vendredi 1 avril 2022

Est assis à la droite de Dieu, le Père tout Puissant

 L'expression peut surprendre et même porter à sourire. Comment imaginer que Jésus est assis à la droite de Dieu pour les siècles des siècles, si l'on prend au pied de la lettre ces quelques mots ? 

"Etre assis" renvoie, dans l'antiquité à une manière d'exercer le pouvoir et l'on peut dire que ces termes sont expressifs jusqu'à nos jours. Voici quelques années maintenant, l'érudit Jacques Charles-Gaffiot avait organisé une exposition au Palais de Versailles sur les trônes dans l'histoire. Son intuition de départ était que tout pouvoir qui a pour lui une vraie légitimité s'exerce en position assise. L'iconographie est très abondante sur ce point. Dans le vocabulaire courant, "siéger" signifie à la fois commander et être assis. Charles-Gaffiot voulait montrer que le vrai pouvoir, le pouvoir légitime, celui qui s'impose naturellement s'exerce en position assise et que le conquérant qui a renversé l'autorité légitime, le gouvernant républicain, l'empereur napoléonien, mais aussi le fasciste le nazi, le communiste exercent leur pouvoir debout, parce que ce pouvoir, arraché au circonstances, on ne l'exerce pas paisiblement, dans une tranquille possession, mais l'on est sans cesse en train de le revendiquer aux événement et de l'imposer aux populations que l'on domine.

Dans l'Evangile, au chapitre 19 de Saint Jean, Pilate, au verset 14, fait asseoir Jésus "sur une estrade" au milieu d'une cour appelée Lithostrotos (en français dallage de mosaïque), en araméen Gabbatha (ce qui signifie en français : lieu élevé, estrade), lieu qui lui servait à lui Pilate, occasionnellement de tribunal. Dans une parodie de souveraineté, pour se moquer et de sa victime et des juifs, le Procurateur romain semble un bref instant inverser les rôles, entre lui et Jésus. Non content de faire asseoir Jésus à sa place, il dit à l'assistance, qui est juive : "Voici votre roi". Tout à l'heure les soldats se moqueront de la royauté du Christ, en tressant à son intention une couronne avec des épines. Pour lors, Pilate, dérangé dans sa bonne conscience de conquérant sans scrupule imagine une curieux jeu de rôle. C'est sa manière à lui de tourner en dérision la noblesse d'attitude à couper le souffle de celui qu'il allait condamner, manière aussi d'envoyer le peuple juif tout entier dans le néant, comme lorsqu'il fera inscrire sur le gibet de la croix : "Jésus le Nazaréen, roi des juifs". Certains membres importants du peuple juif vinrent le trouver alors pour lui indiquer qu'ils se sentaient tous bafoués par cet écriteau. Ils se virent répondre : "Ce que j'ai écrit, je l'ai écrit" (Jean 19, 22). Pilate avait senti la majesté inouïe du personnage qu'il n'avait condamné au supplice de la croix que pour prendre les juifs au mot, en leur jetant à la figure leur roi défiguré, dans une sorte d'artifice politique souverainement déplaisant et en même temps involontairement prophétique.

Dès le premier dialogue entre Jésus et Pilate, au chapitre 18, il est question de cette autorité monarchique de Jésus. Et c'est la première fois dans l'Evangile qu'on évoque explicitement le Christ comme roi. Certes il est fils de David, reconnu par tous comme descendant de Jessé (le père de David). Certes il prêche le Royaume de Dieu, mais c'est quand humainement tout va mal, quand tout semble perdu, c'est devant le gouverneur romain que Jésus affirme sa royauté. Parce que politiquement et humainement, une telle revendication ne peut plus servir à rien. Jésus a fui toute sa vie les foules qui voulaient le faire roi. On lui prépare une entrée à Jérusalem, où il est le triomphateur attendu, et ce drôle de triomphateur, en guise de fier destrier, a tenu à monter sur un âne, comme pour affirmer son mépris de la politique humaine. Il ne s'affirme lui-même roi que quand il peut dire : "Ma royauté n'est pas de ce monde". 

Voici son dialogue avec l'autorité romaine en Palestine, dialogue qui a tant marqué Pilate. La communauté juive lui avait livré Jésus en insistant sur le fait que sa revendication monarchique et "nationale" était incompatible avec l'ordre romain mondialisé. Le Gouverneur ne comprenait pas que ces insoumis nationalistes juifs fassent du zèle contre l'un des leur. "Pilate appela Jésus et lui dit : « Es-tu le roi des Juifs ? » Jésus lui demanda : « Dis-tu cela de toi-même, ou bien d’autres te l’ont dit à mon sujet ? » Pilate répondit : « Est-ce que je suis juif, moi ? Ta nation et les grands prêtres t’ont livré à moi : qu’as-tu donc fait ? Jésus déclara : « Ma royauté n’est pas de ce monde ; si ma royauté était de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. En fait, ma royauté n’est pas d’ici. ». Pilate lui dit : « Alors, tu es roi ? » Jésus répondit : « C’est toi-même qui dis que je suis roi. Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. » (Jean 18, 33-37).

