A la demande de plusieurs personnes qui y assistaient, voici ma conférence de Carême de dimanche soir, troisième dimanche de Carême... Le thème de ces conférences est la liberté intérieure... Il reste certainement quelques fautes et maladresses d'expression.
La liberté est presque toujours mal comprise. En l’évoquant,
on a l’impression qu’être libre c’est pouvoir faire ce que l’on veut. On en
reste souvent à l’idée que la liberté est une puissance, que celui qui est
libre touche à tous les possibles dans leur miroitement et qu’il se contente
volontiers de cette indétermination qui donne une sorte d'issue sur
toutes les déterminations en même temps. Vous ne voyez pas de quoi je veux parler ? De
l’adolescence. Non pas de l’adolescence comme âge de la vie, car cet âge est
des plus sérieux. Je parle de l’adolescence comme idéal, de l’éternel
adolescent, qui se donne à lui-même l’impression de brûler la chandelle par les
deux bouts, mais qui n’a jamais rien fait à fond, qui butine ou comme on dit
aujourd’hui avec une sorte de cynisme inconscient : qui profite. Pour cet
individu, on a inventé un néologisme très parlant : l’adulescent, l’adulte
qui se prend pour un jeune à perpétuité. Attention ! Ce personnage paraît
souvent sympathique, rêveur, insouciant… Détrompez-vous. Certains en sont
réduit à cet état d’adulescence simplement parce qu’ils font et refont les
calculs de l’existence, sans parvenir jamais à la certitude absolue et qui ne
choisissent pas justement parce qu’ils comptent et non parce qu’ils oublieraient
de compter. Combien aujourd’hui ont oublié que ce n’est pas en comptant que
l’on entreprend, mais au contraire, en croyant. Nous le verrons à
satiété : pour choisir il faut croire.
Saint Thomas d’Aquin dans son Traité de la liberté est très
frappé par la multitude des possibles et par le fait qu’aucune raison n’est
assez puissante pour entraîner de notre part tel ou tel choix
« forcé ». C’est ainsi du reste qu’il démontre la possibilité de la
liberté. Nous sommes toujours au dessus
de ce que nous choisissons. « Dieu a remis l’homme aux mains de son
conseil » comme parle le Livre de l'Ecclésiastique. Nous sommes toujours
capables d’évaluer les avantages et les inconvénients de telle ou telle
position, de telle ou telle décision. Rien ne s’impose à nous avec force ou
dans une sorte de contrainte. Même l’évidence est une lumière, que nous pouvons
suivre, mais que nous pouvons aussi négliger. Ce n’est jamais une force
contraignante. Il n’y a pas de motif qui s’imposerait à nous sans que notre
liberté ne puisse le rejeter. Même la mort peut être choisi. Je pense à ces
trois cents Spartiates qui, aux Thermopyles, ont arrêté pendant une journée
l’armée du Grand Roi : on a, plus tard dressé une stèle en leur honneur,
avec ces mots : « Passant, va dire à Sparte que nous sommes morts
pour obéir aux lois ». C’est dans le même état d’esprit que Socrate
acceptera de boire la Cigüe mortelle.
Peut-on dire que le choix de l’homme a une radicalité qui le
met au dessus de Dieu même ? Non bien sûr. Néanmoins, dans ce choix ultime
qui se présente à lui, l’homme est
laissé libre par Dieu. Il apparaît comme au-dessus de Dieu, pouvant choisir
Dieu ou non-Dieu, à cause de la manière voilée dont Dieu se révèle à nous. Le
mystère de l’eucharistie est très significatif de la manière de faire de Dieu à
notre égard et de son respect infini pour notre liberté. Jesu quem velatum nunc
aspicio. Je regarde Jésus voilé. Dans ce sacrement, il ne se montre à moi qu’en
se cachant. Il se donne en respectant ma liberté de choix. Le cardinal de
Bérulle à cette très belle phrase dans son Elévation sur sainte
Madeleine : « Dieu unit en séparant et en séparant, ce semble, de
soy-même ». Si Dieu ne faisait que nous unir à lui, nous ne resterions pas
libre très longtemps. Nous n’aurions plus à le choisir, nous serions
irrésistiblement attirés . Ainsi ce mal objectif qu’est la séparation d’avec
Dieu, devient la condition de notre liberté et donc la condition du bien que
nous pouvons réaliser nous-même.
