mercredi 25 août 2010

Le fou et le possédé...

Il se trouve que je suis tombé tout à l'heure à la Procure sur un passionnant recueil des articles publiés au mois de mai dernier par la revue Études sur le concile Vatican II. Passionnant ? parce qu'historique. Entre ce que pense de Vatican II le Père Rouquette dans les années Soixante (dont une nièce propre est aujourd'hui un pilier de notre Centre Saint Paul), ce qu'en écrivent Jean Daniélou dans les années Soixante dix (ou un autre jésuite très présent à Vatican II, Henri de Lubac est étrangement absent), Bernard Sesboüe dans les années 80, Gilles Routhier dans les années 90, et Christoph Theobald dans les années 2000, on a vraiment l'impression, en quelques pages d'un drôle de kaléidoscope, avec des variations, une décennie après l'autre, qui sont impressionnantes, quand on les envisage toutes dans le même regard. Inquiétantes ces variations ? Pour un Bossuet peut-être.Pour l'Église, qui les subit, comme les cahots d'une piste mal établie, sans doute. Mais pour un apprenti théologien, qui a compris la nécessité de l'herméneutique que défend le pape Benoît XVI, ce petit volume contient la preuve que le Concile - Protée spéculatif - n'existe que dans son interprétation. les jésuites s'en sont donné à coeur joie ? Pourquoi pas nous ? Attention nous prévient Benoît XVI : ne lisez jamais Vatican II sans la lumière de la Tradition. Involontairement c'est ce que montrent les jésuites du Centre Sèvre qui ont composé ce bel ouvrage : tout est dans l'interprétation.

Prenons carrément l'interprétation ultime, celle du Père Theobald. Il se demande si Vatican II, dans son souci de ne pas heurter la conscience contemporaine, nous a fait renoncer à ce que saint Paul appelait pour les Corinthiens, "la folie de la prédication". Question courageuse ! "Je voudrais montrer plutôt, répond notre jésuite, que les textes juxtaposent au moins deux manières de voir". il y a d'un côté, dans Vatican II, des traces de "l'intransigeance" dans laquelle beaucoup ont vu l'unique manière d'affirmer "la différence chrétienne". Et de l'autre côté,on discerne "le souci d'inscrire la différence chrétienne au sein même des évolutions de la modernité". Qu'en termes galants... Disons pour faire court : soit la différence chrétienne se trouve dans la Parole, qui s'impose d'elle-même à la société dans laquelle elle est prêchée [c'est la position dite intransigeante : la vérité chrétienne ne dépend pas dans son contenu des évolutions de la vie sociale] ; soit la société dans laquelle chacun évolue lui permet d'identifier une différence toujours différente d'avec elle-même, puisqu'elle se découvre dans le fleuve rugissant de l'événement, qui est toujours un autre [c'est la position de Theobald, qui fait du christianisme non pas tant un contenu mais plutôt un style, une manière d'être, s'adaptant sans cesse à la variance du climat dans lequel se trouve le chrétien].

Conséquence de cette adaptation permanente ? L'Église a 2000 ans, soit. Mais, comme il l'explique dans un autre livre, elle est toujours, elle est encore aujourd'hui une "Église naissante". Étonnant, non ? Theobald a-t-il retrouvé dans ce "style" chrétien sans contenu (ou dont le contenu est toujours nouveau) la folie de la prédication dont parle saint Paul ? Quoi qu'il en dise, je ne le crois pas : saint Paul n'a jamais imaginé que son message soit de pure forme. Comme il le dit à ses terribles Galates, "si moi même, si un ange des Cieux revienne et vous dise le contraire de ce que je vous ai dit, qu'il soit anathème".

Certes les livres de Theobald suscitent un véritable emballement. J'irais jusqu'à dire : un enthousiasme. J'emploie ce terme au sens grec, à propos duquel Platon lui-même dans le Phèdre n'avait guère d'illusions : un dieu ou un démon est à l'intérieur et s'agite. Ce n'est pas la folie de la prédication, c'est... une sorte de possession toute subjective. Je pense à cette idée que défend Theobald [dans son livre récent sur Dei Verbum] sur l'inspiration des écritures : est inspiré ce qui est inspirant (op. cit. p. 83). Nous voyons cette étrange reductio ad subjectum qui est le contraire de la folie paulinienne, folie de la croix ou de la prédication,folie absorbée dans le spectacle de la souffrance d'un Dieu ou dans le prestige incomparable de son Verbe qu'elle tâche de faire sien. Comme dit Theobald, "il faut déplacer l'inspiration vers les effets produits dans et entre les récepteurs". L'Évangile me fait de l'effet, c'est un texte inspiré, soutient dans une rhétorique marmoréenne le théologien Theobald. Qu'est-ce donc que cet "effet" produit sur les récepteurs" ? Cela me fait penser à cet "enthousiasme" antique, que l'on peut bien appeler une possession.

