Dans la forme reconnue comme extraordinaire du rite romain, nous célébrons, en ce deuxième dimanche après Pâques (que l'on appelle troisième dimanche de Pâques dans le rite rénové) le Christ Bon Pasteur. C'est donc la fête de notre Institut, l'Institut du Bon Pasteur et nous lisons naturellement une partie du chapitre 10 de l’Évangile selon saint Jean : "Le Pasteur, le bon, celui qui n'est pas mercenaire, met sa vie en jeu pour ses brebis". On peut dire que cette allégorie du Bon Pasteur, dans l'Evangile de saint Jean, contient comme un résumé du christianisme. Si quelqu'un cherche une porte d'entrée dans l'Evangile, qu'il n'hésite pas à se rendre à se chapitre : "Ma vie, j'ai le pouvoir de la déposer et le pouvoir de la reprendre". L'acte central du Christ - sa mort - se trouve expliqué par avance : "Ma vie personne ne la prend mais c'est moi qui la donne".
Et pourtant... Pourquoi ne pas le dire ? Cette allégorie du Bon Pasteur, il y a en elle quelque chose qui gêne, quelque chose qui a du mal à passer... Si le Christ est le Berger, devons-nous être des moutons ? Repasse peut-être dans notre esprit l'image rabelaisienne des moutons de Panurge, qui se jettent dans la mer, tous ensemble, tant ils se suivent sur la terre. Peut-être voyons nous défiler le troupeau de mouton, cul à visage ? Ce n'est pas très exaltant si c'est cela que l'on nous demande.
Drôle de troupeau ! En fait les moutons doivent s'identifier au Pasteur. Le Pasteur est au service de son troupeau, "il met sa vie en jeu" si nécessaire, il s'offre pour les brebis. Mais son esprit passe dans ses bêtes et chaque brebis doit être capable de ressembler à son maître et de s'offrir avec lui, après lui.
Et de la même façon que les brebis s'identifient au Pasteur, le Pasteur s'identifie au troupeau, il est "l'Agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde", "l'Agneau égorgé depuis le commencement du monde" dont parle l'Apocalypse (c. 5). Il est celui qui offre, mais il est aussi ce qu'il offre, il s'offre lui-même, et chaque chrétien doit faire de même - s'offrir, se donner.
Notre vocation n'est donc pas celle des moutons de Panurge. Nous devons vivre à l'imitation du Pasteur, comme le Pasteur s'est identifié à ses brebis au point de devenir l'une d'entre elles, nous devons nous identifier au Pasteur jusqu'à mettre notre vie en jeu pour lui.
Mais il importe que nous nous soumettions "au Pasteur et à l'évêque de nos âmes", Jésus-Christ. Sommes nous capables de le comprendre ? Ou bien refuserons-nous a priori cette soumission ?
C'est peut-être le premier effort qu'il faut que nous fassions en cette fête du Bon Pasteur : comprendre que nous avons besoin du Pasteur, que nous ne trouvons pas notre bien en nous-mêmes, que notre ego n'est pas le criterium de notre existence, que nous ne pouvons pas ne nous reposer que sur nous-mêmes et cela pour une double raison :
D'abord notre ignorance congénitale de la destination de l'aventure humaine. "Le vrai siège de l'homme est l'ignorance" dit Pascal de façon lapidaire. Comment lui donner tort ?
Ensuite, si nous nous fions à nous-mêmes, nous serons accessibles aux foucades et aux tocades de notre ego perdu en lui-même... Mais nous serons incapables de nous orienter et de nous diriger par nous-mêmes. Nous n'en aurons pas la force. Pour ne pas nous laisser aller à tous vents de passion, il nous faut un point fixe comme disait Archimède. Mais ce point fixe n'est pas en nous. En dehors de l'obéissance au berger et à l'évêque (episcopos en grec) de nos âme pour reprendre la formule de saint Pierre dans son épître, nous ne sommes rien. Jésus n'a-t-il pas eu "pitié de la foule", parce que disait-il ce sont "comme des brebis sans pasteur, éparpillées et errantes".
