mercredi 1 août 2012

Alzheimer et la prière

Une étude parue il y a quelques jours dans Le Figaro indique que les gens qui prient sont moins souvent touchés par la maladie d'Alzheimer que les autres. Sujet d'été... Il ne faut évidemment pas prendre au pied de la lettre les chiffres fournies par l’enquête américaine dont Le Figaro se fait l'écho, mais c'est une occasion - et me semble-t-il une bonne occasion - de réfléchir à ce qu'est la prière.

"Quand vous priez ne soyez pas comme ces gens qui rabâchent..." nous demande le Christ. Certes la répétition est un aspect de la prière, une manière de conjurer le temps qui passe et de rentrer dans l'Absolu à travers la multiplication des invocations. Si nous prenons les choses du plus haut (sub specie aeternitatis disait Spinoza) le temps, après tout n'est que le déploiement de l'éternité. Répéter une même formule, c'est donner une durée à l'instant et, en quelque sorte imaginer l'éternité.

Mais si la répétition est purement mécanique, si nous n'entrons pas dans ce que nous répétons, si nous restons extérieurs aux paroles et extérieurs aux intentions de la prière, alors la répétition est contre productive. En revanche, elle peut constituer comme une musique d'ambiance qui calme l'esprit, l'aide à se centrer, à cesser son vagabondage, et là, nous retrouvons la thématique du Figaro. Prier, c'est vivre de l'esprit, vivre par l'esprit, aider notre esprit trop souvent plaqué à la surface de lui-même, butinant, passant d'une sollicitation à une autre : l'aider à se ramasser et à trouver son centre.

Gabriel Marcel a eu cette parole étonnante qui marque bien l'universalité de la prière : "Etre inquiet, c'est chercher son centre". Pour peu que nous essayions d'établir dans notre vie des priorités, pour peu que nous ayons eu l'intention arrêté de faire des choix ou que nous ressentions le besoin impératif de les confirmer, alors il nous faut entrer dans une méditation, qui, en cherchant son centre, peut devenir, sans même que nous nous en apercevions, une prière. Et avec l'âge ou l'usage, cette intention fondamentale, qui est comme la disponibilité de notre être intérieur, nous la répétons, toujours la même, peu ou prou.

Je pense à ce vieux moine entendu un jour en pleine nuit, dans l'ombre de son abbatiale par un retraitant qui était sans doute un inquiet au sens de Gabriel Marcel : "Mon Dieu je vous aime et je me fous du reste". Disposition fondamentale de l'âme, disposition qui peut devenir une action, qui peut se transformer immédiatement en une action et parfois en une action d'éclat, tant elle vient de l'intérieur. C'est la prière du vieux moine, mille fois répétée qui est la manifestation psychique fondamentale de son héroïsme quotidien, de sa fidélité monastique. Elle sera aussi le recours, le circuit cérébral le plus court en cas de crise.

Quel est notre leitmotiv personnel ? Quelle est notre prière, lorsque Dieu est notre seul témoin ?

Voici le leitmotiv de saint Thomas d'Aquin, une prière, oh ! un peu plus longue que celle du vieux moine, mais dont on devine qu'elle est le fond d'un coeur. C'est une amie qui me l'a montrée, elle est inscrite sur une image ancienne, je serai content d'en savoir plus à son sujet. La traduction est assez moderne, mais je trouve que cela ne gâte rien, au contraire !
"Je vous aperçois, ô Jésus ; de loin en loin, vous me tirez de ma léthargie. J'entr'ouvre un moment les yeux et vous me ravissez par votre présence ; mais, hélas ! Ce ne sont que visites passagères ; je ne sais si vous m'aimez, si je vous aime ; j'ignore même si je vis de foi ; je ne trouve en ma vie qu'infidélités, que commencements sans suite, que sacrifices sans plénitude. Et cependant j'aspire à. Vous !...
 
Il reste au fond de mon âme une réponse négative qui rejette tous les appels des créatures, qui dit à tout cœur qui n'est pas le vôtre, vous êtes trop étroit ; à toute lumière qui ne m'apprend rien de votre beauté, vous êtes ténèbres ; à tout intérêt qui n'est pas votre gloire, vous ne me suffisez pas ; à toute louange qui ne vient pas du ciel, vous ne pouvez me grandir ; à tout ce qui n'est pas mon Dieu, ce n'est pas vous que je cherche, ce n'est pas vous qu'il me faut.
 
