vendredi 15 octobre 2010

France 1500 : quelle Renaissance ?

Magnifique exposition au Grand Palais, avec les chefs d'oeuvre d'un temps, où la France, après le règne bénéfique de Louis XI, se sachant reine du monde, entreprenait les folles guerre d'Italie et aspirait à une sorte d'Imperium mundi sans le titre.

Il est d'usage désormais de souligner que la Renaissance ne vient pas seulement d'Italie, mais aussi de la Flandre et des villes hanséatiques. Sans doute ! Mais l'exposition s'achève sur une toile de 1497, signée Léonard de Vinci La belle Ferronière. Il est incontestable que le Milanais, avec quelques Toscans, avait plusieurs longueurs d'avance sur la peinture européenne, et ce, malgré Memling et quelques autres peintres flamands... ou français - Jean Clouet - dès le XVème siècle.

Mais qu'est-ce que la Renaissance ? Jeune, on m'a appris que la Renaissance recelait tout l'esprit du paganisme, un antichristianisme viscéral et une sorte de révolution humaniste en germe.

Je ne peux en parler qu'en apprenti philosophe des choses que je connais un tout petit peu. Un exemple ? Il est emblématique. Pic de La Mirandolle est mort avant 1500. Il faisait partie de la bande de jeunes qui entouraient Laurent de Médicis, jeunesse folle, jeunesse dorée, jeunesse immensément cultivée et profondément confiante en son temps. Il avait la prétention, dans les 900 thèses qu'il placarda à Rome, de balayer tout le savoir humain, en soulignant, dans une sorte de syncrétisme, que le christianisme était en germe dans les principales doctrines de l'Antiquité, chez tous les peuples. Poursuivi par la police du pape, il s'était réfugié en France pendant un temps. Mais Paris ne lui a pas souri. Il est vite de retour en Italie. Et là, à Florence, sur ses terres, après avoir échangé en platonicien avec Marsile Ficin (mort en 1499 : un symbole) et Ange Politien et après avoir écrit sur ces échanges le De ente et uno, il devient tertiaire de l'ordre dominicain. Par quel détour ? Le fait est qu'il se met volontairement sous la férule de Savonarole, dominicain qui organise à Florence des bûchers de vanités, et fait régner un ordre évangélique dans la cité de Côme de Médicis. Savonarole est, à ma connaissance, le premier sédévacantiste de l'histoire (il ne croyait pas qu'Alexandre VI Borgia fût vraiment pape). Et c'est lui que Pic choisit comme "directeur spirituel", comme on dira au XVIIème siècle. Etonnante rencontre ! Pic le rebelle fut enterré à 36 ans dans l'habit des frères dominicains, peu après avoir assisté à la soutenance de thèse de mon cher Cajétan.

Je pourrais parler de son traité De dignitate hominis, dans lequel, à travers un petit apologue, il explique que l'homme est le seul être qui n'a pas de nature, ou plutôt qui choisit lui-même sa propre nature. Terrible modernité. On est à des années lumières du Moyen âge. Et pourtant quelle foi !

Voilà tout le paradoxe de la Renaissance. Oui, c'est vrai l'univers ouvert de la Reanaissance n'a rien à voir avec le cosmos scalaire du Moyen âge. Mais la foi n'y est pas moins grande. Elle semble plus forte, elle éclate dans les moindres oeuvres d'art. C'est de la Renaissance que date le plus grand nombre de nos églises françaises. C'est la Renaissance qui vit naître la guerre religieuse. Nous ne pouvons donc pas imaginer ces gens là comme des païens ou des indifférents.

Alors Renaissance ? Moyen âge ? Les tableaux réunis dans cette exposition marquent un extraordinaire esprit de ferveur. Ils sont en même temps profondément religieux. Et si la Renaissance était l'un des moments les plus forts de notre histoire religieuse...

7 commentaires:

  1. ...et si de renaissance, il n'avait point ?
    En effet, cette dénomination, comme toutes les dénominations historiques, n'est donnée que tardivement et artificiellement pour située de façon simpliste les choses. La renaissance n'est-elle pas l'un des points culminants du moyen-âge, lui même dénomination artificielle ?
    C'est toujours dans les moments les plus prospères que les "révolutions" se font. N'est-ce pas plutôt une évolution médiévale que cette dite renaissance ?
    La rupture, si rupture il y a, doit être une rupture de civilisation. Et il ne me semble pas qu'il y en ait une. La révolution française en sera une et elle se cherchera des racines et des excuses dans l'antériorité de la renaissance avant même des "lumières".
    Hélas, nous sommes après cette rupture et nous n'avons, à moins d'une grande culture, qu'une vision éronnée de ce qu'est notre vrai passé, tant médiéval que "renaissant".
    Je pense que vous avez raison sur le fait que la renaissance est encore chrétienne et de façon profonde, même si la liberté de pensée y est telle que certains peuvent se permettre de sortir un peu des rails en donnant naissance à un humanisme qui est encore décent.
    Très cordialement
    Clément d'Aubier (pseudo de rêverie)

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  2. Renaissance? Moyen age? Modernité? Continuité historique à travers une tradition qui ne souffre pas de saut ni de blanc? Je préférerais opter pour une thèse "continuiste" sans méconnaître que l'histoire connaît des "sauts qualitatifs".

