mercredi 30 mai 2012

[Echos Littéraires] «L'évêque était là» – Victor Hugo

Victor Hugo n’était pas particulièrement catholique, et s’il rend hommage aux vertus chrétiennes, c’est pour mieux les insérer dans sa grande religion de l’Homme. Cela étant posé, j’avoue que peu m’importent les intentions d’un auteur quand son texte est admirable. Voici sous la plume de Hugo un «Mgr Myriel», évêque de Digne-les-Bains, qui apparaît au début des «Misérables» et ne quitte jamais tout à fait le livre.
«Il arriva à Digne une aventure tragique. Un homme fut condamné à mort pour meurtre. C'était un malheureux pas tout à fait lettré, pas tout à fait ignorant, qui avait été bateleur dans les foires et écrivain public. Le procès occupa beaucoup la ville. La veille du jour fixé pour l'exécution du condamné, l'aumônier de la prison tomba malade. Il fallait un prêtre pour assister le patient à ses derniers moments. On alla chercher le curé. Il paraît qu'il refusa en disant: Cela ne me regarde pas. Je n'ai que faire de cette corvée et de ce saltimbanque; moi aussi, je suis malade; d'ailleurs ce n'est pas là ma place. On rapporta cette réponse à l'évêque qui dit: – Monsieur le curé a raison. Ce n'est pas sa place, c'est la mienne.

Il alla sur-le-champ à la prison, il descendit au cabanon du «saltimbanque», il l'appela par son nom, lui prit la main et lui parla. Il passa toute la journée et toute la nuit près de lui, oubliant la nourriture et le sommeil, priant Dieu pour l'âme du condamné et priant le condamné pour la sienne propre. Il lui dit les meilleures vérités qui sont les plus simples. Il fut père, frère, ami; évêque pour bénir seulement. Il lui enseigna tout, en le rassurant et en le consolant. Cet homme allait mourir désespéré. La mort était pour lui comme un abîme. Debout et frémissant sur ce seuil lugubre, il reculait avec horreur. Il n'était pas assez ignorant pour être absolument indifférent. Sa condamnation, secousse profonde, avait en quelque sorte rompu çà et là autour de lui cette cloison qui nous sépare du mystère des choses et que nous appelons la vie. Il regardait sans cesse au dehors de ce monde par ces brèches fatales, et ne voyait que des ténèbres. L'évêque lui fit voir une clarté.

Le lendemain, quand on vint chercher le malheureux, l'évêque était là. Il le suivit. Il se montra aux yeux de la foule en camail violet et avec sa croix épiscopale au cou, côte à côte avec ce misérable lié de cordes.

Il monta sur la charrette avec lui, il monta sur l'échafaud avec lui. Le patient, si morne et si accablé la veille, était rayonnant. Il sentait que son âme était réconciliée et il espérait Dieu. L'évêque l'embrassa, et, au moment où le couteau allait tomber, il lui dit: «– Celui que l'homme tue, Dieu le ressuscite; celui que les frères chassent retrouve le Père. Priez, croyez, entrez dans la vie! le Père est là.» Quand il redescendit de l'échafaud, il avait quelque chose dans son regard qui fit ranger le peuple. On ne savait ce qui était le plus admirable de sa pâleur ou de sa sérénité. En rentrant à cet humble logis qu'il appelait en souriant son palais, il dit à sa soeur: Je viens d'officier pontificalement.

Comme les choses les plus sublimes sont souvent aussi les choses les moins comprises, il y eut dans la ville des gens qui dirent, en commentant cette conduite de l'évêque: C'est de l'affectation. Ceci ne fut du reste qu'un propos de salons. Le peuple, qui n'entend pas malice aux actions saintes, fut attendri et admira.»

2 commentaires:

  1. Magnifique texte en effet.
    Mais encore plus magnifique prélat. De ceux qui peuvent susciter des vocations , ou des conversions, car ils font toucher le Ciel.
    Leur charité est le reflet de Dieu.
    Déo Gratias car cela n'existe pas que dans les romans du XIX è siècle...
    Suivez mon regard... Sur ce blog!

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  2. Magnifique texte en effet qui, mis en parallèle avec "L'étranger" de camus et son refus opiniâtre du salut que voulait lui présenter l'auxiliaire de la Justice humaine chargé de le châtier, nous fait comprendre combien d'espaliers du nihilisme nous avons descendu, puisque nous idolâtrons Camus au lieu de lire "Les misérables".

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