A partir d’aujourd’hui, l’Eglise nous fait réciter sept antiennes dont l’origine est inconnue mais qui sont attestées à l’époque de Charlemagne puisque le philosophe Alcuin meurt en récitant l’une d’entre elles : O Clavis David.
Ces antiennes donnent sept noms différents au Seigneur que l’on attend : O Sapientia, la sagesse, le Verbe de Dieu. O Adonaï, le nom que les juifs donnent à Yahvé dont ils ont interdiction de prononcer le nom sacré. O radix Jessae, le Rejeton de Jessé : Jessé est le père de David. Le Christ vient dans cette lignée royale. O Clavis David, la clé qui décide de tout. O Oriens : l’Orient qui est l’origine de la lumière. O Rex gentium : le Roi des nations et non pas seulement le Dieu d’Israël. O Emmanuel, Dieu avec nous, dont on rappelle l’alliance lorsque le prêtre dit aux fidèles plusieurs fois pendant chaque messe : « Le Seigneur est avec vous ».
Si l’on prend les initiales de chacun des noms du Fils de Dieu attendu, on a en latin, par un savant acrostiche : ERO CRAS : Je serai là demain. C’est tout le sens de l’Avent. Ce lendemain, c’est la Noël, ce solstice qui doit illuminer notre vie, le moment où le jour commence à rallonger.
Voici la première antienne, celle d'aujourd'hui 17 décembre
O Sapientia, quae ex ore Altissimi prodisti, attingens a fine usque ad finem, fortiter suaviter disponensque omnia : veni ad docendum nos viam prudentiae.
O Sagesse, toi qui es sortie de la bouche du Très-Haut, remplissant l'univers d'un bout à l'autre et disposant toutes choses avec force et douceur : Viens nous enseigner le chemin de la prudence!
Ce que nous attendons d’abord c’est la SAGESSE, c’est-à-dire la connaissance de ce que signifie notre situation invraisemblable d’animaux raisonnables tombés sur cette Planète. L’homme explique Pascal est cet individu qui se réveille en sursaut dans une île déserte (notre terre) et qui ne sait ni d’où il vient ni où il va.
Ce savoir-là, quoi qu’en disent les philosophes, nous ne pouvons pas nous le procurer nous-mêmes. Seul l’Ordre de la Création, avec sa force et sa douceur, peut nous en donner une idée et nous mettre sur le chemin de la vérité. Mais avant même la vérité que l’on contemple, si l'on reste ici bas sur le chemin qui y mène, il y a la vérité que l’on fait, ce choix du bien, ce rejet du mal, qui est l’amorce de notre liberté. Le Christ dans l’Evangile ne dit pas : celui qui possède la vérité vient à la lumière… Il dit : « Celui qui fait la vérité vient à la lumière » (Jean 3, 21). L’artisan en nous de ces œuvres vraies, qui précèdent toujours la connaissance de la vérité, s’appelle la prudence.
Mais quelle est cette prudence ? Comment choisir le Bien, que nous ne pouvons pas démontrer, comme y insistent les moralistes contemporains et tout dernièrement Ruwen Ogien ? Comment déterminer ce Bien dans lequel nous croyons mais qui échappe à notre raison ? Il faut suivre l’Emmanuel, annoncé par le Prophète Isaïe, celui que l’on appelle ainsi « parce qu’il sait choisir le bien et rejeter le mal » (Is. 7, 15).
Ainsi le Christ nous mène-t-il de la divine sagesse à l’humaine prudence, c’est tout le sens de cette antienne.
On appelle d’abord le Christ O Sapientia, la Sagesse du Père...
Et c’est bien naturel puisque il est le Verbe du Père : LOGOS. Saint Paul déjà s’était écrié : « Les Juifs demandent des signes et les Grecs sont en quête de sagesse. Nous proclamons, nous, un Messie crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les païens, mais pour ceux qui ont été appelés, Juifs et Grecs, c’est le Messie Puissance de Dieu et sagesse de Dieu » (I Co. 2, 22).
La Puissance de Dieu, c’est Dieu qui nous donne des signes, jusqu’à aujourd’hui si nous acceptons de voir les miracles qui se multiplient dès qu'on les cherche.
La Sagesse de Dieu n’est pas comme la sagesse des hommes : « Dieu a frappé de folie la sagesse du monde » (I Co. 2, 20) ose dire Paul qui connaît et qui cite pourtant les philosophes. Qu’est-ce qui est folie dans la sagesse des hommes ? La prétention à vouloir tout expliquer par sa propre raison. Plutôt que de chercher des explications à notre monde, avouons que la seule Sagesse est celle « qui sort de la bouche du Très haut ». Au lieu de construire des sagesses qui ne sont qu'à notre image, recevons la sagesse de Dieu, son Verbe, parce que lui seul nous transforme en nous permettant de devenir ce que nous sommes.
Et à défaut de posséder immédiatement cette connaissance, cette sagesse trop élevée, acceptons d’en être encore à la Prudence. Pascal à nouveau : « Si tu veux connaître la vérité, ne cherche pas à multiplier les raisons, mais à diminuer tes passions ». C’est ce que nous demandons au Christ de nous apprendre aujourd’hui : Veni ad docendum nos viam Prudentiae. Viens nous enseigner le chemin de la Prudence. Nous sommes tellement prompts par nous-mêmes à voir le bien là où il n’est pas et à imaginer du mal là où se cache le bien qui ne fait pas de bruit. La prudence, qui nous fait discerner notre propre bien là où il est, est un long chemin, où nous marchons sur les traces de l’Emmanuel, parce que lui a su, sur notre Terre, choisir le bien et rejeter le mal.