Cette autorité du Pasteur, cette autorité en dehors de nous-mêmes, il faut que nous la reconnaissions, que nous lui fassions allégeance. Attention ! Nous ne faisons pas allégeance pour faire allégeance. Nous faisons allégeance pour être libres. C'est notre liberté qui intéresse le Seigneur,c'est notre liberté qui nous permettra d'imiter le Pasteur et de nous offrir en sacrifice. "Là où est l'Esprit du Seigneur, là est la liberté" proclame saint Paul dans son Epître aux Romains. Si nous ne faisons pas allégeance au Pasteur, nous sommes des brebis errantes, incapables de rien. Si nous lui obéissons, nous accédons à la liberté difficile, celle des enfants de Dieu. Délivrés de notre ignorance par le Christ "maître du beau savoir" selon la formule de saint Justin, délivré de notre faiblesse par l'Esprit qui souffle en nos coeurs, redressant ce qui est tordu, aplanissant ce qui est raboteux, nous nous trouvons maintenant capables de juger de tout dans l'esprit du Seigneur (n'est-ce pas saint Paul qui le dit : l'homme spirituel juge de tout ?), nous sommes constitué en responsabilité, devenant responsables de notre propre salut et de l'utilisation de nos talents, nous vivons dans la liberté des enfants de Dieu, la seule qui ne soit pas menteuse, la seule qui ne se confonde pas avec la licence et ses addictions.
Le Bon Pasteur fête la liberté de son troupeau. C'est pour cette liberté qu'il s'est donné jusqu'à la mort. Par notre obéissance inconditionnelle, nous pouvons défier le ciel et la terre, nous nous trouvons au dessus de la loi perçue comme contrainte, vivant, avec le coeur, de la loi de liberté dont parle saint Jacques, uniquement soucieux de plaire à Dieu. Comment définir cette liberté ? Je vous ai parlé naguère de la prière du vieux moine, entendue à 3 H du matin dans l'abbatiale obscure, parce qu'il se croyait seul : "Mon Dieu je vous aime et je me fous du reste".
Ce serait bien si tout le monde pouvait voir Jésus comme le bon Pasteur... Sans discussions inutiles, vivant simplement l´Évangile... Merci pour votre texte.
RépondreSupprimerCher Monsieur l'abbé,
RépondreSupprimerSi riche est ce billet que je m'en serais voulu de le commenter à chaud. Voici les quelques réflexions ou questions qu'il m'inspire :
1. Comment comprendre cette Parole du Christ qui m'a toujours intrigué :
"Ma vie, j'ai le pouvoir de la déposer et le pouvoir de la reprendre". Par hypothèse, le Christ pourrait donc reprendre Sa Vie ? Ne nous L'a-t-Il pas donné sans repentance ? Pourquoi insiste-t-Il sur le mot "pouvoir" ? Ne serait-ce pas pour nous rendre sensibles la valeur de ce don ?
Si l'hypothèse demeure que le Christ puisse reprendre Sa Vie, le Royaume n'abdique pas l'économie du pouvoir, mais le Christ "dépose" Sa Vie, pour reprendre le verbe dans la traduction que vous devez nous proposer à dessein. Il la dépose, c'est-à-dire qu'Il la renonce, Il l'abdique pour nous, Il la met à nos pieds ; plus encore que Son Pouvoir de Fils, qu'Il ne pourra jamais "déposer", c'est Sa vie qu'Il nous "dépose", à la fois pour nous offrir le cadeau le plus précieux, Lui-Même, et, en bon pédagogue, pour nous apprendre jusqu'où doit aller le don de notre vie.
Du lavement des pieds à cette déposition de la vie du Seigneur, l'itinéraire biographique de l'Homme-Dieu retracé dans les evangiles a une valeurédifiante, une valeur exemplaire.
Nous ne serons jamais, comme Lui, "l'Agneau égorgé depuis le commencement du monde", mais il importe que nous tendions à participer, sinon au Sacrifice du Christ, du moins à son martyre, afin d'établir un "martyre commun du Christ et de l'Eglise", comme me l'écrivait très bellement mon ami et mon maître Alain Heim sur sa page facebook sur un lien consultable ici:
https://m.facebook.com/alain.heim.90?fref=nf&refid=28&_ft_=qid.6010714578007483380%3Amf_story_key.6969106700333661614&__tn__=C
Mais come je le lui répondais, la Bonne Nouvelle si l'on adopte ce point de vue, c'est qu'il continue d'être nécessaire de donner sa vie, mais il devient simultanément impossible d'arrêter le massacre…
2. Votre évocation du presque mythe français des moutons de Panurge m'a fait réaliser pour la première fois que, peut-être, Rabelais avait trouvé son inspiration pour inventer ce "mythe" dans la scène évangélique du troupeau de porcs dans lequel le Christ expulse les démons d'un possédé et qui se jettent dans la mer.