Sa royauté, Jésus la revendique et la reçoit de la bouche même de Pilate : "C'est toi-même qui le dit". Il précise de quelle manière elle s'exerce : "Moi je suis né, je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix". Voilà sa royauté. Elle ne relève pas d'un pacte ou d'un contrat humain, mais de la vérité, ou plus précisément du désir de vérité, au point que quiconque est de la vérité, reconnaît cette vérité dans le Christ. Sa royauté n'est pas de ce monde, elle est tellement vaste qu'elle n'a pas pour origine ce monde, elle est métaphysique, en ce qu'elle concerne tout être créé, jusqu'aux anges. Elle est théologique, en ce qu'elle ne peut venir que de Dieu. Mais, si elle n'est pas de ce monde, elle s'exerce sur le monde. Elle est même l'espérance cachée de ce monde, comme l'expliquait il y a dix ans René Girard. 

"Qu'est-ce que la vérité ?" demande Pilate après avoir entendu cette justification fulgurante de celui qui comparaît devant lui, tout en revendiquant toute autorité. L'histoire humaine et le progrès moral depuis le Christ répondent à cette exclamation désenchantée d'un homme de pouvoir auquel on ne la fait pas. La vérité construit l'histoire, elle est à l'origine du seul véritable progrès moral de l'humanité. C'est que le royaume de Dieu se développe sur la terre comme il est dans le Ciel. L'esprit du  Christ pacifie la violence qui est dans le coeur des hommes. Les sociétés chrétiennes n'ont aucune prétention à être le paradis sur la terre, mais le génie du christianisme a fait avancer l'humanité comme aucune autre doctrine n'y est jamais parvenue. Et ce génie du christianisme, c'est le Christ lui-même, son enseignement et son exemple.

Jésus Christ est fils de Dieu, nous l'avons montré. Mais il est aussi fils de l'homme, il est, à lui seul, l'humanité à son meilleur niveau. Et quel est ce meilleur niveau ? Le niveau divin. Toute anthropologie conséquente est suspendue à cette constatation. C'est déjà ce qu'il appert de la prophétie de Daniel, que l'on peut appeler la prophétie du Fils de l'homme. Celle-ci du reste, le Christ lui-même la fait sienne en la proclamant devant son premier juge, qui n'est pas romain mais juif. Caïphe, grand prêtre cette année-là, lui demande : "Es-tu le Fils de Dieu". La réponse du Christ, à ce moment dramatique de sa mission où il va être condamné, il l'emprunte au prophète Daniel, 7, 13-14 : "Tu l'as dit et désormais vous verrez le Fils de l'homme assis à la droite de la Puissance de Dieu et venant sur les nuées du ciel" (Mc 14, 62, Matth. 26, 64 et Lc 22, 69). C'est en se fondant sur ce passage de l'Ancien Testament que le Credo affirme du Christ : "il est assis à la droite de Dieu". 

Mais avant même les premières rédaction d'un Credo catholique, on trouve cette affirmation sur le Christ assis à la droite de Dieu, non seulement dans la finale de l'Evangile de Marc, mais dans l'épître aux Ephésiens de saint Paul : "Telle est envers nous qui croyons l'infinie grandeur de sa puissance, se manifestant avec efficacité par la vertu de sa force. Il l'a déployée dans le Christ, en le ressuscitant des morts, et en le faisant asseoir à sa droite dans les lieux célestes, au-dessus de toute domination, de toute autorité, de toute puissance, de toute dignité, et de tout nom qui se peut nommer, non seulement dans le siècle présent, mais encore dans le siècle à venir. Il a tout mis sous ses pieds, et il l'a donné pour chef suprême à l'Eglise, qui est son corps, la plénitude de celui qui remplit tout en tous" (Eph. 1, 19-23). Quelle éloquence pour parler de la royauté du Christ !

Hors Jésus, il n'y a que vide. La création ? Si Jésus ne la sauve pas du néant, elle n'est rien que "le silence éternel des espaces infinis" comme l'a déclaré Pascal. L'homme et la femme ? La juxtaposition provisoire de deux épidermes. Les valeurs humaines ? "Vanité et poursuite du vent" comme dit l'Ecclésiaste. Seul le Christ "remplit tout en tous". Jésus siégeant à la droite de la Puissance (à la droite du Père tout puissant précise le Credo trinitaire) révèle aux hommes pour quoi, pour qui ils ont été faits. Nous sommes recréés à l'image du Christ, faits pour Dieu comme le Christ, qui, dit encore saint Paul, est "le premier avant toutes créatures" (Col. 1, 15), "le premier d'une multitude de frères" (Rom. 8, 29). Le Christ est le roi du monde, en ce qu'il accomplit la création, qu'il réalise l'homme parfait, et c'est en ce sens que le même Pilate prophétise lorsqu'il s'écrie face au peule juif, pour que ce dernier épargne Jésus et fasse mourir Barabbas : "Ecce homo", "Voici l'homme" (Jean, 19, 5). En effet, assis à la droite de Dieu, le Christ est le plérôme de l'humanité, le fils de l'homme par antonomase. Mais il n'est l'homme parfait, le premier re-né, baptisé dans son propre sang, que parce qu'il est, en même temps, le Fils de Dieu, égal au Père, assis en sa Présence.


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