Mon camarade Joël Prieur a fait paraître une première mouture de cet article dans l'hebdomadaire Minute.
La Manif pour tous, qui, entre 2012 et 2014, s’est opposée
au mariage homosexuel, a-t-elle constitué un Mai 68 à l’envers, comme dit Gaël
Brustier, une sorte de manifeste pour une rechristianisation de la France ?
En tout cas, Yann Raison du Cleuziou évoque, lui, une « contre-révolution
catholique ».
Ses titres sont ceux du sociologue, mais Yann Raison du
Cleuziou s’essaie avant tout à l’histoire du présent : il fait l’histoire
de l’encyclique de Paul VI Humanae vitae, qui, en juillet 1968 condamne d’un
même mouvement la contraception et l’avortement.
Il écrit l’histoire de la Manif pour
tous, ce succès inattendu des cathos parvenant à mettre plusieurs fois dans la
rue près d’un million de personnes contre le projet de loi sur le mariage
homosexuel. Enfin l’histoire du christianisme politique depuis la victoire
annoncée et l’échec retentissant de François Fillon jusqu’aux polémique avec l’islam
radical, qui caractérise notre bel aujourd’hui. Rien que pour cette tentative d’histoire
immédiate, le livre de Yann Raison mérite de rester dans les mémoires.
Son ambition n’est pourtant pas uniquement descriptive. Il
pose quelques questions fondamentales, qui sont des questions qui se
répercutent sur toutes les droites.
Première question : « Expression abondamment
commentée d’un retour ou d’un réveil du catholicisme militant, la Manif pour
tous n’est pourtant pas une mobilisation catholique. Le choix d’une stratégie
non-confessionnelle n’est pas sans incidence ». Comment se justifie cette
stratégie non-confessionnelle ? Nous avons un catholicisme qui est de
moins en moins clérical, et ce ne sont pas les dernières révélations sur le
niveau moral de certains prêtres et sur la frilosité trop institutionnelle de
certains évêques, refusant de dénoncer les pédophiles dans leur diocèse, qui
vont changer quelque chose à l’impact grandissant des laïcs dans la défense de
valeurs chrétiennes auxquelles ils tiennent. Il est intéressant de mettre un
focus sur la catégorie des fidèles que Raison appelle « les observants »,
parce qu’ils tendent à faire Eglise par eux-mêmes que cela plaise ou non aux
curés, qu’ils prennent la liberté de choisir. Ayant vécu un Concile et sa
difficile mise en application, ayant eu deux papes aux personnalités très
marquantes, Jean-Paul II et Benoît XVI, ces laïcs ne sont pas prêts à écouter
le discours à ambition réformatrice du pape François. Ce sont eux qui tiennent
l’Eglise aujourd’hui et qui illustrent sa position publique. La Manif pour
tous, à travers des grandes voix comme celle de Frigide Barjot a effectivement
laïcisé l’expression du catholicisme français.
Deuxième question : est-ce vraiment la fin du schisme des
cathos de gauche ? Yann Raison aborde cette question à plusieurs reprises.
Il souligne que pour les nouveaux cathos de gauche que sont les Poissons roses
par exemple, la préoccupation n’est plus le progressisme dans l’Eglise, mais la
dimension sociale de l’action de tout catholique. Sortant par la grande porte
des querelles postconciliaires, les cathos de gauche ont ainsi largement
contribué au succès de la Manif pour tous, trouvant spontanément dans la
stratégie de communication de l’équipe de Frigide Barjot une plate-forme
acceptable par tous les catholiques, en particulier d’une part autour du projet
de l’Union civile des homosexuels (sans prétention à une parentalité
naturellement impossible)et d’autre part
dans le souci partagé d’une écologie humaine (formule consensuelle du
pape Benoît XVI). Tout se passe comme si cette laïcisation de l’action politique
des catholiques avait permis une réunification profitable.
Enfin troisième question : n’assiste-t-on pas à une
reconfiguration de la politique chrétienne sous le drapeau, déjà empoigné par
François Fillon et par Marion Le Pen, du conservatisme, drapeau qu’agite beaucoup
en ce moment la tête de liste LR à l’élection européenne, François-Xavier Bellamy ?
« A partir du mois d’avril 2013 [date de la manifestation de l’Etoile], le
conservatisme est redevenu une ressource capitale de la réaffirmation
catholique ». Là est sans doute le moteur originel du mouvement dextrogyre
cher au politologue Guillaume Bernard… Dans un monde où tout paraît remis en
question, « un père, une mère, c’est élémentaire » comme dit le
slogan LMPT. Mais voici que réaffirmer cet élémentaire-là attire la foule,
comme rarement il y a eu foule sur le pavé parisien… Alors que le conservatisme
n’avait jamais percé en France (contrairement à ce qui se passe en Angleterre
ou en Allemagne), alors que ses chances politiques semblaient quasi-nulles,
voici que c’est le progressisme qui marque le pas, souvent stigmatisé comme un
bougisme inutile. Ce changement de perspective de la vie politique française
dans son ensemble s’est manifesté d’abord chez les catholiques de LMPT. C’est
ce qui permet à Yann Raison du Cleuziou de titrer sur « une
contre-révolution catholique », tout en expliquant soigneusement, avec
Joseph de Maistre, que la contre-révolution n’est pas une révolution contraire,
qu’elle est seulement le contraire de la révolution : la quête d’un ordre
qui succède au désordre. Si ce langage est devenu simplement audible dans la
patrie de la Révolution, c’est certainement au succès de la Manif pour tous qu’on
le doit.
- Yann Raison du Cleuziou, Une contre-révolution catholique, Aux origines de la Manif pour tous, éd. du Seuil 2019, 23 euros
Je vous propose une autre manière de voir les choses. C'est qu'il s'agirait de catholicisme zombie, pour reprendre l'expression d'Emmanuel Todd. De catholicisme réduit à des valeurs (à “nos valeurs”, comme dans la publicité pour Bordeau Chesnel). Dans cette optique ne peuvent subsister comme valeurs que celles qui ont encore pignon sur rue. L'opposition au Mariage Pour Tous, à la PMA, à la GPA… sont des positions que l'on peut encore défendre dans la France de 2019. Il n'en va pas de même pour l'IVG, communément accepté par tous les milieux, par tous les partis, et défendu (quand il s'agit de l'Irlande) jusque dans les colonnes du journal la Croix. Dans cette optique toujours, ceux qui se rendent compte qu'il y a bien “quelque part” un problème, en sont réduits à mettre triple dose sur la GPA (sur la PMA, sur le mariage pour tous, etc), justement parce qu'ils se contraignent à accepter l'IVG. Je ne leur jette pas la pierre, je ne dénonce rien : j'énonce. Monsieur François-Xavier Bellamy de Versailles (pourquoi pas “Édouard Henri Beaugendre de Neuilly”?) peut être à titre individuel contre l'IVG. En cela il rejoint François Fillon, opposé à titre personnel, et favorable en tant que parlementaire comme il tenait à le répéter. C’est le vieux phénomène de l’homme qui, ayant perdu le sens de sa cause, en défend d’autant plus “‘mordicus” les manifestations périphériques.
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