Si le choix est si nécessaire à la liberté, c’est qu’elle n’est
pas cette pure puissance toujours prête à tout mais jamais bonne à rien que je
décrivais à l’instant. Les philosophes parlent à ce sujet de « la liberté
d’indifférence ». On peut la définir avec le mot que choisit Rabelais
comme devise de son Monastère rabelaisien, l’abbaye de Thélème :
« Fais ce que voudras. Mais la liberté n’est pas dans cette indifférence
affichée à l’égard de tous les possibles. La liberté n’est pas une puissance,
elle est un acte. Elle est une détermination, la détermination absolue. Cet
acte qui exprime notre liberté, il est forcément rare, il n’est pas porté par
tel ou tel motif, il est au-delà des motifs extérieurs et des motivations
temporaires, comme l’expression la plus profonde de ce que je suis. C’est cette
liberté-là que Dieu veut que nous lui consacrions, celle qui plonge au plus
profond de nous-mêmes et qui exprime, comme disent les mystiques, le vouloir
foncier, la tendance la plus radicale de notre être, le choix. Il ne nous faut
pas seulement « avoir un faible pour les choses de Dieu ». Il ne
suffit pas d’aimer une ambiance ou une atmosphère. Il ne nous suffit pas de
« n’avoir rien contre Dieu ». Il faut que nous soyons capable de le
choisir, en renonçant à ce qui est contre lui.
C’est la vieille histoire de la polémique entre Descartes et
Pascal : chrétiens l’un comme l’autre, catholiques l’un et l’autre, l’un
et l’autre attachés à prouver Dieu, à en manifester la puissance, ils se
séparent sur le point de savoir quelle est la place de Dieu dans notre vie.
Descartes le met à l’origine – comme Créateur – et à la fin – comme Sauveur de
l’âme immortelle. Pascal lui le met au centre, comme Dieu fait homme, au centre
de nos vies qu’il garde du néant. Et il trouve Descartes « inutile et
incertain » parce que nulle part le grand philosophe n’a envisagé la
vanité du monde et la nécessité du saliut. On peut imaginer que c’est à
Descartes que s’adresse ce fragment de feu : « Qu’une chose
aussi visible qu’est la vanité du monde soit si peu connuë, que ce soit une
chose étrange & surprenante de dire que c’est une sottise de chercher les
grandeurs ; cela est admirable »[1].
Descartes pense Dieu et il pense à Dieu. Il est respectueux de la religion
catholique, il est reconnaissant à ses maîtres les jésuites du collège de La
Flèche. Mais il ne choisit pas Dieu, comme le fait Pascal. C’est un aventurier
de la raison, pas de l’Esprit. Pascal, lui, ne songe qu’à Dieu, Pascal choisit
Dieu et c’est ce que ses maîtres jansénistes normands lui ont appris.
Pouvons-nous choisir un autre que lui ? Y a-t-il, à
notre disposition, un autre choix que le choix de Dieu ? Il me semble que
deux autres choix sont donnés : le choix du non-choix et le choix du MOI.
Le choix du non choix est le plus courant et apparemment le moins
compromettant. Il s’agit de vivre sa vie en étant simplement en quête des
bonnes fortunes qui s’offrent à nous, mais en refusant absolument d’y mettre un
quelconque fil rouge ou d’y voir une fin ultime – fin des fins, clé de voûte à
quoi tout s’ordonnerait. Pour quiconque apparaît comme un peu sensible, ce
refus de la fin ultime, qui est vécu d’ailleurs comme une forme de liberté ou
de détachement de tout, coïncide souvent avec un sentiment d’absurdité : à
quoi bon ?
Tout le monde n’est pas capable de faire clairement le choix
du moi. Tout le monde ne se crée pas immédiatement sa petite idole à usage
personnel, son « image du Moi ». Mais le choix du non-choix, en
revanche, est très commun. Dirait-on que c’est le plus commun ? C’est sans
doute parce que c’est celui qui nous donne l’illusion de ne pas choisir, celui
qui nous entretient dans le plus grand confort. A terme, les deux choix
s’identifient. Le choix du Moi est merveilleusement décrit par Ezéchiel dans
ses prophéties contre le Roi de Tyr comme un choix « divin »,
comme un choix « anti-Dieu » :
« Ainsi parle le Seigneur Yahvé, parce que ton cœur s’est enorgueilli, tu as dit : Je suis un dieu, j’habite une demeure divine[2] au cœur de la mer. Alors que tu es un homme et non un dieu, tu te fais un cœur semblable au cœur de Dieu. Aucun secret ne te déconcerte. Par ta sagesse et ton intelligence, tu t’es fait une fortune, tu as mis or et argent dans tes trésors. Si grande est ton habileté dans le commerce. ! Tu as multiplié ta fortune et ton cœur s’est enorgueilli de ta fortune. Parce que tu t’es fait un cœur semblable au cœur de Dieu, je vais faire venir contre toi des étrangers, les plus barbares des nations » (Ez. 28, 27).
