Tout à l'heure sur Radio Courtoisie, baptême des ondes en tant que patron d'émission, pour une nouvelle émission Voix au chapître. J'y serai, une fois par mois le mercredi matin à 10 H 45, en direct, en compagnie de Anne Le Pape, mon assistante et néanmoins amie de longue date. Est-ce parce que nous sommes compatriotes, elle et moi, partageant la bretonnitude, que notre rencontre sur les ondes s'est imposée à moi comme "le bon duo" ? Nous avons des goûts bien différents, et tous deux une manière "sans fard" de les exprimer, bref, pour les auditeurs, un cocktail qui sera parfois détonnant. La liberté, quoi. Il y a néanmoins un cahier des charges à respecter : ni religion ni politique, me dit Henry de Lesquen. Culture. Bien entendu la culture embrasse aussi bien des sujets religieux que des sujets politiques, mais pas l'actualité. Cette distance me convient assez bien. Elle permet d'aborder des sujets inattendus. Pour la première, c'est Laurent Dandrieu, chroniqueur cinéma à Valeurs actuelles, qui est venu nous présenter son livre sur Woody Allen : portrait d'un antimoderne (CNRS éditions 20 euros).
Je crois vraiment que l'on tient là une introduction exceptionnelle à l'oeuvre du cinéaste new-yorkais. Le sous titre le dit assez. Antimoderne, Woody ? Ce diagnostic n'a rien à voir avec une quelconque entreprise de récupération. Il s'agit simplement de savoir décrypter une oeuvre dans ses tendances fondamentales. Woody Allen est obsédé par le néant de l'existence. Il prend de haut ses contemporains qu'il met en scène, en en manifestant sans complaisance la superficialité, la fragilité, la vacuité. On peut dire que ce pessimisme sert de toile de fond à l'ensemble de l'oeuvre et que c'est à partir de ce pessimisme fondamental que Woody Allen pose à nouveau frais les grandes questions qui traversent la condition humaine, sans avoir peur de répéter du déjà dit tant ses formules de comique, lorsqu'elles sont bien frappées, ont toujours une musique de "première fois". Exemple très "catholique" tiré du recueil thématique d'aphorismes, en fin de volume : "Rien de plus sexy qu'une catholique déchue". Ca ne vous plaît pas ? Alors entrons dans de l'impersonnel : "Le néant éternel est supportable, pour peu qu'on ait le costume adéquat". Qu'est-ce donc que ce costume de néant ? Ne nous y trompons pas : c'est souvent... un mensonge.
Je voudrais vous faire part d'une discussion hors antenne avec Laurent Dandrieu sur le film : Une autre femme. J'ai trouvé merveilleuse cette façon qu'a Woody Allen de diagnostiquer et de débusquer le mensonge vital dans la vie de Marion, cette femme de 50 ans, prof de philo à l'université, qui a épousé un cardiologue célèbre et à laquelle tout réussit... apparemment. Elle loue un studio pour se donner le temps et l'espace nécessaire pour écrire un livre. Et il se trouve que ce studio communique avec l'appartement voisin, qui est un cabinet d'analyse. Marion ne veut pas entendre, mais elle ne parvient pas, avec deux coussins posés devant le mur, à réaliser une étanchéité correcte entre les deux pièces. Et la voix de ces femmes qui se confessent la trouble. L'une d'entre elles (mia Farrow) surtout. Elle se met elle-même en question très rapîdement et remonte le fil de l'inauthentique dans sa propre existence : la routine conjugale (triste !), sa brouille avec son frère (stupide !), son indélicatesse inconsciente avec son amie Claire à cause de sa volonté (non voulue mais si spontanée) d'occuper tout l'espace, de prendre pour soi seule toute la scène de l'existence... Rien de grave ? Finit par remonter à la surface, dans un rêve, l'avortement qui apparemment l'a rendu stérile, avortement qu'elle a pratiqué sans en avertir son ami de l'époque, ce qui a entraîné leur rupture et finalement... son suicide à lui. Marion regarde en face les "oublis" sur lesquels elle s'est construite. Pour tout simplifier, elle surprend son mari Ken dans une conversation tendre au restaurant avec sa meilleure amie Linda, celle qui s'était proposé d'organiser son anniversaire de mariage. Le décor de sa vie est tombé. Elle n'en veut à personne. Elle est libre pour une autre vie. Ayant identifié tous ses mensonges, elle est devenue "une autre femme", la vraie...