Quel exemple pourrais-je trouver d'une telle "possession", d'un tel "enthousiasme" ? A la demande de l'abbé Laguérie, j'ai assisté récemment à la fin d'un dîner avec Mgr Gaillot. Un homme estimable en lui-même certainement. "Un saint type" comme me disait naguère un ami prêtre. Mais enfin... un "enthousiaste", possédé par son esprit propre. Il fallait voir avec quelle ferveur il répétait à longueur de temps, sans se soucier ni de tautologie ni de psittacisme : "Je suis humain" ; "Je défends l'humain"... Quel sérieux! Quelle douceur! Quelle ferveur! Quel sucre dans cette lapalissade! Mgr Gaillot est certainement un inspiré, au sens du Père Theobald. Il a "le style" de la liberté évangélique : pure "forme". Mais que lui reste-t-il d'autre ? Son enthousiasme - assez conformiste, il faut bien le dire - lui a fait oublier "la folie - rugueuse parfois - de la prédication".

C'est qu'il y a loin du fou évangélique au possédé de l'esprit du monde.

7 commentaires:

  1. bernard prêtre25 août 2010 à 10:06

    Merci , Monsieur l'abbé, pour votre texte si vrai.
    "Le Royaume de Dieu ne consiste pas en parole mais en puissance (en grec : dunamis)" ( Corinthiens 4,20)
    La "dunamis" tant citée par St Paul au début de cette lettre, voilà ce qui manque si souvent... alors qu'avec elle nous avons tout.

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  2. Mgr Gaillot est humaniste avant d'être déiste..Finalement Vatican II n'a t'il pas inciter certains prêtres de "gauche" de vouloir faire du christianisme une religion de l'humain?........

    Cette citation de Saint Paul est très intéressante: "si moi même, si un ange des Cieux revienne et vous dise le contraire de ce que je vous ai dit, qu'il soit anathème".

    Comment la rendre compatible avec votre ancienne note ( je vous lis régulièrement ) relative à l'abrogation de l'obligation pour les femmes de porter le voile dans les églises.

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  3. Ph. de Labriolle25 août 2010 à 17:46

    Monsieur l'abbé, J'ai apprécié comme vous ce recueil récent d'articles parus dans les Études.Mais la brochure culmine sur Théobald, le jésuite qui monte, qui monte, mais qui monte à quoi? Vous êtes sensible à son brio, soit, mais ce déconstructeur mis à l'honneur n'est pas une personne ressource, c'est un symptôme. Ce nietzschéen joue de son gai savoir; je le tiens pour un athée narcissique, parrainant des travaux détestables. Ni fou ni possédé,mais un imposteur, au sens bernanosien.Bernanos ne voulait pas être à l'académie française puisque Claudel y était..Oui, il faut savoir dire non!

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  4. Ph. de Labriolle25 août 2010 à 18:09

    Je suis humain, je défends l'humain, qu'est ce à dire, pour Mgr Gaillot? Pour Mgr Dubost, l'essentiel c'est l'homme!Protagoras le sophiste dit-il autre chose? Qui prétend combattre l'humain, par principe? Voici mon opinion: Celui qui déclare "l'important c'est l'homme" dit en substance "l'important c'est moi". Si c'est un prêtre, c'est qu'il n'a plus la foi, mais qu'il garde la chaire..

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  5. Je vous trouve un peu dur avec Mgr Gaillot! Que le bonhomme soit sympa, ça ne fait pas nécessairement de lui un bon chrétien, ça ne rattrape par non plus les sottises qu'il peut sortir. Mais enfin, il y a tellement de gens tellement plus présentables... qui se bouchent le nez avec plus ou moins d'ostentation quand ils entendent 'tradi'. C'est un peu, si vous voulez, comme avec le Père Gilbert, Guy de son prénom, certaines de ses réponses sont en décalages avec ce qu'on aimerait entendre. Et alors? ca n'empêche pas de (bien) le recevoir à Ecône.

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  6. Moreno (pas Marguerite, hein?)26 août 2010 à 18:28

    Trois ans après le Motu Proprio qui libère la messe, où en est-on? L'Institut du Bon Pasteur en est réduit à envisager de faire ordonner ses diacres et ses prêtres par Mgr Gaillot.

    L'Institut du Christ Roi préfère se retirer du diocèse d'Agen - l'évêque tolérait la messe mais pas le catéchisme.

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  7. Je prie les honorables métablogueurs de m'excuser, une fois encore, d'être un tant soit peu iconoclaste, mais la question que pose (Marguerite) Moreno m'a frappé...."trois ans après...." oui, en effet! Trois ans, dix ans après, vingt ans....

    Mais si après tout, la plupart du peu de gens qui vont encore à la messe, c'est à dire, au total, bien peu de monde en réalité, n'en voulait pas de cette messe en latin.....pour de bonnes ou mauvaises raisons, peu importe!

    Comment expliquer autrement qu'une poignée de fonctionnaires cléricaux, parvienne à brider les aspirations de tout un peuple chrétien, s'il se trouvait bien là, en marche derrière ses bannières et ses croix de procession, balayant tout sur son passage!?

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