Nous sommes faits à l’image et à la ressemblance de Dieu. Il
nous importe de prendre conscience de cette ressemblance redoutable à notre
modèle - mais pas d’en prendre occasion pour nous substituer à lui. Or l’argent
est ce « moyen universel » qui nous confère un pouvoir qui ne nous
appartient pas. On peut estimer spontanément qu’il est absurde de s’imaginer
transformé en Dieu, comme l’enseigne ce texte, que c’est une perspective
inaccessible et hors d’atteinte et que nous ne sommes pas menacés par des
tentations semblables, que nos tentations sont bien plus ordinaires. Mais en
même temps, l’argent peut tout. Ce n’est pas un hasard si ce texte insiste
autant sur cette omnipotence. Les moralistes l’ont bien compris ; le
Christ dans l’Evangile parle à plusieurs reprises du « Mammon
d’iniquité », en donnant à l’Argent le nom de ce dieu phénicien qui est incompatible
avec le Dieu d’Israël. C’est dans un texte célèbre de Karl Marx, extrait des
Manuscrits de 1844 que j’ai trouvé l’analyse la plus simple et la plus efficace
sur l’omnipotence de l’argent, qui fait effectivement de nous les rivaux de
Dieu même :
« Ce que je peux m'approprier grâce à l'argent, ce que je peux payer, autrement dit ce que l'argent peut acheter, je le suis moi-même, moi le possesseur de l'argent. Les qualités de l'argent sont mes qualités et mes forces essentielles en tant que possesseur d'argent. Ce que je suis et ce que je puis, ce n'est nullement mon individualité qui en décide. Je suis laid, mais je puis m'acheter la femme la plus belle. Je ne suis pas laid, car l'effet de la laideur, sa force repoussante est annulée par l'argent.Je n'ai pas d'esprit, mais l'argent étant l'esprit réel de toute chose, comment son possesseur manquerait-il d'esprit ? Il peut en outre s'acheter les gens d'esprit, et celui qui est le maître des gens d'esprit n'est-il pas plus spirituel que l'homme d'esprit ? Moi qui puis avoir, grâce à l'argent, tout ce que désire un cœur humain, ne suis-je pas en possession de toutes les facultés humaines ? Mon argent ne transforme-t-il pas toutes mes impuissances en leur contraire ? Personnellement je suis paralytique mais l'argent me procure vingt-quatre pattes ; je ne suis donc pas paralytique. Je suis méchant, malhonnête, dépourvu de scrupules, sans esprit, mais l'argent est vénéré, aussi le suis-je de même, moi, son possesseur. L'argent est le bien suprême, donc son possesseur est bon ; au surplus, l'argent m'évite la peine d'être malhonnête et l'on me présume honnête. »[3].
Mais si je vous cite
Karl Marx, c’est pour la petite note qui précède parce qu’elle donne aux
malédictions prophétiques contre le Roi de Tyr tout leur relief métaphysique :
l’Argent est tout puissant, il rend tout-puissant celui qui le possède. Il
exauce cette première forme de liberté que nous évoquions en commençant, en
donnant à l’homme accès à une forme crédible de toute-puissance :
« L'argent, qui possède la qualité de pouvoir tout acheter et de s'approprier tous les objets, est par conséquent l'objet dont la possession est la plus éminente de toutes. Universalité de sa qualité est la toute-puissance de son être ; il est donc considéré comme l'être tout-puissant ».
Le problème ? C’est qu’en même temps que l’argent nous offre
toutes les qualités, dans le même temps il nous en dépouille, marquant bien
l’illusion de la toute puissance que nous dénoncions en commençant. Cette
toute-puissance humaine voisine avec
l’impuissance. Si l’argent est ma beauté, comme l’explique Karl Marx, je
n’ai pas besoin de faire quoi que ce soit pour rendre mon apparence plus
présentable et si je le fais c’est souvent d’une manière superficielle. Si
c’est l’argent qui me rend intelligent, parce que je peux me payer tous les
gens d’esprit et tous les livres, je ne chercherais pas à travailler :
qu’importe d’être vraiment puisque je possède ! Je possède l’intelligence
par mon argent, je ne chercherai pas à devenir vraiment intelligent, moyennant
un travaiil acharné qui ‘est pas dans mes cordes.
