Cheyenne Marie Carron continue son bonhomme de chemin avec le même naturel d'un film l'autre. Dans son dernier Opus, Patries, elle pose un regard tellement juste sur le sujet tabou des réfugiés et migrants qu'elle parvient à dire en images tout ce qu'elle pense, sans jamais forcer la note ni tomber dans une quelconque forme de répétition idéologique d'un discours standard. Avec elle, il n'y a pas de standard, il y a des gens, qu'elle regarde vivre, et puis il y a ce don qui est le sien de sympathiser profondément avec tous ses personnages.
On souffre tellement en France (je ne veux pas citer de noms, il y en a trop) de ce cinéma autocentré, à travers lequel on fait passer un ressenti pour une pensée, où un couple est toujours le centre du monde et dans lesquels, au fond, on ne VOIT littéralement personne, et dans le meilleur des cas une bande de copains complices et tous les mêmes (Barbecue). Allez : Amélie Poulain me semble le type de ce cinéma autocentré. Ou Les Choristes si rétro, ou Bienvenu chez les Chtis (c'est le nord plein de poncifs comme vous ne le verrez plus). Et quand on nous montre la France d'aujourd'hui, dans sa diversité, c'est en grossissant le trait comme dans Intouchable, ce film paternaliste qui a dû faire vingt millions d'entrées, en reprenant les souvenirs de M. Pozzo di Borgo (dont par ailleurs le courage est remarquable). C'est tellement rassurant de montrer que les vieux rapports de classe, au fond, n'ont pas changé la face du monde, et que les riches de toutes les couleurs continuent de faire preuve d'une espèce de bonté protectrice, qui les montre tellement supérieurs au reste du monde (voir Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu ? 12 millions d'entrées : bobos de tous les pays mariez-vous). Bref : que de la mythologie bien pensante (au sens où Libération s'est proclamé en Une un journal de bien pensants il y a trois jours).
Quand Cheyenne Marie Carron pénètre dans une Cité, c'est sans filet : foin des poncifs protecteurs, qui remontent à un autre âge. Au diable les mythologies française de Roland Barthes et cet imbécile "roman national", à vous tirer des larmes, avec le gentil petit immigré qui performe et le Français de souche tellement nécessairement compréhensif... Cheyenne, elle, dit à ses acteurs : venez comme vous êtes. Du reste les seconds rôles et les figurants jouent... leur propre rôle, ils ne sont pas des acteurs professionnels et souvent ne sont pas moins crédibles.
La caméra nous montre d'abord Sébastien sur son vélo... arrivant dans un pavillon de Banlieue pour y vivre. Il n'a pas d'arrière pensée mais ne peut se défendre du sentiment d'être devenu un étranger dans son propre pays. Il en rit et prend cela du bon côté en décrivant un monde idyllique plein de jeunes filles en fleurs à son père aveugle. Il va tenter de s'intégrer. Loyalement. On le voit par exemple acheter un boubou coloré. Ses efforts d'intégration seront-ils payés de retour ?
En tout cas, il devient ami avec Pierre, un Camerounais qui cherche à s'en sortir et qui l'introduit dans le monde très fermé des jeunes de la Cité. La deuxième partie du film se focalise sur Pierre, sa vaine recherche d'emploi, très vite sa brouille avec Sébastien et puis son isolement par rapport à sa famille, à sa mère, une femme courageuse qui a voulu le meilleur, qui a voulu la France pour ses enfants mais qui en même temps donne à ses enfants un vrai enracinement dans leur culture d'origine. On assiste par exemple à une première communion (ou à la petite fête qui va avec) avec chant de l'hymne du Cameroun : extraordinaire ! C'est une véritable nostalgie qui point le coeur de Pierre, guidé par ses conversations avec Sébastien. Il veut connaître son pays d'origine, il fera tout pour revenir au Pays en y apportant son savoir faire. C'est là-bas qu'il veut réussir !
Cheyenne Marie Carron traite ici le thème brûlant de la remigration, c'est-à-dire du retour de ces "réfugiés" ou de ces migrants dans leur pays d'origine. Elle le fait avec une grande délicatesse, montrant les positions différentes de chacun par rapport à ce "retour" possible. Elle exalte l'importance de l'enracinement, insiste sur le fait que l'on ne s'enracine pas n'importe où, que la terre nous tient toujours au coeur ou plutôt "à la semelle de nos soulier" comme disait Péguy et cela même quand on s'en est éloigné. Elle souligne que chacun a droit à sa patrie et qu'une patrie - la terre des pères - cela ne se décrète pas, mais cela se découvre.
Ce qui est admirable dans ce cinéma, c'est qu'il se passe avec les personnages mis en scène un peu ce qui se passe dans un vrai roman : c'est eux qui dirigent la caméra, c'est eux qui font l'histoire. Trop souvent un film est un produit préparé à l'avance dans lequel on voit évoluer des personnages préfabriqués pour les besoins du scénario, chacun selon le code génétique retenu au départ par le réalisateur. Le cinéma de Cheyenne Carron est beaucoup plus proche de la vie, ce sont les personnages qui le font, comme s'ils vivaient, sous l'oeil de la caméra une sorte d'expérience de vie. Le cinéma devient une sorte de laboratoire de la vie réelle, où toutes les réactions chimiques sont possibles. Bref c'est le contraire du cinéma de moralisation ou d'édification que l'on nous propose trop souvent (en particulier quand on en vient à toucher au problème de la diversité).
Hâte devoir ce film
RépondreSupprimerLe commentaire touche juste. j'ai pu voir le film aujourd'hui, celui d'un pelerinage ou d'un retour aux sources de notre vie .merci , Monsieur l'Abbé .
RépondreSupprimer