Je communique mon enthousiasme à Laurent Dandrieu en lui disant : pour moi cette démarche représente une sorte de conversion sans la foi. Le critique exigeant qu'est Laurent Dandrieu refuse ce terme de conversion... Il a sans doute raison dans l'absolu et cela montre clairement sa volonté de ne pas "spiritualiser" Woody malgré lui. Mais je crois que dans le singulier indicible d'une pratique, il y a bien là la vérité d'une conversion au sens où René Girard en parle dans la conclusion de Vérité romanesque et mensonge romantique. Me revient à l'esprit cette formule de l'évangile de saint Jean au chapitre 3, que l'on a lu lundi dernier, au lendemain de la Pentecôte : "Tout homme qui fait le mal déteste la lumière, et il ne vient pas à la lumière de peur que ses oeuvres ne soient dévoilées. Mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour qu'il soit manifeste que ses oeuvres sont faites en Dieu" (Jean 3, 20-21).
Il me semble que cette formule décrit bien comme une première Pentecôte, que l'Esprit de vérité souffle dans chaque coeur humain et dont l'autre, la Pentecôte salvifique qui nous attend tous jusqu'au bout de notre vie, celle qui se donne dans l'eau et dans l'esprit, celle qui se concrétise en un baptême de rédemption, celle qui est le fruit de "la folie de la prédication" n'est que le prolongement et la manifestation.
Je comprends la prudence de notre critique, parce que c'est un critique. Il fait son métier en m'en rappelant la nécessité. Mais quant à moi, je crois que le souffle de l'oeuvre de Woody Allen a été deux ou trois fois dans ses 44 films, un souffle de Pentecôte. Une Pentecôte implicite, mais talentueuse parce que perspicace... Nous avons souvent si peur de cet esprit de vérité. Si peur de nous retrouver nus après son passage. C'est pourtant cette vérité intérieure qui seule peut construire notre foi en nous conduisant, le coeur libre, à saisir ce que j'appelle l'évidence chrétienne.
Je crois vraiment que l'on tient là une introduction exceptionnelle à l'oeuvre du cinéaste new-yorkais. Le sous titre le dit assez. Antimoderne, Woody ? Ce diagnostic n'a rien à voir avec une quelconque entreprise de récupération. Il s'agit simplement de savoir décrypter une oeuvre dans ses tendances fondamentales. Woody Allen est obsédé par le néant de l'existence. Il prend de haut ses contemporains qu'il met en scène, en en manifestant sans complaisance la superficialité, la fragilité, la vacuité. On peut dire que ce pessimisme sert de toile de fond à l'ensemble de l'oeuvre et que c'est à partir de ce pessimisme fondamental que Woody Allen pose à nouveau frais les grandes questions qui traversent la condition humaine, sans avoir peur de répéter du déjà dit tant ses formules de comique, lorsqu'elles sont bien frappées, ont toujours une musique de "première fois". Exemple très "catholique" tiré du recueil thématique d'aphorismes, en fin de volume : "Rien de plus sexy qu'une catholique déchue". Ca ne vous plaît pas ? Alors entrons dans de l'impersonnel : "Le néant éternel est supportable, pour peu qu'on ait le costume adéquat". Qu'est-ce donc que ce costume de néant ? Ne nous y trompons pas : c'est souvent... un mensonge.