Je voudrais avoir ici montré deux choses : c’est par l’argent,
comme l’affirme Ezéchiel dans ce texte, que l’on atteint à la toute puissance
divine. Mais en même temps qu’on se donne l’impression d’y atteindre, on la
manque, car le raccourcis monétaire, en me faisant posséder ce que je cherche
m’empêche de travailler à le devenir.
L’homme d’argent a choisi « le Moi » et l’a mis plus haut que
tout, en trichant avec ce qu’il représente, l’argent accréditant la triche.
Mais ce serait trop facile de condamner vertueusement l’homme d’argent, sachant
que nous n’en avons pas. D’une certaine façon, l’homme des droits de l’homme
est issu du modèle de l’homme d’argent. C’est un « homme sans
qualité » comme l’homme d’argent. Ce n’est pas un hasard si l’idéologie
des droits de l’homme est née dans les premiers temps du Capitalisme. Qu’est ce
que fournit l’idéologie des droits de l’homme sinon la garantie d’une
reconnaissance qui va au-delà du mérite réel de chacun. Ainsi même celui qui ne
fait pas explicitement le choix d’être dieu, même celui qui ne croit pas en la
possibilité de sa propre divinisation va recevoir par l’onction des droits de
l’homme, une dignité qu’il n’a pas cherché à obtenir. Et il va devenir l’homme
de toutes les revendications. Il y a droit parce qu’il est homme, il s’est
juste donné la peine de naïtre. Celui-là ressemble à l’homme du non-choix. Il
n’a pas cherché à se dépasser lui-même, comme l’homme d’argent. Il n’a fait
aucun choix qui l’impliquerait vraiment. Mais il estime qu’il doit faire valoir
son humanité. Au lieu de considérer qu’il est au service de quelque chose qui
le dépasse, il envisage que l’univers entier puisse être au service de ses
droits.
Il n’a pas choisi… direz-vous. Mais il vit au rythme de ses pulsions du
moment et il se considère comme le but ultime de toutes ses entreprises.
Pourquoi ramène-t-il ainsi tout à lui ? Parce que c’est le destin des
pulsions qu’il laisse agir en lui que de se satisfaire d’elles mêmes, que de trouver
leur fin dans l’apaisement de l’excitation qu’elles ont provoquée Le système
pulsionnel qui est en nous est foncièrement centré sur le Moi. Vivre sans
projet et sans choix mais au gré de ses pulsions, c’est donc, d’abord sans le
savoir, mais en en prenant conscience petit à petit, vivre au rythme de ses
pulsions, vivre pour soi, en se faisant soi-même son propre dieu, comme le roi
de Tyr. Chez le roi de Tyr, il y a quelque chose d’héroïque, même si cet
héroïsme de l’Argent roi, de l’Argent dieu est foncièrement faux. Chez l’homme
sans qualité, qui choisit de ne pas choisir, c’est le même destin, la même
finalité. Il s’agit toujours de s’offrir à soi-même mais simplement en
choisissant de suivre la logique égolâtre des pulsions, de la suivre et non de la
précéder : « Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur » dit
Notre Seigneur. Celui dont le trésor se découvre de satisfaction en
satisfaction, découvrira bientôt que son cœur est incapable d’un autre choix.
Il rentre dans la logique de la consommation. Et consommant, il consume ce
qu’il consomme. Cette autodivinisation, souvent inconsciente, correspond à une
autodestruction tout aussi cachée et tout aussi secrète.
Ainsi celui qui ne choisit pas, celui que j’ai appelé après Robert
Musil l’homme sans qualité, est un homme qui sans le vouloir et par le seul
fait qu’il n’a pas voulu mobiliser sa liberté pour choisir, semble laisser le
dernier mot à la corruption : « Celui qui sème dans la chair récolte
de la chair la corruption ». Il faut payer le triomphe du vieil homme sur
l’homme nouveau. Le prix ? C’est la mort. « Le salaire du péché c’est
la mort » dit très clairement saint Paul aux Romains (6, 23), mais le don
gratuit de Dieu , c’est la vie éternelle en Jésus-Christ notre Seigneur ».
La mort, tel est le véritable nom de l’esclavage dans lequel se vautre celui
qui se laisse aller au péché. L’homme sans choix est un homme sans qualité et
l’homme sans qualité est un être pour la mort. Lorsque Heidegger a articulé
cela, il savait bien, lui l’ex-novice jésuite, que c’était déjà dans saint
Paul.
