Voici la quatrième antienne O :
O Clavis David, et sceptrum domus Israël ; qui aperis et nemo claudit ; claudis et nemo aperit : veni et educ vinctum de domo carceris, sedentem in tenebris et umbra mortis.
O Clé de David, et Sceptre de la Maison d’Israël, tu ouvres et personne ne ferme, tu fermes et personne n’ouvre : Viens et fais sortir le captif de la maison où il est en prison, lui qui est assis dans les ténèbres et l’ombre de la mort.
C’est en récitant cette antienne qu’il avait dû répéter
souvent que le philosophe Alcuin a rendu son âme à Dieu. Parler du Christ comme
de la clé, cela va très bien à un philosophe, dont l’abbé Seralda naguère vanta
« le personnalisme intégral » - un philosophe personnaliste qui avait
conscience que, étant donné le mystère de la personne, c’est clair, la raison ne donne pas toutes les clés.
Le Christ est la clé en un double sens : d’abord il
offre des clés de compréhension, un savoir que personne avant lui n’avait
développé, une science de la vie, que la raison ne soupçonne seulement pas.
En un second sens, grâce à ce savoir qui est la Vérité, il
exerce une autorité royale, que personne ne peut lui contester : -
« Tu es roi, demande Pilate à Jésus ». Et Jésus répond :
« Tu l’as dit. Quiconque est de la vérité entend ma voix » (Jean 18).
La Clé est en même temps un sceptre : O Clavis, ô sceptrum ! Cette
clé qui est un sceptre apparaît comme le signe d’une liberté souveraine,
ouvrant des horizons nouveaux à la méditation et à la contemplation.
Mais prenons d’abord le mot clé en son premier sens :
clé pour comprendre.
Il y a un verset de l’Evangile de Luc sur lequel on ne
réfléchit pas assez et qui indique bien que le Christ lui-même se voyait comme
le détenteur d’un savoir que les pharisiens s’employaient à obscurcir :
« Malheur à vous les légistes, parce que vous avez enlevé la clé de la
science. Vous mêmes n’êtes pas entrés et ceux qui voulaient entrer vous les en
avez empêché » (Lc 11, 52). Dans le passage parallèle de saint Matthieu,
il n’est plus question de cette « clé de la science ». Le Christ ne
s’adresse pas nommément aux légistes mais « aux scribes et aux pharisiens
hypocrites » : « Vous fermez aux homme le Royaume des cieux.
Vous n’entrez certes pas vous-mêmes, mais vous ne laissez pas entrer non plus
ceux qui le souhaiteraient » (Matth. 23, 13).Et le verset suivant est
encore plus hostile aux spécialistes de la loi : « Malheur à vous,
scribes et pharisiens hypocrites, qui parcourez les mers et les continents pour
gagner un prosélyte et quand vous l’avez gagné, vous le rendez digne de la
géhenne deux fois plus que vous ». Un certain enseignement de la loi rend
digne de la géhenne, et plutôt deux fois qu’une ! Même saint Paul grand
connaisseur et grand contempteur de la loi devant l’Eternel, n’avait pas été
aussi loin… La clé n’est pas dans les observances de la loi, qui ne font que
nous rendre justes à peu de frais, en nous enseignant à nous hausser du col par
rapport à ceux qui ne pratiquent pas les observances… Il ne suffit pas de ne
pas manger de porc, ni non plus de se voiler la face quand on est une femme…
Ceux qui le pensent sont guettés par le totalitarisme. Non seulement, dit
Jésus, ils n’entrent pas, mais, précise-t-il, ils empêchent tous les autres
d’entrer.
La clé qui permet d’entrer se découvre plutôt dans un savoir
qui nous transforme, le savoir que l’on tient de la foi. Le prophète Isaïe a
chanté ce nouveau savoir plus qu’aucun autre des prophètes. Il nous a enseigné
son caractère messianique. « Je t’ai fait entendre dès maintenant des
choses nouvelles, secrètes et inconnues de toi. C’est maintenant qu’elles sont
créées et non depuis longtemps et jusqu’à ce jour tu n’en avais pas entendu
parler (…) Non, tu n’entendais rien, tu ne savais rien » (Is. 48, 5). Et
ailleurs : « Les premières choses, elles sont arrivées. Voici que je
vous en annonce de nouvelles. Avant qu’elles ne paraissent, je vais vous les
faire connaître » (Is. 42, 9).