Donnez-moi un amour immense, des clartés sans ténèbres, des joies sans mélange, des biens impérissables, donnez-moi mon Dieu ! Donnez-le moi tôt, donnez-le moi sans fin, donnez-le moi sans mesure !.... O mon Dieu, ne venez point en passant, faites en moi un séjour habituel, perpétuel, demeurez avec moi. J'aurais dû vous appeler, vous retenir dès le premier rayon d'intelligence qui me révéla mon âme, mais j'ai erré comme une brebis abandonnée à la perdition ; maintenant que les ombres déclinent que le jour fait place à la nuit, ne méprisez pas ma tardive supplication ! Venez, demeurez, pardonnez mes oublis, mon indifférence ; pardonnez, si, rebuté des créatures j'accours à vous comme le naufragé au port ; et parce que vous êtes bon, parce que vous connaissez l'aveuglement de votre pauvre enfant, venez, demeurez jusqu'au jour sans soir, jusqu'à l'éternel aujourd'hui".
Cette prière de saint Thomas d'Aquin en comprend trois. Il y a d'abord un état des lieux, qui tiendrait en trois mots : "commencements sans suite". C'est ce que l'on pourrait appeler le principe de réalité : accepter de se connaître, de se voir tel qu'on est.

Il y a ensuite un état du désir : "rien ne me suffit que vous". Tout le monde ne peut pas dire cela sans tricher. Il faut du temps ou une expérience spirituelle solide. Avec Dieu, il y a les coups de foudre, qui trahissent l'affinité élective entre mon âme et l'Esprit saint. "Qui touche l'âme touche Dieu" dit très bien Maître Eckhart, thomiste lui aussi. Dans cette prière on trouve (mais c'est dans la troisième partie) de la même façon ; "J'aurais dû vous rappeler dès le premier rayon de mon intelligence qui me révéla mon âme". Ce premier rayon établit pour toujours le manque d'où provient le Désir. Ce manque n'est pas psychologique, il n'est pas représentable. Comme dirait Lacan, c'est un manque à être. Une nostalgie ontologique, nostalgie au sens grec : douleur du retour.

Mais cette affinité ne devient un vrai désir que lorsqu'elle s'affirme, lorsqu'elle manifeste son Pouvoir sur ma vie. Le désir de Dieu n'est un vrai désir que lorsqu'il manifeste concrètement sa prééminence sur les désirs ordinaires qui nous agitent. Sans les détruire bien sûr, mais en les orientant. Le désir de Dieu est ressenti comme un vrai désir, lorsqu'on delà du coup de foudre et de la première brûlure, Dieu "demeure" comme dit Thomas, Dieu vient donner une suite à nos commencements. Il faut que Dieu se fasse l'esprit de suite de notre esprit sans suite. La conversion, c'est cela. Non pas "Adore ce que tu as brûlé", mais plutôt : persévère! Possède ton âme! Tiens ton esprit, retiens ton coeur pour l'offrir au Seigneur!

Avant d'en être à cette vie unitive, avant même de recevoir l'illumination du coup de foudre gracieux, il faut que nous réalisions que, même si nous ne le savons pas, même si personne ne nous en parle dans notre société matérialisée, nous sommes tous tout près de Dieu. Il vous suffit je pense de relire lentement la prière de Thomas pour le comprendre.

4 commentaires:

  1. Darby Bible (1859 / 1880)
    Et quand vous priez, n'usez pas de vaines redites, comme ceux des nations, car ils s'imaginent qu'ils seront exaucés en parlant beaucoup.

    RépondreSupprimer
  2. la prière du chapelet est une belle et sainte prière; elle met sur nos lèvres les mots mêmes de la Vierge Marie (ce qui nous décentre de nous-mêmes et nous évite d'énumérer à dieu nos problèmes). C'est la prière des pauvres, accessible même à l'approche de l amort: il suffit de tenir le chapelet entre les mains, comme une corde à noeuds. Et le chapelet débouche toujours sur l'oraison, la prière qui se passe de mots et où se contente de louer Dieu et de lui dire qu'on l'aime, qu'on le désire. Merci M; l'abbé, d enous livrer cetet magnifique prière de St Thomas, qui semble composée pour les hommes agités et futiles de notre siècle.

    RépondreSupprimer
  3. Très belle prière....il ne nous reste plus qu'à l'imprimer et qu'à nous en imprégner....en un mot: la prier!
    Merci à votre amie, M.l'Abbé! Que Dieu la bénisse et la protège....

    RépondreSupprimer
  4. Alors...JP II n'aurait-il pas assez ou mal prié? Ou bien sa prière n'aurait-elle pas dépassé les lambris dorés du palais pontifical? Poser la question c'est sans doute y répondre!!!

    RépondreSupprimer