Une seule chose peut me délivrer de cette perspective nihiliste :
le choix. Si le choix revêt une telle importance, c’est qu’il n’est pas
facultatif ; il se présente comme un véritable dilemme ; nous avons
le choix entre deux solutions et deux seulement. L’existence humaine ne nous
présente pas d’autres possibilité en dehors de ce dilemme : soit la mort,
soit la vie, soit le désir dans tous ses états et son arrière goût de mort,
soit l’amour. Pour vivre, il nous faut passer de la cupiditas à la caritas
comme dit saint Augustin. L’amour seul fait vivre. Il faut choisir l’amour. Et
très vite, ce choix – en lecteur de Pascal nous dirions ce Pari - devient une
foi. Comme le dit l’apôtre Jean : « Il faut croire à l’amour ».
Au fond, c’est par la foi seule que nous accédons à l’amour, mais en même temps
c’est par l’amour que notre choix devient une foi.
Ne pas choisir, c’est se laisser aller à sa nature, à sa pente, à
l’horizon de néant qui nous entoure. Choisir c’est vivre, mais il faut pouvoir
vivre pour son choix, il faut encore que ce choix ne soit pas mortifère. Si
l’on se contente de se choisir soi, on n’est encore dans la mort. Moi ? Ca
sent le sapin. Jérémie a évoqué ce dilemme fondamental de façon certes moins
familière, mais avec quelle éloquence :
« Maudit l’homme qui se confie dans l’homme, qui fait de la chair son appui et dont le cœur s’écarte de Yahvé. Il est comme un chardon dans la steppe, il ne ressent rien quand arrive le bonheur, il se fixe aux lieux brûlés du désert, terre salée où nul n’habite. Béni l’homme qui se confie en Yahvé et dont Yahvé est la foi. Il ressemble à un arbre planté au bord de l’eau qui tend ses racines vers le courant. Il ne redoute rien quand arrive la chaleur. Son feuillage reste vert. Dans une année de sécheresse, il est sans inquiétude et ne cesse de porter du fruit » (Jér. 17, 5-8).
Le grand dilemme est entre la foi et l’absence de foi. C’est la foi qui
permet de dépasser l’hommerie, de ne pas se « fier dans l’homme » de
ne pas « s’appuyer sur la chair », c’est-à-dire de ne pas en rester à
un projet humain, trop humain. La foi, ici, ce ne sont pas seulement telle ou
telle croyance, c’est l’élan de l’homme au-delà de sa condition mortelle, un
élan qui s’épanouit en amour.
Cette foi, elle est d’abord bien sûr la foi en Dieu, qui permet à
chacun de reconnaître la lumière qu’il a reçue en venant dans le monde (cf.
Jean 1). Elle est ensuite la foi dans l’amour, qui explique l’impératif de
l’amour du prochain. D’une manière particulière mais sacramentelle, et très
belle, cette foi se réalise dans le mariage devant Dieu d’un homme et d’une
femme, elle se réalise jusqu’à produire l’amour et en même temps elle en vient.
Je voudrais terminer cet exposé sur le caractère vital du choix de Dieu pour
chacun d’entre nous, en vous montrant comment le mariage est une sorte de
parabole humaine de la foi divine. Je cite le protestant Denis de Rougemont
dans ce livre admirable et inimitable qu’est L’amour et l’Occident. Il explique
très bien comment l’amour d’un homme et d’une femme est un pari. Un pari sûr
mais un pari quand même, un saut. Comme la foi en Dieu.
« Si l’on songe à ce que signifie le choix d’une femme pour toute la vie, l’on en vient à cette conclusion : choisir une femme c’est parier. Or la sagesse populaire et bourgeoise recommande au jeune homme de réfléchir avant de prendre une décision : elle l’entretient ainsi dans l’illusion que le choix d’une femme dépend d’un certain nombre de raisons qu’il serait possible de peser. Cette erreur du bon sens est tout à fait grossière. Vous avez beau tenté de mettre au départ toutes les chances de votre côté – et je suppose que la vie vous laisse le temps de calculer – jamais vous ne pourrez prévoir votre future évolution, et encore moins celle de l’épouse choisie, et encore bien moins celle du couple formé ».
La raison et le calcul sont mis en échec par la radicalité de ce choix.
Il en va, sur ce point, du choix amoureux comme du choix de Dieu.. Il faut
choisir, croire en ce que l’on a choisi et surtout finalement aimer nos choix.
