mardi 5 avril 2022

D'où il viendra juger les vivants et les morts

Le Christ qui siège à la droite du Père, siège pour juger "les vivants et les morts", c'est-à-dire tous les hommes. La justice, impossible sur la terre où elle était au mieux une approche, une approximation et au pire un déni pur et simple, il faut qu'elle soit portée par le Christ tout puissant ("toute puissance m'a été donné au ciel et sur la terre" Matth. 29)  pour se réaliser.

Il ne s'agit pas non plus de tout casser, en jugeant l'hommerie à l'aulne de la sainteté absolue de Dieu. "Le Père ne juge personne, il a donné au Fils le jugement tout entier"" dit Jésus au chapitre 5 de saint Jean verset 22. Nous verrons ce que signifie cette formule étrange  : Le Père ne juge pas". Le Père ne veut pas "entrer en jugement avec sa créature", comme l'Eglise nous le fait dire dans la vieille prière de l'Absoute faite sur un défunt. et cela parce qu'il est le Père et que sa Paternité lui importe plus que sa justice. "Aucun humain, devant toi, ne sera déclaré juste", continue l'oraison des défunts. Le Père est toute sainteté. Son nom même est terrible. Le Fils, lui, connaît l'argile dont nous sommes pétris, puisqu'il s'est fait homme. Il a inventé une justice qui n'appartient qu'à lui ; celle de la miséricorde, celle de l'amour, une justice qui ne discrimine pas entre le poids des bonnes actions et le poids des mauvaises, mais qui, dans une sorte de préscience éclatante, "sonde les reins et les coeurs" et pèse les intentions les plus secrètes, plus encore que les actions.

Exemple évangélique : les ouvriers de la Onzième heure. Ils n'ont travaillés qu'une heure, alors que les journaliers qui ont pris leur service tôt matin en ont travaillé douze. "Ils n'ont pas eu à subir le poids du jour et de la chaleur', Mais ils ont accepté d'être embauchés par le maître. Ils lui ont dit : oui. Et cette réelle acceptation en intention vaut tous les services en action. Au mépris de la justice des hommes, ils reçoivent, eux qui n'ont travaillé qu'une heure, le même salaire que ceux qui ont peiné durant les douze heures du jour. (cf. Matth. 20, 1-16)

Deuxième exemple : le bon larron, ce brigand, ce voleur, ce violeur, ce tueur, qui par hasard s'est retrouvé crucifié à la droite du Christ. : "Nous si nous sommes torturés sur la croix c'est justice", dit-il à son collègue le mauvais larron, crucifié à la gauche du Christ. Ce n'était pas un perdreau de l'année, le "bon" larron, pas du genre à recevoir le bon Dieu sans confession. Disons le en termes contemporains : c'était une racaille de la pire espèce. Il a trouvé au plus profond de lui-même le courage d'une prière au Christ : "Seigneur, souviens toi de moi quand tu seras dans ton Royaume". La réponse est immédiate : "Ce soir tu seras avec moi en paradis". Une prière. Quelques secondes de lumière. Une éternité de bonheur (cf. Luc 23, 39-43).

Quelle est la justice du Christ ? C'est la seule possible pour nous, la seule dont nous ne sortions pas écrabouillés par notre égoïsme ou notre égocentrisme : celle qui juge de l'intérieur et qui juge sur l'amour. Attention : la justice du Christ n'est pas plus laxiste que la justice humaine, comme peut nous le faire croire l'épisode du Bon larron. Simplement le Christ nous connaît au plus profond, parce que c'est lui qui nous a fait. "Il n'avait pas besoin qu'on lui rende témoignage au sujet de ce qu'il y a dans l'homme. Lui savait d'avance ce qu'il y a dans l'homme" (Jn 2, 24). Lui seul juge avec justice.

