vendredi 12 avril 2019

Le témoignage chrétien de Jean-Pierre Denis

Cet article est reproduit ici avec l'accord de Monde et vie (cf. monde-vie.com).
« Un catholique s’est échappé » nous déclare tout de go Jean-Pierre Denis, le directeur de La Vie, avec une fougue, qui donne envie de suivre le fil de sa réflexion.

Jean-Pierre Denis s’est échappé. Successeur de l’historique Georges Hourdin, à la tête de La Vie, il n’est pas, il n’est plus un homme de Parti, mais un homme d’Eglise. Il a ses convictions, ancrées à gauche. Mais, dans ce livre, il s’échappe de toutes les vieilles catégories, partageant le plus simplement du monde avec son lecteur, sa liberté et sa joie de catholique. « Catholique retenu, je me suis échappé de la prison mentale, le jour où j’ai cessé de m’indigner et de me cogner contre le mur de ma révolte ». Jolie confidence, non, pour un homme de gauche?

Cela paraîtra peut-être naïf de le dire de cette façon, mais quel que soit son positionnement, cet homme a la foi. Il s’en découvre infiniment heureux, d’un bonheur de poète, toujours prêt à l’émerveillement et désireux de vivre selon l’Evangile. Non pas seulement de vivre, d’ailleurs, mais de communiquer l’évangile. C’est dans cet état d’esprit qu’il se déclare fièrement « catholique attestataire ». Les conflits se sont multipliés entre catholiques depuis plusieurs siècles ; aujourd’hui on ne peut plus se dire catholique sans étiquette. Il y a les vieilles étiquettes : jésuites, jansénistes, traditionalistes, modernistes, progressistes, pro-François, pro-Benoît etc. Il en invente une nouvelle, une étiquette qui ne s’oppose pas à une autre, une étiquette non partisane : attestataire. Dans « attestataire », il y a le vieux mot de « testis » : témoin. Sa foi veut être un témoignage, non pas un témoignage de prédiquant, mais un témoignage spontané, vivant. « Mon juste vit de la foi » répète saint Paul, qui a trouvé ce mot chez Habacuc, l’un des douze petits prophètes.
Et l’Eglise dans tout ça ?
Et parce que, chrétien, il n’a peur de rien, le journaliste cède définitivement la place au poète, qui nous emmène encore plus loin, jusqu’à Dieu même. Et là, il trouve encore des mots : « Depuis », il veut dire depuis sa conversion réelle, depuis sa libération, « Depuis, je crois en un christianisme désarmé. Qui peut professer autre chose et se dire le disciple de celui qui s’est fait obéissant jusqu’à la mort ? La faiblesse de Dieu n’est pas son crépuscule, mais sa forme christique. Elle n’est pas sans puissance puisqu’elle sauve ». Saint Paul le disait déjà : « C’est quand je suis faible que je suis fort ». Quelle plus belle expérience qu’une faiblesse qui sauve ? Quoi de plus rassérénant que d’expérimenter cette faiblesse-là en soi-même?

Jean-Pierre Denis ne nous parle pas seulement de l’intimité de sa foi, mais tout ce dont il nous parle est baigné par cette lumière intérieure, qu’il fait remonter aux derniers moments de la vie de son père et à la question qu’il lui a posée, bien fatigué : « Dis-moi quel est le chemin ? ». Cette question ouvre et ferme le volume. C’est une question qu’il pose aussi à l’Eglise, après se l’être adressée à lui-même. Il énumère sept défauts de cette Eglise, mais assurément la liste n’est pas limitative. Il interprète aussi, avec finesse, le vilain mot du pape François sur le devoir d’aller aux périphéries : pour lui ces périphéries désignent d’abord « le fond résiduel », celui des « catholiques zombies » (Emmanuel Todd), qui ont encore une tradition religieuse, mais dont la foi décline lentement. Et pour justifier son interprétation audacieuse, il a ce mot de commerçant avisé : « On a plus de chance de faire des affaires avec des acheteurs déçus ou lassés qu’avec ceux qui n’ont pas encore fait la moindre emplette ». Il faut que l’Eglise ait le courage d’aller à la rencontre de ceux qu’elle a déçu ou lassé!

Comme toutes les institutions, l’Eglise devrait avoir une stratégie de long terme qui ne soit pas un plan incluant la banqueroute : « L’essentiel de l’énergie est mis dans l’accompagnement palliatif du déclin pour ne pas dire de la faillite ». Il faut trouver une autre voie, qui ne soit pas non plus cette songerie impuissante sur les origines de l’Eglise, époque dorée que l’on pare de tous les atours, comme pour en revendiquer nous-mêmes quelque chose, en nous assurant ainsi une foi supérieure à celle de nos ancêtres : « Peut-on sérieusement penser que la foi était moins profonde au temps de Martin de Tours, à l’époque de François d’Assise, ou plus près de nous, au siècle de Thérèse de Lisieux ? » demande Jean-Pierre Denis. Et il conclut : «Soyons lucides : en vérité, nous avons cessé de vouloir annoncer la bonne nouvelle».

A lire ce livre, si direct dans l’attestation de la foi, on retrouve en nous-même cette fierté que ne manque pas de produire une foi vivante : on en est fier parce qu’elle ne vient pas de nous et qu’elle nous porte au meilleur de nous-mêmes.

Joël Prieur
  • Jean-Pierre Denis, Un catholique s’est échappé, éd. Cerf 192 pp. 18 euros

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