Quels qu’ils sont, ils ne diminuent pas notre univers mental, mais eux et eux
seuls nous font accéder à l’amour, c’est-à-dire au salut.
Le choix dit dans son caractère absolu le lien intime et profond entre
la charité et la liberté. Accéder à la liberté du choix de Dieu, c’est être,
par là même, candidat à son amour. Or, dans ce domaine, il suffit de candidater
sérieusement pour être reçu.
[1] Pascal
Pensées, Br. Fg. 161
[2] Il faudrait
revenir au chapitre précédent pour comprendre l’importance de la
« demeure », pour nous qui sommes d’éternels nomades
[3] Karl MARX,
Manuscrits de 1844
Monsieur l'abbé,
RépondreSupprimerMerci pour ce beau texte, c'est très clair.
Il me manque un peu la dimension temporelle ; de par notre nature, nous avons à confirmer et à renforcer notre choix tout au long de notre vie. Le choix des vingt ans n'est pas le même que celui des quarante ou des soixante ans. Je ne dis pas que ces derniers sont supérieurs, ils sont autres.
N'étant pas parisien, je suis preneur de toutes vos conférences de carême par le même canal.
Bien à vous
je me permets au premier passage de votre article une remarque : il est tout de même important de se souvenir d'une certaine "sagesse " ancienne et nouvelle (parce qu'éternelle) : celle du christianisme de toujours : la simplicité et le réalisme: asseoir sa maison sur de bonne bases. Faire un choix de vie d'ailleurs n'empêche pas d'ailleurs de savoir "ménager" sa barque et ce dans la relation que l'on a avec Dieu : chacun faisant ses choix en lui avec une prudence de circonstance : mais "sans avoir peur". Ceci pour nos jeunes qui ont éperdument besoin non seulement de Dieu mais de son aide dans la bonne menée de leur vie, en responsabilité et que mes paroles n'effraient pas nos jeunes : réalisme (et non voleter sur un fil de fer en comptant sur un Dieu qui ferai tout le genre le "magicien" : ça n'est pas lui) : par contre celui qui nous aime et nous fournit les moyens dont nous avons besoin au moment de notre choix (dans notre liberté et en ayant confiance en lui) : le Dieu Providence : celui qui aime, ne juge pas et nous aide à parvenir à nos fins. courage et bonne chance !
RépondreSupprimerAh j'oubliais : si : Dieu nous laisse entièrement libres : ceci est son principe d'amour et de responsabilité : et d'ailleurs n'écoutez jamais celui qui vous dira d'abandonner votre libre-arbitre. Dieu attache le plus d'importance : à notre Liberté, qu'à n'importe quoi d'autre et c d'ailleurs de cette façon que moi de cette manière il a gagné mon cœur.....
Je retiens provisoirement trois choses de votre conférence
RépondreSupprimer1. Que choisir, c'est parier.
2. Le choix du non choix dont il faut se garder et qui est monnaie courante dans la vie contemporaine.
3. Que l'amour ne calcule pas.
En contrepoint, je conseillerais volontiers ce beau roman de jeunesse de Jean d'Ormesson, L'amour est un plaisir, dans lequel l'exquis auteur se met dans la peau de Philippe, qui séduit Bénédicte en lui promettant d'être "un homme sur lequel on ne peut pas compter." Bénédicte en renonce à son premier amant pour lui, et celui-ci se suicide. Pour un homme sur qui on ne peut pas compter. Come l'amour sai qu'il ne peut pas compter sur le bonheur qu'il se promet. Comme on promet en sachant qu'on ne peut pas tenir. Et pourtant nous continuons de promettre et de faire des sermens, car nous parions que nous tiendrons quand même, ou que nous tiendrons en dépit ou au-delà de notre infidélité apparente.
Très intéressant votre texte, M.l`abbé. Je fais quelques observations personnelles sur cela. Pour moi, l´argent ne peut pas tout acheter, cela est une illusion, car quand une personne a une maladie grave, l´argent ne peut pas restaurer sa santé : ainsi, tous les gens meurent un jour, les riches et les pauvres. Il y a des gens riches qui sont humbles devant Dieu, et pauvres qui sont fiers. Il me semble donc qui est le caractère de l´homme qui le rend bon ou mauvais. Vous dites : « Le grand dilemme est entre la foi et l ´absence de foi. » Sans aucun doute. Les gens qui ont la foi, mettent leurs souffrances aux pieds du Seigneur, ainsi que leurs joies et leurs victoires. Mais surtout dans la souffrance, nous apprenons à demander à Dieu la foi et l´espoir. Cela arrive souvent avec moi, lorsque la souffrance me frappe, j´espère seulement en Dieu comme mon aide. Et je Lui dis : « Aie pitié de moi et renforce ma foi. » Parfois c´est douloureux, mais c´est la seule option que nous avons.
