mercredi 2 juin 2010

L'Eglise et l'Etat : un couple difficile

Hier, conférence de Guillaume de Thieulloy, à propos de son livre sur Le pape et le roi, resituant l'attentat d'Anagni, ces jours étranges de 1308 où le roi de France (Philippe le Bel bien sûr) a fait prisonnier l'un des grands papes médiévaux, Boniface VIII.

Avec maestria, le conférencier nous a emmené sur les chemins difficiles de la cohabitation historique entre l'Eglise et l'Etat. Dommage pour ceux qui rêvent d'un Moyen âge de carton pâte, tout d'une pièce et simplement chrétien. La réalité est tout autre : être chrétien n'a jamais été simple ! Certains ont pu en garder l'idée que ces relations sont décidément trop compliquées et qu'il faudra simplifier tout cela... Cela donnera la Pragmatique sanction de Bourges (1438), cela donnera le Concordat de Bologne (1516), dans lequel, de manière parfaitement officielle, le roi très chrétien a mission de nommer les évêques - qui deviennent par conséquent des fonctionnaires parmi beaucoup d'autres. On sait que l'Etat moderne ne supporte pas la concurrence et qu'il a forcément, comme dirait Max Weber, "le monopole de la violence légale". Elever une autorité spirituelle sur les marges de son Imperium, voilà qui n'est pas gagné ! Les polémiques qui enflent dans le monde entier contre Benoît XVI marquent bien le caractère tout anachronique, mais toujours libérateur, de l'autorité spirituelle dont jouit l'Homme en blanc.

Après avoir écouté cette conférence et participé au débat qui suivit, opposant plusieurs periti sur la question, à l'instigation discrète du conférencier, j'ai relu le dernier chapitre du Contrat social de Rousseau, qui porte sur la théocratie. Cette lecture me semble capitale. Il y a dans le Contrat social de Rousseau une nostalgie de la théocratie : "Les hommes n'eurent point d'abord d'autres rois que les dieux et d'autre gouvernement que le théocratique"... Pour le citoyen de Genève, la pire des solutions c'est que l'homme soit soumis à l'homme. Mais soumis aux dieux ? Aucun problème. Soumis à une religion civile qui fait l'unité de la Cité ? C'est la meilleure des solutions pour un pouvoir fort (toujours souhaitable selon Jean Jacques).

On comprend qu'emporté par son élan, il fasse l'apologie de l'islam politique, c'est-à-dire de l'islamisme : "Mahomet eut des vues très saines, il lia son système politique et tant que son gouvernement subsista chez les califes ses successeurs, il fut exactement un et bon en cela. Mais les Arabes devenus lettrés polis mous et lâches, furent subjugués par les barbares".

Curieux Jean Jacques... C'est bien lui le théoricien de notre République. A le lire dans le texte, on a l'impression d'une sorte de fasciste avant l'heure : "Tout pour l'Etat, rien en dehors de l'Etat". La formule est de Mussolini, via Gentile. Elle conviendrait bien au Contrat social. Et cette déploration de la décadence... On dirait du Spengler... Quant à l'admiration pour l'islam politique... Depuis René Guénon, une certaine droite la cultive.

Quand on se penche sur ce qu'il aime, Jean Jacques, on a envie d'aimer ce qu'il déteste : l'autorité spirituelle d'une Eglise qui préserve la liberté des personnes de toute statolatrie. "L'intérêt du prêtre y sera toujours plus fort que l'intérêt de l'Etat" regrette Jean Jacques. Mais qu'importe si le prêtre, pratiquant et défendant l'aventure spirituelle à laquelle chacun est appelé pour sa part, permet, dans son face à face avec l'omnipotence étatique, que se crée un espace, toujours provisoire, jamais bien marqué, où règne une liberté, à la faveur de laquelle chacun peut prétendre à la grâce et donc au salut.

La bagarre perpétuelle entre l'Eglise et l'Etat est sans doute le seul théâtre où se joue vraiment la possibilité de notre liberté intérieure.

3 commentaires:

  1. Après des propos d'une telle hauteur de vue, difficile de faire un commentaire.

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  2. Merci de rappeler qu'il a toujours été difficile d'être chrétien; chaque retour sur l'histoire nous le fait constater mais nous l'oublions souvent, cédant alors à l'excuse facile d'une époque "si difficile" pour oublier d'être des témoins quotidiens

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  3. Moui d'accord "ceux qui rêvent d'un Moyen-Age de carton pâte"...Qui sont ce? Et bien oui les autres quoi! Ceux qui n'ont rien compris, les simplets.
    Et puis "être chrétien n'a jamais été simple"...
    C'est sur ! A qui le dites vous ma bonne dame(ou mon bon...)!
    Bon nous voilà bien avancé pour discerner les enseignements de l'histoire de l'Eglise et du monde et essayer de comprendre notre époque et agir de façon.
    Merci d'être plus "spécifique"! Sans être historien on peut comprendre que Philippe le bel n'est pas Saint Louis ni Charlemagne...et que rien n'est acquis une fois pour toute dans l'histoire des sociétés.
    Mais cela ne nous dispense pas d'essayer de porter des "jugements" sur les évènements et sur l'histoire au lieu de pratiquer des retournements diplomatiques laxistes et confortables.
    Il n'y a certes pas de Moyen-Age en carton pâte merci.Mais il y a un Moyen-Age qui peut nous apprendre qqe chose a posteriori si on en fait un bilan circonstancié(spécifique)

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