Si l'hypothèse est soutenable, on peut dire qu'il y a une haine atavique du christianisme flamboyant pour le suivisme disciplinaire. Si les disciples sont des suiveurs, ce sont des porcs.
Dans LES VIOLENTS S'EN EMPARENT, Fabrice Hadjadj montre bien au contraire que la réaction de l'Eglise que d'aucuns diraient conciliaire face à la modernité est un repli bucolique. L'évidence m'est venue l'autre jour que beaucoup de débats stériles qui se poursuivent à propos du concile tomberaient d'eux-mêmes si l'Eglise dite officiel ou main stream perdait l'habitude de parler de pastorale, car enfin, nous ne sommes pas des moutons. Et le mot pastorale connaît un synonyme : il s'agit d'"apostolique".
Le concile Vatican II a peut-être été peu doctrinal ; mais il n'a pas davantage été pastoral, il fut apostolique. De même que toutes les activités que nous appelons pastorales relèvent de l'apostolat.
Il s'agit de beaucoup plus qu'un simple jeu de mots : il en va de la dignité avec laquelle nous appréhendons notre prochain. Si nous le prenons pour un mouton, nous faisons de la pastorale et, comme il ne veut pas se laisser prendre, la pastorale reste notre lubie interne. Mais si nous le prenons pour un frère à qui donner le meilleur de ce que nous sommes, à savoir ce que nous croyons, nous ne faisons pas de prosélytisme, nous faisons de l'apostolat.
(Suite)
RépondreSupprimer3. Je voudrais vous remercier en outre de deux formules heureuses :
"Notre ignorance congénitale de la destination de l'aventure humaine." C'est une ignorance tragique, mais qui donne son intérêt à nos aventures biographiques, aux romans de notre vie et de notre histoire, individuelle ou collective. Et :
"c'est toujours notre liberté qui L'intéresse".
A vous lire dans cette veine, comme lorsque vous nous invitez à faire de notre existence un acte d'être, non seulement je me retrouve davantage dans ces pétitions de principe que dans les applications que vous nous en proposez, mais il me séduit que votre personnalisme vous conduise à une sorte d'existentialisme chrétien. J'aime le christianisme, cette Vérité Qui Est Chemin et ce Chemin Qui Est Vie. Je ne crois pas que vous puissiez cautionner le premier terme de ma déclaration (j'ai quasiment franchi le pas de l'existentialisme) : la vérité est un chemin. Vous êtes trop préoccupé de la recherche du "point fixe". Certes, Dieu Est toujours "LE MEME", mais Sa Providence a voulu nous guider de manière à toujours nous dérouter. Nous sommes des chrétiens en déroute.
4. Enfin, n'y a-t-il pas quelque nostalgie du surhomme (je suis conscient d'exagérer beaucoup) à aspirer à être "délivrés de notre faiblesse" plutôt que, comme Saint-Paul, à se "glorifier dans sa faiblesse" ? Notre faiblesse est la brèche par laquelle dieu rend notre amour sensible au prochain. Il faut préciser que cette brèche de notre faiblesse n'est pas identifiable à la Blessure que Dieu a faite à notre cœur pour que nous soyons capables deL'aimer.
D'une manière générale, contrairement à ce que vous écrivez dans "définir l'homme", nous sommes moins capacité que potentialité, soustraction faite de sa capacité. L'homme est une potentialité sans sa capacité, seule la Grâce est capacitante.
Je précise, rectifie et développe mon raccourcis existentialiste chrétien: la Vérité est un Chemin, et ce Chemin est la Vie. Le verbe, "la Lumière des hommes qui éclaire tout homme venant en ce monde", nous révèle "la destination de l'aventure humaine", mais à la fois la chute nous le voile, et l'Incarnation du Verbe dans la chute fait de cette découverte le Chemin de la Vérité.
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