RépondreSupprimerSur l´amour du prochain, il me semble beaucoup plus difficile que nous le pensons. Lorsque nous faisons quelque chose, nous devrions penser : cela nuira à l ´autre personne ? Ici, il y a des choses très délicates . Parfois, la personne a la foi, en principe ; mais fait des erreurs de peur : peur de l ´opinion des autres, peur de la vie, peur de prendre une attitude, peur pour une formation religieuse déformée, etc. Même parmi les religieux, cela arrive. Il y a aussi un autre problème : un faux sentiment de l´amour, qui conduit beaucoup de gens à se taire devant une injustice, sous le prétexte qu´ils ne doivent pas réagir aux injustices « par l´amour du prochain » , et nous péchons par omission. Il y aurait d´autres problèmes, qui je ne vais pas citer ici , pour ne pas étendre ce sujet.
Vous parlez, à la fin, sur » le lien intime et profond entre la charité et la liberté. » Très joli ! Mais souvent, l´homme ne sait pas faire ce lien, car il peut se trouver dans ce carrefour : « si je fais le bien pour beaucoup de gens, peu importe que je fais le mal à une seule personne ». Mais Dieu n´est pas comme les mathématiques... et l´homme peut se tromper. Donc, peut-être nous avons un seul moyen d´essayer de ne nous pas tromper beaucoup avec nous-mêmes : la prière... Que nous ne soyons pas lâches face à les injustices, mais que nous savons trouver la meilleure solution... avec l´aide de Dieu.
Merci beaucoup de votre texte, et que Dieu vous bénisse !
J´habite au Brésil et je demande des prières pour mon pays, qui passe par une situation très difficile. Grand merci !
N.N.
@ Webmestre:
RépondreSupprimerJ'ai envoyé par erreur mon message au billet précédent, ce qui n'a aucun sens. Dois-je le recopier sur cette page?
--> oui
SupprimerMerci de cette belle conférence, qui nous pousse à choisir.
RépondreSupprimerJe me souviens d’une citation de Dostoïevski qui a eu longtemps des problèmes d'argent
" L'argent, c'est de la liberté frappée" un peu comme de la monnaie.
Voulait-il dire que 'argent permet de profiter de la liberté des autres, en les mettant à notre service ou que l'argent ou que l’argent permettait de mettre notre liberté au service de notre vocation tourné vers le bien, par exemple construire un monastère, une école libre etc.?.
Le fond du problème, c’est ce que nous faisons de notre liberté, si nous acceptons le poids ou le pari de nos choix, qui nous fasse dépasser un moi destiné à périr. Nous n'avons pas assez de toute notre vie. pour nous y confronter ; Notre temps à nous semble insuffisant ou l'avons nous gaspillé? Peut -être le mystère de ,nous raccorder au temps de ceux qui nous précèdent et nous aident y voir clair.
1- Le texte que vous proposez M. l’abbé est très dense et c’est un vrai plaisir de lire des écrits de cette portée sur un site internet. Cela démontre qu’Internet peut être un vecteur de culture et de réflexion. Mais cela suppose de choisir cette voie qui est la plus ardue mais aussi la plus riche.
RépondreSupprimerLa question du choix est en effet une question de Foi pour ceux qui ont eu la révélation de Dieu, mais je pense aussi que cette question peut également résulter de la pensée. Le non choix et le choix du moi, solutions que vous considérez alternatives au choix de Dieu, mettent en évidence que Dieu a tout simplement été exclu de la philosophie par les philosophes.
Or, pendant des siècles, Dieu était justement au centre de toute réflexion philosophique même pour les penseurs les plus dubitatifs. Ils ont effectivement choisi le non-choix puisque Dieu n’était plus un sujet. Au bout de deux siècles d’athéisme philosophique, notre philosophie est devenue technique, hermétique, desséchée, car elle s’est vidée de l’Esprit.
Sans le savoir, la philosophie a rejoint le camp de ceux qui choisissent le « moi » où elle se distingue que par sa virtuosité intellectuelle. Or, dès l’Antiquité, les pré-socratiques et Aristote avaient compris l’importance de « Dieu » même s’ils n’étaient pas chrétiens et même s’ils ne donnaient pas le même sens que nous à ce mot.