    Mais vous dites:
    "Oui, c'est vrai, l'univers ouvert de la Renaissance n'a rien à voir avec le cosmos scalaire du Moyen age." Je continue ma transposition en vous reposant ma question lancinante touchant à l'essence de la modernité: "d'après la modernité alors, l'univers serait ouvert tandis que, dans l'optique médiévale (sic), le cosmos serait scalaire" (du latin scala, échelle)?

    Dans son ouvrage "HISTOIRE NATURELLE DE L'AME" vers lequel m'a porté l'écoute attentive de l'émission d'Olivier germain-thomas "for intérieur", Laura bossi explique admirablement que la construction scalaire de l'univers, qui se poursuit jusque dans l'évolutionisme avec ses échelles des espèces, n'est ni plus, ni moins, qu'une transposition de la centralité de l'arbre dans le jardin des origines. Mais, pour Michel foucauld, la rupture qui s'introduit avec la renaissance (et que paradoxalement, Laura bossi n'évoque pas) revient à la résurgence d'un certain plotinisme dans l'interprétation de l'univers, en ce sens que chaque élément de la terre trouverait son double dans le ciel. Il y a une correspondance intime entre la terre et le ciel. Idée éminemment poétique et romantique, mais qui met fin à l'unité scalaire, notre vie n'étant plus cette sorte de "psaume des montées" où l'homme est invité à pérégriner besogneusement vers Dieu: elle devient une sorte de retrouvailles par chacun des aimants que sont l'homme et dieu de la moitié de laquelle ils sont mutilés, l'homme étant invinciblement attiré vers dieu et réciproquement par un effet d'optique, une Lumière irrépressible. Voilà qui, au passage, résoudrait par un simplisme les débats bisantins sur les deux natures du Verbe Incarné. Alors la relation humanodivine, pèlerinage ou aimantation? Un dernier problème se posant: si les réalités d'ici-bas correspondent aux réalités d'Au-delà, Dieu doit nécessairement habiter quelque part. Cela nous choque? Si non, y a-t-il un point où Dieu Soit hors de l'univers, non cointensif pour ainsi dire, mais totalement extérieur à Sa création qui ne Lui est pas coextensive? Si oui, les partisans du "new age" vous répartiraient qu'alors, rien ne s'oppose à ce que Jésus Soit un être venu de l'espace, un extraterrestre en quelque sorte. On trouve cela sous leur plume, comme aussi l'idée selon laquelle la création du monde perçue par les mésopotamiens dont se seraient inspirés les auteurs de la bible, serait le fait d'extraterrestres.

    Dernier problème de continuité historique: comment cette renaissance de correspondance immanentiste à tendance panthéiste a-t-elle pu déboucher sur le classicisme qui fait tellement la part des choses, sans que l'histoire se soit donnée la peine de périodiser une éventuelle rupture, entre ces deux âges séparés d'un siècle seulement et que Bernanos vouait à une commune détestation, lui pour qui le néopaganisme de la renaissance avait débouché sur le moralisme a minima du fabuliste Lafontaine? De fait, comment périodisons-nous l'histoire et pourquoi allons-nous, toujours quérant dans telle époque le germe d'une irrécusable décadence?

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  3. Tant que j'y suis, je voudrais ajouter une autre question à la liste des précédentes: dans quelle époque historique vivons-nous? Je sais bien que "les sociétés humaines comprennent rarement l'histoire qu'elles vivent"; mais enfin, contre les tenants de la fin de l'histoire, je sens poindre une régression historique : non seulement, à la suite de Paul valéry faisant ce constat après la première déflagration mondiale, notre civilisation se sait mortelle, mais il semble qu'elle soit devenue suicidaire: elle désire sa mort, elle veut rétrograder ou rétropédaler, je crois que ce phénomène est sans précédent à l'échelle d'une civilisation. En tout cas, cette régression (peut-être momentanée, car l'histoire est cyclique) de notre civilisation a bel et bien enterré le progressisme. Pour illustrer cette régression de civilisation que je sens poindre, je n'en prendrai que quatre exemples dont l'exposition sera très brève:

    1. Notre civilisation ne veut plus avancer dans le progrès technique, mais se détechniciser jusqu'à décroître.

    2. En même temps, nous vivons un phénomène de radicalisation politique et religieuse auquel concourent les trois faits suivants: le premier est l'explosion des empires, la balkanisation du monde qui renoue avec "le principe des nationalités" qui a fait éclater la première guerre mondiale. Nous, hommes du vingt et unième siècle, nous sommes revenus au monde d'avant 1914.

    3. L'exercice de sa fonction par notre Président de la République actuel rappelle furieusement celui d'un président du conseil de la quatrième République; mais au-delà, la radicalisation des "républicains" dans leur ensemble nous replace, sous couvert de "politiquement correct", dans un "terrorisme intellectuel" d'avant la terreur, et ce d'autant plus que les références à l'âge d'or révolutionnaire abondent de la part des républicains eux-mêmes.

