos univers urbains, où plus aucun retrait n'est en mesure de préserver nos âmes des pollutions de la laideur et de la bassesse. j'apprécie aussi cette remarque sur les fausses surprises et celles qui le sont réellement. Une perception - au sens concret du terme - chrétienne du monde permet de voir ce monde tel qu'il est sans se laisser corrompre par lui, mais sans le fuir. C'est alors que les vraies surprises sont visibles. Sans doute la foi, c'est-à-dire l'adhésion aux plus hautes vérités, n'est-elle possible qu'à partir de la contemplation simple et juste des choses, à la base. Tout est grâce, paraît-il.
RépondreSupprimerPardonnez-moi pour mon français, mais je tiens à vous remercier pour le merveilleux article à l'appui de Philippe Maxence.
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