Je voudrais vous faire part d'une discussion hors antenne avec Laurent Dandrieu sur le film : Une autre femme. J'ai trouvé merveilleuse cette façon qu'a Woody Allen de diagnostiquer et de débusquer le mensonge vital dans la vie de Marion, cette femme de 50 ans, prof de philo à l'université, qui a épousé un cardiologue célèbre et à laquelle tout réussit... apparemment. Elle loue un studio pour se donner le temps et l'espace nécessaire pour écrire un livre. Et il se trouve que ce studio communique avec l'appartement voisin, qui est un cabinet d'analyse. Marion ne veut pas entendre, mais elle ne parvient pas, avec deux coussins posés devant le mur, à réaliser une étanchéité correcte entre les deux pièces. Et la voix de ces femmes qui se confessent la trouble. L'une d'entre elles (mia Farrow) surtout. Elle se met elle-même en question très rapîdement et remonte le fil de l'inauthentique dans sa propre existence : la routine conjugale (triste !), sa brouille avec son frère (stupide !), son indélicatesse inconsciente avec son amie Claire à cause de sa volonté (non voulue mais si spontanée) d'occuper tout l'espace, de prendre pour soi seule toute la scène de l'existence... Rien de grave ? Finit par remonter à la surface, dans un rêve, l'avortement qui apparemment l'a rendu stérile, avortement qu'elle a pratiqué sans en avertir son ami de l'époque, ce qui a entraîné leur rupture et finalement... son suicide à lui. Marion regarde en face les "oublis" sur lesquels elle s'est construite. Pour tout simplifier, elle surprend son mari Ken dans une conversation tendre au restaurant avec sa meilleure amie Linda, celle qui s'était proposé d'organiser son anniversaire de mariage. Le décor de sa vie est tombé. Elle n'en veut à personne. Elle est libre pour une autre vie. Ayant identifié tous ses mensonges, elle est devenue "une autre femme", la vraie...
Je communique mon enthousiasme à Laurent Dandrieu en lui disant : pour moi cette démarche représente une sorte de conversion sans la foi. Le critique exigeant qu'est Laurent Dandrieu refuse ce terme de conversion... Il a sans doute raison dans l'absolu et cela montre clairement sa volonté de ne pas "spiritualiser" Woody malgré lui. Mais je crois que dans le singulier indicible d'une pratique, il y a bien là la vérité d'une conversion au sens où René Girard en parle dans la conclusion de Vérité romanesque et mensonge romantique. Me revient à l'esprit cette formule de l'évangile de saint Jean au chapitre 3, que l'on a lu lundi dernier, au lendemain de la Pentecôte : "Tout homme qui fait le mal déteste la lumière, et il ne vient pas à la lumière de peur que ses oeuvres ne soient dévoilées. Mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour qu'il soit manifeste que ses oeuvres sont faites en Dieu" (Jean 3, 20-21).
Il me semble que cette formule décrit bien comme une première Pentecôte, que l'Esprit de vérité souffle dans chaque coeur humain et dont l'autre, la Pentecôte salvifique qui nous attend tous jusqu'au bout de notre vie, celle qui se donne dans l'eau et dans l'esprit, celle qui se concrétise en un baptême de rédemption, celle qui est le fruit de "la folie de la prédication" n'est que le prolongement et la manifestation.
Je comprends la prudence de notre critique, parce que c'est un critique. Il fait son métier en m'en rappelant la nécessité. Mais quant à moi, je crois que le souffle de l'oeuvre de Woody Allen a été deux ou trois fois dans ses 44 films, un souffle de Pentecôte. Une Pentecôte implicite, mais talentueuse parce que perspicace... Nous avons souvent si peur de cet esprit de vérité. Si peur de nous retrouver nus après son passage. C'est pourtant cette vérité intérieure qui seule peut construire notre foi en nous conduisant, le coeur libre, à saisir ce que j'appelle l'évidence chrétienne.
Vous déformez toujours un peu, cher monsieur l'abbé, alors que vous devriez savoir que c'est la rigueur qui est baroque, et laisser l'imprécision au romantisme... Vous ne m'aviez pas dit "une conversion sans la foi", comme vous le rapportez ici, mais "une conversion sans le Christ", ce qui n'est pas précisément la même chose, et laissait entendre que vous donniez à cette conversion une dimension explicitement religieuse, un peu forcée à mon goût. Reformulé par votre souvenir imprécis en "conversion sans la foi", le diagnostic me convient et je le reprends volontiers à mon compte. Comme quoi la critique n'exclut pas toujours l'enthousiasme, ni l'enthousiasme la rigueur...