    4. Arithmétiquement, l'islam a treize siècles: il en est donc à son Moyen age, ce qui excuse certains de ses penchants pour des pratiques barbares, si l'on ne tient pas compte de l'accélération de l'histoire et donc du temps. Mais simultanément, le catholicisme/universalisme de l'amour évanescent de l'eglise pour l'humanité s'est tribalement ou claniquement contracté au point que nous ne cessons d'affirmer notre goût pour le grégorien monodique et que notre pape actuel n'est autre que l'ancien chef de l'ex Saint Office (pudiquement appelé depuis "congrégation pour la doctrine de la foi), sous la juridiction duquel était jjadis placés l'Index et la sainte Inquisition. Qu'en pensez-vous?

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  4. Curieux! on m'a appris à l'école tout le contraire: que la renaissance était la reprise des merveilles athéniennes et romaines par delà quinze siècles d 'obscurantisme (il n'y a qu'à compare le mince volume du Lagarde et Michard sur le MA et le déjà gros volume sur le 16ème siècle .mais ce n'est là que quantitatif ! )..nous n'avons sans doute pas été à la même école !!!

    Les guerres "religieuses"ont surtout été un atroce massacre mensonger( les paysans jetés contre les seigneurs allemands puis massacrés par eux avec l'encouragement des hérésiarques) et un iconoclasme effarant (pire que celui de la révolution dite française)... Et ce n'est pas le " parti catholique" qui en fut responsable!!!

    Enfin, quand on voit aujourd'hui l'atrocité des croisades, inquisitions et index au pouvoir (laïc???) on se prend à rêver avec nostalgie aux douceurs des croisades, inquisitions et index catholiques , malheureusement disparus .. La nature( et peut être la surnature!) ayant horreur du vide, voilà où nous en sommes..;

    A.S. Asymptote sinusoïdale

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  5. A Asymptote sinusoïdale : il n'y a pas de "surnature", mais du surnaturel. Voir Lubac.

    A l'abbé de Tanoüarn :
    Petite précision : Pic est mort à 31 ans, non à 36.
    Par ailleurs, s'il est évident que ce genre d'humaniste était bouffi d'orgueil pour ce qu'il parlait quinze langues, comme Pascal et même Voltaire n'ont pas manqué de le lui reprocher, faut-il lui reprocher de relever que l'homme se distingue du règne animal par son absence de "nature" donnée ? C'est, me semble-t-il, toute la pensée de la Bible et du christianisme.

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  6. A Anonyme de 23:18

    Si le Lagarde et Michard du Moyen-Age apparaît si mince c'est tout simplement qu'il était difficile de faire étudier des textes en vieux français à des gamins de troisième. J'avoue que, 40 ans après, j'ai toujours autant de mal à lire ces oeuvres anciennes.
    Ce qui m'a toujours semblé curieux c'est que l'on faisait étudier les auteurs les plus difficiles à déchiffrer dans ls petites classes et que l'on gardait les auteurs contemporains pur la terminale. Sans compter qu'il y avait toujours un décalage entre les périodes étudiées en histoire et en littérature (en seconde si je me souviens bien le programme de littérature était consacré à la Renaissance et celui d'Histoire à la période s'étendant de la mort d'Henri IV à celle de Louis XIV) ; ces bizarreries ne semblaient guère frapper nos enseignants.
    Plus curieux encore le programme de géographie de 4ème était consacré au Monde (hors l'Europe) et celui de première à la France. Bref on allait du plus compliqué au plus simple.
    Il me semblerait plus rationnel de commencer par la France puis d'étudier l'Europe et enfin le reste du monde.
    Au KT c'était pareil, on voulait nous faire apprendre des concepts trop difficiles pour des enfants. A moins d'être un surdoué qu'est ce qu'un enfant de 12 ans peut comprendre au dogme de la Sainte Trinité ou de la transsubstantiation.

    C'est comme si l'on voulait faire étudier les oeuvres de Pierre Boulez ou de Xennakis à des élèves de 1ère année de conservatoire !

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  7. A Clément d'Aubier
    Le terme de Renaissance en français apparait avec Michelet, certes. Mais en italien, on trouve celui de Renacita sous la plume de Vasari, dès le XVIe siècle : il apparait avec l'idée qu'on ferme une longue page de médiocrité, avec le terme de gothique, employé pour décrier l'art de la fin du Moyen Âge (encore un mot apparu à cette époque).

    C'est un temps de grande prospérité économique, en France et dans toute l'Europe, qui voit de profondes mutations de civilisation : c'est le temps de la Réforme, de l'abandon du nominalisme, de la redécouverte de Platon, de l'apparition de l'imprimerie, de l'élargissement des horizons (vers l'Amérique mais aussi l'Asie et les côtes de l'Afrique, par le Cap de Bonne-Espérance).
    Ce qui ne signifie pas que ce Moyen Âge tant décrié par l'époque soit médiocre : il est différent, et il a été ressenti comme un temps de faiblesse parce que les mentalités ont profondément changé entre 1450 et 1550, ce qui rendait l'art de 1450 incompréhensible à ceux de 1550.

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