Ce chemin de la prudence, et lui seul, nous mène à la sagesse.
Env. 17.12.2015.
RépondreSupprimerTrès bon votre texte, je vous remercie !
Pascal toujours à jour... tous les gens font cela: multiplier les raisons....peut-être car tout les gens croyent avoir raison...
Très bien votre phrase: « Nous sommes tellement prompts par nous-mêmes à voir le bien là où il n´est pas et à imaginer du mal là où se cache le bien qui ne fait pas de bruit. »
Vraiment, c´est ici la racine du problème...parce que quelqu´un défend un point de vue, et s´accroche à ce point de vue; l´autre fait la même chose...
Et quand vous dites que « le bien ne fait pas de bruit » c´est aussi très intéressant, car où on voit beaucoup de radicalisme, où une personne dit être le propriétaire de la seule vérité, et tous les autres ont tort- même au sein de la même religion – il y a quelque chose qui ne va pas. Ici, il n´y a pas de la prudence, certainement... Il faut la demander à Dieu... mais combien de gens la demandent vraiment? Difficile de savoir...
n'est-ce pas la prière qui demande lucidité , courage , parsévérance ?
RépondreSupprimerlucidité sur ses propres capacités , courage d'entreprendre et persévérance d'aboutir à ce que l'on s'est fixé .
Cher M. l'abbé,
RépondreSupprimerTout d'abord, merci de renouer avec la "tradition" métabloguienne des méditations en de certains temps forts spirituels. Et pardon de renouer, à mon tour, avec celle de vous adresser de temps en temps (si nécessaire...) des commentaires, non en contradiction, mais en contrepoint.
Merci de nous rendre attentifs à ce que ce n'est pas parce que la Lumière nous éclaire lorsque nous venons en ce monde ou vient à nous à Noël que notre réponse chrétienne n'est pas d'essayer de venir à la Lumière en faisant la vérité. Or faire la vérité sur soi est un exercice crucifiant et difficile. Car la vérité, dans son acception chrétienne, à mon grand dam, n'est ni l'authenticité (ou la véridicité), ni la sincérité, ni la lucidité naturelles. La lucidité frise même l'orgueuil. C'est une espèce d'"orgueil de la Lumière" comme il y a un "orgueil de la vie", nous dit Jésus dans la parabole du semeur, si ma mémoire est fidèle. "La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil", selon le mot fameux de rené char. La lucidité peut donc être une insolation. Comme il y a des gens qui aiment bronzer pour paraître s'être exposés au soleil, il y a une esthétique de la lucidité qui est une esthétique de crâmé. Croyez-en ma longue expérience, moi qui ne suis pas particulièrement lucide ni fulgurant, mais perché et crâmé, le goût de la lucidité n'est pas le goût de la vérité. Il n'en a pas la prudence. On ne doit même pas faire la vérité par goût de la vérité, de crainte de confondre la vérité avec une esthétique et de convaincre la vérité de ne pas être vraie si le vrai ne coïncide pas avec le beau. C'est le drame de notre condition que les trois "souverains biens" identifiés par le philosophe ne sont pas toujours identiques l'un à l'autre, sinon à eux-mêmes.
Mais qui suis-je pour parler de la vérité, moi qui ne suis pas une lumière? Disons un mot de la prudence. "La sagesse" divine est-elle prudence ou imprudence humaine? A vous croire, elle est prudence, car la prudence est une vertu, fille de l'humilité qu'il faut avoir pour venir à la lumière ou que la lumière vienne à nous. Or il me semble qu'il y a une tension spirituelle, une tension pour qui prétend vivre du Saint-Esprit, entre la fidélité au don ou à la vertu de prudence qui suppose "le discernement", et l'audace métaphysique du saut dans l'inconnu qui n'attend pas, l'audace de "l'aussitôt": "Aussitôt ils le suivirent." Il y a une tension dans la vie de l'Esprit entre le discernement et l'aussitôt, tension que la tradition jésuite a trop inclinée dans le sens du discernement, et dont le modèle de résolution est Marie, Epouse de l'Esprit, qui, en femme et en femme pratique, demande: "comment cela va-t-il se faire?" avant de prononcer un "oui" qu'elle n'avait jamais réservé. Comme Joseph qui, même s'il avait "répudié en secret" Marie, n'aurait pas cessé de l'aimer. (Il arrive que l'on n'aime bien que ce que l'on quitte pour ne pas "tuer ce que l'on aime" (Oscar Wilde).
Joseph n'a pas quitté Marie. Il l'a gardée auprès de lui parce que "ce qui est engendré en elle vient de l'Esprit-Saint", a-t-il été averti par l'ange dans un songe. Qui scrute encore les songes?Les esthètes de la lucidité ont théoriquement un trop fort penchant pour l'audace au détriment du discernement. Il ne faut avoir d'audace que pour ce qui vient de l'Esprit. Donc ne s'engager que pour ce qui résiste à notre exercice de lucidité pour discerner d'où vient le vent, comme une girrouette calculatrice. La spiritualité n'est pas contradictoire avec les Mathématiques, mais ce n'est pas une affaire de calculateurs.