RépondreSupprimerMais que ça ne me fasse pas oublier de vous remercier pour votre invitation de ce matin, et pour vos éloges sur mon livre...
RépondreSupprimerJe ne souscris pas à l'idée que le Père GdT "déforme toujours un peu", ce dont je suis absolument certain, c'est qu'il nous enchante, dès que nous l'entendons sur RC (et surtout Père, ne vous y gênez pas pour y dire des mots anglais, je trouve grotesque, totalement grotesque et contre-productif, cette ridicule histoire de cochon où il faut déposer son amende: il faut vraiment être un "fidèle" pour supporter ça! entre les annonces, les annonces d'annonces, les fréquences égrenées sans cesse, les génériques pompeux et fastidieux!!!!) ou que nous le lisons.
RépondreSupprimerJe n'ai pu écouter en direct, ni à la première rediffusion, avec quel plaisir vais-je mettre mes deux réveils pour six heures du mat., pas question de rater ça! et tous mes voeux de brillante réussite (déjà écrite, à mon sens) pour cette nouvelle chronique radiophonique, en propre; j'espère que Madame Rouvier n'en cèdera pas moins son micro, de temps en temps, comme elle en a pris l'excellente habitude.
J'ai enfin pu écouter l'intégralité de l'émission, samedi à 18H! C'était magnifique et je n'ai pas été déçu: tous les trois, vous nous avez passionnés, avec naturel et grande culture, et quel sujet inattendu et néanmoins si riche que Woody Allen. Le livre de Monsieur Dandrieu semble être une étude particulièrement fouillée et intéressante.
RépondreSupprimerRien qu'en l'écoutant, j'ai déjà appris des choses que je ne soupçonnais pas (W.A. et sa relation avec la psychanalyse, par ex.).
Mention spéciale et félicitations du Jury, pour Mademoiselle Lepape (Père, il n'y a que vous, pour trouver une (charmante) assistante, qui porte un tel nom: ainsi, on va entendre dorénavant, dans les couloirs du boulevard Murat "ce matin, c'est GdT avec Lepape"....) dont les interventions étaient tout à fait bien vues et le ton de voix, si agréable.
Du coup, j'ai déjà programmé, grâce à Mademoiselle Lepape, ma visite au Musée Albert Khan, à Boulogne, que je ne connais pas et que je souhaitais découvrir, depuis des années! Quelle occasion, avec cette expo. d'ektachromes, sur la Bretagne.
Je songeais à un autre réalisateur américain d'origine aussi, je crois, qui a partie si liée avec la France, un peu comme Woody Allen, qui est tant apprécié chez nous, mais dans le registre inverse, un peu comme une image dont on aurait le négatif, en vis-à-vis, lumière et ombre, humour et tragédie, vous aurez peut-être deviné: je veux parler de R.P.
Encore merci et bon vent à cette nouvelle émission, qui ne saurait qu'enchanter les habitués de RC et bien d'autres!
Je ne suis pas assez malin pour deviner : qui est RP ?
RépondreSupprimerOh pardon! J'aurais du écrire directement Roman Polanski...mais comme il a beaucoup de problèmes d'une nature un peu spéciale, en ce moment, ça m'a bloqué pour l'écrire. Désolé pour ce contre-temps, qui vous a agacé, cher Anonyme, à juste tître.
RépondreSupprimerWoody Allen et Roman Polanski: deux cinéastes de grand talent, américains (même si RP a vécu de nombreuses années en exil), deux personnages dont l'opposition et la parité tout à la fois, m'ont semblé flagrantes, en écoutant l'émission: Monsieur Dandrieu, s'il le voulait bien et s'il revient nous rendre une petite visite, par ici, aurait peut-être une suggestion à nous offrir, dans ce sens, vu sa connaissance et réflexion sur le Cinéma.