Quelles sont ces choses nouvelles ? Celles que
l’Evangile nous fait découvrir, qui ne sont pas les sciences qui porteraient
sur tel ou tel objet, mais d’abord les sciences de la vie, nous livrant le
secret de l’existence humaine, qui est tout entier dans l’existence divino-humaine de
Jésus le Christ.
Pourquoi insister sur la nouveauté de cette science ?
Pour comprendre la nouveauté du désir qu’elle fait naître en nous. Le désir de
Dieu, s’il mobilise toute notre nature et encore autre chose qui vient
d’ailleurs, n’est pas pour autant un désir naturel, quoi qu'en pensent les théologiens. Il n’a rien à voir avec
l’un de ces désirs insatisfaits qui croupit au fond de notre ressentiment
existentiel, en attente d’un impossible exaucement. Il offre une expérience
nouvelle, un élan nouveau, un attachement qui ne vieillit pas.
Mais après la science, la clé signifie l’autorité… On
pourrait dire peut-être : une science garantie par l’autorité la plus
sacrée.
Immédiatement on pense à l'Evangile de Pierre : « Je te donnerai les clés du Royaume des cieux. Tout ce que
tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux et tout ce que tu délieras sur
la terre sera délié dans les cieux » (Matth. 16, 17). Ainsi parle Jésus à
Simon qu’il nomme Pierre, parce que, lui ayant dit cela, il en a fait la pierre
sur laquelle il bâtira son Eglise. Qu’est-ce que l’Eglise ? Le Temple des
définitions du devoir disait un grand poète aixois. Le premier rôle de l’Eglise
est effectivement de rappeler la loi. Pour jouer à la Pharisienne, comme le
pensait Mauriac ? Non. Aussi bien l’Eglise, en Pierre et aussi dans les
apôtres, c’est-à-dire dans les évêques qui sont leurs successeurs, n’a pas
seulement la faculté de lier c’est-à-dire
de faire peser les fardeaux sur les épaules de ses membres. Elle a
aussi, divinement, la capacité de délier, le pouvoir d’alléger, le don de
pardonner ou de réconcilier. Telle est l’autorité christique :
essentiellement personnelle, non pas arbitraire, mais tissée dans un rapport
miséricordieux, un rapport de personne à personne, de la personne divine à la
personne humaine, où il ne s’agit pas de changer quoi que ce soit aux
prescriptions, mais de permettre aux hommes de les observer avec humilité et
profit – bref dans la charité. C’est dans la charité que l’on peut dire :
« Il ouvre et personne ne ferme. Il ferme et personne n’ouvre ».
C’est la charité qui est la seule loi, parce que l’amour est la seule loi dont
nous ne soyons pas prisonnier.
En revanche, tout ce beau discours n'empêche pas de devoir constater que nous sommes bel et bien prisonnier de notre nature mortelle. Nous sommes « assis dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort ».
Pourquoi l'ombre ? Nous ne sommes pas encore morts dans cette maison où nous nous sommes retrouvés prisonniers,
telle est notre condition d’humanoïdes. Mais nous voyons, si nous ne détournons
pas les yeux, l’ombre portée de la camarde qui nous attend. Il nous faut – vite
– quelqu’un pour nous faire sortir de là et aussi pour nous faire entrer.
Où ? Dans le Royaume, comme dit Jésus. Mais où est-il ce Royaume ? Il
n’est pas ailleurs, on y accède pas par la fuite. Jésus le déclare
solennellement : il est « au milieu de nous », à portée de main.
Mais comment y entrons-nous ? Non par la Loi mais par cette science
nouvelle, au cœur de notre cœur et au feu de notre vie : la foi.
"L'autorité personnelle", c'est cela, la Loi du Nom! qui nous attire par don de science dans l'art de la vie, ars vivendi!
RépondreSupprimer