samedi 7 novembre 2009

Le troisième cours...

...sur la Somme théologique a été... difficile. Un des plus difficiles de l'année, en espérant que cela ne refroidisse personne. Il s'agissait de parler de la simplicité de Dieu. Impossible d'aborder un tel sujet sans un minimum de technicité scolastique. Celui qui s'aviserait de dire que Dieu est simple, sans expliquer la perspective métaphysique dans laquelle il s'inscrit, risquerait fort de faire le jeu d'une religion obscurantiste où "tout est simple puisque Dieu est simple et d'ailleurs on vous l'avait bien dit cherchez pas"...

Ce que je veux dire : il n'est vraiment pas simple de prouver la simplicité de Dieu, ce que l'on peut exprimer, en guise de liminaire, de la manière suivante : simple ou pas, Dieu... c'est pas simple !

Depuis Platon et Aristote, qui eux-mêmes se sont servis chez ceux que l'on appelle les philosophes présocratiques (Parménide, Héraclite, Anaximandre et les autres), les philosophes bénéficient d'une sorte de trousse à outils conceptuels, largement renouvelée par Descartes et surtout par Kant. Ils ont un langage qu'il faut apprendre, comme on apprend une langue étrangère.

Dans ce cas, je me suis permis de remonter à Platon : il suffit de lire le mythe de la caverne pour s'introduire dans sa vision du monde. Pour cet aristocrate athénien, il y a, au centre de sa démarche, la perception des idées, ce "réellement réel" qui est soustrait à la matière et au temps, soustrait à la quotidienneté et qui n'est accessible qu'à la contemplation. Quant à la matière (avec son cortèges de mutations et de morts), elle n'est que le réceptacle des idées. lorsqu'on a compris cela, on ne doit penser qu'à une chose : se soustraire à l'emprise de la matière, s'enfuir, et par la contemplation échapper au sort lamentable des êtres matériels, promis à la corruption.

Aristote récuse cette déchirure entre la matière et l'idée (ou la forme), entre le tombeau de la matière et la jubilation qu'apporte la "vision" (eidos : forme, qui vient du verbe voir). Au livre H de la Métaphysique, il découvre la puissance et l'acte pour unir enfin ce duo monstrueux de la matière (qui est toujours une autre et qu'il appelle lui-même la région de la dissemblance) et de la forme (toujours semblable à elle même). Il invente cette formule prodigieuse pour garantir l'unité de la matière et de la forme en en conservant la dualité : la matière ? C'est la forme en puissance. La forme ? C'est la matière en acte. Au livre théta, il ajoute que l'acte est nécessairement antérieur à la puissance et ce disant, ce n'est pas tant à Platon lui même qu'il se rattache qu'à Parménide dont il est le digne fils spirituel. Si l'être est antérieur au néant, c'est parce que "être et penser sont une seule et même chose" et que la pensée conditionne manifestement tout être comme être tel. Il n'y a d'êtres qu'intelligibles. Tout ce qui existe a une forme. Et cette forme est en tant qu'elle est en acte ; elle n'est pas, elle reste latente, si elle est seulement en puissance. L'acte est donc bien antérieur à la puissance.

En se servant du mécano aristotélicien, saint Thomas va plus loin. Il le mixte avec un post platonisme endémique, en montrant qu'en chaque être l'essence et l'existence sont distinctes. l'essence ? Le "ce qu'est la chose". L'existence (esse en latin) ? L'acte à travers lequel une chose est ce qu'elle est. "actualitas omnium rerum et naturarum" dit saint Thomas. L'actualité des natures. Non pas seulement un accident ou un mode, le simple fait d'être qu'imaginait Avicenne. Non ! Comme le dit Cajétan, "l'existence de la substance c'est la substance". Son acte.

On peut caractériser tout étant de deux manières : comme une essence (une forme), avait dit Platon. Il avait bien raison. Comme un acte, une existence dit Aristote et cette perspective est forte, même si Aristote lui-même n'en tire pas toutes les conséquences.

Voilà l'état du mécano, quand Thomas en prend possession. Et là, il opère un véritable coup de force métaphysique. Ce coup de force, il ne faut pas se cacher derrière son pouce, il faut se le dire et se le redire, il est antiplatonicien. Il est conforme à la logique chrétienne la plus profonde. Thomas explique benoîtement, dans la Question 3 article 4, que l'essence est en puissance par rapport à l'existence (comme Aristote avait expliqué aux platoniciens que la matière était la forme en puissance, comme je l'ai rappelé plus haut). Pour Platon, les essences, ce sont les idées, le réellement réel, la seule chose qui compte. Thomas ne détruit pas les essence et l'ordre intelligible magnifique qu'elles décrivent à elles toutes, cet ordre qui avait tant séduit Platon. Mais il affirme que ces essences sont en puissance par rapport à leur être, ce qui permettra à Cajétan d'expliquer que toute réalité est duelle : forme d'une part, en puissance. Être (esse) en acte.

Après avoir posé les bases de cette ontologie nouvelle, ontologie de l'esse, il faut conclure le raisonnement sur la simplicité de Dieu.

En Dieu, dit Aristote, il n'y a nulle puissance, mais un Acte sans mélange. Eh bien ! En Dieu, l'essence infinie (qui de notre point de vue fini donne lieu à des myriades de représentations toutes vraies) n'est aucune forme de puissance. Elle s'identifie à l'Acte, à l'être, dans une absolue simplicité. Et c'est justement parce que Dieu est simple, c'est parce qu'en lui l'essence et l'existence s'identifient, que l'Être divin nous reste, par nature pourrait-on dire, absolument inaccessible, à nous qui sommes composés d'essence et d'existence et qui fonctionnons dans cette dualité.

C'est parce que Dieu est simple qu'il est incompréhensible...

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