2- A vous lire et à vous entendre sur Radio Courtoisie, on comprend bien que les penseurs catholiques sont généralement d’un excellent niveau, mais ils n’ont plus accès aux grands médias. Mais ils ont surtout une espèce de honte à se dire philosophe et catholique. Surmonter cette honte inculquée est la première des choses à faire car le vent tourne et il faut en profiter.
Je crois cependant qu’il faut éviter de mettre trop en avant la religion mais bien davantage ce qui caractérise les grands penseurs chrétiens à savoir leur compétence, leur sérieux, la rigueur de leur travail, leur honnêteté intellectuelle. Aux plus jeunes des chrétiens, il faut révéler ce trésor intellectuel et culturel.
Parallèlement, il ne faut pas se gêner pour critiquer et mettre en lumière la supercherie et la malhonnêteté de bien des penseurs athées. Parmi ceux-ci, les penseurs de gauche contiennent dans leurs rangs d’authentiques escrocs et il ne faut pas se lasser de citer leur nom et de décrire la médiocrité de ces usurpateurs de la pensée.
Cela "me"dépasse de beaucoup....
RépondreSupprimerMais La résurrection nous choisit, nous saisit, nous "rapte" et nous guide ( C'est la Voie en Vie -sans-Mort témoignant de la Vérité dévoilant, témoignée, la Charité (de) Dieu -)
Elle nous "fait libre" ( du péché, de la Mort, du meurtre, de la division, de la tentation, de l'accusation, du jugement - celui qui croit n'est pas jugé -) ...et nous laisse libre, car tant au delà de toutes langues,conceptions, concepts, pensées, vies, formules et même CHOIX mortels......Elle demeure et vient en Foyer de méditation et de vie inépuisables,dans la surabondance des entrailles trinitaires..
Heureusement, car quand on a tout sacrifié pour aller "servir les plus pauvres "du quart monde dans la "Laïcité apaisée"...et qu'on a découvert tous les mensonges et fantasmes ecclésiastiques pathologiques gisant sous ces formules, on serait bien dépité, bourré d e ressentiments (et ça arrive, car la chair est fragilité et l'Esprit ne souffle pas toujours dessus !) ,si ce n'était pas la Résurrection (= le Christ" JE Suis LA résurrection" "Je Suis Celui Qui Suis) qui nous avait choisis et saisis dans ces équipées égarées par les "injonctions" obéies de ces pasteurs qui ont fait porter des poids à leurs brebis sans jamais en soulever une once ..
Aucun argent ne nous remboursera le temps ni l'énergie ni les privations consenties..
Mais Dieu nous a donné de faire bien au delà de nos forces....
Et, serviteurs inutiles, nous nous demandons si , dans la quart mondisation de nos contrées, ces tâches et travaux n'auraient pas de nouveau un sens encore plus vaste qu'ils n'en ont eu dans une cité de non droit ..(depuis 20 ans là bas un djihad rampant soutenu par la "laïcité" comme par toutes les forces crapuleuses au" pouvoir" au sommet et à la base a fait déjà des morts qui n'ont secoué aucun spirituel, aucun chef d' état,aucune opinion publique ...Sans parler des menaces de mort et des risques pris de "donner sa vie pour ceux qu'on aime"..
C'est beau d 'avoir reçu d'avoir ainsi choisi ! C'est beau le choix (même motivé de manière tordue, même à l'ombre des illusions papales..) ! Cela dit, j'espère naïvement retrouver aux Cieux les poètes, les musiciens, les artistes peintres, les architectes, les concerts, les restaurants, les voyages, les musées... ..bref tout ce que je n'ai pas pu "goûter" .....
et je souhaite à l'Abbé d'y rencontrer Haï-de-guerre , afin qu'il lui explique longuement en quoi son" être pour la mort" n'a radicalement rien à voir avec ce que l'abbé veut nous vendre systématiquement à chaque fois qu'il ressort cette formule passe partout .... toujours vidée de son sens !
On ne peut pas à la fois citer les gens et ne pas les insulter? Et ne pas se foutre de la gueule des lecteurs ? Qui ont le droit qu'on ne leur ferme pas les portes de méditations, même non catholiques, mais de grande ampleur ?
En dehors de Heidegger, qui pense le Sacré? chez les catholiques, je n'en connais pas ...
Hagios, hagios, hagios!
un pauvre amateur sidéré..