Cet article est reproduit ici avec l'accord de Monde et vie (cf. monde-vie.com).
« Un catholique
s’est échappé » nous déclare tout de go Jean-Pierre Denis, le directeur de
La Vie, avec une fougue, qui donne envie de suivre le fil de sa réflexion.
Jean-Pierre Denis s’est échappé. Successeur de l’historique Georges
Hourdin, à la tête de La Vie, il n’est pas, il n’est plus un homme de Parti,
mais un homme d’Eglise. Il a ses convictions, ancrées à gauche. Mais, dans ce
livre, il s’échappe de toutes les vieilles catégories, partageant le plus simplement
du monde avec son lecteur, sa liberté et sa joie de catholique. « Catholique
retenu, je me suis échappé de la prison mentale, le jour où j’ai cessé de m’indigner
et de me cogner contre le mur de ma révolte ». Jolie confidence, non, pour
un homme de gauche?
Cela paraîtra peut-être naïf de le dire de cette façon, mais
quel que soit son positionnement, cet homme a la foi. Il s’en découvre
infiniment heureux, d’un bonheur de poète, toujours prêt à l’émerveillement et
désireux de vivre selon l’Evangile. Non pas seulement de vivre, d’ailleurs, mais
de communiquer l’évangile. C’est dans cet état d’esprit qu’il se déclare
fièrement « catholique attestataire ». Les conflits se sont multipliés
entre catholiques depuis plusieurs siècles ; aujourd’hui on ne peut plus
se dire catholique sans étiquette. Il y a les vieilles étiquettes : jésuites,
jansénistes, traditionalistes, modernistes, progressistes, pro-François,
pro-Benoît etc. Il en invente une nouvelle, une étiquette qui ne s’oppose pas à
une autre, une étiquette non partisane : attestataire. Dans « attestataire »,
il y a le vieux mot de « testis » : témoin. Sa foi veut être un
témoignage, non pas un témoignage de prédiquant, mais un témoignage spontané,
vivant. « Mon juste vit de la foi » répète saint Paul, qui a trouvé
ce mot chez Habacuc, l’un des douze petits prophètes.
Et l’Eglise dans tout ça ?
Et parce que, chrétien, il n’a peur de rien, le journaliste
cède définitivement la place au poète, qui nous emmène encore plus loin, jusqu’à
Dieu même. Et là, il trouve encore des mots : « Depuis », il
veut dire depuis sa conversion réelle, depuis sa libération, « Depuis, je
crois en un christianisme désarmé. Qui peut professer autre chose et se dire le
disciple de celui qui s’est fait obéissant jusqu’à la mort ? La faiblesse
de Dieu n’est pas son crépuscule, mais sa forme christique. Elle n’est pas sans
puissance puisqu’elle sauve ». Saint Paul le disait déjà : « C’est
quand je suis faible que je suis fort ». Quelle plus belle expérience qu’une
faiblesse qui sauve ? Quoi de plus rassérénant que d’expérimenter cette
faiblesse-là en soi-même?
Jean-Pierre Denis ne nous parle pas seulement de l’intimité
de sa foi, mais tout ce dont il nous parle est baigné par cette lumière
intérieure, qu’il fait remonter aux derniers moments de la vie de son père et à
la question qu’il lui a posée, bien fatigué : « Dis-moi quel est le
chemin ? ». Cette question ouvre et ferme le volume. C’est une
question qu’il pose aussi à l’Eglise, après se l’être adressée à lui-même. Il
énumère sept défauts de cette Eglise, mais assurément la liste n’est pas
limitative. Il interprète aussi, avec finesse, le vilain mot du pape François
sur le devoir d’aller aux périphéries : pour lui ces périphéries désignent
d’abord « le fond résiduel », celui des « catholiques zombies »
(Emmanuel Todd), qui ont encore une tradition religieuse, mais dont la foi
décline lentement. Et pour justifier son interprétation audacieuse, il a ce mot
de commerçant avisé : « On a plus de chance de faire des affaires
avec des acheteurs déçus ou lassés qu’avec ceux qui n’ont pas encore fait la
moindre emplette ». Il faut que l’Eglise ait le courage d’aller à la
rencontre de ceux qu’elle a déçu ou lassé!
Comme toutes les institutions, l’Eglise devrait avoir une
stratégie de long terme qui ne soit pas un plan incluant la banqueroute : « L’essentiel
de l’énergie est mis dans l’accompagnement palliatif du déclin pour ne pas dire
de la faillite ». Il faut trouver une autre voie, qui ne soit pas non plus
cette songerie impuissante sur les origines de l’Eglise, époque dorée que l’on
pare de tous les atours, comme pour en revendiquer nous-mêmes quelque chose, en
nous assurant ainsi une foi supérieure à celle de nos ancêtres : « Peut-on
sérieusement penser que la foi était moins profonde au temps de Martin de
Tours, à l’époque de François d’Assise, ou plus près de nous, au siècle de
Thérèse de Lisieux ? » demande Jean-Pierre Denis. Et il conclut :
«Soyons lucides : en vérité, nous avons cessé de vouloir annoncer la
bonne nouvelle».
A lire ce livre, si direct dans l’attestation de la foi, on
retrouve en nous-même cette fierté que ne manque pas de produire une foi
vivante : on en est fier parce qu’elle ne vient pas de nous et qu’elle
nous porte au meilleur de nous-mêmes.
Joël Prieur
- Jean-Pierre Denis, Un catholique s’est échappé, éd. Cerf 192 pp. 18 euros
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