Manière de dire que la justice chez les humains est inaccessible et que celui qui s'en revendique, justicier, revanchard ou donneur de leçons, est suspect pour cette raison même. Manière de croire que la justice de Dieu ne peut pas  apparaître comme une attitude calculée.  par rapport à sa créature, avec le catalogue de péchés d'un côté le catalogue de vertus de l'autre. Il n-y a pas de catalogue qui tienne devant Dieu: le fini n'existe pas, ne se calcule pas face à l'Infini. Et dans l'autre sens, une offense ou une prière sincère faite à Dieu est toujours infinie comme Dieu est infini. Entre Dieu et l'homme le calcul est impossible car le différentiel est infini. Seul le Fils de l'Homme qui est Fils de Dieu (voir méditation précédente) est habilité par son Père à juger les hommes, parce qu'il est à la fois homme et Dieu.

Le jugement remis au Fils ne porte pas d'abord sur l'observation de la loi. Qui peut observer les dix commandements intégralement sans la grâce de Dieu ? Le Christ ne juge pas un individu sur l'observation plus ou moins parfaite de la loi, mais plutôt sur l'amour avec lequel cette loi est observée. Dans le chapitre 20 de l'Exode où se trouvent énumérés les dix commandements donnés par Dieu à Moise, le mot amour n'est pas prononcé. Même le quatrième commandement ne dit pas : Tu aimeras ton père et ta mère. Mais il stipule : "Tu honorera ton père et ta mère". Dans le Nouveau Testament en revanche, l'amour est l'accomplissement, la plénitude du précepte, comme dit saint Paul. Une vertu observée sans amour est un vice. De plus, dans l'enseignement de Jésus, l'amour n'évoque pas je ne sais quelle abstraction romantique ou je ne sais quelle réduction de la vie à la vie mystique. L'amour de Dieu et l'amour du prochain sont les deux plus grands commandements et ils sont semblables, aussi concrets l'un que l'autre (Matth. 22, 39). 

Qui aime son prochain aime Dieu. Qui aime Dieu en vérité aime son prochain. C'est ce que nous révèle la célébrissime parabole du jugement dernier : « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, alors il siégera sur son trône de gloire. Toutes les nations seront rassemblées devant lui ; il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des boucs : il placera les brebis à sa droite, et les boucs à gauche. Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa droite : “Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde. Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi ! Alors les justes lui répondront : “Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu… ? tu avais donc faim, et nous t’avons nourri ? tu avais soif, et nous t’avons donné à boire, tu étais un étranger, et nous t’avons accueilli ? tu étais nu, et nous t’avons habillé ? tu étais malade ou en prison… Quand sommes-nous venus jusqu’à toi ?” Et le Roi leur répondra :  En vérité, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.” Alors il dira à ceux qui seront à sa gauche : “Allez-vous-en loin de moi, vous les maudits, dans le feu éternel préparé pour le diable et ses anges. Car j’avais faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’avais soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ; j’étais un étranger, et vous ne m’avez pas accueilli ; j’étais nu, et vous ne m’avez pas habillé ; j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité.” Alors ils répondront, eux aussi : “Seigneur, quand t’avons-nous vu avoir faim, avoir soif, être nu, étranger, malade ou en prison, sans nous mettre à ton service ?” Il leur répondra : “En vérité, je vous le dis : chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait.” Et ils s’en iront, ceux-ci au châtiment éternel, et les justes, à la vie éternelle. » (Matth. 25, 31-46).

Il y a ceux qui ont connu  Jésus et qui "le confessent devant les hommes" pour que lui les confessent devant son Père" (Matth. 10, 32). C'est la foi au Christ qui les sauve. Mais ceux qui ne l'ont pas connu ? Ceux qui n'ont pas eu durant leur vie la possibilité de le connaître ? C'est par la charité pour le prochain qu'ils se sauvent. Ils n'ont pas forcément conscience du salut qu'ils reçoivent ou de la réprobation qu'ils encourent, comme le marque bien le texte de saint Matthieu : "Seigneur, quand donc t'avons-nous vu avoir faim ?" Mais c'est l'amour qui les sauve. C'est le manque d'amour qui les perd. "A la fin de notre vie, dit saint Jean de la Croix, nous seront jugés sur l'amour".


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